B. (D.) c. Société d’aide à l’enfance de Durham, [1996] 135 D.L.R. (4th) 297 (C.A.)

  • Dossier :
  • Date : 2024

D.B. et al. v. Children’s Aid Society of DurhamRegion et al. (1996), 92 O.A.C. 60.

 

B(D) et le tuteur à l’instance W(G) deB(R) et B(M), toutes deux âgées de moins de18 ans (demandeurs/intimés) c. Société d’aideà l’enfance de la région de Durham et MarionVan Den Boomen (défenderesses/appelantes)

Version française du jugement rendu par

[1] La Cour : La Société d’aide à l’enfance de Durham (Ala Société@) et Marion Van Den Boomen (les défenderesses) interjettent appel d’une décision du juge Somers rendue le 23 mars 1994. Par ce jugement le demandeur D.B. a obtenu 110 219,60 $ à titre de dommages-intérêts et ses deux enfants R. et M. 1 500 $, y compris les intérêts ainsi que les dépens procureur-client. Les défenderesses en appellent de la conclusion en responsabilité et de l’attribution des dommages-intérêts.

 

Bref résumé des faits

[2] D.B. est un pasteur anglican. Avec son ancienne épouse S.B., ils ont adopté leurs deux filles R. et M. D.B. et S.B. ont été mariés pendant neuf ans et vivaient à Manitouwadge au moment où leur mariage a pris fin. À la fin du mois d’avril 1985, alors que D.B. était hors de la ville pendant la fin de semaine, S.B. a déménagé à Thunder Bay avec ses enfants. R. avait alors quatre ans et M. 18 mois. S.B. s’est ensuite installée avec ses enfants dans la région d’Oshawa. Le couple a divorcé en juin 1987.

[3] Le 26 juin 1985, la Société a reçu un appel téléphonique du Dr Wright, un médecin, qui a rapporté que S.B. avait amené M. en consultation car elle soupçonnait D.B. de violence sexuelle à l’égard de l’enfant. Plus précisément, S.B. était préoccupée par le temps mis par D.B. pour changer la couche de M. Elle a dit que R. a vu D.B. changer le bébé et a pensé que Apapa avait touché M. trop longtemps@lorsqu’il appliquait la crème dans la région vaginale afin de traiter une infection. Le Dr Wright était un ami des parents de S.B. et connaissait celle-ci, bien qu’il ne fut pas son médecin de famille à cette époque. Il a examiné M. et l’a envoyée au Dr Ort, pédiatre dans la même clinique. Les deux médecins n’ont trouvé aucun signe physique de délit sexuel bien qu’ils aient tous deux noté que M. avait une ouverture vaginale légèrement dilatée.

[4] La défenderesse Van Den Boomen était la travailleuse sociale de la Société responsable de l’accueil, à qui le dossier avait été confié. Elle a rencontré S.B. et R. le 27 juin 1985 et recueilli les renseignements concernant l’allégation de violence sexuelle. Pendant la rencontre, elle a également appris que D.B. et S.B. se disputaient depuis un certain temps la garde des enfants. S.B. avait obtenu une ordonnance provisoire qui l’enjoignait d’emmener les filles à Manitouwadge une fin de semaine sur deux, à ses frais, pour qu’elles voient leur père au cours d’une visite sans surveillance. La prochaine visite devait avoir lieu les 6 et 7 juillet.

[5] Le 28 juin, la Société a tenté d’obtenir une ordonnance provisoire de protection de la Cour provinciale (Division de la famille) afin de limiter l’accès de D.B. à des visites d’une heure sous surveillance dans les locaux de la Société. La requête a été entendue par le juge Donald le 5 juillet. En accordant l’ordonnance, ce dernier a indiqué que la requête était accordée Ade consentement@. Tel n’était pas le cas. L’avis de requête avait été signifié à S.B. mais non à D.B.. Van Den Boomen a cherché à justifier la décision de ne pas aviser D.B. en disant que la police n’avait pas procédé à son interrogatoire et que le mode d’opération veut que la Société préserve l’élément de surprise lors d’une enquête portant sur des allégations de violence sexuelle. Dans les faits, D.B. n’a jamais été interrogé par la police.

