Kealey c. Berezowski (1996), 30 O.R. (3d) 37 (Ct. J.(Div. gén.))

  • Dossier :
  • Date : 2024

Kealey v. Berezowski (1996) 30 O.R. (3d) 37

Cour de l’Ontario (Division générale)

La juge Lax  Le 21 juillet 1996 

Responsabilité – Dommages-intérêts – Faute professionnelle médicale – Stérilisation ratée – Grossesse non désirée – Naissance d’un enfant sain – Les demandeurs ont les moyens d’élever l’enfant – Après le choc initial de la grossesse, ils accueillent la naissance du troisième enfant positivement – Les demandeurs poursuivent la défenderesse en dommages-intérêts pour la grossesse non désirée – La mère a droit à des dommages généraux pour la stérilisation qui a échoué, la grossesse, l’accouchement et la nécessité de subir une autre ligature des trompes – Les demandeurs ont droit à des dommages au titre de la perte de revenu – Les demandeurs n’ont pas droit à des dommages au chapitre de l’éducation de l’enfant

Les demandeurs, parents de deux enfants en santé, décident de ne plus avoir d’enfant. La demanderesse s’adresse à la défenderesse pour une ligature des trompes. La stérilisation est un échec. Les demandeurs refusent l’avortement ou l’adoption. Après le choc initial de la grossesse, les demandeurs accueillent la naissance d’un autre enfant positivement.

L’enfant est sain et les demandeurs ont les moyens de subvenir à ses besoins. Ils poursuivent la défenderesse en dommages-intérêts, réclamant notamment les frais qu’ils devront encourir pour élever l’enfant.

Arrêt : L’action des demandeurs est accueillie.

L’action est une action pour « grossesse non désirée » (wrongfull pregnancy), les parents alléguant que la faute de la défenderesse a causé une grossesse et une naissance non désirées. L’action n’est pas une action pour « naissance d’un enfant handicapé » (wrongfull birth), où un enfant naît avec des malformations congénitales à la suite d’une grossesse planifiée, ni une action pour « naissance non désirée » (wrongfull life), où un enfant naît avec des malformations congénitales après que le médecin a fautivement privé les parents de la possibilité de mettre fin à la grossesse.

Les tribunaux canadiens, britanniques et américains semblent avoir retenu trois principales solutions pour la réparation du préjudice découlant d’une grossesse non désirée : (1) « la réparation intégrale» de tous les dommages raisonnablement prévisibles, conformément aux règles ordinaires de la responsabilité délictuelle; (2) la solution dite de « la réparation avec compensation » selon laquelle, d’une part, les parents reçoivent réparation pour les frais engagés pour la grossesse, l’accouchement et les dépenses engagées pour élever l’enfant et, d’autre part, le préjudice qui précède est compensé par les avantages qu’apportent normalement aux parents la naissance d’un enfant et le fait de l’élever; et (3) la solution dite de « la réparation limitée », selon laquelle le préjudice lié à la grossesse et à l’accouchement donne lieu à réparation, sans toutefois que n’y donnent lieu les frais à encourir pour élever l’enfant.

L’intérêt public peut aussi bien dicter que proscrire le recouvrement des frais à engager pour élever l’enfant.

Sur le plan du droit de la responsabilité délictuelle, une action fondée sur une grossesse non désirée se trouve à la frontière des principes sur la responsabilité et des principes sur les dommages-intérêts. Sur le plan des difficultés juridiques soulevées, l’action est comparable à une action se rapportant à un préjudice purement financier. En effet, les coûts visés par la demandes ne découlent pas d’un préjudice physique de l’enfant, mais de dépenses à effectuer. Si l’on applique l’approche de la réparation intégrale à une action pour grossesse non désirée, et le principe voulant que l’auteur du délit acquitte toutes les dépenses occasionnées au demandeur par le délit, le recouvrement des frais à engager pour élever l’enfant est logiquement nécessaire. Une telle approche tient toutefois pour acquis que la naissance d’un enfant sain peut constituer un préjudice, et elle confond les principes sur le recouvrement pour les délits et les principes régissant l’évaluation des dommages-intérêts.

En l’espèce, il est difficile de caractériser la naissance de l’enfant de préjudice. Un examen de la jurisprudence indique que des dommages-intérêts sont généralement accordés dans les cas où la naissance d’un enfant a effectivement causé un préjudice, notamment lorsque la demande de stérilisation partait de motifs financiers. Dans une action fondée sur une grossesse non désirée, il faut se demander dans quelle mesure la faute du défendeur a porté atteinte à la capacité des demandeurs d’assumer leurs responsabilités à l’égard de l’enfant non désiré ou a compromis les rapports de soutien mutuel qui existent entre les parents et l’enfant. Une telle approche tient compte des faits particuliers de l’affaire et appelle le tribunal à déterminer aussi précisément que possible si la stérilisation qui a échoué a causé un préjudice réel. La naissance en soi ne permet pas de conclure à un préjudice.

Il est établi que la défenderesse a commis une faute. La demanderesse est en droit de recevoir 30 000 $ à titre de dommages-intérêts généraux. Les demandeurs ont droit à des dommages-intérêts pour leur perte de revenu ainsi qu’aux dommages-intérêts spéciaux qui ont été convenus, mais ils n’ont pas droit à des dommages-intérêts pour les dépenses à engager pour élever l’enfant.

