Lavigne c. Procureur général de l’Ontario; Sénat du Canada, mis-en-cause

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  • Date : 2024

Lavigne c. Procureur général de l’Ontario; Sénat du Canada, mis-en-cause

[Répertorié : Lavigne c. Ontario (Procureur général)]

 

Cour supérieure de justice, le juge Lalonde.

 

24 juillet 2008

 

Charte des droits et libertés – Justice fondamentale – Défense et réponse pleines et entières – Divulgation – Transcriptions des témoignages devant un comité sénatorial protégées par le privilège parlementaire – Privilège parlementaire a le même statut et le même poids que la Charte – Charte ne supprime pas le privilège parlementaire.

 

Preuve — Privilège – Privilège parlementaire – Transcriptions des témoignages devant un comité sénatorial protégées par le privilège parlementaire.

 

Le requérant, un sénateur au Sénat du Canada, a fait l’objet d’une enquête par le sous-comité spécial sur l’utilisation des ressources du Sénat. Il a demandé une copie des transcriptions des témoignages que le sous-comité a entendus à huis clos. Le Sénat a refusé de communiquer les transcriptions en invoquant le privilège parlementaire. Le requérant a présenté une requête visant à obtenir une ordonnance enjoignant le Sénat à divulguer les transcriptions.

 

Arrêt, la requête est rejetée.

 

R. c. Stinchcombe ne s’applique pas en l’espèce puisque la Couronne n’est pas en possession des transcriptions du Sénat. Les transcriptions des témoignages devant un comité sénatorial sont protégées par le privilège parlementaire. Le privilège en cause vise à encourager les témoins à parler ouvertement, à préserver la capacité d’enquête du Sénat et à éviter des résultats contradictoires entre les activités d’enquête du Sénat et celle des tribunaux. Ces objectifs constituent les assises nécessaires au bon fonctionnement des comités parlementaires, notamment à leur fonction d’enquête, une sphère d’activité protégée. Le requérant ne peut obtenir les transcriptions en vertu de l’art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Le privilège parlementaire a le même statut et le même poids que la Charte elle-même, et une partie de la Constitution ne peut en abroger une autre.

 

Canada (Chambre des communes) c. Vaid, [2005] 1 R.C.S. 667, [2005] A.C.S. no 28, 2005 SCC 30, 252 D.L.R. (4th) 529, 333 N.R. 314, J.E. 2005-976, 28 Admin. L.R. (4th) 1, 41 C.C.E.L. (3d) 1, [2005] CLLC ¶230-016,135 C.R.R. (2d) 189, 139 A.C.W.S. (3d) 529; New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (Président de l’Assemblée législative), [1993] 1 R.C.S. 319, [1993] A.C.S. no 2, 100 D.L.R. (4th) 212, 146 N.R. 161, J.E. 93-231, 118 N.S.R. (2d) 181, 13 C.R.R. (2d) 1, 37 A.C.W.S. (3d) 1194, appl.

 

Canada (Sous-commissaire, Gendarmerie royale du Canada) c. Canada (Commissaire, Gendarmerie royale du Canada), [2007] A.C.F. no 752, 2007 CF 564, [2008] 1 R.C.F. 752, 313 F.T.R. 183, 65 Admin. L.R. (4th) 111, 158 A.C.W.S. (3d) 656; Gagliano c. Canada (Procureur général), [2005] A.C.F. no 683, 2005 CF 576, [2005] 3 R.C.F. 555, 265 F.T.R. 218, 253 D.L.R. (4th) 701, 30 Admin. L.R. (4th) 171, 139 A.C.W.S. (3d) 952 (C.F.); R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R. C.S. 326, [1991] A.C.S. no 83, 130 N.R. 277, [1992] 1 W.W.R. 97, 83 Alta. L.R. (2d) 193, 120 A.R. 161, 68 C.C.C. (3d) 1, 8 C.R. (4th) 277, 18 C.R.R. (2d) 210,exam.

