Kozub c. Timko, Re. (1984), 45 O.R. (2d) 558

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  • Date : 2024

Kozub c. Timko* 45 O.R. (2d) 558 7 D.L.R. (4th) 509 ONTARIO COUR D’APPELLES JUGES ARNUP, MORDEN ET TARNOPOLSKY 2 MARS 1984

 * Requête en autorisation de pourvoi à la Cour Suprême du Canada rejetée, le 19 juin 1984. C.S. du Can., dossier no 18795.

 Droit de la famille — Propriété — Foyer conjugal — Aliénation d’un droit de propriété — Épouse séparée cédant à son fils sa moitié indivise du foyer conjugal détenu en tenance conjointe avec le mari — Si le mari peut faire annuler l’acte de cession — Contrepartie — Family Law Reform Act, R.S.O. 1980, chap. 152, art. 42, 44d).

 L’article  42 de la Family Law Reform Act, R.S.O. 1980, chap. 152, prévoit qu’un conjoint ne peut aliéner ni céder un droit sur un foyer conjugal à moins que l’autre conjoint ne soit partie à l’acte ou ne consente à l’opération. Sous le régime de cet article, le conjoint n’ayant pas consenti a le droit de faire annuler la transaction en vertu de l’alinéa 44d), sauf à l’encontre d’une personne ayant acquis contre considération, de bonne foi et sans être au courant de la situation. Or l’article 42 se rapporte au droit de propriété et n’a pas simplement trait au droit de possession. Le libellé de l’article 42 est clair. Par conséquent, lorsque la tenante conjointe signe un acte qui cède le foyer conjugal à son fils dans le but d’empêcher son mari, l’autre tenant conjoint, d’obtenir la propriété à sa mort, et que le mari n’a pas consenti à la cession, l’acte de cession peut être annulé sur requête du mari.

 Il semble qu’une telle transaction soit annulable plutôt que nulle.

 Le jugement de la Cour a été rendu oralement par le juge ARNUP, j.c.a.

[TRADUCTION]

Le présent appel a trait à l’interprétation et à l’application des articles 42 et 44 de la Family Law Reform Act,R.S.O. 1980, chap. 152 (la « Loi »). Il soulève des questions qui n’ont jamais été soulevées auparavant devant la présente cour, bien que l’entrée en vigueur de l’article 42 ait été soulignée en lien avec un autre contexte dans la décision rendue par la présente cour dans Re Sammon (1979), 22 O.R. (2d) 721, 94 D.L.R. (3d) 594. 

 Les faits de la présente espèce ne sont pas contestés. En juillet 1958, l’intimé William Timko et sa femme, feue Stella Timko, ont acheté en tenance conjointe une résidence située au 1 High Park Gardens, à Toronto.

  Les parties se sont séparées en 1977, mais elles ont continué à demeurer à la même adresse, quoique dans des appartements distincts. Il est acquis que la propriété constituait le foyer conjugal aux fins de la Loi.

  En 1979, Stella Timko est tombée gravement malade, atteinte d’un cancer. Elle a alors donné certaines directives à son fils, l’appelant George Nicholas Kozub, concernant les droits qu’elle détenait sur la propriété. Stella Timko voulait que son fils organise le transfert de ces droits à son propre profit et qu’il assure ou organise la préparation d’un testament le nommant exécuteur testamentaire et seul bénéficiaire de sa succession. Il va sans dire qu’elle a procédé de la sorte dans le but de s’assurer que, à sa mort, aucun de ses biens n’aille à son mari, l’intimé, dont elle était séparée.

  Conformément à ces instructions, il a été préparé, et Stella Timko a passé, une cession qui transférait à son fils de sa moitié indivise de la propriété. La cession se présentait sous la forme habituelle prévue par la Short Form of Conveyances Act, R.S.O. 1970, chap. 435. Le contrat a été signé le 2 avril 1979 et enregistré le 26 juillet 1979.

  Stella Timko est morte le 27 février 1982. Une requête a été subséquemment présentée devant le juge Hollinworth sous le régime de l’article 44 de la Loi. Les dispositions qui sont pertinentes à cette requête se lisent comme suit :

[TRADUCTION]

 

42(1)  Aucun conjoint n’aliène ni ne grève un droit sur un foyer conjugal à moins que soit réalisée l’une des conditions suivantes :

 

 

  a)  l’autre conjoint est partie à l’acte ou consent à l’opération;

 

 

[…]

 

 (2) Si un conjoint aliène ou grève un droit sur un foyer conjugal en contravention avec le paragraphe (1), l’opération peut être annulée à la suite d’une requête présentée en vertu de l’article  44, sauf si la personne qui détient le droit ou la sûreté au moment de la requête l’a acquis contre valeur, de bonne foi et sans connaissance du fait que le bien était, au moment de l’aliénation, de l’accord ou du grèvement, un foyer conjugal. 

