Kreutner c. Waterloo OxFord Co-operative Inc.

  • Dossier : C33362
  • Date : 2024

COUR D’APPEL DE L’ONTARIO

Le juge MCMURTRY, juge en chef de l’Ontario, et les juges d’appel BORINS et FELDMAN

 

 

ENTRE :

 

GEORGE ALAN KREUTNER, JACQUELINE DORIS KREUTNER, ALPHA PLUS ROOFING LIMITED

 

demandeurs

(intimés)

 

et

 

WATERLOO OXFORD CO-OPERATIVE INC., WORTHINGTON CYLINDERS OF Canada INC. CYLINDERS WORTHINGTON DU Canada INC., SHERWOOD CORPORATION, AL SIMM et RICHARD SIMM faisant affairesous la dénomination SIMM MASTER PAINTERS et KEN EXKHARDT

 

défendeurs

(appelante)

 

)

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) Robert B. Bell et Robert L. Love

) pour la défenderesse/appelante

) Sherwood Corporation

)

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)

)

)

) Edward Vanderkloet

) pour les demandeurs/intimés

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) Audience : le 14 août 2000

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)

)

 

 

En appel de l’ordonnance du juge Whitten, datée du 19 février 1999.

 

Le juge d’appel BORINS :

 

[TRADUCTION]

[1] Le présent appel, interjeté par la défenderesse Sherwood Corporation (« Sherwood ») avec l’autorisation de la présente Cour, porte sur l’ordonnance de la Cour divisionnaire qui a rejeté son appel de l’ordonnance du juge Whitten qui a lui-même rejeté, en partie, sa motion sollicitant un jugement sommaire. Selon Sherwood, la Cour divisionnaire a commis une erreur en concluant, d’une part, que les allégations des demandeurs soulevaient une question litigieuse et, d’autre part, qu’elle avait mal conçu une valve responsable du flux de propane déversé par le réservoir de propane et qu’elle avait omis d’avertir ses clients des dangers qui résultaient de la conception défectueuse.

 

[2] Sherwood est l’une des défenderesses poursuivies par l’assureur de George Alan Kreutner (« M. Kreutner ») dont la maison a été gravement endommagée par une explosion de propane et le feu qui s’ensuivit, survenus tandis que des travaux de peinture y étaient effectués par la défenderesse Simm Master Painters. Sherwood a fabriqué la valve installée dans un réservoir à propane fabriqué par une autre défenderesse, Worthington Cylinders of Canada Inc. M. Kreutzer utilisait le réservoir à propane pour alimenter son barbecue, installé sur une terrasse en bois à l’arrière de sa maison. Lorsque les peintres défendeurs ont tenté de rebrancher le réservoir à propane au barbecue, il est tombé à la renverse et le gaz propane qui s’en est échappé a pris feu à cause du chauffe piscine de M. Kreutner, dispositif situé sous la terrasse et le barbecue. L’explosion et le feu qui s’ensuivirent sont à l’origine des dommages causés à la maison de M. Kreutner.

 

[3] M. Kreutner a demandé à Sherwood de l’indemniser en faisant valoir que cette dernière avait mal conçu et fabriqué la valve et qu’elle avait omis de faire une mise en garde quant aux dangers engendrés par la conception défectueuse.

 

[4] Sherwood a demandé à la Cour de rendre un jugement sommaire rejetant les demandes. La motion était appuyée par le témoignage de son expert, James Petersen, dont l’opinion selon laquelle la conception de la valve n’était pas défectueuse n’a pas été contredite par le témoignage de quelque expert que ce soit appelé par les demandeurs. La meilleure preuve produite par les demandeurs a consisté en un rapport préparé par Walters Engineering, plus de six mois après l’accident, qui énonçait une théorie quant à l’origine de l’explosion et du feu. Ce rapport n’émettait cependant aucune opinion quant à la conception de la valve. En effet, durant les dix ans qui se sont écoulés depuis l’accident, jamais les demandeurs n’ont été en mesure de mettre au jour quelque défaut que ce soit dans la conception de la valve.

