Bangoura c. Washington Post, [2005] O.J. No. 3849

  • Dossier : C41379Cour d'appel de l'Ontario
  • Date : 2024

Bangoura c. Washington Post Entre Cheickh Bangoura, demandeur (intimé), et leWashington Post, William Branigin, James Rupert, Steven Buckley, les Nations Unies et Fred Eckhard, défendeurs (appelants) [2005] O.J. No. 3849  : C41379 Cour d’appel de l’Ontario Toronto, Ontario Le juge en chef R. R. McMurtry, le juge R. P. Armstrong et le juge S. E. Lang Appel entendu le 8 mars 2005. Jugement rendu le 16 septembre 2005. (52 par.)

Procédure civile — Décision rendue sans procès — Défaut de compétence.

Procédure civile – Appels – Appel de la défenderesse, contre une décision rejetant sa requête en suspension de l’instance, fondé sur l’absence d’un lien réel et substantiel entre l’action et l’Ontario ou entre l’appelante et l’Ontario – Appel accueilli.

   Appel interjeté par le Washington Post contre une décision rejetant sa requête en suspension de l’instance, fondé sur l’absence d’un lien réel et substantiel entre l’action et l’Ontario ou entre le journal et l’Ontario. L’intimé, M. Bangoura, a intenté une action contre le journal et trois de ses journalistes par suite de la publication dans le journal, en janvier 1997, de deux articles que M. Bangoura jugeait diffamatoires. En 1997, M. Bangoura travaillait pour les Nations Unies à Nairobi, au Kenya. Les articles se rapportaient à la conduite de M. Bangoura au cours d’une affectation antérieure en Côte d’Ivoire pour le compte des Nations Unies. Au moment de la publication des articles, seulement sept abonnés du journal résidaient en Ontario. M. Bangoura n’était pas un résident de l’Ontario. Lorsque l’action a été introduite, soit plus de six ans après la publication des articles, M. Bangoura était alors un résident de l’Ontario.

   DÉCISION : Appel accueilli. Il n’était pas indiqué que les tribunaux de l’Ontario se déclarent compétents pour connaître du litige. Le juge saisi de la requête a commis une erreur dans son application des facteurs pertinents. Le lien entre l’Ontario et la réclamation de M. Bangoura était tout au plus minime. Il n’y a eu aucun lien entre l’action et l’Ontario, si ce n’est plus de trois ans après la publication des articles contestés. On n’a produit aucun élément de preuve établissant que M. Bangoura avait subi un préjudice important en Ontario. De plus, il n’y avait aucune preuve de l’existence d’un lien significatif entre le Washington Post et l’Ontario. Le juge saisi de la requête a commis une erreur en concluant que les appelants auraient dû raisonnablement prévoir que cette histoire suivrait M. Bangoura peu importe où il résiderait.

   Le jugement de la Cour a été rendu par 

   Le juge R. P. ARMSTRONG :

CONTEXTE

 1  L’intimé, Cheickh Bangoura, a poursuivi en justice le Washington Post et trois de ses journalistes par suite de la publication de deux articles de journaux qui étaient, selon lui, diffamatoires. Lorsque les articles ont été publiés, en janvier 1997, M. Bangoura travaillait pour les Nations Unies à Nairobi, au Kenya. Les articles se rapportaient à la conduite de M.Bangoura au cours d’une affectation antérieure en Côte d’Ivoire pour le compte des Nations Unies. Au moment de lapublication des articles, seulement sept abonnés du Washington Post résidaient en Ontario. À cette époque, M. Bangouran’était pas un résident de l’Ontario. Lorsque l’action a été introduite, soit plus de six ans après la publication des articles, M.Bangoura était alors un résident de l’Ontario. La question que la Cour est appelée à trancher est de savoir si les tribunaux ontariens devraient se déclarer compétents pour instruire cette affaire.

 2  Les avocats du Washington Post et des journalistes du quotidien ont présenté une requête en suspension de l’instance, s’appuyant sur le fait qu’il n’y avait pas un lien réel et substantiel entre l’action et l’Ontario ou entre leWashington Post et l’Ontario. Ils ont également soutenu que l’Ontario n’était pas le ressort le plus approprié et que la signification de la demande introductive d’instance hors du Canada devrait être annulée.

 3  En rejetant la requête, le juge Pitt, de la Cour supérieure de justice, a jugé qu’il était indiqué que les tribunaux de l’Ontario se déclarent compétents pour instruire l’affaire, que l’Ontario était le ressort le plus approprié et que la signification de la demande introductive d’instance hors du Canada était valable. Le Washington Post et ses journalistes interjettent maintenant appel de l’ordonnance rendue par le juge saisi de la requête.