 

 

[…]

 

 

 44. À la suite de la requête d’un conjoint ou d’une personne ayant un droit sur un bien, le tribunal peut, par ordonnance :

 

 

 

 

 d) annuler l’opération qui aliène ou grève un droit sur le foyer conjugal si elle contrevient au paragraphe 42 (1), et ordonner le rétablissement, même partiel, du droit transféré, aux conditions que le tribunal juge appropriées;

 

 

 Le Juge Hollinworth a rendu une ordonnance annulant l’acte dont j’ai précédemment parlé. Le cessionnaire aux termes de l’acte, le fils de la défunte, en appelle maintenant devant notre cour.

 Il y a déjà eu trois causes rapportées, rendues par des juges uniques, en ce qui concerne l’application des articles 42 et 44. (Après que la présente affaire a été débattue et que notre décision a été rendue, le jugement du juge Boland dans Re Bank of Montreal and Norton a été rapporté dans différents recueils : voir 44 O.R. (2d) 39, 36 R.F.L. (2d) 268, 29 R.P.R. 248. Il avait déjà été question de cette décision dans 22 A.C.W.S. (2d) 443, mais les procureurs n’y ont pas fait référence devant nous.) Dans la première de ces causes, Van Dorp and Van Dorp et al. (1980), 30 O.R. (2d) 623, 16 R.P.R. 161, le juge Carley a rendu une ordonnance annulant un acte dans une affaire où le mari et la femme étaient tenants conjoints et où le mari avait passé et enregistré, à son propre profit, un acte relatif à ses droits sur la propriété. L’acte lui-même contenait un énoncé portant que son objet était de dissoudre la tenance conjointe, et la déclaration relative au droit de mutation immobilière confirmait cet objet. Après le décès du mari, l’épouse a présenté une requête aux fins d’annuler la transaction en ce qui avait trait au seul foyer conjugal (la transaction englobait la totalité d’une propriété agricole). La requête fut accueillie. Dans ses conclusions, le juge Carley a déclaré que, en passant la cession, le mari avait [TRADUCTION] « détruit l’unité du titre et, ce faisant, aliéné le droit de gain de survie que détenait l’épouse sur la propriété » (p. 631).

 En décembre 1982, la question a été présentée au juge Eberle dans Bendix v. Jonas (1982), 27 R.P.R. 163.Dans cette affaire, le mari et l’épouse avaient acquis une ferme en tenance conjointe et, subséquemment, l’épouse avait enregistré des actes entre elle-même et son fils qui transféraient sa part de la ferme et d’autres propriétés détenues conjointement par le mari et l’épouse. Le mari n’avait pas participé à l’acte ni consenti à la cession. Monsieur le juge Eberle a fait référence au jugement du juge Carley dans Van Dorp et est venu à la même conclusion, à savoir que, par l’effet de l’article 42 de la Loi, le contrat ne pouvait dissoudre la tenance conjointe se rapportant au foyer conjugal. À la page 166, le juge s’est dit en accord avec la conclusion du juge Carley précitée.

 La troisième cause de la série est la décision du juge Walsh dans Re Lamanna and Lamanna et al., 145 D.L.R. (3d) 117, 32 R.F.L. (2d) 386, 27 R.P.R. 142. Selon les faits de l’affaire, l’épouse avait signé et enregistré un acte à son propre profit concernant sa moitié indivise du foyer conjugal, foyer qu’elle détenant en tenance conjointe avec son mari. Le mari, qui n’avait ni participé ni consenti à l’acte de cession, avait présenté une requête, après le décès de sa femme, pour être déclaré propriétaire de la résidence par l’effet d’un droit de survie. Selon le mari, la cession consentie par son épouse était inopérante par application de l’article 42 de la Loi. Le juge Walsh a rejeté la requête. Il a refusé de suivre Re Van Dorp and Van Dorp, et tout particulièrement le passage cité plus haut. Selon le juge Walsh, bien que l’acte qu’un tenant conjoint se consent à lui-même ait pour effet de dissoudre la tenance conjointe, un tel acte ne peut « dispose of » ([TRADUCTION] « aliéner ») le droit de survie de l’autre tenant conjoint, au sens que revêt l’expression « dispose of » ([TRADUCTION] « aliéner ») à l’article 42 de la Loi. Le juge Walsh a continué en affirmant que la Partie III de la Loi, dans laquelle on retrouve les articles 42 et 44, n’avait trait qu’aux droits possessoires des conjoints, et ne visait pas les droits propriétaux. Puisque l’acte passé par l’épouse n’avait pas d’incidence sur les droits possessoires du mari sur le foyer conjugal, l’article 42 n’avait pas l’effet que lui prêtait le mari.