Jurisprudence mentionnée

Allen c. Bloomsbury Health Authority, [1993] 1 All E.R. 651 (Q.B.); Arndt c. Smith (1995), 6 B.C.L.R. (3d) 201, 126 D.L.R. (4th) 705, [1995] 7 W.W.R. 378, 25 C.C.L.T. (2d) 262 (C.A.), infirmant (1994), 93 B.C.L.R. (2d) 220, [1994] 8 W.W.R. 568, 21 C.C.L.T. (2d) 66 (C.S.); Bakht c. Registration Committee of College of Physicians and Surgeons of Ontario (1979), 25 O.R. (2d) 239 (C. div.); Beardsley c. Wierdsma, 650 P.2d 288 (Wyo., 1982); Biggs c. Richter, no de dossier 220544/84, C. Dist. Ont., 23 octobre 1989; Booker c. Harper, [1996] O.J. no 955 (Div. gén.); Burke c. Rivo, 406 Mass. 764, 551 N.E.2d 1 (Mass., 1990); Caparo Industries plc. c. Dickman, [1990] 1 All E.R. 568 (C. des L.); Cataford c. Moreau, (1978), 114 D.L.R. (3d) 585, 7 C.C.L.T. 241 (C.S. Qué.); Cherry (Guardian ad litem) c. Borsman (1990), 75 D.L.R. (4th) 668, 5 C.C.L.T. (2d) 243 (C.S. C.-B.), motifs supplémentaires à (1991), 75 D.L.R. (4th) 668, à la p. 720, 5 C.C.L.T. 243, à la p. 298, (C.S. B-C.) modifié par (1992), 70 B.C.L.R (2d) 273, 94 D.L.R. (4th) 487, [1992] 6 W.W.R. 701, 12 C.C.L.T. (2d) 137 (C.A. C.-B.); Christensen c. Thornby, 192 Min.. 123, 255 N.W. 620 (1934);Cockrum c. Baumgartner, 95 Ill.2d 193, 447 N.E.2d 385 (1983); Consumers Gas Co. c. Ville de Peterborough, [1981] 2 R.C.S. 613, 129 D.L.R. (3d) 507, 40 N.R. 425, 18 C.C.L.T. 258; Cryderman c. Ringrose, [1978] 3 W.W.R. 481, 89 D.L.R. (3d) 82 (C.A. Alb.); Custodio c. Bauer, 251 Cal. App. 2d 303, 59 Cal. Rptr. 463 (1967); Doiron c. Orr (1978), 20 O.R. (2d) 71, 86 D.L.R. (3d) 719 (H.C.J.); Emeh c. Kensington & Chelsea & Westminster Area Health Authority, [1984] 3 All E.R. 1044, [1985] Q.B. 1012, [1985] 2 W.L.R. 233, 128 Sol. Jo. 705 (C.A.); Freeman c. Sutter, [1996] 4 W.W.R. 748, (1996), 110 Man. R. (2d) 23,118 W.A.C. 23, 45 C.P.C.(3d) 371 (C.A.); Girdley c. Coats, 825 S.W.2d 295 (Mo., 1992); Godwin c. Bolsco (1993), 45 R.F.L. (3d) 310 (C. Ont. Div. prov.), conf. par (1995), 20 R.F.L. (4th) 66 (C.A.); Grey c. Webster (1984), 14 D.L.R. (4th) 706, 57 R.N.B. (2d) 396, 148 A.P.R. 396 (C.B.R.); Hartke c. McKelway, 707 F.2d 1544 (D.C. Circ., 1983); Jones c. Malinowski, 299 Md. 257, à la p. 270, 473 A.2d 429, à la p. 436 (1984); Keats c. Pearce (1984), 48 Nfld. & P.E.I.R. 102, 142 A.P.R. 102 (Tribunal de première instance de T.-N.); Lovelace Medical Center c. Mendez, 805 P.2d 603 (N.M. 1991); Mason c. Peters (1982), 39 O.R. (2d) 27, 139 D.L.R. (3d) 104, 22 C.C.L.T. 21 (C.A.); Mason c. Western Pennsylvania Hospital, 499 Pa. 484, 453 A.2d 974 (Pa. Super., 1982); McKernan c. Aasheim, 102 Wash. 2d 411, 687 P.2d 850 (1984); Ochs c. Borrelli, 187 Conn. 253, 445 A.2d 883 (Conn., 1982); Paling c. Mander, [1993] O.J. no 1205 (Div. gén.); R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30, 63 O.R. (2d) 281, 26 O.A.C. 1, 44 D.L.R. (4th) 385, 82 N.R. 1, 31 C.R.R. 1, 37 C.C.C. (3d) 449, 62 C.R. (3d) 1; Ratych c. Bloomer, [1990] 1 R.C.S. 940, à la p. 962, 39 O.A.C. 103, 69 D.L.R. (4th) 25, 107 N.R. 335, 30 C.C.E.L. 161, 3 C.C.L.T. (2d) 1, 73 O.R. (2d) 448n; Rieck c. Medical Protective Co. of Fort Wayne, Ind., 64 Wis. 2d 514, 219 N.W. 2d 242 (1974); Rinard c. Biczak, 177 Mich. App. 287, 441 N.W.2d 441 (1989);Shaheen c. Knight, 6 Lycombing R. 19, 11 Pa. D. & C. 2d 41 (1957); Sherlock c. Stillwater Clinic, 260 N.W.2d 169, à la p. 170 (Minn., 1977); Stills c. Gratton, 55 Cal. App. 3d 698, 127 Cal. Rptr. 652 (1976); Suite c. Cooke, [1995] R.J.Q. 2765, [1995] A.Q. no 696 (C.A.); Terrell c. Garcia, 498 S.W.2d 124 (C.A. Tex., 1973); Thake c. Maurice, [1984] 2 All E.R. 513 (Q.B.), confirmé par [1986] 1 All E. R. 497 (C.A.); Tremblay c. Daigle, [1989] 2 R.C.S. 530, 27 Q.A.C. 81, 62 D.L.R. (4th) 634, 102 N.R. 81; Troppi c. Scarf, 31 Mich. App. 240, 187 N.W.2d 511 (Mich. Ct. App., 1971);Turpin c. Sortini, 119 Cal. App. 3d 690, 174 Cal. Rptr. 128 (1981); inf. par 31 Cal. 3d 220, 643 P.2d 954, 182 Cal. Rptr. 337 (1982); Udale c. Bloomsbury Area Health Authority, [1983] 2 All E.R. 522, [1983] 1 W.L.R. 1098, 127 Sol. Jo. 510 (Q.B.); University of Arizona c. Superior Court, 136 Ariz. 579, à la p. 585, 667 P.2d 1294, à la p. 1300 (1983); Walkin c. South Manchester Health Authority, [1995] 4 All E.R. 132, à la p. 139 (C.A.); Watkins c. Olafson, [1989] 2 R.C.S. 750, à la p. 764, 765, 29 B.C.L.R. (2d) 294, 61 Man. R. (2d) 81, 61 D.L.R. (4th) 577, 100 N.R. 161, [1989] 6 W.W.R. 481, 50 C.C.L.T. 101; Wilber c. Kerr, 275 Ark. 239, 628 S.W.2d 568 (Ark., 1982); Wilczynski c. Goodman, 73 Ill. App. 3d 51, 391 N.E.2d 479 (1979)