LES FAITS

 4  M. Bangoura est né en Guinée, où il a été élevé. Il a étudié en Allemagne de 1978 à 1986. De 1987 à 1993, il a travaillé pour les Nations Unies en Autriche. En septembre 1993, il a été affecté au Programme des Nations Unies pour le contrôle international des drogues, en Côte d’Ivoire, en qualité de directeur régional adjoint pour l’Afrique occidentale, où il est resté jusqu’en décembre 1994. Il a alors été muté au Kenya, aux termes d’un contrat qui devait expirer en janvier 1997, travaillant toujours pour le Programme des Nations Unies pour le contrôle international des drogues. Au Kenya, M. Bangoura était directeur régional adjoint du bureau régional qui gérait le programme de contrôle des drogues en Afrique de l’Est et en Afrique australe. 

 5  Le dimanche 5 janvier 1997, le Washington Post publiait un article intitulé « Cloud of Scandal Follows UN Drug Control Official : Boutros-Ghali Ties Allegedly Gave Protection » (Un scandale éclabousse l’ONU : l’entourage de Boutros-Ghali protégerait un dirigeant du Programme de contrôle des drogues). L’article mentionne le nom de M.Bangoura et soutient que ses collègues des Nations Unies l’ont accusé de harcèlement sexuel, de malversations financières et de népotisme pendant son mandat en Côte d’Ivoire. L’article laisse entendre que M. Bangoura a pu éviter toute punition en partie grâce à des liens étroits avec M. Boutros-Ghali, l’ancien secrétaire général des Nations Unies, qui est un ami proche du beau-père de M. Bangoura.

 6  Le 9 janvier 1997, M. Bangoura a été suspendu de ses fonctions à titre de directeur régional adjoint du Programme des Nations Unies pour le contrôle international des drogues pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe.

 7  Le vendredi 10 janvier 1997, le Washington Post a publié un second article intitulé « UN removes African fromDrug Agency : Controversial Envoy’s Misconduct Cited » (Controverse à l’ONU : suspension d’un dirigeant africain travaillant pour le Programme de contrôle des drogues par suite d’allégations d’inconduite). Ce second article réitérait les allégations contenues dans l’article précédent.

 8  En février 1997, M. Bangoura est venu rejoindre sa conjointe et ses deux enfants à Montréal, où ils s’étaient installés en décembre 1996. M. Bangoura et sa famille ont habité Montréal jusqu’en juin 2000 et ont ensuite déménagé en Ontario, dans la région de Brampton. L’action qui nous occupe a été introduite en avril 2003.

 9  En plus du Washington Post, la demande introductive d’instance nomme à titre de défendeurs trois journalistes, William Branigin, James Rupert et Steven Buckley. En 1997, William Branigin vivait à Washington. Il habite maintenantReston, dans l’État de Virginie, près de Washington. James Rupert était correspondant à l’étranger (à Abidjan, en Côte d’Ivoire) pour le compte du Washington Post. Il vit maintenant dans l’État de New York. Steven Buckley était aussi correspondant à l’étranger pour le Washington Post, travaillant à Nairobi, au Kenya. Il vit maintenant en Floride.

 10  La société WP Company LLC exerçait ses activités sous la raison sociale de The Washington Post. Il s’agit d’une filiale appartenant en propriété exclusive à la Washington Post Company, dont le siège social est situé dans la ville deWashington, dans le district fédéral de Columbia. Le tirage de l’édition du Washington Post du dimanche 5 janvier 1997 a été d’environ 1 106 968 exemplaires. Plus de 95 pour cent des exemplaires du Washington Post étaient distribués dans la région du district de Columbia. Seulement 7 exemplaires du journal ont été livrés en Ontario. Environ 781 704 exemplaires du Washington Post ont été distribués le vendredi 10 janvier 1997 – dont plus de 95 pour cent dans la région du district de Columbia. Seulement 7 exemplaires ont été livrés à des abonnés de l’Ontario.

 11  Les deux articles en question ont également été publiés sur le site Web du Washington Post et ont pu être consultés, sans frais, pendant les 14 jours qui ont suivi leur publication. On pouvait par la suite lire ces articles par l’intermédiaire d’un service d’archives payant. Une seule personne, soit l’avocate de M. Bangoura, a consulté les articles par l’intermédiaire du service d’archives.

 12  Des résumés des deux articles, contenant l’essentiel des allégations formulées contre M. Bangoura, peuvent toujours être lus sur Internet, sans frais, dans les archives du Washington Post.

 13  Le Washington Post a un petit bureau à Toronto, lequel est utilisé par un journaliste aux fins de collecte d’information.

 14  Les Nations Unies et un représentant du Secrétariat des Nations Unies, Fred Eckhard, étaient également nommés à titre de défendeurs dans cette action. M. Bangoura s’est toutefois désisté en ce qui concerne les Nations Unies et M. Eckhard.

 15  L’avocat de la Media Coalition, qui est intervenue dans le présent appel, a présenté des observations au tribunal. Les membres de la Media Coalition publient des journaux, des magazines et des livres partout dans le monde et diffusent des programmes de radio et de télévision, notamment en Amérique du Nord. Ils gèrent des sites Web, auxquels ont accédé des millions d’internautes dans plus de 200 pays. Des organisations nationales et internationales du Canada, des États-Unis d’Amérique, du Royaume-Uni et de l’Europe comptent au nombre des membres de la Media Coalition. Ceux-ci apportent leur aide aux journalistes et défendent la liberté d’expression aux quatre coins du monde.