[6] Le 9 juillet, D.B. est allé à Oshawa en compagnie de son avocat et a rencontré Van Den Boomen. Il semble que cet entretien n’était pas un interrogatoire proprement dit, mais D.B. y a donné sa version des faits. Il a fait état de son inquiétude au sujet de R., qui aurait été battue par S.B., et du fait que la personne, qu’il croyait être l’ami avec qui S.B. cohabitait depuis leur séparation, aurait sexuellement agressé M. La Société d’aide à l’enfance de Thunder Bay avait déjà procédé à une enquête sur cet homme, F.R., relativement à des allégations de mauvais traitements envers les deux enfants.

[7] Alors que l’ordonnance provisoire de protection était en vigueur, D.B. a rendu visite à ses filles sous la surveillance de Van Den Boomen et de la Société. Van Den Boomen a poursuivi son travail sur cette affaire jusqu’au 9 août 1985, date à laquelle elle a pris un congé de maternité. Le dossier fut alors transféré à un collègue, Malcolm MacFarland.

[8] L’affaire s’est poursuivie par une instance complète de protection et de garde d’enfant devant le juge Dunn de la Cour provinciale (Division de la famille). L’audience a débuté le 16 octobre 1985 et n’a pris fin que près d’une année plus tard, soit le 7 octobre 1986. Le 21 mai 1986, au 16e jour d’une audience qui devait durer 51 jours (dont 31 furent consacrés aux questions relatives au bien-être des enfants), MacFarland a dit à D.B. que la Société avait Amisé sur le mauvais cheval@ et qu’il était maintenant convaincu que D.B. n’avait pas maltraité les filles. Selon D.B., MacFarland aurait offert de se désister de la demande d’ordonnance de protection, à la condition qu’il renonce à ses frais de justice. D.B. a refusé. Le 26 août 1986, la Société a fait une offre formelle de règlement assez semblable : la Société se désisterait de la requête de demande d’une ordonnance de protection si D.B. consentait à assumer ses frais de justice. D.B. a, une fois de plus, refusé cette offre. Il avait emprunté des sommes d’argent considérables de son beau-frère afin de payer son avocat et n’avait pas l’intention de renoncer à ces frais.

[9] Par son jugement rendu public le 13 janvier 1987, le juge Dunn a rejeté la requête pour une ordonnance de protection des enfants et disculpé D.B. de toutes les allégations de violence sexuelle. Il a également accordé à D.B. la garde unique des enfants. En ce qui concerne les frais, le juge Dunn a ordonné à la Société de payer à D.B. les dépens procureur-client pour la partie de l’audience portant sur le bien-être des enfants. Dans ses motifs, maintenant publiés à (1987), 20 C.P.C. (2d) 61, le juge Dunn a conclu que la conduite de la Société était injuste et indéfendable. L’ordonnance portant sur les dépens indique de façon précise, aux pp. 79 et 80, les dates d’audition relatives à la demande de protection de l’enfant qui comptent pour des journées pleines et celles qui comptent pour des demi-journées. L’ordonnance accorde également à D.B. le remboursement de certains débours tout en en excluant d’autres. Même si le mémoire de dépens soumis pour taxation s’élevait à 91 044,84 $, les parties se sont finalement entendues pour les fixer à 60 000 $.

[10] D.B. a par la suite intenté une action délictuelle contre les défenderesses. Il a réclamé des dommages-intérêts pour toutes les dépenses qu’il avait engagées à la suite de l’enquête de la Société et de l’instance visant à obtenir l’ordonnance de protection. La réclamation portant sur les dommages pécuniaires comprenait le solde des frais d’avocat non recouvrés à la fin de cette instance.

Responsabilité

[11] Les défenderesses ont prétendu avoir accompli leurs fonctions conformément au par. 6(2) et à l’al. 21(1)b) de la Child Welfare Act, R.S.O. 1980, chap. 66, au moment où elles ont débuté l’enquête sur D.B. et introduit la demande d’une ordonnance de protection des enfants.

[12] D.B. a intenté une action délictuelle contre les défenderesses qui ont contesté la conclusion de responsabilité en invoquant deux moyens, à savoir :

* que le juge de première instance avait erré en les trouvant responsables de négligence dans l’exercice des fonctions que leur imposait la loi, avant l’offre de règlement de MacFarland le 21 mai 1986;

* que, même si les défenderesses avaient fait preuve de négligence dans l’exercice de leurs fonctions, le juge de première instance a erré en ne limitant pas la portée de leur devoir de diligence, fondé sur le droit privé, vis-à-vis du demandeur, de manière à empêcher qu’une simple négligence ne donne naissance à un droit d’action.

