Hunter, R. c.

  • Dossier : C30902
  • Date : 2024

COUR D’APPEL DE L’ONTARIO

LES JUGES ROSENBERG, MOLDAVER ET GOUDGE, J.C.A.

 

ENTRE :

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SA MAJESTÉ LA REINE

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  David M. Tanovich  pour l’appelant

 

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intimée

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NEVILLE HUNTER

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  Lisa Joyal  pour l’intimée

 

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appelant

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  Audience tenue le 1er mai 2001

 

En appel de la déclaration de culpabilité prononcée par le juge John F. Hamilton le 22 octobre 1997, et de la sentence imposée par ce même juge le 30 octobre 1997.

 

LE JUGE GOUDGE, J.C.A.

[1] Au début de la soirée du 26 janvier 1995, trois policiers en civil enquêtaient sur un désordre à l’extérieur d’un restaurant de la zone Bloor et Lansdowne, à Toronto. Il s’en est suivi d’une poursuite, durant laquelle, suivant des allégations qui ont été formulées, l’appelant a sorti une arme et a essayé de tirer sur un des policiers. L’arme n’a toutefois pas tiré, et l’appelant a été appréhendé. Il a été accusé de tentative de meurtre; d’avoir utilisé une arme à feu pendant qu’il commettait un acte criminel; de voies de fait graves, pour avoir mis en danger la vie d’un policier; et de possession d’une arme prohibée.

[2] Le 14 octobre 1997, l’appelant a vu son quatrième procès sur les chefs ci-dessus s’ouvrir devant le juge Hamilton et un jury. Le 22 octobre 1997, l’appelant a été acquitté de l’accusation de tentative de meurtre mais trouvé coupable à l’égard des trois autres chefs d’accusation. Le 30 octobre 1997, il a été condamné à une peine d’emprisonnement de huit ans.

[3] M. Hunter interjette appel à la fois de la déclaration de culpabilité et de la sentence. L’appelant invoque plusieurs arguments à l’encontre de sa déclaration de culpabilité. Pour les raisons qui suivent, je suis arrivé à la conclusion que deux de ces arguments sont fondés. Suivant le premier, le juge du procès a commis une erreur en admettant une déclaration ([TRADUCTION] « J’avais une arme mais je ne l’ai pas braquée. ») qui avait censément été faite par l’appelant à son avocat et été entendue par un passant. Suivant le second, dans ses directives au jury, le juge du procès a fait certains commentaires qui ont, de façon inadmissible, miné le droit de l’appelant de garder le silence. En conséquence, la déclaration de culpabilité de l’appelant doit être annulée. Compte tenu des considérations qui sont pertinentes aux mesures à prendre dans la présente affaire, je suis d’avis d’ordonner un arrêt des procédures plutôt que la tenue d’un nouveau procès. Dans les circonstances, je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’examiner les autres arguments présentés dans l’appel, qu’il s’agisse des arguments qui visent la déclaration de culpabilité ou de ceux qui se rapportent à la sentence.

LES FAITS

[4] La preuve à charge contre l’accusé reposait sur les témoignages des trois policiers : les agents Demkiw, Robinson et Brosnan. Ils ont témoigné que le 26 janvier 1995, ils travaillaient ensemble, habillés en civil. Vers 19 h 35, alors qu’ils passaient près de l’établissement appelé Luckey’s Restaurant, un désordre a éclaté à l’extérieur de l’immeuble. À la sortie du véhicule, l’agent Brosnan a remarqué que l’appelant avait une arme enfoncée dans son jean et il en a informé l’agent Demkiw. Demkiw s’est approché de l’appelant et lui a ordonné de ne plus bouger, sur quoi l’appelant s’est enfui. L’agent Demkiw a sorti son arme. Il a ensuite poursuivi l’appelant avec l’agent Robinson. L’agent Brosnan est retourné à la voiture dans le but de pourchasser l’appelant. Il n’a toutefois pas essayé de demander du renfort. Il a affirmé qu’il ignorait où se situait la radio dans la voiture banalisée.