L’ACTION

 16  Dans sa demande introductive d’instance, M. Bangoura cherche à obtenir les mesures de redressement suivantes à l’encontre du Washington Post :

(i)

 

une ordonnance enjoignant au Washington Post de mettre fin à la publication des articles qui ont paru sur son site Web depuis janvier 1997;

 

(ii)

 

une ordonnance enjoignant au Washington Post de publier une rétractation;

 

(iii)

 

des dommages-intérêts de cinq millions de dollars pour atteinte intentionnelle à un avantage économique futur et pour incitation à la rupture d’un contrat de travail;

 

(iv)

 

des dommages-intérêts d’un million de dollars pour avoir intentionnellement infligé des souffrances morales;

 

 (v)

 

des dommages-intérêts d’un million de dollars pour négligence;

 

(vi)

 

des dommages-intérêts d’un million de dollars pour avoir refusé de faire paraître des rétractations et pour avoir omis d’enlever dans un délai raisonnable les documents diffamatoires affichés sur le site Web du Washington Post;

 

(vii)

 

des dommages-intérêts punitifs et exemplaires de deux millions de dollars;

 

(viii)

 

des intérêts avant et après jugement et des dépens selon un barème d’indemnisation substantielle.

 

 17  Même si M. Bangoura soutient dans son mémoire que l’action n’est pas une action en diffamation, le terme [TRADUCTION] « diffamation » est employé à plusieurs reprises dans sa demande introductive d’instance, dans des expressions telles que [TRADUCTION] « le délit de diffamation », « la publication de propos diffamatoires », « documents diffamatoires », « déclarations diffamatoires », « publication diffamatoire », « insinuations diffamatoires » et « la diffamation ». Il fait également valoir ceci dans sa demande introductive d’instance : [TRADUCTION] « [l]e demandeur soutient que ces articles et les documents affichés sur le site Web devraient ensemble être considérés comme un libelle contre le demandeur. » Il convient peut-être de mentionner que le juge saisi de la requête a abordé cette affaire comme s’il s’agissait d’une action en diffamation. Voir le par. 24 de ses motifs.

 18  L’avocate de M. Bangoura ne nous a pas indiqué pour quelle raison elle estimait que son client n’intentait pas une action en diffamation. Peut-être ne le fait-elle pas pour éviter d’éventuelles difficultés au regard des dispositions de la Loi sur la diffamation, L.R.O. 1990, chap. L.12, art. 5 et 6, portant sur l’avis d’action et la prescription. Notre cour n’est toutefois pas saisie de cette question. À mon avis, le fait que la cause soit ou non simplement une action en diffamation « déguisée » en un autre type d’action ne change rien à l’examen de la question de savoir si les tribunaux de l’Ontario devraient se déclarer compétents pour connaître du litige.

ANALYSE DES MOTIFS DU JUGE SAISI DE LA REQUÊTE

 19  Le juge saisi de la requête a commencé son analyse de la question de la compétence en examinant les huit facteurs énoncés par le juge Sharpe dans l’arrêt Muscutt v. Courcelles (2002), 60 O.R. (3d) 20 (C.A.). Dans cette affaire, le tribunal a examiné le critère du lien réel et substantiel adopté par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt MorguardInvestments Ltd. c. De Savoye, [1990] 3 R.C.S. 1077. Le juge Sharpe a fait remarquer ceci au par. 75 : [TRADUCTION] « [i]l est impossible de ramener le critère du lien réel et substantiel à une formule déterminée. » Il a toutefois jugé utile de relever les facteurs dont la Cour suprême du Canada et d’autres tribunaux semblent avoir tenu compte dans le cadre de l’examen de la question de savoir si un tribunal devrait se déclarer compétent pour instruire une action intentée contre un défendeur de l’extérieur de la province au motif qu’un préjudice a été subi en Ontario par suite d’un délit commis à l’extérieur de cette province. Le juge Sharpe a pris le soin de faire remarquer, au par. 76, que [TRADUCTION] « aucun facteur n’est déterminant ». Les facteurs examinés dans l’arrêt Muscutt sont les suivants :

(i)

 

le lien entre le ressort et l’action du demandeur;

 

(ii)

 

le lien entre le ressort et le défendeur;

 

(iii)

 

l’injustice subie par le défendeur si le tribunal se déclare compétent;

 

(iv)

 

l’injustice subie par le demandeur si le tribunal ne se déclare pas compétent;

 

 (v)

 

les autres parties en cause;

 

(vi)

 

la volonté du tribunal de reconnaître et d’exécuter un jugement extraprovincialreposant sur le même fondement juridictionnel;

 

(vii)

 

la question de savoir si l’affaire est de nature interprovinciale ou internationale;

 

(viii)

 

la courtoisie et les normes de compétence, de reconnaissance et d’exécution applicables ailleurs.