Lois mentionnées Code criminel, S.R.C. 1985, c.Ç-46, art. 215Loi sur le droit de la famille, L.R.O. 1990, c. F3, articles 31 et 32, alinéa 61(2)e)

Doctrine mentionnée

Bickenbach, J.E,, « Damages for Wrongful Conception : Doiron c. Orr » (1979-1990), 17 U.W.O.L. Revendicatrice. 493Chapman, B., « Limited Auditor’s Liability ; Economic Analysis and the Theory of Tort Law » (1992), 20 Canada. Bus. L. J. 180, aux pages 208 à 214Douthitt, R.A., and Fedyk, J., « The Cost of Raising Children in Canada » (Markham: Butterworth, 1990)Scheid, J.D., « Benefits vs Burdens : The Limitations of Damages in Wrongful Birth » (1984-1985), 23 J.Fam Law 57, aux pages 59 et 60« Social Infopac Study », Social Planning Council of Metropolitan Toronto, vol. 11, no 2 avril 1992Waddams, S.M., « The Law of Damages » 2ième éd. (Aurora : Canada Law Book, 1995), par. 14.420

 

Version française du jugement rendu par

La juge Lax : La présente affaire soulève une question nouvelle. Il s’agit de déterminer l’étendue du préjudice juridiquement réparable en cas de grossesse non désirée (wrongful pregnancy). Les faits sont simples. Kimberley et Kevin Kealey sont les parents de trois filles en bonne santé : Brittany, Megan et Ashley. En 1991, Brittany avait quatre ans et Megan deux ans. M. et Mme Kealey étaient satisfaits d’avoir deux enfants et n’en voulaient pas d’autres. Plus précisément, Mme Kealey ne souhaitait pas vivre une autre grossesse. Son médecin de famille l’a, à sa demande, référée à la docteure Berezowski, défenderesse dans la présente action, qui a procédé à la stérilisation de Mme Kealey en juillet 1991. Cette intervention est décrite comme une ligature des trompes. L’intervention n’a pas donné les résultats escomptés et, en septembre 1992, Mme Kealey a donné naissance à une troisième fille. Ashley est une enfant normale, en bonne santé et très aimée par ses parents. Les Kealey ont néanmoins intenté la présente action (ils se sont désistés de l’action formée contre l’hôpital) dans laquelle ils soutiennent que la Dre Berezowski a commis une faute dans l’exécution de la ligature des trompes. Ils demandent des dommages-intérêts, notamment une indemnité pour les frais d’entretien de Ashley.

Dans Doiron c. Orr (1978), 20 O.R. (2d) 71, 86 D.L.R. (3d) 719 (H.C.J.), une demande semblable a été présentée et le tribunal, en obiter, l’avait rejetée en la qualifiant de «grotesque». Dans cette affaire, le tribunal avait jugé que la grossesse de la demanderesse n’était pas la conséquence de la faute du médecin. J’en suis arrivé en l’espèce à la conclusion que la Dre Berezowski a commis une faute et que les demandeurs ont droit à des dommages-intérêts que j’évalue à 40 094,03 $. J’ai conclu pour des motifs autres que ceux mis de l’avant par le juge Garrett dans Doiron que les frais d’entretien d’Ashley ne constituent pas un préjudice juridiquement réparable.

LA RESPONSABILITÉ

La méthode du clip de Filshie

La méthode utilisée pour effectuer la ligature des trompes sur Mme Kealey a été celle du clip de Filshie. Selon cette méthode, le patient est mis sous anesthésie générale et le chirurgien effectue deux incisions dans la paroi de l’abdomen. Il procède ensuite à l’insufflation de l’abdomen avec du gaz carbonique et à l’insertion d’un trocart et d’un laparoscope. Le laparoscope ressemble à une caméra télescopique et permet au chirurgien d’examiner le contenu de l’abdomen. L’applicateur de clip de Filshie est ensuite introduit dans l’autre incision. Selon la preuve médicale, cette intervention, pour réussir, doit comprendre les étapes suivantes :

(1) L’organe visé, dans ce cas la trompe de Fallope, est repéré grâce au laparoscope.

(2) La trompe de Fallope est placée à l’intérieur de l’applicateur du clip de Filshie et le chirurgien suit la trompe jusqu’à la frange ovarienne.

(3) L’applicateur du clip de Filshie est ensuite déplacé le long de la trompe jusqu’à ce qu’il arrive à l’endroit où il faut placer le clip. Il existe certaines divergences sur l’emplacement exact où il convient de placer le clip mais la plupart des chirurgiens posent le clip sur l’isthme de la trompe utérine, sa partie la plus étroite.

(4) Le chirurgien exerce une pression sur l’applicateur pour le mettre en position demi fermée et il s’assure que le clip de Filshie entoure bien complètement la trompe.

(5) Il exerce ensuite une pression plus forte pour fermer l’applicateur, ce qui a pour effet de libérer le clip.

(6) Après l’occlusion de la trompe, le chirurgien suit celle-ci jusqu’à son extrémité frangée pour s’assurer que le clip a bien été placé sur l’organe visé.

On répète ensuite les mêmes étapes sur l’autre trompe de Fallope. L’occlusion des deux trompes prend environ une dizaine de minutes.

Lorsque les clips de Filshie sont correctement mis en place, l’irrigation sanguine de cette partie de la trompe est bloquée, ce qui entraîne une nécrose. Dans la plupart des cas, les deux parties de la trompe s’écartent, les extrémités s’aplatissent et le clip demeure fixé à une extrémité du tissu fantôme.