[5] L’appelant s’est enfui dans un passage qui ne faisait pas plus de six pieds de largeur. L’agent Demkiw a saisi sa lampe de poche et a éclairé le passage. Il a vu l’appelant se mettre à genoux et braquer une arme dans sa direction. L’agent Demkiw a entendu un déclic, mais l’arme n’a pas tiré et l’appelant s’est retourné pour s’enfuir. Rejoint par l’agent Robinson, l’agent Demkiw lui a aussitôt indiqué que l’appelant avait une arme, sans toutefois lui dire que l’appelant avait essayé de tirer. Sans sortir son arme, Robinson a devancé Demkiw, pour attraper l’appelant et lui faire la prise de l’ours. Les deux agents lui ont enlevé son arme et l’ont arrêté. Dans ses notes, l’agent Robinson n’a pas mentionné qu’il avait vu une arme. De plus, aucune empreinte digitale n’a été trouvée sur l’arme. Selon les témoignages des policiers, l’appelant a été avisé de ses droits moment de son arrestation, mais il a simplement dit : [TRADUCTION] « Je suis désolé. Je suis désolé. »

[6] La Couronne a demandé à entendre Lorenzo DiCecco. Celui-ci a témoigné que le jour de l’enquête préliminaire de l’appelant, alors qu’il passait près de celui-ci et de son avocat, Me Rusonik, qui se trouvaient debout ensemble dans une aire ouverte de l’ancien hôtel de ville, il avait entendu l’appelant dire : [TRADUCTION] « J’avais une arme, mais je ne l’ai pas braquée. » M. DiCecco a reconnu qu’il n’avait entendu que cette partie de la conversation. Il était d’accord pour dire qu’il y avait peut-être eu des échanges entre l’appelant et Me Rusonik tant avant qu’après la déclaration entendue. Il n’a pu fournir à la Couronne le contexte dans lequel la déclaration avait été faite. Selon la position adoptée par la Couronne, ce témoignage était critique au succès de sa cause puisque la défense alléguait la brutalité policière et le fait que l’on avait pu fabriquer des preuves contre l’appelant.

[7] Après un voir-dire, le juge du procès a déterminé que ce témoignage était admissible en preuve. Il a conclu que les paroles prononcées avant et après la déclaration n’avaient pas été produites en cour. Le juge a réitéré ce point dans son exposé au jury, affirmant que la déclaration captée par le témoin était coupée de son contexte. Cela dit, le juge a déclaré qu’il ne pouvait pas penser à des mots qui auraient pu précéder la déclaration et lui conférer un autre sens que celui qu’elle semblait revêtir isolément. De ce fait, le juge a conclu que le jury pouvait déterminer le sens des mots qui avaient été entendus. À la fin de sa décision sur la question, le juge a tenu les propos suivants :

 [TRADUCTION]

Je conclus que les mots peuvent être porteurs d’une signification si le jury choisit de leur en donner une. C’est aux jurés qu’il appartient de décider si l’accusé a fait la déclaration visée. C’est également aux jurés qu’il revient de décider de son importance.

Je conclus que la déclaration telle qu’elle est rapportée est pertinente et qu’elle a une valeur probante par rapport à un fait en litige. Il s’agit vraiment d’un aveu. C’est, là encore, au jury qu’il appartient d’en décider.

Je conclus que c’est une déclaration volontaire et admissible.

[8] Le juge du procès a ensuite conclu que la déclaration n’était pas protégée par le secret professionnel avocat-client.

[9] L’appelant a témoigné pour sa propre défense. Selon son témoignage, il est parvenu, sans le chercher, au lieu du désordre, à l’extérieur du restaurant, et, lorsqu’une auto-patrouille identifiée est arrivée, un individu a crié que quelqu’un allait se faire arrêter. L’appelant a pris la fuite en même temps que tout le monde. Il s’est séparé des autres et a été capturé par deux policiers. Il a nié qu’il avait une arme. L’appelant dit que les policiers l’ont agressé lors de son arrestation, même s’il n’existe aucune preuve médicale pour corroborer cette affirmation. Il nie avoir jamais dit à son avocat qu’il était en possession de l’arme. Me Rusonik a témoigné dans le même sens.