 

 20  Les affaires Muscutt et Morguard étaient toutes deux des causes de nature interprovinciale. L’affaire Muscutt a toutefois été plaidée avec quatre autres appels, lesquels mettaient tous en cause des défendeurs de ressorts étrangers. [Voir la note 1 ci-dessous.] Le jugement récemment rendu par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Beals c. Saldanha, [2003] 3 R.C.S. 416, indique clairement que le critère du lien réel et substantiel s’applique aux affaires internationales.

 Note 1 : Voir Leufkens v. Alba Tours International Inc. (2002), 60 O.R. (3d) 84 (C.A.); Lemmex v. Bernard (2002), 60 O.R. (3d) 54 (C.A.);Sinclair v. Cracker Barrel Old Country Store, Inc. (2002), 60 O.R. (3d) 76 (C.A.); Gajraj v. DeBernardo (2002), 60 O.R. (3d) 68 (C.A.).

Application des facteurs de l’arrêt Muscutt par le juge saisi de la requête

(i)

 

Le lien entre le ressort et l’action du demandeur

 

 21  Le juge saisi de la requête a reconnu que M. Bangoura avait résidé en Ontario pendant une période relativement courte et que, au moment de la parution initiale des articles, il ne résidait pas en Ontario. Il a toutefois conclu, au par. 22(1), que M. Bangoura était un [TRADUCTION] « fonctionnaire international qui a trouvé un foyer en Ontario et qui y occupe un emploi, et que c’est là que l’atteinte à sa réputation risque d’avoir l’impact le plus important. »

 22  Le lien entre l’Ontario et l’action de M. Bangoura est tout au plus minime. En fait, il n’y a eu aucun lien entre l’action et l’Ontario, si ce n’est plus de trois ans après la publication des articles en question. Dans l’arrêt Muscutt, le juge Sharpe a fait état de cette même question au par. 79 de ses motifs :

 

[TRADUCTION]

Par contre, si le lien entre le demandeur et le ressort n’est pas suffisamment important, les raisons pour lesquelles un tribunal se déclarerait compétent au motif que le préjudice a été subi dans son ressort sont moins solides. Si le lien est ténu, les tribunaux devraient hésiter grandement à se déclarer compétents. Le simple fait qu’une personne réside dans le ressort du tribunal n’est pas une raison suffisante pour que celui-ci tribunal se déclare compétent. Voir V. Black, « Territorial Jurisdiction Based on thePlaintiff’s Residence : Dennis v. Salvation Army Grace General Hospital Board » (1997), 14 C.P.C. (4th) 207 à la p. 232, 156 N.S.R. (2d) 372 (C.A.), dans lequel l’auteur écrit ceci :

 

 

 

[TRADUCTION]

Permettre au demandeur de fixer sa résidence à un nouvel endroit et d’y intenter une action contre un défendeur à l’égard d’événements survenus ailleurs semble être préjudiciable aux défendeurs, particulièrement lorsqu’un délit commis au cours de ces événements a pris fin.

 

 

[…]

 

 

Cependant, même si le lien est significatif, les raisons pour lesquelles un tribunal se déclarerait compétent sont fonction de l’étendue du préjudice subi dans le ressort. Il est difficile de justifier la décision de se déclarer compétent pour instruire une action contre un défendeur de l’extérieur de la province, sauf si le demandeur a subi un grave préjudice dans ce ressort.

 

 23  Dans un affidavit qu’il a produit, M. Bangoura déclarait ceci :

 

[TRADUCTION]

Par suite des actes continus du Washington Post, j’ai subi des dommages en Ontario, et ailleurs, en ce sens que mes possibilités d’épanouissement économique au sein de ma profession ont été compromises.

 

M. Bangoura ne fournit aucun détail. La distribution des articles a été minimale. Seule l’avocate de M. Bangoura a consulté les deux articles dans la banque de données du Washington Post distribuée sur Internet. Quel qu’ait été le préjudice subi par M. Bangoura par suite de la perte de son emploi auprès des Nations Unies, plus de trois ans avant qu’il ne s’installe en Ontario, il ne s’agit pas d’un préjudice subi en Ontario. À mon avis, aucun élément de preuve n’établit que M. Bangoura a subi un grave préjudice en Ontario.