La méthode du clip de Filshie connaît, comme toutes les méthodes de stérilisation, un certain taux d’échec. Ces échecs sont causés soit par une erreur dans la méthode suivie soit par une erreur du chirurgien. Les erreurs imputables à la méthode, qui représentent environ un tiers des échecs, sont causées par un défaut mécanique du clip ou de l’applicateur ou par la formation d’une fistule. Les échecs dus à des causes mécaniques surviennent lorsque le clip se ferme mal ou est mal aligné. Une fistule est une ouverture microscopique que l’on ne peut discerner à l’oeil nu. Les échecs peuvent également s’expliquer par le phénomène naturel de la reperméabilisation de la trompe qui peut être à l’origine d’une grossesse. Dans ce cas, il y a bien eu occlusion de la trompe, mais les deux extrémités sectionnées se sont réabouchées spontanément.

La plupart des échecs rencontrés avec la méthode du clip de Filshie sont dus à une erreur du chirurgien. Cela arrive habituellement soit parce que ce dernier n’a pas repéré correctement l’organe concerné, soit parce que le clip est mis en place sans entourer complètement la trompe. Comme l’intervention vise à occlure les deux trompes de Fallope, c’est ce qui doit être fait pour que l’opération réussisse. S’il y a grossesse malgré l’occlusion des trompes, la norme de conduite applicable en cette matière a néanmoins été respectée. En l’espèce, il n’est pas contesté que si la grossesse de Mme Kealey a été causée par un échec dû à la méthode ou à une reperméabilisation de la trompe, la défenderesse n’est aucunement responsable. Il n’est pas non plus contesté que la Dre Berezowski a correctement exécuté l’intervention sur la trompe de Fallope gauche. Il s’agit de savoir si la ligature de la trompe droite a été faite conformément à la méthode décrite ci-dessus et si elle satisfait à la norme de conduite applicable.

Théories de la demande et de la défense

Il est impossible de déterminer de façon concluante pourquoi Mme Kealey est tombée enceinte une troisième fois et les éléments de preuve médicale présentés sont contradictoires. Plusieurs explications ont été avancées. Selon la théorie des demandeurs, la Dre Berezowski n’a pas repéré correctement la trompe de Fallope droite et soit qu’elle ait posé par inadvertance le clip de Filshie sur un organe voisin appelé le ligament rond, soit qu’elle ait posé le clip en même temps sur la trompe de Fallope droite et sur le ligament rond sans toutefois occlure complètement la trompe. La défenderesse, Dre Berezowski, prétend qu’elle a correctement posé le clip de Filshie sur la trompe de Fallope droite mais que le clip a glissé par la suite, peut-être sous la pression d’un repli du péritoine. On a également émis l’hypothèse que Mme Kealey était peut-être tombée enceinte en raison de l’apparition d’une fistule sur la trompe de Fallope droite ou gauche ou à cause d’un défaut mécanique du clip ou de l’applicateur. Selon une dernière théorie, le clip aurait effectivement sectionné la trompe droite de Fallope mais il y aurait eu reperméabilisation.

Application des faits aux théories

Les témoins

Quatre médecins ont témoigné : la Dre Berezowski, la Dre Usher-Owen (qui a effectué la deuxième stérilisation), le Dr A.M. Addison, qui a témoigné à titre d’expert pour le compte des demandeurs et le Dr H.H. Allen qui a témoigné au même titre pour la défenderesse. Ni le Dr Addison ni le Dr Allen n’ont eu la possibilité d’examiner la demanderesse et ils ont fondé leur témoignage sur les faits tels qu’ils ressortent des dossiers médicaux ainsi que sur leur connaissance de la méthode du clip de Filshie. La Dre Berezowski n’a aucun souvenir direct de l’opération qu’elle a effectuée sur Mme Kealey le 16 juillet 1991. Elle a fondé son témoignage sur son compte rendu opératoire et sur sa façon habituelle de procéder. La Dre Usher-Owen a fondé son témoignage, en partie, sur les observations qu’elle a effectuées au moment de la deuxième stérilisation et, en partie, sur son souvenir des constatations qu’elle a faites à l’époque. Enfin, le souvenir que Mme Kealey a conservé des conversations qu’elle a eues avec les deux médecins qu’elle a consultées offre une certaine utilité pour évaluer les dossiers et les comptes rendus médicaux ainsi que les souvenirs et les explications des médecins.

Les rapports opératoires

Tous les médecins conviennent que le rapport opératoire de la Dre Berezowski daté du 16 juillet 1991, qui a été probablement dicté immédiatement après l’opération, fait état d’une ligature des trompes exécutée conformément à la norme de conduite. Le rapport mentionne que les clips ont été « fixés au milieu » de chacune des trompes mais la Dre Berezowski a déclaré qu’elle plaçait toujours le clip sur l’isthme de la trompe, à environ trois ou quatre centimètres des cornes de l’utérus. Le ligament rond est un organe fibromusculaire proche de l’isthme de la trompe de Fallope. La trompe de Fallope est plus mince et rubanée, elle possède un caractère distinctif, savoir des extrémités frangées, mais ces deux organes sont néanmoins à peu près de la même couleur, et à peu près du même diamètre à l’isthme de la trompe. Tous les médecins s’entendent pour dire que, si la Dre Berezowski a placé le clip de Filshie par erreur sur le ligament rond ou n’a pas installé le clip de façon à ce qu’il entoure complètement la trompe de Fallope droite, elle ne s’est pas conformée à la norme de conduite applicable. Les notes de la Dre Usher-Owen traitent directement de cette question.

Mme Kealey a été référée à la Dre Usher-Owen par son médecin de famille, le Dr D. Emslie. Lorsque Mme Kealey a consulté la Dre Usher-Owen le 23 novembre 1992, elle lui a expressément demandé de tenter de déterminer les causes de l’échec de la première stérilisation. Dans une lettre envoyée au Dr Emslie écrite le même jour, la Dre Usher-Owen écrit :

J’ai vu Kimberley Kealey le 23 novembre. Kimberley est une jeune femme qui a subi une ligature des trompes au mois de juillet de l’année dernière. Il y a dû y avoir reperméabilisation car elle a réussi à concevoir en décembre…

Je vais examiner cela soigneusement au laparoscope et placer les clips près des cornes de l’utérus pour éviter un deuxième échec. Je vous ferai parvenir une copie du rapport opératoire.