[10] La déclaration de culpabilité du 22 octobre 1997 marquait la fin de son quatrième procès sur les chefs d’accusation visés. Tenu à l’automne 1996, son premier procès avait duré six jours. La Couronne n’a pas demandé à entendre le témoignage de DiCecco. L’appelant a témoigné pour sa propre défense. Après dix heures de délibérations, le jury a fait savoir qu’il était dans l’impasse concernant tous les chefs d’accusation, et le procès a été déclaré nul.

[11] Avant le deuxième procès de l’appelant, la Couronne a indiqué qu’elle avait l’intention de faire témoigner M. DiCecco. En raison de cette annonce, Me Rusonik a dû cesser d’occuper pour le défendeur. S’étant vu refuser un ajournement pour retenir les services d’un avocat, l’appelant n’a pas été représenté lors de son deuxième procès. Après sept jours, le procès a été déclaré nul, le juge du procès étant préoccupé par le fait que l’appelant agissait pour son propre compte.

[12] Le troisième procès a commencé le 6 octobre 1997. Après le septième jour, le juge du procès a libéré un juré en raison de ses difficultés en anglais. Le jury était maintenant formé de dix membres et, au lieu de continuer, le juge du procès a décidé de déclarer le procès nul et de recommencer immédiatement avec 12 jurés.

[13] Cette décision a mené au quatrième procès, qui a commencé le 14 octobre 1997. Au moment où la peine a été imposée, soit le 30 octobre 1997, l’appelant avait été détenu avant son procès sur une période d’environ sept mois. Depuis lors, il est demeuré en détention pendant trois ans et demi. 

ANALYSE

[14] Suivant le premier moyen d’appel de l’appelant, le juge du procès a commis une erreur en admettant en preuve la déclaration de l’appelant captée par M. DiCecco. Faisant référence à R. c. Ferris (1994), 34 C.R. (4th) 26 (C.S.C.), [1994] 3 R.C.S. 756, qui a confirmé (1993), 27 C.R. (4th) 141 (C.A. Alb.), l’appelant soutient que la déclaration ne peut pas satisfaire au critère de pertinence déterminant son admissibilité. À cet égard, l’appelant fait valoir que la signification de la déclaration ne saurait être déterminée sans tenir compte de son contexte ou, subsidiairement, que la signification de la déclaration est très conjecturale et que celle-ci aurait dû être écartée au motif que son effet préjudiciable l’emportait sur sa valeur probante, qui était ténue de toute façon. Je partage cet avis.

[15] Les faits dans Ferris ressemblent de près à ceux de la présente affaire. L’accusé a été arrêté pour meurtre et il a été mis en détention par la police. Il s’est vu permettre d’appeler son père du poste de police. Alors qu’il était au téléphone, un policier est passé près de lui à deux reprises. La première fois, il aurait entendu l’accusé dire [TRADUCTION] « je me suis fait arrêter » et la deuxième fois, peu de temps après, [TRADUCTION] « j’ai tué David ». Le policier avait entendu l’appelant parler avant, après et entre ces deux séries de mots. Mis à part lesdites déclarations, il n’était pas en mesure de rapporter ce qui avait été dit. Le juge du procès a décidé que le policier pouvait témoigner au sujet des deux déclarations qu’il avait entendues.

[16] Exprimant l’opinion de la majorité de la Cour d’appel de l’Alberta, le juge d’appel Conrad s’est tout d’abord demandé si, dans les circonstances, l’on pouvait connaître avec certitude le sens des mots rapportés, de sorte qu’ils puissent satisfaire au critère régissant leur pertinence et, de ce fait, leur admissibilité. Selon le juge, pour que ces mots puissent être pertinents, il fallait qu’ils puissent être considérés comme un aveu de l’accusé qu’il avait tué David. Cela dit, la Couronne ne détenait aucune preuve au sujet des mots qui avaient précédé ou suivi les propos entendus. Le juge Conrad a donné des exemples de mots qui auraient pu être prononcés avec ces déclarations et leur retirer tout caractère nuisible. Plutôt que de constituer un aveu de culpabilité, celles-ci, dans ces conditions, ne présentaient aucun caractère probant, peu importe le fait en litige envisagé. Le juge a fait ressortir que les phrases entendues s’inscrivaient dans un contexte verbal mais qu’aucune preuve n’avait été présentée concernant la teneur de ce contexte. Face à cette situation, a conclu le juge Conrad, un jury qui aurait reçu les directives appropriées ne pouvait, en se penchant sur la déclaration fragmentée qui avait été entendue, déterminer ni la teneur de l’ensemble de la pensée alors formulée, ni la signification des mots captés eux-mêmes. De ce fait, a poursuivi le juge, ces mots ne pouvaient être probants relativement à un fait en litige, de sorte qu’ils étaient dépourvus de pertinence et inadmissibles.