 La décision a été rendue le 4 février 1983, moins de deux mois après le jugement du juge Eberle dans Bendix v. Jonas, et il est évident, à la lecture des conclusions du juge Walsh, qu’il n’était pas au courant de la décision rendue dans Bendix. À notre avis, il existe clairement, sur le plan du raisonnement, un conflit entre les deux jugements.

 Nous partageons l’opinion du juge Walsh lorsqu’il refuse de suivre l’énoncé de principe établi dans Re Van Dorp and Van Dorp, et réaffirmé dans Bendix v. Jonas, selon lequel une cession, par l’un des tenants conjoints, de ses intérêts dans le foyer conjugal « disposes of » (« aliène ») le droit de survie de l’autre tenant conjoint. Par contre, nous avons beaucoup de difficulté à appuyer sa conclusion que la Partie III de la Loi, et tout spécialement l’article 42, ne vise que les droits possessoires et ne vise pas les droits propriétaux. La protection des droits propriétaux constitue un moyen de protection des droits possessoires clairement conférés par le paragraphe 40(1). À l’examen de la protection conférée par le paragraphe 42(2) aux acquéreurs contre valeur, de bonne foi et sans connaissance du fait que le bien était un foyer conjugal, et à l’examen des dispositions de l’alinéa 44d) autorisant le tribunal à ordonner le rétablissement du droit aliéné ou grevé en contravention du paragraphe 42(1), une seule façon de voir s’impose : ce paragraphe et cet alinéa sont conçus pour s’appliquer aux droits propriétaux. Nous reconnaissons, bien sûr, que le paragraphe 42(1) trouve application même s’il n’y a pas de propriété conjointe; mais il n’en demeure pas moins, à notre avis, que les droits propriétaux sont touchés.

 Le juge Walsh a également appliqué une [TRADUCTION] « règle d’interprétation » des lois voulant que, pour qu’une loi puisse être considérée comme modifiant des droits reconnus par la common law, il est nécessaire qu’une intention dans ce sens soit exprimée en termes clairs ou s’impose par déduction nécessaire (p. 121 D.L.R., p. 392 R.F.L., p. 145 R.P.R.). Selon nous, il n’est pas nécessaire de trancher si cette règle d’interprétation doit s’appliquer à une loi réparatrice, telle que la Family Law Reform Act. Nous sommes d’avis que le libellé du paragraphe 42(1) de la Loi est clair et non ambigu. Il prévoit une interdiction légale d’aliénation ou de grèvement de tout droit sur le foyer conjugal par un des conjoints, sans la participation ou le consentement de l’autre conjoint. Il semble qu’un tel acte translatif ou une telle aliénation doive être considéré comme annulable plutôt que nul. Nous y incline le fait que l’alinéa 44d) autorise le tribunal à « annuler » (« set aside ») la transaction (plutôt que de simplement la déclarer nulle) et à ordonner le rétablissement du droit que la cession voulait céder. Cela dit, il n’est pas nécessaire de trancher cette question en l’espèce, puisque le juge Hollingworth a annulé la transaction et que nous pensons qu’il avait raison de le faire.

 Dans la présente affaire, ce qui est en cause est une cession du foyer conjugal par un tenant conjoint à une tierce personne. Dans Re Lamanna and Lamanna, le juge Walsh devait se prononcer sur une cession du foyer conjugal qu’un tenant conjoint s’était consentie à lui-même. Mises à part les opinions que j’ai déjà exprimées, nous choisissons de ne pas nous prononcer sur la justesse des conclusions prises dans Re Lamanna and Lamanna et de laisser une telle décision à une affaire présentant la même situation factuelle que celle-ci.

 Dans la présente affaire, l’argumentation de l’appelant a été confinée à des motifs beaucoup plus restreints que ceux exposés dans le mémoire. Essentiellement, cette argumentation veut que, bien que la cession de feue Madame Timko puisse être annulable au motif qu’elle constitue une cession de sa moitié indivise, cette cession n’en est pas moins valide lorsqu’il s’agit de dissoudre la tenance conjointe. Nous ne pouvons souscrire à cette proposition. La [TRADUCTION] « transaction » (« transaction ») représentée par la signature et l’enregistrement de la cession a été annulée pour la raison qu’elle avait été signée et enregistrée en contravention des termes clairs de l’article 42. Si les deux tenants conjoints originaux étaient encore vivants, il serait approprié de déclarer la cession nulle et d’ordonner le rétablissement du droit de l’épouse comme tenante conjointe avec son conjoint. Il serait absurde que, parce qu’elle est décédée avant que son conjoint ne soit au courant de la cession, et donc avant que la Cour ne puisse l’annuler, il devienne impossible de restaurer la situation qui a existé immédiatement avant la cession prohibée. À notre avis, une déclaration que la cession est nulle mène au résultat souhaité. La tenance conjointe n’a pas été dissoute par la transaction que la Cour a annulée au motif qu’elle était invalide.

 L’appel est rejeté avec dépens.

 

Appel rejeté.