Voici le passage pertinent du rapport opératoire de la Dre Usher-Owen :

Le laparoscope a été inséré et, à la visualisation, son utérus et ses ovaires étaient normaux. La trompe de Fallope droite était intacte et l’on pouvait voir le clip de Filshie sur le ligament rond situé de ce côté. Du côté gauche par contre, la trompe de Fallope était sectionnée à l’endroit où le clip avait été placé et l’on pouvait voir les parties aplaties de la trompe… Des clips de Filshie ont été placés sur la partie médiane de la trompe de Fallope droite. La trompe gauche était déjà sectionnée. Elle était manifestement ligaturée et c’est pourquoi il n’y a pas eu de clip de placé sur le côté gauche…

Les rapports opératoires de la Dre Berezowski et de la Dre Usher-Owen sont incompatibles. Dre Berezowski décrit une ligature des trompes apparemment bien exécutée, avec placement de clips sur les deux trompes. Dre Usher-Owen décrit une ligature de la trompe de Fallope gauche apparemment bien exécutée mais pas dans le cas de la trompe de Fallope droite. Comment expliquer que le clip qui devait être placé sur la trompe de Fallope droite se soit retrouvé sur le ligament rond?

Événements postopératoires

Immédiatement après l’intervention, la Dre Usher-Owen a fait un croquis pour pouvoir expliquer plus facilement à Mme Kealey ce qu’elle avait constaté à l’aide du laparoscope. Le croquis n’est pas exact sur le plan anatomique mais il montre la présence d’un clip « sur le ligament rond » et non sur la trompe de Fallope droite.

Mme Kealey a revu la Dre Usher-Owen pour une visite postopératoire le 12 janvier 1993. Voici le compte rendu de cette visite qu’a rédigé la Dre Usher-Owen :

Visite postopératoire :

La patiente est venue aujourd’hui pour une visite postopératoire. Elle a bien toléré l’examen et ne souffre d’aucun problème consécutif à l’intervention. Un examen a révélé que les deux incisions étaient bien cicatrisées.

Plan : J’ai passé en revue avec la patiente les constatations opératoires et je lui ai expliqué qu’il était facile de placer le clip de Filshie sur le ligament rond, en particulier après un accouchement parce que ces deux organes se ressemblent beaucoup. Je lui ai également expliqué qu’il est impossible de dire si le clip a été placé sur le ligament rond au moment de l’intervention ou si c’est le péritoine qui l’a fait glisser progressivement et s’il y a eu, en fait, reperméabilisation spontanée. La patiente connaissait déjà ces aspects puisque le chirurgien qui avait effectué la première opération les lui avait mentionnés à titre de complications possibles de l’intervention.

En fait, la Dre Berezowski n’a jamais mentionné à Mme Kealey que ces risques constituaient des complications possibles de l’intervention.

Quelques semaines après cette visite, la déclaration dans la présente instance a été déposée. La Dre Usher-Owen a déclaré au procès que, si elle avait su qu’on envisageait des poursuites, elle aurait détaillé davantage les observations faites au cours de l’intervention ainsi que le rapport rédigé à partir de ces observations. Il me paraît difficile de retenir cette affirmation. La Dre Usher-Owen savait que sa patiente voulait connaître les raisons de l’échec de la première ligature des trompes. La Dre Usher-Owen avait affirmé à Mme Kealey tout comme au Dr Emslie qu’elle tenterait de déterminer les causes de cet échec. Je crois qu’il faut tenir compte de cet aspect pour évaluer les explications que la Dre Usher-Owen a données par la suite de ce qu’elle dit avoir observé. En cas de contradiction ou de différence sur le plan des détails entre ces deux versions, je crois qu’il faut préférer ce qui a été noté peu après l’intervention.

J’estime également qu’il convient d’attacher une certaine importance au souvenir qu’a conservé Mme Kealey des explications qui lui ont été fournies au sujet de l’échec de l’intervention. Lorsqu’un médecin ne prend pas de notes, rien ne le motive spécialement à retenir en détail les conversations qu’il a avec ses patients. Il arrive que les patients comprennent mal les renseignements fournis par leur médecin au cours d’une visite ou d’une consultation mais il est probable que les patients se souviennent habituellement de l’essentiel de la conversation. Lorsque les souvenirs du patient sont confirmés par d’autres éléments de preuve, il n’existe aucune raison de les écarter.

Pendant que Mme Kealey était enceinte de Ashley, elle avait été référée à la Dre Berezowski pour des douleurs au côté droit. Après des examens effectués en juin 1992, on avait diagnostiqué, de façon provisoire, que ce problème découlait d’une déformation du ligament rond. Les éléments de preuve indiquent clairement que Mme Kealey et la Dre Berezowski ont parlé de planification familiale à cette époque, comme l’indique la lettre d’opinion envoyée par la Dre Berezowski au médecin de famille de Mme Kealey. Dans cette lettre, le Dre Berezowski émet l’hypothèse que la grossesse de Mme Kealey s’explique par une fistule de la trompe. Mme Kealey a témoigné que, lorsqu’elle a consulté la Dre Berezowski en juin 1992 pour ces problèmes, la Dre Berezowski lui a dit que la ligature des trompes n’avait pas donné le résultat escompté parce qu’elle avait peut-être «placé le clip autour du ligament rond et de la trompe, même si elle ne voyait pas comment elle aurait pu faire une telle chose». La Dre Berezowski a nié avoir fait cette déclaration à Mme Kealey et pense que Mme Kealey a mal compris ce qu’elles se sont dit au sujet de la déformation du ligament rond.