[17] Le juge Conrad a poursuivi ses conclusions. Étant donné que la déclaration [TRADUCTION] « j’ai tué David » n’avait pas de valeur probante (la Cour ne connaissant pas les mots avoisinants) et qu’elle était extrêmement préjudicielle, il fallait choisir de l’exclure. Pour le juge, ce motif commandait, lui aussi, la conclusion que les paroles entendues n’auraient jamais dû être admises.

[18] La Cour suprême du Canada a rejeté le pourvoi interjeté de ce jugement. Les motifs du tribunal ont été énoncés par le juge Sopinka, qui exprime ce qui suit :

À notre avis, quant à la preuve selon laquelle on a entendu l’intimé dire [TRADUCTION] « J’ai tué David », si elle avait eu quelque pertinence que ce soit, en raison des circonstances exposées complètement par le juge Conrad [publiée à (1994), 27 C.R. (4th) 141 (Cour d’appel de l’Alberta)], sa signification était si conjecturale et sa valeur probante si faible que le juge du procès aurait dû l’exclure pour le motif que son effet préjudiciable l’emportait sur sa valeur probante.

 En conséquence, le pourvoi est rejeté.

[19] À mon sens, le juge Sopinka fonde son raisonnement sur le rôle important que le contexte peut jouer lorsqu’il s’agit de donner une signification à des paroles prononcées. Lorsqu’on sait qu’une déclaration qui a été entendue comprend un contexte verbal qui lui, est inconnu, il peut être impossible d’en connaître la signification ou de conclure par ailleurs que les paroles visées représentent une pensée complète, indépendamment de la question du contexte. Même en considérant que les mots entendus ont quelque pertinence, lorsque leur signification est conjecturale, de sorte que leur valeur probante est ténue, mais que, par contre, leur effet préjudiciable est important, ces mots doivent être écartés.

[20] Si les principes qui découlent de Ferris sont appliqués à la présente affaire, le témoignage visé doit, à mon sens, être exclu de la preuve. La déclaration entendue serait pertinente seulement si elle pouvait être considérée comme un aveu de l’appelant qu’il détenait une arme. En l’espèce, comme dans Ferris, le juge du procès a conclu que la déclaration entendue dans la présente affaire avait un contexte verbal, qui était inconnu, et qu’elle faisait partie d’une déclaration plus complète. Une telle déclaration aurait pu, par exemple, prendre l’une ou l’autre des formes suivante : [ TRADUCTION ] « Je pourrais dire que j’avais une arme mais que je ne l’ai pas braquée; sauf que je ne le dirai pas parce que c’est faux. » ou [ TRADUCTION ] « Qu’arrive-t-il si le jury conclut que j’avais une arme mais que je ne l’ai pas braquée? S’agit-il d’un cas de voies de faits graves? » Aucune de ces déclarations ne constituerait un aveu. En réalité, à la lumière du raisonnement tenu par le juge du procès, il aurait très bien pu prendre une conclusion différente si ces possibilités avaient été portées à son attention.

[21] À mon sens, privé des mots avoisinants, un jury ayant reçu les directives appropriées serait dans l’impossibilité de conclure que la déclaration entendue était un aveu ou même de tirer quelque conclusion quant à sa signification. Il est clair que sa signification demeure très conjecturale. Le juge des faits serait obligé de deviner les mots qui précédaient et qui suivaient la déclaration pour réussir à lui attacher un sens. La signification de la déclaration est très conjecturale; et, cela va de pair, sa valeur probante est ténue. Cela dit, l’effet préjudiciable d’un tel élément de preuve est, de toute évidence, important. Si l’on soupèse les valeurs qui sont en jeu, il est clair que la déclaration doit être exclue. Une telle déclaration a été rejetée dans Ferris, et le résultat aurait dû être le même dans la présente affaire.

