Francis c. Baker (1998), 38 O.R. (3d) 509 (C.A.)

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  • Date : 2024

Francis c. Baker Cour d’appel de l’OntarioLes juges Abella, Austin et Charron.10 mars 1998

 

Droit de la famille – Aliments – Pensions alimentaires pour enfants – Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants – Les montants prévus par les tables des Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants ne peuvent être diminués que dans l’un ou l’autre des cas suivants : l’enfant est majeur; le conjoint débiteur n’est pas le père ou la mère de l’enfant; la garde de l’enfant est partagée; des difficultés excessives seraient créées – Lorsque le législateur parle, à l’al. 4b), d’un montant qui « n’est pas indiqué », il faut entendre montant « insuffisant » – Le montant prévu par la table n’a pas à être diminué lorsque le parent débiteur gagne plus de 150 000 $ du simple fait que ce montant dépasse les « besoins » de l’enfant déterminés selon la jurisprudence antérieure aux Lignes directrices – Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants, DORS/97-175.

Droit de la famille – Aliments – Pensions alimentaires pour conjoint – Conformément à un accord de séparation conclu en 1985, la femme recevait une pension alimentaire de 2 500 $ par mois pour elle-même et pour ses deux enfants – La femme a essayé de faire annuler l’accord de séparation en 1988 – Le procès s’est déroulé en 1992 – Le mari avait un revenu annuel de 945 538 $ et des actifs totalisant 78 millions de dollars – La femme avait de la difficulté à joindre les deux bouts – Le juge de première instance a estimé que la femme aurait eu droit à une pension alimentaire pour conjoint d’au moins 5 000 $ par mois au cours des douze années écoulées depuis la séparation et lui a accordé une somme forfaitaire de 500 000 $ à titre de pension alimentaire – La femme n’a pas à être privée des aliments auxquels il a été conclu qu’elle avait droit du simple fait que, parce que le procès a traîné en longueur, elle a réussi à obtenir une somme importante  Le juge de première instance a tenu compte des bons facteurs – La somme forfaitaire représentait une indemnité rétroactive et constituait, en conséquence, une application acceptable des objectifs énoncés au par. 15.2(6) de la Loi sur le divorce  Loi sur le divorce, L.R.C. (1985), ch. 3 (2suppl.), par. 15.2(6).

Les parties se sont mariées en 1979 et se sont séparées en 1985, alors que l’aîné de leurs deux enfants était âgé d’un an et demi et que le cadet venait de naître cinq jours plus tôt. Conformément à un accord de séparation conclu en 1985, la femme recevait une pension alimentaire totale de 2 500 $ par mois pour elle-même et pour les deux enfants. Elle est retournée au travail comme enseignante après la séparation et avait du mal à joindre les deux bouts. Le mari, un avocat, a acheté une maison valant plusieurs millions de dollars après la séparation, ainsi que trois voitures de luxe. Les parties ont divorcé en 1987. En 1988, la femme a essayé de faire annuler l’accord de séparation en invoquant la contrainte et le refus de son mari de divulguer sa situation financière. Le procès s’est déroulé en 1992. Au moment du procès, la femme gagnait 63 000 $ par année. Le mari avait un revenu annuel de 945 538 $ et une situation nette de 78 millions de dollars.

Le juge de première instance a conclu que l’accord de séparation ne devait pas être annulé. Elle s’est toutefois dite convaincue que la femme avait droit à une modification de la pension alimentaire qui lui était versée. Sans le déclarer explicitement, elle a vraisemblablement conclu, en vertu de l’art. 17 de la Loi sur le divorce, qu’un changement important justifiant une modification était survenu dans la situation des parties. Elle a conclu que la femme aurait eu droit à au moins 5 000 $ par mois à titre de pension alimentaire au profit du conjoint au cours des douze années écoulées depuis la séparation. Tenant compte des incidences fiscales, elle a accordé une somme forfaitaire de 500 000 $ à titre de pension alimentaire au profit d’un époux en vertu du par. 15(7) (maintenant le par. 15.2(6) de la Loi sur le divorce).

Conformément aux Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants et compte tenu de son revenu de 945 538 $, le mari a été condamné à verser une pension alimentaire de 10 034 $ par mois au profit des enfants.

Le mari a interjeté appel de cette décision en faisant valoir que le montant de la pension alimentaire pour enfant était manifestement excessif et qu’il dépassait de beaucoup les besoins des enfants. Il soutenait qu’une ordonnance alimentaire pour enfants aussi élevée équivalait à une pension alimentaire pour conjoint déguisée en pension alimentaire pour enfants, ce qui se traduisait par un profit inattendu pour sa femme. Il a invoqué l’art. 4 des Lignes directrices, qui prévoit que lorsque le revenu du conjoint faisant l’objet de la demande d’ordonnance alimentaire est supérieur à 150 000 $, le montant de la pension alimentaire pour enfants est calculé en ajoutant, pour les premiers 150 000 $, le montant prévu par la table applicable et, pour l’excédent, tout montant que le tribunal juge « indiqué », compte tenu des besoins des enfants et des ressources des parents ainsi que les frais extraordinaires prévus à l’art. 7 des Lignes directrices.