 

[5] Comme l’avocat des demandeurs a admis ne pas être au courant de quelque défaut que ce soit dans la fabrication de la valve, le jugeWhitten a rendu un jugement sommaire partiel par lequel il a rejeté la demande des demandeurs fondée sur cette allégation. En revanche, il a rejeté la motion pour jugement sommaire en ce qui a trait aux allégations de défaut de conception et d’omission de faire une mise en garde. La décision n’a pas été motivée.

 

[6] Le juge Blenus Wright, qui s’exprimait au nom de la Cour divisionnaire, a fait référence au rapport de Walters Engineering qui, selon ses dires, expliquait l’explosion par la théorie suivante : même si la valve peut sembler fermée quand un réservoir de propane est en position verticale et qu’aucun échappement de gaz propane n’est apparent, la valve peut en fait être légèrement ouverte et laisser fuir du gaz lorsque le réservoir est incliné. Le juge Wright a poursuivi comme suit :

 

 [TRADUCTION]

 

Nous sommes d’avis que le juge du procès est celui qui devrait trancher la question des diverses causes possibles du feu et de l’explosion. Nous estimons être en présence de certains éléments de preuve selon lesquels une défectuosité dans la conception de la valve ou une absence de mise en garde relative au fait d’incliner un réservoir de propane ont pu être une des causes du feu et de l’explosion, ce qui soulève une question litigieuse. Nous estimons qu’il n’y a aucun motif justifiant de modifier la décision du juge Whitten d’autoriser que ces questions fassent l’objet d’un procès. Par conséquent, l’appel est rejeté.

 

[7] Afin de déterminer si le dossier porté à la connaissance du juge des motions contenait des éléments de preuve qui soulevaient une question litigieuse liée à la conception de la valve par Sherwood, il est nécessaire d’examiner le fardeau de preuve dont doivent s’acquitter les demandeurs pour avoir gain de cause.

 

[8] Aux fins du présent appel, il est inutile d’énoncer de manière définitive les éléments que doit contenir une demande fondée sur la conception défectueuse d’un produit. En revanche, pour avoir gain de cause en l’espèce, les demandeurs ont le fardeau d’identifier le défaut de conception de la valve de Sherwood, de démontrer que le défaut a créé un risque considérable de dommage et qu’il est possible de concevoir la valve autrement, de telle sorte qu’elle soit plus sécuritaire et qu’elle puisse être fabriquée à un coût raisonnable : Rentway Can. Ltd./Ltée c. LaidlawTransport Ltd. (1989), 49 C.C.L.T. 150 (Ont. H.C.J.), conf. [1994] O.J. No. 50 (C.A.)

 

[9] Le seul élément de preuve au dossier portant sur la conception de la valve émane de M. Petersen, expert pour Sherwood, qui était d’avis que la conception ne recelait aucun défaut. Selon moi, cet élément de preuve n’a pas été réfuté. Les demandeurs n’ont produit en preuve aucune expertise qui fait état d’un défaut de conception de la valve ou selon lequel une valve plus sécuritaire pourrait facilement être construite à un coût raisonnable et aurait permis d’éviter l’explosion et le feu. Comme je l’ai affirmé, les demandeurs n’ont présenté en preuve pour répondre à l’expertise de M. Petersen que le rapport Walters qui émet une théorie quant à la cause de l’explosion et du feu.

 

[10] Dans Dawson c. Rexcraft Storage & Warehouse Inc.; Pacific & Western Trust Co. c. Carroll 1998 CanLII 4831 (C.A. ON), (1998), 164 D.L.R. (4th) 257 (C.A. Ont.) la présente Cour s’est penchée sur l’objet de la règle 20 des Règles de procédure civile qui porte sur les jugements sommaires. À la page 262, la Cour a affirmé que : [TRADUCTION] « l’objet principal du jugement sommaire est d’isoler des demandes et des moyens de défense qui ne sont pas appuyés par des faits et d’y mettre fin. » Dans le cas d’une motion pour jugement sommaire présentée par un défendeur, comme en l’espèce, le demandeur a le fardeau de démontrer que sa demande est adéquatement appuyée par la preuve. Comme la Cour l’a affirmé à la page 267 :