[22] Je conclurais donc que le juge du procès a commis une erreur en admettant la déclaration de l’appelant qui avait été entendue. Cette conclusion me dispense de décider si le juge a aussi commis une erreur en concluant que la déclaration n’était pas protégée par le secret professionnel avocat-client.

 [23] Selon la Couronne, même si l’on considère que la déclaration entendue a été admise par erreur, cette conclusion n’a entraîné ni tort important ni déni de justice. Je ne suis pas de cet avis. La Couronne qualifie l’élément de preuve visé de très critique. En outre, la seule particularité importante du premier procès est la non-présentation de cet élément de preuve par la Couronne, et le résultat de ce procès est un jury dans l’impasse et un procès nul. Je ne crois pas qu’on puisse dire que, sans cet élément de preuve, le verdict aurait nécessairement été le même.

[24] Il est un deuxième motif d’appel dont je me propose de traiter. Selon l’appelant, dans deux passages de son exposé au jury, le juge du procès a, de façon inadmissible, porté atteinte à son droit de garder le silence. Je suis d’accord. En passant en revue les éléments de preuve soumis à l’appréciation du jury, le juge du procès a déclaré ce qui suit :

[TRADUCTION]

L’accusé a soutenu qu’il n’avait jamais été informé de ses droits sur les lieux de l’incident. Vous l’avez aussi entendu dire que ce n’était pas la première fois qu’il se faisait arrêter. Si vous avez déjà été arrêté, que vous marchez et que vous arrivez à la rue Bloor, et que vous n’ayez rien à vous reprocher, vous devriez, logiquement, vous poser la question : [TRADUCTION] « Pourquoi est-ce que je me fais arrêter? » Vous voudriez peut-être vous la poser. On vous a indiqué la distance parcourue au long de la ruelle jusqu’à la rue Marguerita et de la distance à marcher à partir de la rue Marguerita pour revenir au restaurant Luckey’s. Si vous n’avez rien à vous reprocher et que vous avez déjà été capturé et arrêté, vous pourriez dire : [TRADUCTION] « Pourquoi m’arrêtez-vous? » Vous pourriez poser cette question. Il a déclaré que rien n’avait été dit à cet effet : [TRADUCTION ] « Robinson ne m’a pas dit pourquoi je me faisais arrêter. » [italiques de l’auteur]

[25] Plus tard, dans la même partie de son exposé, le juge du procès réitère cette réflexion :

[ TRADUCTION ]

Je vous dis ce que vous pouviez vous demander lorsque vous vous dirigiez vers la rue Bloor. Si vous n’aviez rien à vous reprocher, pourquoi ne pas demander : [TRADUCTION] « Pourquoi est-ce que je me fais arrêter?»

[26] À mon sens, il s’agissait d’une erreur. Cette déclaration touche toutefois une autre question, bien délimitée. Axée sur la crédibilité de l’appelant, elle consiste à savoir s’il a été informé ou non de ses droits et s’il a fait ou non la déclaration qui lui a été attribuée. Aux fins de cette question, il était peut-être acceptable de tenir compte de son admission qu’il n’avait pas demandé pourquoi il se faisait arrêter. Le juge du procès n’ayant pas limité l’utilisation d’un tel élément de preuve à cette question précise, j’estime que toute conclusion définitive sur cette question serait inutile. L’omission de demander la raison de son arrestation ne pouvait être considérée comme une preuve positive de sa culpabilité. À plus forte raison lorsque le fondement d’une telle appréciation est que, s’il avait été innocent, il aurait demandé pourquoi il se faisait arrêter. À la suite de son arrestation, l’appelant n’était pas tenu de parler. Dans ses observations, le juge du procès a expressément incité le jury à interpréter l’exercice du droit au silence comme un indice d’une conscience coupable chez l’appelant.