Arrêt : L’appel devrait être rejeté.

Bien que l’expression « n’est pas indiqué » semble, à première vue, impliquer un large pouvoir discrétionnaire, le sens particulier que lui confère l’al. 4b) doit être examiné en fonction de l’ensemble des Lignes directrices et de la méthode qu’elles imposent en désignant le montant prévu par la table comme point de départ pour le calcul de la pension alimentaire pour enfants. L’al. 4b) ne réintroduit pas la méthode budgétaire de calcul des pensions alimentaires pour enfants dans la procédure prévue par les Lignes directrices dans le cas des revenus supérieurs à 150 000 $. Autrement, il suffirait, pour refuser à l’enfant d’un parent débiteur fortuné dont le revenu est supérieur à 150 000 $ le droit au montant déterminé selon la table, d’alléguer que le montant prévu par la table répond de façon trop généreuse aux besoins de l’enfant et qu’il n’est par conséquent « pas indiqué ». Il s’ensuivrait que, sous le régime des Lignes directrices, les enfants dont le parent débiteur gagne moins de 150 000 $ auraient droit à un calcul prévisible et rapide du montant de leur pension alimentaire, tandis que ceux dont le parent débiteur gagne plus de 150 000 $ seraient assujettis à l’ancienne méthode peu pratique. Les Lignes directrices font dépendre le montant de la pension alimentaire de l’enfant du revenu du parent débiteur, même lorsque ce revenu est très élevé. Rien ne permet de penser, à la lecture de la loi, que ce lien est censé diminuer à mesure qu’augmente la richesse du père ou de la mère. Une telle conception réduirait à néant tous les avantages que les Lignes directrices sont censées accorder. Les Lignes directrices visent à remplacer l’arbitraire par le prévisible en matière d’évaluation de pensions alimentaires pour enfants par l’application uniforme de montants fixes visant à refléter de façon plus équitable la situation économique des conjoints après leur séparation.

L’article 10 des Lignes directrices est le principal article qui permet d’accorder un montant différent de celui qui est prévu par la table. Il ne s’applique toutefois que lorsque l’application du montant à première vue neutre prévu par la table entraîne des conséquences financières graves. Aux termes du par. 10(3), le tribunal refusera de diminuer le montant de la pension alimentaire si une telle diminution devait entraîner pour le ménage du parent débiteur un niveau de vie plus élevé que celui du parent créancier. On peut logiquement en inférer que l’intention des Lignes directrices est d’accorder la priorité aux besoins financiers du ménage de l’enfant sur ceux du ménage du parent débiteur. Sous le régime des Lignes directrices, on tient compte, non seulement des besoins économiques de l’enfant lui-même, mais aussi des besoins du ménage de l’enfant. Dans l’ensemble, les Lignes directrices rendent inutile le débat sur le moment où une ordonnance alimentaire prononcée en faveur d’un enfant est, du fait de sa générosité, transformée en pension alimentaire pour conjoint camouflée en pension alimentaire pour enfant. La dissection artificielle des besoins de chacun des membres de la famille pour déterminer le droit à une pension alimentaire donne rarement lieu à des évaluations réalistes. Les ménages fonctionnent en général comme des unités économiques et sociales intégrées, ce qui justifie d’autant plus la méthode visant à déterminer le niveau de vie auquel le ménage dans son ensemble a droit.

Un autre objectif économique que vise l’art. 10 des Lignes directrices est de reconnaître le droit des enfants au train de vie auquel le revenu disponible leur permet d’aspirer, même si ce droit leur permet d’obtenir beaucoup plus que le strict nécessaire auquel ils ont par ailleurs droit. Le législateur a manifestement essayé de niveler le niveau de vie du ménage du débiteur et celui du ménage dans lequel vivent ses enfants de manière à ce que les enfants souffrent le moins possible des conséquences de la séparation de leurs parents sur le plan matériel. Toute la notion des besoins « raisonnables » de l’enfant a été redéfinie dans les Lignes directrices. Le « caractère raisonnable » des besoins dépend désormais des moyens du débiteur.

Les montants prévus par la table ne peuvent être diminués que dans les cas suivants : i) l’enfant est majeur; ii) le conjoint débiteur n’est pas le père ou la mère de l’enfant; iii) la garde de l’enfant est partagée; iv) des difficultés excessives seraient créées. Sinon, les montants prévus à la table applicable peuvent uniquement être majorés. Lorsque le législateur parle, à l’al. 4b), d’un montant qui « n’est pas indiqué », il faut entendre montant « insuffisant ». Toute autre interprétation rendrait l’al. 4a) inutile et priverait les Lignes directrices de leur sens. En l’espèce, il ne peut y avoir réduction du montant prévu par les Lignes directrices que si le mari est en mesure de démontrer qu’il tombe sous le coup des dispositions de l’art. 10 relatives aux « difficultés excessives ». Le mari n’a pas tenté de prétendre qu’il éprouvait des difficultés excessives.