 

[TRADUCTION]

 

À l’étape du jugement sommaire, la cour veut voir quelle preuve les parties sont en mesure de présenter au juge du procès ou au jury advenant la tenue d’un procès. En dépit du fait que c’est à la partie qui présente la motion de démontrer l’absence de question litigieuse, tel que l’exige la règle 20.04(1), la partie intimée, qui doit s’acquitter d’un fardeau de preuve, ne peut se contenter d’invoquer les allégations ou les dénégations contenues dans les procédures des parties. Elle doit plutôt présenter au moyen d’un affidavit ou d’un autre type de preuve des faits précis qui démontrent l’existence d’une question litigieuse. Le juge des motions a le droit de tenir pour acquis que le dossier fait état de tous les éléments de preuve que les parties présenteront advenant un procès.

 

[11] En concluant que les demandes fondées sur la conception défectueuse et l’absence de mise en garde soulevaient une question litigieuse, j’estime que la Cour divisionnaire a commis une erreur en confondant le lien de causalité et la preuve. En l’absence d’éléments de preuve pour démontrer l’existence d’un défaut de conception dans la valve, il était inutile que la cour se penche sur la question de savoir si le défaut allégué en question avait pu contribuer à l’explosion qui a entraîné l’incendie. Comme je l’ai souligné, non seulement les demandeurs ont été incapables de présenter quelque élément de preuve que ce soit pour attester du défaut de conception, ils n’ont présenté aucune preuve quant à l’existence d’une autre conception plus sécuritaire qu’il serait possible de fabriquer à un coût raisonnable. En outre, les éléments de preuve au dossier suggèrent que l’explosion a été causée par la négligence des peintres lorsqu’ils ont manipulé le réservoir de propane et celle contributive de M. Kreuner pour avoir installé le chauffe piscine sous la terrasse et le barbecue.

 

[12] Selon moi, la présente cause constitue l’archétype d’une situation où un défendeur a réussi à prouver l’absence de question litigieuse. Sur la foi du dossier, manifestement, la demande des demandeurs fondée sur un défaut de conception allégué n’est pas appuyé par des faits. C’est pourquoi la motion pour jugement sommaire relativement à la demande portant sur un défaut de conception présentée par Sherwood aurait dû être accueillie.

 

[13] Il aurait dû en être de même quant à la demande des demandeurs fondée sur l’allégation selon laquelle Sherwood a omis de faire une mise en garde. Il incombe à un fabricant de faire une telle mise en garde uniquement s’il connaît ou devrait connaître le danger inhérent à l’utilisation du produit : Hollis c. Dow Corning Corp. 1995 IIJCan 55 (C.S.C.), (1995), 129 D.L.R. (4th) 609 (C.S.C.). Les demandeurs n’ont produit aucune preuve de l’existence d’un tel danger. Ainsi, leur demande fondée sur l’absence alléguée de mise en garde n’est pas appuyée par la preuve. Quoi qu’il en soit, Worthington, le fabricant du réservoir de propane a joint à ce dernier une mise en garde claire quant aux dangers inhérents à l’utilisation du propane.

 

[14] En conséquence, je suis d’avis d’accueillir l’appel et d’annuler l’ordonnance de la Cour divisionnaire. En outre, je suis d’avis de rendre une ordonnance rejetant l’ensemble des demandes des demandeurs à l’encontre de Sherwood qui a droit à ses dépens pour la motion pour jugement sommaire, pour la motion pour permission d’interjeter appel devant la Cour divisionnaire, pour l’appel devant la Cour divisionnaire, pour sa demande d’autorisation d’interjeter appel devant la présente Cour, pour l’appel qu’elle a interjeté devant la présente Cour, ainsi que ceux liés à l’action. 

 

Jugement rendu le 18 août 2000 

 

Le juge S. Borins, de la Cour d’appel

[TRADUCTION] « Je souscris aux motifs du juge Borins »

Le juge en chef de l’Ontario, R. Roy McMurtry

[TRADUCTION] « Je souscris aux motifs du juge Borins »

Le juge K. Feldman, de la Cour d’appel