   (ii) Le lien entre le ressort et le défendeur

 24  Le juge saisi de la requête a conclu qu’il n’existait pas de lien entre les défendeurs et l’Ontario, mais il a fait remarquer, au par. 22(2), que le Washington Post est un journal de premier plan, [TRADUCTION] « qu’on mentionne souvent lorsqu’on parle des journaux les plus connus tels que le New York Times et le London Telegraph. » Il a conclu que [TRADUCTION] « les défendeurs auraient dû raisonnablement prévoir que cette histoire suivrait M. Bangoura peu importe où il résiderait. »

 25  Je souscris aux observations formulées par les avocats des appelants, portant qu’il n’y a pas de lien significatif entre les défendeurs du Washington Post et l’Ontario. Je ne peux partager l’avis du juge saisi de la requête lorsque celui-ci conclut que les appelants [TRADUCTION] « auraient dû raisonnablement prévoir que cette histoire suivrait M. Bangoura peu importe où il résiderait. » Nul ne pouvait raisonnablement prévoir, en janvier 1997, que M. Bangoura serait un résident de l’Ontario trois ans plus tard. Décider autrement reviendrait à dire qu’un défendeur pourrait être poursuivi en justice presque partout dans le monde, étant donné qu’un demandeur peut décider de fixer sa résidence bien longtemps après la publication des propos diffamatoires.

(iii)

 

L’injustice subie par le défendeur si le tribunal se déclare compétent

 

 26  En ce qui a trait à ce facteur, le juge saisi de la requête a déclaré, au par. 22(3) :

 

[TRADUCTION]

Bien qu’il n’y ait aucun lien entre les défendeurs poursuivis personnellement et l’Ontario, le Washington Post est un journal de rayonnement international, et ses rédacteurs influencent l’opinion des collectivités de langue anglaise partout dans le monde. Cela m’étonnerait que le journal n’ait pas une assurance responsabilité pour diffamation partout dans le monde; si ce n’est pas le cas, le journal devrait alors être assuré.

 

 27  Le dossier ne contient aucun élément de preuve au sujet d’une protection offerte au Washington Post par un assureur.

(iv)

 

L’injustice subie par le demandeur si le tribunal ne se déclare pas compétent

 

 28  Dans ses motifs, le juge saisi de la requête déclarait ceci, au par. 22(4) :

 

[TRADUCTION]

Le demandeur n’a aucun lien avec l’un quelconque des ressorts dans lesquels les défendeurs résident. Étant donné que Washington est le lieu de résidence d’un seul des défendeurs, les défendeurs poursuivis personnellement pourraient opposer au demandeur les mêmes objections si l’action était introduite à Washington, ville dans laquelle [le demandeur] n’a pas à défendre sa réputation. En outre, le Washington Post a implicitement reconnu l’existence d’un avantage juridique clair en faveur du demandeur en Ontario. L’argument relatif au délai avancé par le quotidien en ce qui a trait à un empêchement législatif éventuel est neutre à l’égard de cette question.

 

 29  Même si l’injustice causée au demandeur par suite du refus du tribunal de se déclarer compétent est souvent un facteur puissant dans le cadre d’une analyse de l’arrêt Muscutt, il faut se rappeler qu’il n’y a eu aucun lien entre le demandeur et l’Ontario, si ce n’est plus de trois ans après la publication des articles en question. Même si le juge Sharpe a conclu, au par. 88 du jugement Muscutt, que [TRADUCTION] « les principes de l’ordre et de l’équité devraient être pris en considération aussi bien en ce qui concerne le demandeur qu’en ce qui concerne le défendeur », il a ensuite fait référence à l’arrêt Morguard, précité, dans lequel le juge La Forest déclarait, à la p. 1108, que ce facteur entrait en ligne de compte seulement lorsqu’il y avait par ailleurs un lien réel et substantiel avec l’action. Si les éléments de preuve fournis par le demandeur n’étayent pas l’existence d’un tel lien ailleurs au regard de l’analyse de l’arrêt Muscutt, il devient de plus en plus difficile d’accorder de l’importance à ce facteur.

   (v) Les autres parties en cause

 30  Le juge saisi de la requête a déclaré, au par. 22(5), que [TRADUCTION] « la participation des autres défendeurs, qui résident respectivement à New York et en Floride, est à mon avis un facteur militant en faveur du choix du ressort effectué par le demandeur. »

 31  À mon avis, le fait que deux des défendeurs poursuivis personnellement vivent maintenant à New York et en Floride ne milite pas en faveur de l’instruction de la cause en Ontario. Ce facteur se rapporte davantage à l’analyse d’arguments portant sur la question du forum conveniens qu’à l’appropriation de compétence. Quoi qu’il en soit, la principale partie défenderesse, le Washington Post, est établie à Washington, D.C., et l’autre défendeur poursuivi personnellement, William Branigin, réside dans l’État de Virginie, situé non loin de là.

(vi)

 

la volonté du tribunal de reconnaître et d’exécuter un jugement extraprovincial reposant sur le même fondement juridictionnel

 

 32  Le juge saisi de la requête a fait le commentaire suivant au par. 22(6) :

 

[TRADUCTION]

Je ne puis voir aucune raison pour laquelle l’Ontario ne serait pas disposée à exécuter un jugement rendu par un tribunal étranger contre un journal ontarien de réputation internationale, même si le préjudice a uniquement été causé dans le ressort étranger, en particulier lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, le demandeur est un fonctionnaire international. Un tel journal devrait raisonnablement entrevoir la probabilité qu’un tel préjudice soit causé.