Le mari conteste le montant de la pension alimentaire pour conjoint à laquelle il a été condamné et le droit à ce montant, mais il n’a produit aucune preuve pour en contester le bien-fondé. Il n’existe aucune raison de priver la femme des aliments auxquels il a été conclu qu’elle avait droit du simple fait que, parce que le procès a traîné en longueur, elle a réussi à obtenir une somme importante. Le juge de première instance a appliqué les bons principes. La somme forfaitaire qui a été accordée représentait une indemnité rétroactive et constitue une application acceptable des objectifs énoncés au par. 15.2(6) de la Loi sur le divorce.

Jurisprudence

Décision examinée

Paras c. Paras, [1971] 1 O.R. 130, 2 R.F.L. 328, 14 D.L.R. (3d) 546 (C.A.).

Décisions mentionnées

Andrews c. Andrews, (1980), 32 O.R. (2d) 29, 120 D.L.R. (3d) 252, 20 R.F.L. (2d) 348 (C.A.); Elliot c. Elliot, (1993), 15 O.R. (3d) 265, 106 D.L.R. (4th) 609, 48 R.F.L. (3d) 237 (C.A.) [autorisation de pourvoi devant la C.S.C. refusée à (1994), 18 O.R. (3d) xvi, 3 R.F.L. (4th) 290n, 175 N.R. 324n], Lévesque c. Lévesque, (1994), 20 Alta. L.R. (3d) 429, 116 D.L.R. (4th) 314, [1994] 8 W.W.R. 589, 4 F.L.R. (4th) 375 (C.A.), Moge c. Moge, [1992] 3 R.C.S. 813, 81 Man. R. (2d) 161, 99 D.L.R. (4th) 456, 145 N.R. 1, [1993] 1 W.W.R. 481, 43 R.F.L. (3d) 345, Willick c. Willick, [1994] 3 R.C.S. 670, 125 Sask. R. 81, 119 D.L.R. (4th) 405, 173 N.R. 321, 81 W.A.C. 81, 6 R.F.L. (4th) 161.

Lois

Loi sur le divorce, L.R.C. (1985), chap. 3, (2e suppl.) (mod. par L.C. 1997, ch. 1), art. 15.1(5), 15.2

Loi sur le droit de la famille, L.R.C. 1990, chap. F.3.

Règlements

Lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants, DORS/97-175, art. 1, 3, 4, 5, 7(1), 8, 9, 10.

Doctrine

Davies, C., « The Emergence of Judicial Child Support Guidelines » (1995-1996), 13 C.F.L.Q. 89.

Rogerson, C., « Spousal Support After Moge », (1996-97), 14 C.F.L.Q. 281.

Appel d’un jugement par lequel le juge Benotto ((1997), 150 D.L.R. (4th) 547, 28 R.F.L. (4th) 437 (Cour Ont., Div. gén.) a accordé une pension alimentaire au profit des enfants et une somme forfaitaire au conjoint à titre de pension alimentaire.

Mes Stephen M. Grant et Megan E. Shortreed, pour l’appelant.

Mes A. Burke Doran. c.r. et Stuart F » Kovinsky, pour l’intimée.

L’appel est rejeté.

 

 

 

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE ABELLA : – La présente affaire concerne une demande de pension alimentaire quelque peu inusitée. Il s’agit en effet d’une demande visant à obtenir une pension alimentaire de la part d’un conjoint qui dispose de moyens financiers suffisants pour subvenir amplement aux besoins matériels de son ancienne famille et à ceux du ménage dont il fait partie depuis sa séparation. Le présent appel porte notamment sur la façon dont les Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants(1) (les Lignes directrices) s’appliquent dans le cas d’une affaire régie par la Loi sur le divorce(2) dans laquelle le revenu annuel du parent débiteur est supérieur à 150 000 $. Les parties nous signalent que c’est la première fois qu’une juridiction d’appel est appelée à examiner les lignes directrices en question qui, par souci de commodité, sont annexées aux présentes [voir p. infrra].

Genèse de l’instance

Les parties se sont mariées en 1979. Elles ont eu deux enfants : le premier est né en 1983, le second en 1985. En 1985, alors que sa femme, Monica Francis, en était à son huitième mois de grossesse, le père, Thomas Baker, lui a dit qu’il trouvait que leur mariage était en difficulté. Leur aîné était alors âgé d’un an et demi. En juillet 1985, cinq jours après la naissance de leur second enfant, M. Baker a quitté sa femme.

Les parties ont signé un accord de séparation en décembre 1985 et ont divorcé en 1987. Mme Francis a conservé la propriété de la voiture et a reçu 30 000 $ comme quote-part du produit de la vente du foyer conjugal. Elle recevait alors une pension alimentaire totale de 2 500 $ par mois. Au moment de la séparation et du divorce, Mme Francis était enseignante et M. Baker était avocat. Par suite du départ subit de M. Baker, Mme Francis est retournée au travail comme enseignante en octobre 1985, beaucoup plus tôt qu’elle ne l’avait prévu. Elle a acheté une maison pour elle-même et les deux enfants et, comme le juge du procès l’a constaté, elle éprouve des difficultés depuis 1985.