La Dre Usher-Owen a déclaré que, lorsque Mme Kealey l’a consultée le 23 novembre 1992, celle-ci lui avait dit qu’elle croyait que l’échec de l’opération était dû au fait que la Dre Berezowski avait placé le clip sur le ligament rond. Ni la Dre Berezowski ni la Dre Usher-Owen ne font référence à cet élément dans les lettres d’opinion qu’elles ont toutes deux envoyées au médecin de famille de Mme Kealey. Cela se passait bien sûr avant la deuxième stérilisation de novembre 1992. Après cette deuxième stérilisation, la Dre Usher-Owen a fourni à Mme Kealey des explications à l’aide du diagramme que j’ai mentionné plus haut. J’accepte le fait que ce diagramme était destiné à aider la patiente à comprendre les explications, mais il n’empêche que ce diagramme est compatible avec l’explication de l’échec de la stérilisation retenue par Mme Kealey, à savoir que le clip avait été placé sur le ligament rond droit et non sur la trompe de Fallope droite. L’explication retenue par Mme Kealey est également conforme aux observations faites par la Dre Usher-Owen le 25 novembre 1992.

La position du clip

Après que Mme Kealey fut allé la voir pour un examen postopératoire, la Dre Usher-Owen a ensuite entendu parlé de cette affaire au cours de l’hiver 1993 lorsque la déclaration de la présente action a été signifiée à la Dre Berezowski. Celle-ci a témoigné qu’elle avait communiqué par téléphone avec la Dre Usher-Owen pour s’informer des raisons de l’échec. D’après la Dre Berezowski, la Dre Usher-Owen lui a dit que la trompe de Fallope droite était intacte et que le clip se trouvait sur le mesosalpinx ou le mésentère de la trompe de Fallope. Aucun des deux médecins n’a consigné par écrit la teneur de cette conversation.

Il semblerait que la Dre Usher-Owen soit intervenue ensuite dans cette affaire en juillet 1994 lorsqu’elle a communiqué avec Me Kerr qui était un des avocats des Kealey. Elle a noté cette conversation téléphonique en ces termes :

Parlé avec M. Kerr de la position du ligament rond; j’ai reconnu que je n’étais pas en mesure de me rappeler avec exactitude une opération aussi éloignée. D’après mon souvenir, le clip se trouvait en partie sur le ligament rond et sur le mésentère de la trompe de Fallope.

La Dre Usher-Owen a eu une autre conversation téléphonique avec Me Kerr en novembre 1995. Elle a aussi noté cette conversation. La note décrit apparemment son souvenir de l’intervention pratiquée trois ans auparavant. Elle mentionne :

… en juillet 1994, je me fondais sur mes souvenirs qui, je crois, étaient exacts d’après lesquels le clip de Filshie était très proche du ligament rond droit, fixé au ligament large et au mésentère de la trompe de Fallope. Le clip était fermé et recouvert par le péritoine.

Au procès, elle a fourni d’autres détails au sujet de ce qu’elle avait déclaré sur la position du clip. Elle a décrit cette position de diverses façons, témoignant que le clip était « près du ligament rond », « en partie en travers du ligament rond », « n’entourait pas complètement le ligament rond » et « ne faisant pas le tour complet du ligament rond ». Toutes ces observations ont été effectuées à travers une mince membrane du péritoine qui, d’après ce qu’a déclaré la Dre Usher-Owen, revient à peu près à examiner un objet à travers des toiles d’araignée.

Les demandeurs soutiennent que les déclarations les plus fiables qu’a faites la Dre Usher-Owen sur la position du clip sont celles qui se trouvent dans son rapport opératoire du 25 novembre 1992 et dans son rapport d’étape du 12 janvier 1993. Je partage cet avis. Il ne m’apparaît pas crédible que les souvenirs qu’avait la Dre Usher-Owen de l’emplacement exact du clip aient pu se préciser avec le temps et devenir plus détaillés. D’après sa propre admission, telle que l’indique la note résumant sa conversation téléphonique avec Me Kerr en juillet 1994, elle a eu du mal à se souvenir de la position exacte du clip, à cause du temps écoulé depuis ses observations. Si son souvenir de ce qui s’est passé en juillet 1994 était vague, il est fort peu probable que son souvenir se soit précisé huit mois après l’intervention chirurgicale, à moins qu’elle n’ait eu une raison particulière de s’en rappeler. Elle n’a mentionné aucun motif particulier sinon qu’elle ne savait pas à l’époque qu’on envisageait une poursuite. Je ne crois pas que la Dre Usher-Owen aurait rédigé un rapport opératoire plus détaillé si elle avait connu ce fait. J’admets qu’un rapport opératoire vise à consigner des renseignements médicaux plutôt que juridiques mais la Dre Usher-Owen savait en novembre 1992 qu’elle devait déterminer les causes de l’échec de l’intervention pratiquée sur Mme Kealey et de la grossesse subséquente, et faire rapport à ce sujet au Dr Emslie et à sa patiente. Il me semble que le rapport opératoire du 25 novembre 1992 qu’elle a accepté de transmettre au Dr Emslie et les notes prises lors de la consultation du 12 janvier 1993 ont été rédigés dans cette optique. D’après ces documents, la ligature des trompes a échoué parce que la trompe de Fallope droite était intacte. Elle était intacte parce que le clip de Filshie ne se trouvait pas sur la trompe mais sur le ligament rond. Faut-il en déduire que la Dre Berezowski a placé le clip de Filshie sur le ligament rond? Pour répondre à cette question, il faut examiner deux autres aspects du témoignage de la Dre Usher-Owen, à savoir, le clip était-il fermé et y avait-il des «marques» sur la trompe de Fallope droite.

Le clip était-il fermé?