 

 33  Dans l’arrêt Leufkens, le juge Sharpe a servi la mise en garde suivante : s’ils se saisissent d’actions intentées contre des défendeurs étrangers, les tribunaux ontariens devront exécuter les jugements étrangers rendus sur la même base juridictionnelle contre des défendeurs ontariens. Même si le jugement Leufkens se rapporte à une action en justice intentée par un demandeur ontarien contre une agence de voyage suisse pour blessures subies au Costa Rica, le principe énoncé par le juge Sharpe au par. 33 de ses motifs est pertinent :

 

[TRADUCTION]

Lorsqu’on examine le critère du lien réel et substantiel et les principes de l’ordre et de l’équité, il est important de prendre en considération les intérêts des défendeurs ontariens éventuels ainsi que ceux des demandeurs ontariens. Compte tenu des arrêts Morguard et Hunt [Hunt v. T & N plc, [1993] 4 R.C.S. 289], si l’on devait conclure qu’il a été satisfait au critère du lien réel et substantiel, il faudrait que les tribunaux ontariens exécutent les jugements étrangers rendus sur la même base juridictionnelle contre des défendeurs de l’Ontario qui offrent des services touristiques aux personnes visitant cette province. À mon avis, nous ne devrions pas adopter une telle règle, étant donné qu’elle imposerait un fardeau déraisonnable aux fournisseurs de services touristiques en Ontario. Pour reprendre l’exemple donné pendant la plaidoirie orale, il semblerait sévère d’exiger qu’un exploitant d’un service de location de canots dans le parc Algonquin porte en justice à Tokyo l’affaire concernant un touriste japonais qui s’est blessé en canot. Bien que les exploitants négligents devraient certainement être tenus responsables de leur négligence, ils sont en droit de s’attendre, lorsqu’ils limitent leurs activités en Ontario, à ce que les réclamations soient réglées par les tribunaux de cette province.

 

 34  S’il faut reconnaître que, dans l’affaire Leufkens, l’incidence des faits est plus « limitée » qu’elle ne pourrait jamais l’être dans le cadre d’un litige portant sur des articles publiés sur Internet, il faut se rappeler que, d’après la preuve présentée au juge saisi de la requête, les articles contestés ont été peu lus en Ontario. Comme je l’ai déjà mentionné, l’avocate de M.Bangoura est la seule personne qui, en Ontario, a consulté les deux articles dans la base de données du site Web du Washington Post. Bien que d’autres articles publiés sur Internet puissent rencontrer un auditoire bien plus vaste dans d’autres ressorts que l’auditoire cible initial, les faits dont j’ai pris connaissance ressemblent beaucoup plus à la situation décrite dans l’arrêt Leufkens. Si l’on ne devait pas tenir compte de la mise en garde servie par le juge Sharpe, il pourrait s’ensuivre que les éditeurs et diffuseurs de l’Ontario seraient poursuivis en justice dans n’importe quel pays, ce qui obligerait les tribunaux ontariens à exécuter les jugements rendus contre ces sociétés.

(vii)

 

La question de savoir si l’affaire est de nature interprovinciale ou internationale

 

 35  Le juge saisi de la requête a reconnu que, puisque l’affaire est de nature internationale plutôt qu’interprovinciale, il est plus difficile de justifier l’appropriation de compétence.

(viii)

 

La courtoisie et les normes de compétence, de reconnaissance et d’exécution applicables ailleurs

 

 36  En examinant ce facteur, le juge saisi de la requête s’est reporté à l’affaire New York Times Co. v. Sullivan, 376 U.S. 254 (1964), un jugement de la Cour suprême des États-Unis, et à l’affaire Hill c. Église de scientologie, [1995] 2 R.C.S. 1130, un jugement de la Cour suprême du Canada. Dans New York Times v. Sullivan, la Cour suprême des États-Unis a jugé que les fonctionnaires pourraient avoir gain de cause dans une action en diffamation uniquement s’ils pouvaient établir que l’auteur des propos diffamatoires [TRADUCTION] « savait qu’ils étaient faux ou ne se souciait pas de savoir s’ils étaient vrais ou faux. » Voir New York Times v. Sullivan, à la p. 280.

 37  Dans l’arrêt Hill c. Scientologie, la Cour suprême du Canada a refusé d’adopter la règle de la « malveillance véritable » appliquée dans le jugement New York Times v. Sullivan. Les avocats du Washington Post ont déposé, avec l’avis de requête, un avis juridique de Lee Levine, avocat spécialiste du domaine de la diffamation à Washington, D.C., dans lequel il écrivait ceci :

 

[TRADUCTION]

Dans la situation que vous dépeignez, c’est-à-dire un jugement étranger en matière de diffamation qui ne pourrait être rendu par un tribunal de première instance lié par l’arrêt New York Times Co. v.Sullivan et par les décisions dans le même sens rendues ultérieurement, je crois qu’un tribunal du district de Columbia présumerait qu’un tel jugement est incompatible avec la politique officielle du district et des États-Unis et qu’il refuserait par conséquent de reconnaître ce jugement ou de l’exécuter.