En revanche, M. Baker s’est retrouvé dans une situation financière florissante peu de temps après la séparation. Il a acheté et rénové une maison de plusieurs millions de dollars et a acheté trois voitures de luxe. En 1987, il est devenu président-directeur général de Seven-Up Canada. Il est acquis aux débats qu’il mène une vie exceptionnellement fastueuse depuis la séparation.

En 1988, Mme Francis a essayé de faire annuler l’accord de séparation en invoquant la contrainte et le refus de M. Baker de divulguer sa situation financière. Le procès s’est déroulé en 1997 : voir Francis v. Baker (1997), 150 D.L.R. (4th) 547 (Div. G/n. Ont.), le juge Benotto

LE PROCÈS

Au moment du procès, les enfants étaient respectivement âgés d’onze et de treize ans. Mme Francis gagnait environ 63 000 $ par année comme enseignante. Sa situation nette se résumait essentiellement à la valeur de sa rente de retraite.

Dans l’état financier qu’il a produit la veille du procès en réponse à l’ordonnance judiciaire le forçant à le faire, M. Baker a fait état d’un revenu annuel de 945 538 $ et d’une situation nette de 78 millions de dollars.

Le juge de première instance a conclu que M. Baker avait non seulement adopté une attitude [TRADUCTION] « paternaliste » et « malveillante », mais aussi qu’il s’était [TRADUCTION] « dominateur et manipulateur en se servant de son argent ». Il avait offert de remettre directement aux enfants de l’argent pour leurs dépenses extraordinaires, une offre que le juge de première instance a jugée « déraisonnable » et « inacceptable » compte tenu de l’âge des enfants. Il avait également offert à Mme Francis de lui acheter une maison valant 500 000 $ à condition que cette maison demeure à son nom à lui et qu’elle ne permette pas à son père, à sa mère, à ses soeurs, à ses nièces ou à ses neveux d’y vivre.

Le juge de première instance a rejeté les deux exceptions préliminaires d’incompétence que M. Baker avait soulevées. La première concernait le « préavis écrit » de 60 jours prévu à l’accord de séparation. Par la seconde, M. Baker s’opposait au fait que la demande de pension alimentaire de son ex-conjoint était présentée sous le régime de la Loi sur le droit de la famille, L.R.O. 1990, chap. F.3. Le premier moyen procédural a été jugé mal fondé au motif que M. Baker n’avait subi aucun préjudice. Le présumé vice qui entachait l’acte de procédure a été corrigé en permettant à la demanderesse de modifier sa demande de pension alimentaire en la faisant reposer uniquement sur la Loi sur le divorce. Le juge de première instance répugnait de toute évidence à accorder d’autres prorogations de délai dans une affaire qui, avant même d’être instruit, se perdait dans un labyrinthe procédural depuis neuf ans.

Le juge de première instance a conclu que l’accord de séparation ne devait pas être annulé. Elle a toutefois accordé une somme forfaitaire de 500 000 $ à Mme Francis à titre de pension alimentaire au profit d’un époux en vertu du par. 15(7) (maintenant l’art. 15.2) de la Loi sur le divorce.

Une pension alimentaire pour enfants d’un montant total de 10 034 $ par mois a été accordée aux enfants en conformité avec les Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants. Cette pension devait être versée à compter de la date du jugement.

M. Baker n’a pas témoigné au procès.

ANALYSE

Les pensions alimentaires pour enfants

Le présent appel soulève des questions d’interprétation législative qui, malgré le caractère unique des dispositions en cause, peuvent être résolues en recourant aux outils habituels en analysant l’objet, le contexte et le libellé des dispositions législatives en cause.

Les objectifs des Lignes directrices sont exposés dans les termes les plus nets à l’article premier :

a) établir des normes équitables de soutien alimentaire des enfants afin de leur permettre de continuer de bénéficier des ressources financières des époux après leur séparation ;

b) réduire les conflits et les tensions entre époux en rendant le calcul du montant des ordonnances alimentaires plus objectif ;

c) améliorer l’efficacité du processus judiciaire en guidant les tribunaux et les époux dans la détermination du montant de telles ordonnances et en favorisant le règlement des affaires ;

d) assurer un traitement uniforme des époux et enfants qui se trouvent dans des situations semblables les unes aux autres.

Dans le texte qui a été distribué par le gouvernement fédéral en mars 1996 et qui accompagne la fiche d’information sur la nouvelle stratégie touchant les pensions alimentaires pour enfants, les objectifs réparateurs des Lignes directrices sont expliqués dans les termes suivants :

[…] [N]otre régime actuel de pensions alimentaires pour enfants n’a pas toujours réussi à garantir […] que les deux parents répondent adéquatement aux besoins de leurs enfants. Les pensions accordées ne sont pas uniformes. Elles sont imprévisibles, parfois insuffisantes et trop souvent impayées.