[13] En ce qui a trait au premier moyen, les demandeurs ont fait témoigner Barbara Chisholm, une experte dont les connaissances en matière de travail social sont impressionnantes. Chisholm a longuement témoigné sur les normes de conduite attendues d’un travailleur social professionnel lors d’enquêtes portant sur des allégations de mauvais traitements à l’égard d’enfants. Elle a également donné les diverses raisons pour lesquelles elle a conclu que Van Den Boomen avait fait preuve de négligence dans l’exercice de ses fonctions et que sa conduite était en deça de celle dont on peut s’attendre de la part d’un travailleur social professionnel. Les défenderesses n’ont pas contesté l’admissibilité de cette preuve ni n’ont tenté de contredire le témoignage de Chisholm en produisant leur propre preuve d’expert.

[14] Le juge du procès a, à bon droit, accordé une importance majeure au témoignage de Chisholm et conclu que Van Den Boomen avait fait preuve de négligence dans l’exercice des fonctions qui lui étaient imposées par la loi. Dans ses motifs, le juge a soigneusement examiné la façon dont Van Den Boomen avait mené son enquête et a conclu que sa conduite était bien en deça des normes attendues d’un travailleur social professionnel pour les raisons suivantes :

* elle a omis de faire le suivi avec le Dr Wright et d’avoir un entretien complet avec lui;

* elle aurait dû, en raison des faits particuliers dans cette affaire, avoir un entretien en profondeur avec D.B. au début du processus;

* elle a omis de faire le suivi avec le corps policier;

* elle aurait dû faire interroger D.B. et les enfants par un policier compétent en matière de mauvais traitements envers les enfants;

* elle a omis de consigner de façon satisfaisante ses rencontres avec S.B. et R.;

* elle a omis de prendre des notes précises au moment où elle aurait dû;

* elle n’a pas pris en considération, comme il aurait fallu, la nature des allégations à l’endroit de D.B. et leur improbabilité manifeste;

* elle n’a pas tenu compte de l’origine des allégations et de la motivation les sous-tendant;

* en raison de son manque de formation et d’expérience, elle a été incapable de faire preuve d’ouverture d’esprit et de mener son enquête de manière juste et équitable;

* elle était prête à permettre à S.B. d’agir à titre de co-enquêteur.

[15] À notre avis, la preuve appuie ces conclusions. Par conséquent, il était loisible au juge du procès de décider, d’après les circonstances en l’espèce, que Van Den Boomen avait fait preuve de négligence dans l’exercice des fonctions qui lui étaient imposées par la loi, et que sa conduite était en deçà des normes attendues d’un travailleur social professionnel. En conséquence, le premier moyen d’appel est rejeté.

[16] Le second moyen d’appel porte sur l’étendue de la responsabilité des défenderesses à l’égard de D.B. Plus précisément, jusqu’où, s’il y a lieu, un organisme public tel que la Société d’aide à l’enfance a-t-il, dans le cadre de l’exercice des fonctions qui lui sont imposées par la loi, un devoir de prudence, fondé sur le droit privé, à l’égard du présumé auteur d’un délit.

[17] Les défenderesses prétendent que l’étendue d’un devoir de prudence fondé sur le droit privé devrait être limitée afin d’empêcher qu’une simple négligence ne donne naissance à un droit d’action. À l’appui de cet argument, les défenderesses soulignent que l’on ne peut toujours s’attendre que les sociétés d’aide à l’enfance s’acquittent sans négligence des fonctions qui leur sont imposées par la loi. Dans le but de protéger les enfants potentiellement en danger, les sociétés d’aide sont fréquemment tenues d’agir à partir de renseignements incomplets ou non vérifiés et doivent rapidement donner une appréciation sur leur crédibilité. Il peut arriver que, pour veiller au bien-être des enfants, des décisions unilatérales ou arbitraires soient prises. Des conflits opposant les intérêts des enfants et ceux des présumés agresseurs peuvent surgir, et c’est d’ailleurs souvent le cas.

[18] Étant donné que la responsabilité première de la société d’aide est à l’égard de l’enfant, les défenderesses prétendent que les intérêts de l’enfant doivent primer sur ceux du présumé agresseur. Les défenderesses reconnaissent qu’une société peut, par suite de négligence dans l’exercice des fonctions qui lui sont imposées par la loi, être tenue responsable en common law vis-à-vis de l’enfant qui a besoin de protection, mais elles soutiennent qu’un devoir de prudence équivalent n’est pas dû à l’agresseur présumé.