 

 

[…]

 

 

Les tribunaux du district de Columbia et ceux d’autres ressorts américains ont uniformément décidé que les jugements en matière de diffamation rendus par des tribunaux de pays étrangers dont le droit ne reconnaît pas le principe énoncé dans l’arrêt New York Times Co. v. Sullivan et dans les jugements rendus ultérieurement étaient incompatibles avec la politique officielle de ces ressorts et qu’ils ne devraient par conséquent pas être reconnus.

 

 38  Le juge saisi de la requête a conclu ceci, au par. 23 :

 

[TRADUCTION]

En toute franchise, j’estime qu’un tribunal américain qui n’est pas disposé à exécuter un jugement canadien en matière de diffamation fait preuve d’un malheureux manque de courtoisie. On ne devrait cependant pas laisser cela influer sur les valeurs canadiennes. Le fait que le tribunal du ressort dans lequel résident les défendeurs du Washington Post ne soit pas disposé à exécuter une telle ordonnance n’est pas un facteur déterminant lorsqu’il s’agit de décider si nous devrions nous saisir du litige ou non. Voir Wilson v. Servier Canada Inc. (2000), 50 O.R. (3d) 219 (C. sup. de l’Ont.) […]

 

 39  La conclusion du juge saisi de la requête ne tient pas compte du fait que la règle énoncée dans l’arrêt New York Times v. Sullivan tire son origine du Premier amendement de la constitution des États-Unis, qui garantit la liberté de parole et de la presse. Quoi qu’il en soit, il reste que les tribunaux américains n’exécuteront pas les jugements étrangers en matière de diffamation qui sont fondés sur l’application de principes juridiques incompatibles avec la règle de la malveillance véritable. Bien que la Cour suprême du Canada ait rejeté la règle pour des raisons tout à fait valables, il est à mon avis erroné de dire que les tribunaux américains font preuve d’un [TRADUCTION] « malheureux manque de courtoisie » parce qu’ils ne sont pas disposés à exécuter un jugement canadien en matière de diffamation. Le Canada et les États-Unis ont tout simplement adopté des approches différentes en ce qui concerne un domaine complexe du droit, en se fondant sur des considérations de principe différentes en ce qui concerne la liberté de parole et la protection de la réputation des particuliers.

 40  La Cour suprême du Canada a reconnu que les tribunaux canadiens pouvaient refuser d’exécuter le jugement d’un tribunal étranger qui est jugé contraire à la notion de justice canadienne. Dans l’arrêt Beals c. Saldanha, précité, le juge Major, s’exprimant au nom de la majorité, a déclaré ce qui suit au par. 71 :

 

Le troisième et dernier moyen de défense est fondé sur l’ordre public. Ce moyen de défense empêche l’exécution d’un jugement étranger contraire à la notion de justice canadienne. Il s’agit de savoir si le droit étranger est contraire à nos valeurs morales fondamentales. Comme l’affirment Castel et Walker,op. cit., p. 14-28 :

 

 

 

[…] le moyen de défense traditionnel fondé sur l’ordre public paraît axé sur la notion de lois répugnantes et non sur la notion de faits répugnants.

 

Étant donné l’importance considérable de la liberté de parole dans la constitution américaine, on pourrait soutenir que le refus d’un tribunal américain de reconnaître un jugement canadien fondé sur des principes contraires à ceux de l’arrêt New York Times v. Sullivan serait assimilable à la catégorie des lois répugnantes plutôt qu’à celle des faits répugnants.

 41  Le juge saisi de la requête a étayé sa décision sur le jugement rendu par la High Court of Australia dans l’affaireDow Jones & Co. Inc. v. Gutnick (2002), 210 C.L.R. 575 (H.C.A.).

 42  Dans Dow Jones v. Gutnick, un article avait été publié à la fois dans le magazine Barron’s et sur le site Web deBarron’s. M. Gutnick était un homme d’affaires australien résidant dans l’État de Victoria. Il avait intenté son action dans cet État. L’avis introductif d’instance avait été signifié à la société Dow Jones à l’extérieur de l’Australie. Le litige portait sur la question du forum non conveniens. La Cour a jugé que l’État de Victoria était le ressort approprié.

 43  En ce qui concerne l’arrêt Dow Jones v. Gutnick, le juge saisi de la requête a cité, au para. 22(8) de ses motifs, divers passages tirés du mémoire produit par l’avocate de M. Bangoura qui, selon le juge, replaçait [TRADUCTION] « l’ensemble de la question dans le contexte qui convient ». Le juge estimait probablement que l’analyse de l’arrêt Dow Jones v. Gutnick faite par l’avocate étayait son point de vue selon lequel l’Ontario devait se déclarer compétente.