Face à la nécessité d’une modification fondamentale du régime, les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux ont travaillé de concert, par l’intermédiaire du Comité fédéral-provincial-territorial sur le droit de la famille (le comité fédéral-provincial-territorial), pour mettre au point des réformes des pensions alimentaires pour enfants qui sont, avant tout, axées sur les enfants.

[…] Trop souvent, le droit de l’enfant à ce que son père et sa mère subviennent à ses besoins est terni par les blessures et l’hostilité qui suivent la rupture de ses parents. Les présentes propositions visent à s’assurer que l’intérêt de l’enfant passe en premier lieu. La protection du droit de l’enfant de recevoir une pension alimentaire suffisante de ses parents — qui soit payée intégralement et à temps — est au coeur de cette série de réformes.

Les Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants sont entrées en vigueur le 1er mai 1997. La stricte application des Lignes directrices fait en sorte que M. Baker est obligé de payer une pension alimentaire de 10 034 $ par mois au profit de ses enfants. M. Baker ne prétend pas que la somme à laquelle il a été condamné est incorrecte ou qu’elle ne respecte pas les tables fédérales de pensions alimentaires pour enfants. Ce qu’il reproche à cette somme, c’est d’être manifestement excessive et de dépasser de beaucoup les besoins des enfants. Il soutient qu’une ordonnance alimentaire pour enfants aussi élevée équivaut à une pension alimentaire pour conjoint déguisée en pension alimentaire pour enfants, ce qui se traduit par un profit inattendu pour Mme Francis.

C’est aux articles 3 et 4 des Lignes directrices que se trouvent les modalités d’application précisant les sommes auxquelles les enfants mineurs ont droit suivant les tables applicables. L’article 4 des Lignes directrices porte sur les revenus supérieurs à 150 000 $ ; l’article 3 concerne les revenus inférieurs à cette somme. Bien que l’article 4 soit l’article en litige dans le présent appel, il est néanmoins instructif d’examiner quel traitement est réservé aux revenus inférieurs à 150 000 $.

Voici donc les dispositions pertinentes de l’art. 3 :

Règle générale 3.(1) Sauf disposition contraire des présentes lignes directrices, le montant de l’ordonnance alimentaire à l’égard d’enfants mineurs est égal à la somme des montants suivants :

a) le montant prévu dans la table applicable, selon le nombre d’enfants mineurs visés par l’ordonnance et le revenu de l’époux faisant l’objet de la demande ;

b) le cas échéant, le montant déterminé en application de l’article 7(3).

[Je souligne.]

Ces dispositions comportent trois aspects qu’il vaut la peine de souligner. Premièrement, il y a lieu de remarquer que la note marginale du par. 3(1) est intitulée « Règle générale ». Deuxièmement, le seul revenu dont on tient compte lorsqu’il s’agit de déterminer la somme à payer selon la table pertinente est celui du conjoint qui fait l’objet de la demande de pension alimentaire au profit de l’enfant. Troisièmement, les frais extraordinaires reliés aux soins de santé ou à l’éducation s’ajoutent à la somme prévue à la table applicable.

Il s’ensuit donc que, sauf disposition contraire de la loi, l’enfant mineur a le droit d’obtenir la somme prévue par la table applicable de la part du parent débiteur, ainsi que les frais extraordinaires jugés acceptables selon l’art. 7 des Lignes directrices. En d’autres termes, les montants prévus par la table sont fixes ; seuls les frais extraordinaires sont assujettis au contrôle et à l’homologation du tribunal. C’est ce qu’on est convenu d’appeler la méthode et l’analyse générales.

M. Baker se fonde sur l’article 4 des Lignes directrices pour affirmer que la somme à laquelle il a été condamné « n’est pas indiquée ». Cet article dispose :

4. Lorsque le revenu de l’époux faisant l’objet de la demande d’ordonnance alimentaire est supérieur à 150 000 $, le montant de l’ordonnance est le suivant :

a) le montant déterminé en application de l’article 3 ;

b) si le tribunal est d’avis que ce montant n’est pas indiqué :

(i) pour les premiers 150 000 $, le montant prévu dans la table applicable, selon le nombre d’enfants mineurs visés par l’ordonnance,

(ii) pour l’excédent, tout montant que le tribunal juge indiqué compte tenu des ressources, des besoins et, d’une façon générale, de la situation des enfants en cause, ainsi que de la capacité financière de chaque époux de contribuer à leur soutien alimentaire ;

(iii) le cas échéant, le montant déterminé en application de l’article 7.

Ainsi qu’il ressort à l’évidence du libellé de cet article, lorsque le revenu du débiteur alimentaire dépasse 150 000 $, l’al. 4a) prévoit que le montant de la pension alimentaire versée à l’enfant est celui qui est prévu à l’art. 3, c’est-à-dire le montant prévu par la table, ainsi que les frais extraordinaires justifiables.