[19] Dans sa plaidoirie orale, l’avocat a indiqué à notre Cour que cette question n’a pas été soulevée pendant le procès. Par conséquent, le juge de première instance s’est fondé sur le fait que D.B. avait adéquatement formulé son action délictuelle, sous réserve uniquement d’un moyen de défense prévu par la loi, que les défenderesses ont invoqué. Cette défense se fonde sur le par. 15(6) de la Loi sur les services à l’enfance et à la famille, L.R.O. 1990, ch. C.11, qui se lit comme suit :

AEst irrecevable l’action intentée contre le dirigeant ou l’employé d’une société en ce qui concerne un acte accompli de bonne foi dans l’exécution, ou l’exécution prévue, de ses fonctions, ou en ce qui concerne une négligence ou un défaut imputés relativement à l’exécution de bonne foi de ses fonctions.@

[20] Le paragraphe 15(6) est entré en vigueur le 1er novembre 1985 lorsque la Child Welfare Act a été abrogée et remplacée par la Loi sur les services à l’enfance et à la famille. À ce moment-là, comme l’a souligné le juge du procès, la Société avait procédé à son enquête et obtenu une ordonnance provisoire de protection des enfants et le procès devant le juge Dunn avait commencé. Néanmoins, les défenderesses ont tenté de se prévaloir de la limitation Ade bonne foi@ prévue au par. 15(6) au motif que ce paragraphe était entré en vigueur bien avant que les demandeurs n’intentent leur action en juillet 1987.

[21] Le juge du procès a rejeté cet argument. Sur une question de droit, il a conclu que le par. 15(6) ne s’appliquait pas à l’instance. De façon subsidiaire, il a déclaré que, même si la limitation de Abonne foi@du par. 15(6) s’appliquait, elle ne pouvait être d’aucun secours aux défenderesses. Le juge s’est exprimé en ces termes :

AMême si l’article de limitation de responsabilité de la Loi sur les services à l’enfance et à la famille devait être considéré en vigueur afin de décider de la présente affaire, je ne suis pas convaincu qu’il y a eu, de la part de Mme Van Den Boomen et par la suite de M. MacFarland, dans leurs rapports avec le demandeur, une Aexécution de bonne foi@ de leurs fonctions, qui soit suffisante pour obtenir la protection prévue par cette disposition.@

[22] Dans ses motifs, le juge du procès a tiré certaines conclusions de fait qui l’ont amené à décider que la défenderesse Van Den Boomen a exercé les fonctions qui lui étaient imposées par la loi en faisant preuve de parti pris contre D.B. Plus particulièrement, le juge a déterminé que Van Den Boomen croyait, aussitôt après avoir sa rencontre avec S.B. et R., que D.B. était coupable d’agression sexuelle, et qu’elle n’a envisagé aucune autre possibilité. Ceci a eu pour effet d’amener Van Den Boomen :

* à déposer sciemment un affidavit faux et trompeur au soutien de la requête pour obtenir une ordonnance provisoire de protection des enfants;

* à faire en sorte, à dessein, que D.B. ne soit pas avisé de l’instance en vue d’obtenir cette ordonnance;

* à omettre de faire le suivi qui convient auprès du Dr Wright et de procéder à un entretien complet avec lui;

* à omettre de faire le suivi avec le corps policier;

* à ne pas tenir compte de la preuve qui aurait dû susciter de sérieux doutes sur le comportement de S.B. vis-à-vis des enfants et sur sa motivation afin d’impliquer D.B.;

* à avoir une attitude hostile, cynique et chargée de suspicion relativement à la conduite de D.B. à l’égard des enfants;

* à faire la sourde oreille aux protestations d’innocence de D.B. et à ignorer les renseignements qu’il lui avait transmis et qui auraient dû mener à une enquête plus approfondie;

* à présenter à MacFarland un rapport dépeignant D.B. comme un démon et S.B. comme une sympathique victime.

[23] Hormis toutes les conclusions de parti pris et d’absence de bonne foi de la part de Van Den Boomen, le juge du procès a également conclu que la Société défenderesse avait changé d’avis au sujet de D.B. le 16e jour de l’audience et qu’elle ne croyait plus qu’il était une menace pour les enfants. Néanmoins, la Société a maintenu la poursuite non pour la protection des enfants mais parce que D.B. a refusé de renoncer à ses frais de justice. Le juge a qualifié le comportement de la Société à ce moment-là de totalement déraisonnable et indéfendable.

[24] En somme, les conclusions du juge du procès révèlent une enquête teintée de préjugés et dénuée de bonne foi, qui a abouti à un comportement s’apparentant à une poursuite abusive.