 44 Gutnick était un homme d’affaires connu qui résidait dans l’État de Victoria au moment de la publication de l’article contesté. On avait prouvé que le site Web de la société Barron’s comptait quelque 1 700 abonnés en Australie. M.Gutnick avait décidé d’intenter une action uniquement en Australie et uniquement au titre de l’atteinte à sa réputation dans cet État.

 45  Je ne crois pas que l’arrêt australien puisse aider la Cour à trancher la question dont elle est saisie.

CONCLUSION

 46  Compte tenu de l’analyse qui précède, je conclus que le juge saisi de la requête a commis une erreur dans son application des facteurs retenus dans l’arrêt Muscutt. Cela m’amène à conclure en outre qu’il n’y a tout simplement aucun lien réel et substantiel entre la présente action et l’Ontario et qu’il est contre-indiqué que les tribunaux ontariens se déclarent compétents pour instruire le litige.

OBSERVATIONS PRÉSENTÉES POUR LE COMPTE DE LA MEDIA COALITION

 47  L’avocat de la Media Coalition a souscrit aux observations formulées par les avocats du Washington Post dans son analyse du critère du lien réel et substantiel et de l’application des facteurs de l’arrêt Muscutt. De plus, l’avocat de la Media Coalition a proposé d’autres approches qui pourraient être adoptées à l’égard de la question de la compétence. Selon l’avocat, ces approches sont compatibles avec le critère du lien réel et substantiel et peuvent être intégrées dans l’application appropriée des facteurs retenus dans l’arrêt Muscutt. 

 48  Ces autres approches se rapportent à la publication de documents sur Internet, question qui soulève de grandes préoccupations étant donné qu’Internet est utilisé partout dans le monde, donc dans de nombreux ressorts. Les principales approches proposées par la Media Coalition sont les suivantes :

(i)

 

La stratégie de la cible – selon cette approche, le tribunal se déclarerait compétent lorsque la publication s’adresse à des personnes résidant dans le ressort particulier du tribunal.

 

(ii)

 

L’approche active / passive – selon cette approche, un défendeur étranger qui agit activement en faisant parvenir des publications électroniques à des personnes résidant dans un ressort particulier serait soumis à la compétence des tribunaux de ce ressort. Cette règle ne s’applique pas au défendeur qui ne fait qu’afficher des documents sur un site Web passif .

 

(iii)

 

L’approche du pays d’origine – selon cette approche, le tribunal compétent est celui du ressort d’où la publication émane. Cette approche est fondée sur le fait que c’est dans le pays d’origine que l’éditeur a, en dernière analyse, l’occasion d’exercer un contrôle sur le contenu de la publication.

 

(iv)

 

La prévisibilité et l’ensemble des circonstances – cette approche est semblable à celle adoptée par le tribunal dans l’arrêt Muscutt et dans les jugements connexes.

 

 49  Les observations présentées pour le compte de la Media Coalition sont utiles et intéressantes. Je ne crois toutefois pas qu’il soit nécessaire de retenir l’une quelconque des approches particulières proposées par la Media Coalition. Ce n’est pas nécessaire pour trancher la question dont la Cour est saisie. Il se peut que, dans un avenir plus ou moins proche, notre cour soit saisie d’une affaire touchant la publication sur Internet et qu’elle trouve alors utile d’examiner et d’adopter une ou plusieurs des approches proposées. Mais ce sera pour une autre fois.

SIGNIFICATION HORS DU CANADA ET FORUM NON CONVENIENS

 50  Compte tenu de ma conclusion portant qu’il ne convient pas que les tribunaux ontariens se déclarent compétents pour instruire cette affaire, j’estime qu’il n’est pas nécessaire de traiter des questions de la signification hors du Canada et du forum non conveniens.

 

 

DÉCISION

 51  Pour les motifs susmentionnés, j’accueillerais l’appel, j’annulerais l’ordonnance du juge saisi de la requête et je rendrais une ordonnance accordant une suspension de l’instance.

DÉPENS

 52  Les avocats des appelants ont droit à des dépens d’indemnisation partielle fixés à 7 500 $ au titre du présent appel, y compris les débours et la taxe sur les produits et services. Les appelants ont également droit au remboursement, selon un barème d’indemnisation partielle, des frais qu’ils ont engagés devant le juge saisi de la requête. Si les parties ne peuvent s’entendre sur le montant des dépens engagés devant le juge saisi de la requête, les appelants devraient alors produire de succinctes observations écrites (au maximum cinq pages à double interligne) dans les dix jours suivant le prononcé du présent jugement. L’intimé devra produire une courte réponse écrite (au maximum cinq pages à double interligne) dans les dix jours suivant la réception des observations des appelants. Si leurs clients le leur demandent, les avocats des appelants pourront ensuite, dans les cinq jours suivant la réception de la réponse de l’intimé, déposer une réplique (d’au plus trois pages à double interligne) dans les cinq jours suivant la réception de la réponse de l’intimé. 

Le juge R. P. ARMSTRONGLe juge en chef R. R. McMURTRY – Je souscris aux présents motifs.Le juge S. E. LANG – Je souscris aux présents motifs.