Toutefois, aux termes de l’al. 4b), il semble qu’une autre méthode de calcul s’applique dans le cas des revenus supérieurs à 150 000 $. L’al. 4b) permet en effet au tribunal, s’il est d’avis que le montant prévu dans la table de calcul « n’est pas indiqué », de calculer la pension alimentaire de l’enfant en ajoutant trois montants :

(i) le montant prévu dans la table applicable pour les premiers 150 000 $ ;

(ii) pour l’excédent, tout montant que le tribunal juge indiqué compte tenu des ressources, des besoins des enfants en cause et des moyens des parents ;

(iii) les frais extraordinaires prévus à l’art. 7.

En résumé, l’article 4 prévoit un régime particulier pour les revenus supérieurs à 150 000 $. Le tribunal peut condamner le conjoint à payer l’un ou l’autre des montants suivants :

a) le montant prévu par la table applicable (en l’espèce, un montant total de 10 034 $ par mois) ainsi que les frais extraordinaires justifiables ;

b) le montant prévu par la table applicable pour les premiers 150 000 $, ainsi que les deux montants suivants :

(i) un montant qui tienne compte des besoins des enfants et de la capacité de payer de chaque conjoint ;

(ii) les frais extraordinaires jugés payables selon l’art. 7 des Lignes directrices notamment pour des frais de garde, une assurance médicale, des soins de santé ou des frais relatifs aux études ou aux besoins éducatifs ou des activités parascolaires.

Ainsi que M. Baker le fait remarquer, le par. 4(6) semble, à première vue, prévoir une exception à la règle générale d’application du montant déterminé selon la table de calcul.

La thèse de M. Baker est que l’al. 4b) a pour effet d’exiger une analyse budgétaire des besoins de l’enfant pour déterminer si le montant prévu par la table « n’est pas indiqué » chaque fois que le revenu du débiteur est supérieur à 150 000 $. Il faut, pour ce faire, appliquer, selon lui, la formule élaborée dans l’arrêt Paras c. Paras, (1971), 1 O.R. 130, 2 R.F.L. 328 (C.A.) que les tribunaux utilisent habituellement pour calculer le montant approprié de la pension alimentaire à verser aux enfants. On peut résumer comme suit cette formule, que l’on trouve à la page 135 du recueil O.R. et à la page 332 du recueil R.F.L. :

1. Fixer la somme qui permettrait d’assurer adéquatement les soins et l’éducation des enfants;

2. Diviser cette somme en proportion des revenus et ressources respectifs des parents ;

3. Condamner le parent non gardien à payer sa juste part.

La nécessité de continuer à recourir à l’analyse budgétaire prescrite par l’arrêt Paras est, selon M. Baker, renforcée par le libellé du par. 15.1(5)(4) de la Loi sur le divorce, qui permet au tribunal d’accorder une somme différente de celle qui est prévue aux Lignes directrices si des dispositions spéciales ont par ailleurs été prises à l’égard de l’enfant, rendant le montant prévu par les Lignes directrices « inéquitable ».

M. Baker soutient essentiellement que la coexistence de l’expression « n’est pas indiqué » à l’al. 4b) des Lignes directrices et de l’adjectif « inéquitable » au par. 15.1(5) de la Loi sur le divorce donne nécessairement ouverture à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du tribunal. Ce pouvoir discrétionnaire exige, à son tour, que l’on procède à l’analyse budgétaire comparative dont il était question dans l’arrêt Paras.En conséquence, malgré le fait qu’il a effectivement examiné le contenu du budget de Mme Francis — bien qu’il s’agisse du budget de 1996 et non du budget de 1997 — le juge de première instance a, selon M. Baker, commis une erreur en se servant du budget pourjustifier le montant prévu dans la table applicable, au lieu de s’en servir pour déterminer quel aurait été le montant acceptable de la pension alimentaire des enfants malgré la table.

À mon avis, bien que l’expression « n’est pas indiqué » semble, à première vue, impliquer un large pouvoir discrétionnaire, le sens particulier que lui confère l’al. 4b) doit être examiné en fonction de l’ensemble des Lignes directrices et de la méthode qu’elles imposent en désignant le montant prévu par la table comme point de départ pour le calcul de la pension alimentaire pour enfants.

Je reconnais que l’al. 4b) semble autoriser le tribunal à s’écarter des montants prévus par la table. Je ne suis toutefois pas persuadé que l’al. 4b) réintroduit la méthode budgétaire de calcul des pensions alimentaires pour enfants dans la procédure prévue par les Lignes directrices dans le cas des revenus supérieurs à 150 000 $. Autrement, chaque fois qu’un parent débiteur gagne plus de 150 000 $, pour déterminer la fraction de l’excédent à laquelle l’enfant a droit, l’ancienne formule de l’arrêt Paras s’appliquerait, avec toutes les exigences budgétaires et contradictions fondamentales qu’elle comporte.