D’après les preuves médicales, un clip ne peut s’ouvrir seul lorsqu’il a correctement été fermé et il ne peut pas non plus passer d’un organe à un autre. Le rapport opératoire de la Dre Usher-Owen ne mentionne pas si le clip se trouvait en position fermée ou ouverte. Le fait qu’elle ait omis de mentionner ce fait dans son rapport n’a pas, d’après moi, la même importance que le fait qu’elle y ait indiqué avoir constaté que le clip se trouvait « sur le ligament rond ». Que le clip soit en position ouverte ou fermée est un élément plus important sur le plan juridique que sur le plan médical. On pourrait déduire du fait que le clip était ouvert que celui-ci ou l’applicateur était défectueux. Sur le plan médical, il importe davantage de savoir si les trompes avaient été obturées ou non pour être en mesure de déterminer la cause de la grossesse de Mme Kealey. C’est ce que la Dre Usher-Owen a observé et consigné.

Le clip est un objet de très petite taille et son mécanisme de fermeture est minuscule. Une fois le clip posé, le mécanisme de fermeture est recouvert par des tissus. Le Dr Addison et le Dr Allen ont tous deux déclaré qu’il est très difficile de voir au simple examen si le clip est bien fermé. Au cours de la conversation téléphonique qu’ont eue la Dre Usher-Owen et Me Kerr en novembre 1995, et dont la Dre Usher-Owen a pris note, elle lui a déclaré que « le clip était fermé ». Elle a rendu au procès un témoignage conforme à cette affirmation, tout comme l’est la note prise par Me Kerr de cette conversation téléphonique. La note de la Dre Usher-Owen mentionne également que le clip était fixé au ligament large et au mésentère de la trompe de Fallope qu’elle a observée à travers le péritoine. D’après ce témoignage, le clip était recouvert par des tissus. J’estime que la Dre Usher-Owen aurait eu beaucoup de mal à déterminer si le clip était en position fermée ou ouverte. C’est pourquoi je n’attache guère de valeur probante aux observations du clip par la Dre Usher-Owen. Je crois néanmoins que, si la Dre Usher-Owen a effectivement réussi à examiner le dispositif de fermeture du clip, le fait qu’elle ait déclaré avoir remarqué que le clip était fermé est davantage compatible avec le fait que le clip ait été placé sur un autre organe par erreur qu’avec les autres théories qui ont été avancées. Si le clip avait en réalité été fermé et correctement placé sur la trompe de Fallope, il aurait dû entraîner l’occlusion de la trompe de Fallope droite, ce qui ne s’est pas produit. Il me semble que le fait qu’elle ait remarqué la présence d’un clip fermé tend à écarter la possibilité d’un défaut du clip ou de l’applicateur comme explication de la grossesse, en particulier, puisque rien n’indique que le clip qui a été placé sur la trompe de Fallope gauche n’a pas eu l’effet voulu. En fait, les preuves indiquent qu’il a bien fonctionné puisqu’il a sectionné la trompe de Fallope gauche, ce qui était le but visé.

La présence de « marques » sur la trompe

Le deuxième aspect du témoignage de la Dre Usher-Owen qu’il y a lieu d’examiner est celui qui porte sur la présence de « marques » ou d’une « fossette » qu’elle aurait, selon ses déclarations, observées sur la trompe de Fallope droite le 25 novembre 1992. Comme cela a été le cas pour la position du clip, cette observation s’est enrichie de détails avec le temps. Cet élément n’est mentionné ni dans ses rapports opératoire et postopératoire, ni dans la conversation téléphonique qu’elle a eue en juillet 1994 avec Me Kerr. La Dre Usher-Owen a déclaré qu’elle avait mentionné ce fait à la Dre Berezowski lors de leur conversation téléphonique à l’hiver 1993. Le témoignage de la Dre Berezowski ne confirme ni ne réfute cette affirmation parce qu’au cours de son témoignage elle n’a pas mentionné cet élément de sa conversation avec la Dre Usher-Owen. Il faut en déduire soit que la Dre Berezowski ne se souvenait pas de cet élément, soit que la mémoire de la Dre Usher-Owen est défaillante sur ce point. Compte tenu de l’importance de la présence de « marques » pour la théorie de la défense, j’estime que, si la Dre Usher-Owen avait mentionné cet élément à la Dre Berezowski, celle-ci s’en serait souvenue. C’est pourquoi j’estime qu’il est plus probable que la Dre Usher-Owen se soit trompée.

La première mention écrite de la présence de « marques » se trouve dans le rapport que la Dre Usher-Owen a fait de sa conversation téléphonique de en novembre 1995 avec Me Kerr . Il s’agit de souvenirs précis. Elle déclare à Me Kerr qu’en novembre 1992, elle a observé la présence de « marques » ou d’une « fossette » sur la trompe de Fallope droite qui se trouvait à une distance d’un centimètre à un centimètre et demi des cornes de l’utérus. Le Dr Allen a émis l’opinion que l’explication la plus probable de la présence de « marques » ou d’une « fossette » est que le clip a été placé sur la trompe. Le Dr Allen pensait qu’il était moins probable que la « fossette » indique qu’il y avait eu reperméabilisation. Lui et le Dr Addison étaient d’accord pour dire que si le clip avait coupé légèrement la trompe, la Dre Berezowski l’aurait certainement remarqué et que le dommage causé aurait été plus important. Selon la théorie du Dr Allen, la Dre Berezowski a correctement placé le clip sur la trompe, mais la trompe, un organe mobile, s’est déplacée d’où la présence de «marques» ou d’une « fossette ». La théorie de la défense repose principalement sur le fait que la Dre Usher-Owen se souvient de la présence de «marques» sur la trompe de Fallope droite.