[25] À notre avis, il était loisible au juge du procès de tirer des conclusions de fait lui faisant statuer que les défenderesses avaient démontré un parti pris, une absence de bonne foi, voire de la malveillance dans le soi-disant exercice des fonctions qui leur sont imposées par la loi.

[26] Dans leurs plaidoiries orales devant notre Cour, les défenderesses ont convenu qu’une combinaison de négligence et d’absence de bonne foi dans l’exercice des fonctions qui leur sont imposées par la loi donnerait naissance en common law à un droit d’action contre elles. Selon les défenderesses, le par. 15(6) de la Loi sur les services à l’enfance et à la famille a simplement codifié le devoir limité de prudence imposé par la common law vis-à-vis du demandeur D.B.

[27] Considérant la concession sur ce point, nous ne croyons pas nécessaire de décider si le juge du procès a erré en ne limitant pas le devoir de prudence des défenderesses à l’égard du demandeur D.B. de manière à empêcher qu’une simple négligence ne donne naissance à un droit d’action. Le juge a décidé qu’il y a eu négligence et absence de bonne foi de la part des défenderesses dans l’exécution des fonctions qui leur sont imposées par la loi. En conséquence, il n’y a pas lieu de modifier la conclusion de responsabilité.

[28] Les défenderesses ont soulevé un autre moyen d’appel en prétendant que le juge du procès était intervenu de façon excessive en interrogeant la défenderesse Van Den Boomen et un autre témoin de la défense. Nous n’avons pas demandé à l’intimé de répondre sur ce motif. Les défenderesses n’ont pas soulevé cette objection pendant le procès et nous ne croyons pas que le juge ait excédé les limites de la convenance par ses questions. Ce moyen d’appel est également rejeté.

Dommages-intérêts

[29] Les dommages-intérêts accordés par le juge du procès peuvent être ainsi résumés :

À D.B. Dommages-intérêts généraux 35 000 $ Dommages-intérêts punitifs 10 000 Débours 75 219,60À R.B. 1 000À M.B. 500

[30] Les dommages-intérêts symboliques accordés aux enfants n’ont pas fait l’objet de commentaire. Quant aux dommages-intérêts généraux et punitifs, on a prétendu que S.B. en était la principale responsable et non la Société. La conduite de S.B. a toutefois été prise en compte par le juge du procès dans l’attribution de ces dommages-intérêts.

[31] La bataille principale a porté sur les débours. La réclamation de D.B. telle qu’elle a été présentée et admise était ainsi libellée :

 

Objet

Montant réclamé

Montant accordé

Frais de justice de 142 520,91 $ plus intérêts, moins 60 000 $ de frais recouvrés

82 520,91 $

50 000 $

Téléphone

12 950

10 000

Billets d’avion (huit vols entre Manitouwadge et Toronto, soit 340 $ pour chaque aller-retour)

2 720

2 000

Déplacement en vue d’exercer les droits de visite – 2 500 km de Manitouwadge à Oshawa. Deux déplacements par mois en juillet, août et septembre et un le 5 octobre 1985;

Sept déplacements à 400 $ chacun incluant l’essence, les repas et l’hôtel

2 800

2 100

Repas du midi à Toronto pendant le procès : 10 $ par jour – 510 $; stationnement : 12 $ par jour – 612 $; essence et kilométrage aller-retour Toronto-Caledon : 20$ par jour – 1 020 $

2 142

1 500

Rétablissement des pensions perdues

9 619,60

9 619,60

TOTAL

112 752,51 $

75 219,60 $

 

[32] La part la plus importante des débours réclamés concernait les frais de justice. Le demandeur a témoigné que ces frais s’élevaient à 142 520,91 $. Le seul document à l’appui de cette évaluation consistait en une lettre de l’avocat de D.B. à ce dernier en date du 6 octobre 1986, dont voici un extrait :

ALa présente confirme les honoraires et les débours en rapport avec votre affaire s’établissent comme suit, du 5 juillet 1985 au 3 octobre 1986 :

Total des honoraires consignés 129 925,00 $

Total des débours 12 595,91

Total 142 520,91 $

 

Le demandeur a indiqué qu’il était incapable de payer de telles sommes et son beau-frère a témoigné qu’il avait lui-même acquitté le montant total. Aucune autre donnée n’a été fournie relativement au montant global de 142 520,91 $.