Si la thèse de M. Baker est bien fondée, il suffirait, pour refuser à l’enfant d’un débiteur fortuné dont le revenu est supérieur à 150 000 $ le droit au montant déterminé selon la table, d’alléguer que le montant prévu par la table répond de façon trop généreuse aux besoins de l’enfant et qu’il n’est par conséquent « pas indiqué ». Il s’ensuivrait que, sous le régime des Lignes directrices, les enfants dont le parent débiteur gagne moins de 150 000 $ auraient droit à un calcul prévisible et rapide du montant de leur pension alimentaire, tandis que ceux dont le parent débiteur gagne plus de 150 000 $ seraient assujettis à l’ancienne méthode peu pratique.

Les Lignes directrices font dépendre le montant de la pension alimentaire de l’enfant du revenu du parent débiteur, même lorsque ce revenu est très élevé. Rien ne permet de penser, à la lecture de la loi, que ce lien est censé diminuer à mesure qu’augmente la richesse du père ou de la mère. Une telle conception réduirait à néant tous les avantages que les Lignes directrices sont censées accorder. Il est difficile de penser que le législateur voulait pénaliser uniquement les enfants et les parents gardiens dont le conjoint est plus fortuné en les assujettissant à une méthode qui conserve la complexité méthodologique du système dominé par l’arrêt Paras et n’assure pas la même uniformité que le nouveau système.

Or, l’un des objectifs premiers de la loi est effectivement d’éviter une telle complexité et d’aider les parents à résoudre les questions de pension alimentaire pour enfants aussi rapidement que possible. Les bénéficiaires désignés de cette volonté sont les enfants et ce, indépendamment du revenu de leurs parents.

Toute cette réforme témoigne de la perception irréfutable que les pensions alimentaires pour enfants étaient, trop souvent, calculées au hasard et contestées sans raison(5). La solution préconisée par les Lignes directrices consiste à remplacer l’arbitraire par le prévisible au moyen de l’application uniforme de montants fixes visant à refléter de façon plus équitable la situation économique des conjoints après leur séparation.

Il n’est pas étonnant, compte tenu de l’objectif d’uniformité visé, que l’application stricte des Lignes directrices ne comporte que peu d’exceptions.

La première exception, que l’on trouve au par. 3(2), concerne le cas de l’enfant majeur. Dans le cas de l’enfant majeur, le tribunal est autorisé à retenir le montant prévu par la table applicable ou, s’il est d’avis que la « méthode » prévue par les Lignes directrices « n’est pas indiquée », le tribunal peut analyser les besoins et les moyens d’une manière plus souple. Le fait que la situation des enfants majeurs soit en règle générale différente de celle des enfants mineurs justifie leur traitement différent lorsqu’il s’agit de calculer la pension alimentaire à laquelle ils ont droit.

L’article 5 prévoit également une exception à l’application stricte des Lignes directrices lorsque le conjoint faisant l’objet de la demande de pension alimentaire tient lieu de père ou de mère à l’égard de l’enfant et qu’un autre père ou mère a l’obligation légale de payer une pension alimentaire à cet enfant.

Il est également possible de modifier le montant prévu par la table applicable lorsque, aux termes de l’art. 8, les deux époux ont chacun la garde d’un ou de plusieurs des enfants de la famille, et, aux termes de l’art. 9, en cas de garde partagée.

Il convient de mentionner une exception encore plus importante. L’art. 10 confère en effet au tribunal le pouvoir discrétionnaire absolu de modifier le montant prévu par la table pour éviter des difficultés excessives à un conjoint ou à un enfant.

Voici le libellé de l’art. 10 :

10(1) Le tribunal peut, sur demande de l’un des époux, fixer comme montant de l’ordonnance alimentaire un montant différent de celui qui serait déterminé en application des articles 3 à 5, 8 et 9, s’il conclut que, sans cette mesure, l’époux qui fait cette demande ou tout enfant visé par celle-ci éprouverait des difficultés excessives.

(2) Des difficultés excessives peuvent résulter, notamment :

a) des dettes anormalement élevées qui sont raisonnablement contractées par un époux pour soutenir les époux et les enfants avant la séparation ou pour gagner un revenu ;

b) des frais anormalement élevés liés à l’exercice par un époux du droit d’accès auprès des enfants ;

c) des obligations légales d’un époux découlant d’un jugement, d’une ordonnance ou d’une entente de séparation écrite pour le soutien alimentaire de toute personne ;

d) des obligations légales d’un époux pour le soutien alimentaire d’un enfant, autre qu’un enfant à charge, qui :

(i) n’est pas majeur ;

(ii) est majeur, sans pouvoir, pour cause notamment de maladie ou d’invalidité, subvenir à ses propres besoins ;

e) des obligations légales d’un époux pour le soutien alimentaire de toute personne qui ne peut subvenir à ses propres besoins pour cause de maladie ou d’invalidité.

(3) Même s’il conclut à l’existence de difficultés excessives, le tribunal doit rejeter la demande faite en application du paragraphe (1) s’il est d’avis que le ménage de l’époux qui les invoque aurait, par suite de la détermination du montant de l’ordonnance alimentaire en application des articles 3 à 5, 8 et 9, un niveau de vie plus élevé que celui du ménage de l’autre époux.

(4) Afin de comparer les niveaux de vie des ménages visés au paragraphe (3), le tribunal peut utiliser la méthode prévue à l’annexe II.