Je doute fort que la Dre Usher-Owen puisse se souvenir, trois ans après l’intervention chirurgicale, qu’il y avait des « marques » sur la trompe. Si elle avait observé ces marques en novembre 1992, elle l’aurait sans doute mentionné dans son rapport opératoire. Le Dr Allen a déclaré que la présence d’une « fossette » n’a pas une grande importance sur le plan clinique, même s’il a reconnu par la suite qu’il aurait été préférable que la Dre Usher-Owen en fasse mention. Le Dr Addison a déclaré dans son témoignage qu’une fossette est une marque inhabituelle et qu’il aurait fallu en faire état. J’estime que, même si la présence d’une « fossette » n’est pas importante sur le plan clinique du point de vue médical, elle est importante en l’espèce pour deux raisons. Tout d’abord, avant la deuxième stérilisation du 25 novembre 1992, la Dre Usher-Owen estimait que la grossesse s’expliquait par la reperméabilisation de la trompe de Fallope droite. C’est ce qui ressort de la lettre du 23 novembre 1992 qu’elle a envoyée au Dr Emslie. La présence de «marques» sur la trompe ne démontre pas qu’il y ait eu reperméabilisation mais cet élément est compatible avec cette possibilité. La Dre Usher-Owen avait formulé avant son intervention chirurgicale l’hypothèse que la grossesse de Mme Kealey résultait de la reperméabilisation et l’on se serait attendu à ce qu’elle mentionne les marques qu’elle aurait observées à l’époque, à titre d’élément démontrant la reperméabilisation de la trompe droite. Deuxièmement, la Dre Usher-Owen avait accepté de tenter de déterminer la cause de l’échec. Après l’opération, lorsqu’elle a vu Mme Kealey en janvier 1993, la reperméabilisation était une des deux explications de la grossesse qu’elle lui a mentionnées. Même si la Dre Usher-Owen n’a pas jugé utile de mentionner dans son rapport opératoire la « fossette » qu’elle avait observée, il aurait été normal qu’elle le mentionne au cours de la consultation postopératoire de Mme Kealey et qu’elle en fasse état dans la note qu’elle a rédigée après cette visite. Cet élément venait manifestement confirmer l’une des explications qu’elle avait fournies à la patiente pour expliquer sa grossesse. J’estime que le fait que la Dre Usher-Owen n’ait pas mentionné cet élément à qui que ce soit avant novembre 1995 compromet la fiabilité de cette partie de son témoignage et qu’il faut donc l’écarter.

De toute façon, même si j’ai mal apprécié cet aspect du témoignage de la Dre Usher-Owen et qu’il y avait effectivement des « marques » sur la trompe comme elle l’affirme, cela ne confirme pas pour autant la théorie de la défense. Le Dr Allen a déclaré que la présence d’une fossette sur la trompe de Fallope droite ne pouvait, d’après lui, s’expliquer autrement que par le fait qu’un clip de Filshie ait été placé sur cet organe. Le Dr Addison a reconnu qu’un clip placé sur la trompe laisserait une marque. La difficulté vient du fait que, d’après la Dre Usher-Owen, les «marques» observées étaient situées à une distance d’un centimètre à un centimètre et demi des cornes de l’utérus. Si la Dre Berezowski avait placé le clip de Filshie à l’endroit où elle le faisait habituellement, on se serait attendu à ce que la fossette soit située à environ quatre centimètres de l’utérus. Si elle avait placé le clip de Filshie « au milieu » de cet organe comme l’indique son rapport, la trace de la fossette aurait dû se trouver à environ six ou sept centimètres de l’utérus. Il n’y avait aucune « marque » ou fossette sur la trompe de Fallope droite aux deux endroits où la Dre Berezowski aurait pu placer le clip.

La théorie de la fistule

Je vais analyser maintenant la théorie voulant qu’une fistule soit à l’origine de la grossesse de Mme Kealey. Le Dr Allen et la Dre Usher-Owen ont déclaré qu’il était possible que Mme Kealey soit tombé enceinte en raison d’une ouverture causée par une fistule sur la trompe de Fallope droite ou gauche. Une telle ouverture n’aurait pas été visible à l’oeil nu mais aurait permis la fertilisation. La Dre Usher-Owen a déclaré qu’elle aurait pu injecter une matière colorante dans la trompe de Fallope droite pour en vérifier la perméabilité et qu’elle l’aurait fait si elle avait su que des poursuites étaient envisagées. J’éprouve une certaine difficulté à comprendre pourquoi la Dre Usher-Owen aurait procédé de cette façon si elle avait su que des poursuites étaient envisagées mais qu’elle ne l’aurait pas fait pour expliquer à Mme Kealey et au Dr Emslie les raisons de l’échec et pour éviter à Mme Kealey un deuxième échec. D’après la preuve, des fistules auraient pu se produire sur l’une ou l’autre trompe. Si la possibilité d’une fistule avait vraiment préoccupé la Dre Usher-Owen, elle aurait placé un deuxième clip de Filshie sur la trompe de Fallope gauche, ce qu’elle n’a pas fait. J’estime que la Dre Usher-Owen n’a pas pris cette mesure parce qu’elle estimait que la grossesse avait été causée soit par une erreur dans la pose du clip qui aurait été placé sur le ligament rond soit par la reperméabilisation de la trompe. Quoi qu’il en soit, le Dr Allen a déclaré que les fistules sont plus fréquentes lorsqu’on effectue la ligature des trompes par la méthode de l’électrocoagulation. Les éléments de preuve ne démontrent pas de façon convaincante que cette théorie est la cause probable de la grossesse de Mme Kealey et j’estime qu’il convient de l’écarter.

«Sur le ligament rond»

Enfin, je reviens aux éléments de preuve qui portent sur la position du clip. La Dre Usher-Owen a mentionné dans son rapport qu’elle avait constaté que le clip se trouvait sur « le ligament rond » mais au cours de son témoignage au procès, elle a tenté de nuancer cette affirmation. Son rapport, a-t-elle déclaré, est exact mais incomplet. Le Dr Allen a témoigné que, si le clip de Filshie avait été placé sur le ligament rond droit de Mme Kealey, il se serait attendu à ce que le rapport opératoire fasse état d’un « encerclement du ligament rond ». Le Dr Addison et le Dr Allen ont convenu que le fait de placer le clip à la fois sur la trompe et le ligament rond n’entraînait aucune conséquence préjudiciable. Le Dr Addison a déclaré que, s’il s’en était rendu compte, il aurait placé un deuxième clip sur la trompe. Le Dr Allen ne pensait pas que cela soit nécessaire. Le Dr Addison a également ajouté que, s’il avait placé le clip en pinçant à la fois la trompe et le ligament rond, il l’aurait mentionné dans son rapport opératoire. Le Dr Allen a déclaré qu’il ne l’aurait pas mentionné