[33] De ce montant, le demandeur a soustrait la somme de 60 000 $ reçue au moment du règlement des dépens de l’instance pour obtenir l’ordonnance de protection de l’enfance. Les 51 jours d’audience en Cour provinciale (Division de la famille) ont été consacrés non seulement la requête pour l’ordonnance de protection, mais également aux requêtes pour la garde des enfants, présentées à la fois par le demandeur et par son épouse. L’attribution des dépens procureur-client était limitée à l’instance relative à l’ordonnance de protection, laquelle a, selon le juge du procès, duré 25 jours complets et 12 demi-journées. Pendant le procès devant le juge Somers, le procureur de D.B. a présenté un mémoire de dépens à la Cour provinciale (Division de la famille) au montant de 91 044,84 $, soit 80 000 $ d’honoraires plus les débours. Les honoraires facturés s’élevaient à 2 500 $ par jour. C’est ce mémoire qui a fait l’objet du règlement de 60 000 $.

[34] Dans son examen des réclamations globales du demandeur au montant de 112 752,51 $ au titre des débours, le juge du procès s’est exprimé en ces termes :

AUne bonne partie de ces dépenses a été engagée en raison des 51 jours de procès à Toronto. L’avocat du demandeur a tenté de me convaincre que si la Société avait convenablement agi et était entrée en contact avec lui ou le père dès que les allégations avaient été faites, le procès aurait totalement pu être évité et l’instance aurait pris une toute autre tournure. Bien qu’il me semble probable que le procès aurait pu être évité, il reste que des procédures étaient à prévoir. Ceci aurait entraîné non seulement des frais de justice, mais également des dépenses de stationnement et de logement à Toronto. Il m’apparaît improbable, dans le pire des cas, qu’un procès pour garde devant la Cour suprême puisse durer 51 jours. Je pense qu’il est également improbable que toutes ces dépenses auraient pu être évitées si la Société avait agi convenablement. Je crois qu’on n’aurait pas engagé des frais de justice de 142 520,91 $. J’accorde, à ce titre, 50 000 $.@

[35] Le juge du procès semble avoir commis une erreur dans l’attribution de cette somme. Le demandeur s’était vu accorder un montant afin de couvrir les dépens procureur-client concernant l’audience pour l’ordonnance de protection. Il a accepté, à ce chapitre, le règlement de 60 000 $. Aucune preuve justifiant la modification de cet accord n’a été présentée. La requête de la Société a duré environ 31 jours. Le reste des 51 jours a été consacré aux requêtes pour la garde présentées par chacun des époux. Le mari a demandé en vain à cet égard à la Cour provinciale de rendre une ordonnance relative aux dépens contre sa femme. Aucune raison n’a été avancée pour justifier que ces frais soient à la charge de la Société. Une partie de la somme de 142 520,41 $ serait attribuable aux procédures pour la garde intentées par le mari au même moment devant la Cour suprême de l’Ontario. En outre, l’épouse avait introduit une requête en divorce comprenant des demandes concernant la garde des enfants, des aliments, le partage des biens matrimoniaux et l’égalisation. Encore une fois, aucune raison n’a été donnée pour justifier que cette partie des frais de justice du demandeur incombe à la Société.

[36] En résumé, il n’existe aucun fondement nous permettant d’accorder au demandeur une part quelconque de la réclamation de 82 520,91 $.

[37] Une des critiques relatives au montant accordé pour les autres débours a porté sur le fait qu’aucune facture n’a été présentée. La réclamation relative au téléphone a fait l’objet d’une estimation. Aucun reçu n’a été fourni pour les déplacements, les repas ou le logement. Le juge qui présidait a été convaincu par les témoignages de D.B. et de son beau-frère qu’une somme d’environ 10 000 $ avait été engagée, et nous n’y voyons aucune erreur. De la même façon, les déplacements ont sans aucun doute été faits et des frais comparables engagés.

[38] Afin d’obtenir la somme de 6 400 $ pour le paiement de ses frais d’avocat, D.B. a dû laisser tomber un régime de retraite. Cela lui aurait coûté 16 019,60 $ pour le rétablir. Il a réclamé la différence, soit 9 619,64 $. Le juge du procès a adéquatement statué en accordant ce montant à titre de frais engagés dans le but d’obtenir des fonds.

 

Dispositif

[39] L’appel en ce qui a trait à l’attribution des dommages-intérêts est accueilli dans la mesure où la somme de 50 000 $ au titre des honoraires d’avocat est refusée et les débours sont réduits à 25 219,60 $. L’appel est à tous autres égards rejeté avec dépens, compte tenu des circonstances.

Appel accueilli en partie.