(5) S’il rajuste le montant de l’ordonnance alimentaire en vertu du paragraphe (1), le tribunal peut, dans l’ordonnance, prévoir une période raisonnable pour permettre à l’époux de satisfaire les obligations qui causent des difficultés excessives et fixer le montant de celle-ci à l’expiration de cette période.

(6) Le tribunal doit enregistrer les motifs de sa décision de rajuster le montant de l’ordonnance alimentaire en vertu du présent article.

Il me semble que l’art. 10 soit le principal article qui permet d’accorder un montant différent de celui qui est prévu par la table. Il convient toutefois de signaler que cet article ne s’applique que lorsque l’application du montant à première vue neutre prévu par la table entraînerait des conséquences financière graves. Si des dettes, d’autres obligations alimentaires légales ou les frais liés à l’exercice du droit de visite imposent un fardeau excessif au conjoint débiteur, le tribunal a le pouvoir discrétionnaire de réduire le montant de la pension alimentaire payable.

Il vaut toutefois la peine de remarquer qu’aux termes du par. 10(3), le tribunal refusera de diminuer le montant de la pension alimentaire si une telle diminution devait entraîner pour le ménage du parent débiteur un niveau de vie plus élevé que celui du parent créancier. On peut logiquement en inférer que l’intention des Lignes directrices est d’accorder la priorité aux besoins financiers du ménage de l’enfant sur ceux du ménage du parent débiteur(6). Même s’il est assujetti à d’autres obligations légales, le débiteur n’est pas autorisé à diminuer le montant prévu par la table au point d’accorder à son propre ménage un avantage financier par rapport au ménage des enfants.

Cet article fait ressortir deux objectifs économiques visés par les Lignes directrices qui n’étaient ni l’un ni l’autre appliqués universellement avant l’entrée en vigueur de ce nouveau régime légal de pensions alimentaires. Le premier objectif veut que l’on tienne compte des besoins du ménage de l’enfant et non seulement des besoins économiques de l’enfant lui-même. Il s’agit là, à mon avis, d’une réforme importante qui tardait depuis longtemps à être réalisée.

Dans l’ensemble, les Lignes directrices rendent inutile le débat sur le moment où une ordonnance alimentaire prononcée en faveur d’un enfant est, du fait de sa générosité, transformée en pension alimentaire pour conjoint camouflée en pension alimentaire pour enfant. Ce débat représente une discussion purement théorique, vestige d’une époque révolue où, suivant l’idée la plus répandue, le bien-être matériel de l’enfant pouvait être dissocié de celui du père ou de la mère avec qui il vivait.

La dissection artificielle des besoins de chacun des membres de la famille pour déterminer le droit à une pension alimentaire donne rarement lieu à des évaluations réalistes. Lorsque les membres d’une famille vivent ensemble au sein du même ménage, il est presque impossible de déterminer quel aspect d’une dépense donnée est directement attribuable aux besoins d’une personne déterminée. Les ménages fonctionnent en général comme des unités économiques et sociales intégrées, ce qui justifie d’autant plus la méthode visant à déterminer le niveau de vie auquel le ménage dans son ensemble a droit. Analyser un ménage en fonction du pourcentage que représente l’un de ses membres au lieu de reconnaître que c’est le total attribué qui détermine le niveau de vie rend cette méthode irréaliste.

Il vaut la peine de rappeler — malgré le fait que les objectifs philosophiques de la méthode Paras ne semblent pas avoir survécu à l’application que les tribunaux en ont faite avec autant de vigueur que l’analyse des « besoins et moyens » — que, même dans l’arrêtParas, le juge Kelly a explicitement accepté que la nécessité d’essayer de garantir aux enfants un niveau de vie aussi élevé que celui dont ils auraient bénéficié s’il n’y avait pas eu dissolution du mariage pouvait se traduire par un avantage financier pour le parent gardien (aux pages 134 et 135 du recueil O.R. et la p. 332 du recueil R.F.L.) :

[…] L’ordonnance alimentaire devrait avoir pour objectif, dans toute la mesure du possible, de permettre à l’enfant de jouir d’un niveau de vie identique à celui dont il aurait bénéficié s’il n’y avait pas eu éclatement de la famille.

Généralement parlant, une telle formule est susceptible de se traduire par un niveau de vie plus élevé au sein du ménage où vit l’enfant au profit de qui la pension alimentaire est versée et par un niveau de vie moins élevé pour le parent débiteur,favorisant ainsi indirectement le parent débiteur qui continue à subvenir aux besoins de l’enfant.

[Je souligne.]

Le second objectif économique visé par l’art. 10 est de reconnaître le droit des enfants au train de vie auquel le revenu disponible leur permet d’aspirer, même si ce droit leur permet d’obtenir beaucoup plus que le strict nécessaire auquel ils ont par ailleurs droit. Le législateur a manifestement essayé de niveler le niveau de vie du ménage du débiteur et celui du ménage dans lequel vivent ses enfants de manière à ce que les enfants so