[27] En outre, examinées dans leur ensemble, les directives qui ont été lues ne comportent aucun élément qui puisse être considéré comme neutralisant cette erreur. La Couronne cite un passage antérieur des directives au jury. Dans ce passage, le juge du procès indique aux jurés qu’ils ne doivent pas tirer de conclusion défavorable du fait que, à la fin d’un interrogatoire tenu subséquemment, au poste de police, par le détective Pasini, l’appelant avait déclaré qu’il ne voulait plus répondre aux questions. Il est vrai que le juge du procès a alors informé le jury que l’appelant n’était pas tenu de parler; cela dit, cette directive avait une portée étroite, ne visant que la preuve se rapportant aux paroles que l’appelant avait prononcées à la fin de son interrogatoire avec le détective Pasini. À mon avis, cette directive ne suffisait pas à écarter la suggestion, implicitement communiquée au jury par le juge du procès lui-même, selon laquelle, si l’appelant avait été innocent, il aurait demandé pourquoi il se faisait arrêter.

[28] Résumons-nous. En raison des erreurs commises en admettant la déclaration de l’appelant entendue par M. DiCecco et en invitant à une atteinte au droit de l’appelant de garder le silence, le verdict de culpabilité doit être annulé.

[29] Pour décider s’il y a lieu d’ordonner la tenue d’un nouveau procès ou d’imposer un arrêt des procédures en vertu du par. 24(1) de la Charte, nous devons tenir compte des facteurs suivants :

(1) Si un nouveau procès était ordonné, l’appelant en serait à son cinquième procès concernant les allégations en l’espèce. Dans R. c. Jack, 1997 CanLII 356 (S.C.C.), (1997), 117 C.C.C. (3d) 43, [1997] 2 R.C.S. 334 (C.S.C.), la Cour suprême du Canada a approuvé une déclaration de la Cour d’appel du Manitoba concernant une telle situation. Suivant cette déclaration, il existe effectivement très peu de cas où, en exposant quelqu’un à une accusation grave pour une quatrième fois, l’on ne violerait pas l’art. 7 de la Charte et l’on ne commettrait pas un abus de procédure suffisant à justifier un arrêt des procédures sous le régime du par. 24(1) de la Charte. À mon avis, rien ne nous justifie de classer la présente affaire dans cette catégorie très limitée.

(2) La preuve à charge n’était pas écrasante. L’impasse dans laquelle s’est trouvé le premier jury le prouve. La preuve à charge reposait largement sur les témoignages des trois policiers en civil. Cela dit, ces témoignages comportaient les éléments de preuve suivants : ils avaient poursuivi un homme armé sans demander de renfort; l’agent visé par un coup de feu n’en avait pas informé les autres; et l’agent qui avait finalement réussi à approcher l’appelant et à l’attraper n’avait ni sorti son arme ni mentionné, dans ses notes, que l’appelant détenait une arme. Mis à part l’élément de preuve contesté se rapportant à la déclaration qui aurait été entendue, la Couronne n’avait presque rien d’autre pour appuyer ses affirmations.

(3) L’appelant a passé presque sept mois en détention avant son procès. Il a aussi purgé une peine d’emprisonnement de plus de trois ans et demi depuis le prononcé de sa sentence, qui a eu lieu le 30 octobre 1997.

(4) Lors de l’audition du présent appel, quelqu’un a soulevé la question de savoir si selon ces faits, il était plus approprié de porter l’accusation ― moins grave ― d’agression armée plutôt que celle des voies de fait graves (mise en danger de la vie). Qu’il suffise de dire que, à la lumière des faits présentés dans la présente affaire, j’ai de sérieuses réserves quant à la possibilité d’y établir les éléments d’une accusation de voies de fait graves : R. v. Melargni (1992), 25 C.C.C. (3d) 546 (C. Ont., (Div. gén.)), à la page 552.

[30] Compte tenu de l’ensemble des circonstances ci-dessus, je suis d’avis que, si un cinquième procès était imposé à l’appelant, il en résulterait un abus de procédures justifiant l’arrêt des procédures engagées contre lui.

[31] En résumé, pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis d’accueillir l’appel, d’annuler la déclaration de culpabilité et d’imposer un arrêt des procédures.

Motifs prononcés le 21 juin 2001 « M.R. »

 « S.T. Goudge, J.C.A. »

 [ TRADUCTION ] « Je souscris aux motifs ci-dessus. M. Rosenberg, J.C.A. »

 [ TRADUCTION ] « Je souscris aux motifs ci-dessus. M.J. Moldaver, J.C.A. »