 

Autres arrêts mentionnés

 

Buchanan v. Jennings, [2002] 3 N.Z.L.R. 145 (N.Z.C.A.); Goffin v. Donnelly (1881), 6 Q.B.D. 307 (Q.B.); Kielley v. Carson(1842), 13 E.R. 225, 4 Moo PC. 63 (C.P.); Prebble v. Television New Zealand Ltd., [1995] 1 A.C. 321, [1994] 3 All E.R. 407, [1994] 3 W.L.R. 970 (C.P.); R. c. B. (K.G.), [1993] 1 R.C.S. 740, [1993] A.C.S. no 22, 148 N.R. 241, J.E. 93-466, 61 O.A.C. 1,79 C.C.C. (3d) 257, 19 C.R. (4th) 1, 18 W.C.B. (2d) 588; R. v. Murphy (1986), 64 A.L.R. 498 (N.S.W.S.C.); R. c. O’Connor, [1995] 4 R.C.S 411, [1995] A.C.S. no 98, 130 D.L.R. (4th) 235, 191 N.R. 1, [1996] 2 W.W.R. 153, J.E. 96-64, 68 B.C.A.C. 1,103 C.C.C. (3d) 1, 44 C.R. (4th) 1, 33 C.R.R. (2d) 1; R. v. Wainscot, [1899] 1 W.A.L.R. 77 (W. Aust. S.C.); Stockdale v. Hansard (1839), 9 Ad. & Ell. 96, 112 E.R. 1112 (Q.B.)

 

Lois citées

 

An Act Declaring the Rights and Liberties of the Subject and Settling the Succession of the Crown (Bill of Rights, 1689), 1 Will. & Mar., sess. 2, ch. 2, art. 9

Charte canadienne des droits et libertés, art. 7

Loi constitutionnelle de 1867 (R.U.), 30 & 31 Vict., ch. 3, art. 18

Loi constitutionnelle de 1982, annexe de la Loi de 1982 sur le Canada (R.U.), 1982, ch. 11, art. 13

Loi sur le Parlement du canada, L.R.C. 1985, ch. P-1, art. 4

 

 

REQUÊTE pour l’obtention d’une ordonnance visant la communication des transcriptions des témoignages devant un comité sénatorial.

 

Me Dominique St-Laurent, pour le requérant.

Me David Elhadad, pour le procureur général du Canada.

Mes Maxime Faille et Guy Régimbald, pour le Sénat du Canada.

 1 LE JUGE P.F. LALONDE :— Il s’agit d’une requête pour l’obtention d’une ordonnance visant la communication des transcriptions des témoignages lors de l’audition du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration (ci-après le ‘Sous-comité spécial’) sur l’utilisation des ressources du Sénat.

 2  Le requérant, actuellement sénateur au Sénat du Canada, a fait l’objet d’une enquête par le Sous-comité spécial sur son utilisation, à des fins personnelles, des ressources du Sénat.

 3  Le Sous-comité a procédé à l’audition de témoins, à huis-clos, lors de quatre journées, soient les 6, 7 et 8 avril, 2006 ainsi que le 1er mai 2006.

 4  Le 29 février 2008, le procureur du requérant a fait parvenir une lettre au Sénat afin d’obtenir une copie des transcriptions des témoins entendus lors des auditions du Sous-comité spécial, au motif qu’il est probable que certains ou la plupart de ces témoins seront appelés à témoigner au procès.

 5  Le Sénat du Canada, par lettre envoyée le 21 mai, 2008, refuse la divulgation des transcriptions, et invoque son privilège parlementaire.

Questions en litige

 6  Les questions soulevées par cette requête sont les suivantes : Les transcriptions demandées relèvent-elles du privilège du Sénat du Canada? La cour a-t-elle la compétence pour ordonner au Sénat du Canada la divulgation de transcriptions de témoins entendus lors des auditions de son Sous-comité spécial?

   Je remercie les conseillers juridiques des parties de me permettre d’utiliser presque verbatim leurs présentations.

Les prétentions du sénateur Raymond Lavigne

 7  Le sénateur Raymond Lavigne est d’avis que le Sénat du Canada n’a pas le privilège parlementaire de conserver les témoignages rendus devant le sous-comité. Loin d’être absolu, le privilège parlementaire est, comme le rappelle le juge Binnie dansCanada (Chambre des communes) c. Vaid, [2005] 1 R.C.S. 667, [2005] A.C.S. no. 28, ‘l’indispensable immunité que le droit accorde aux membres du Parlement […] pour leur permettre d’effectuer leur travail législatif.’ L’article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867 (R.-U.) 30 & 31 Vict., ch. 3) prévoit l’application au Canada des privilèges parlementaires dans la mesure où ils n’excèdent pas les privilèges applicables au Parlement britannique. L’arrêt Stockdale v. Hansard (1839), 9 Ad & Ell 96, 112 E.R. 1112 (Q.B.),a mis au jour un critère important : celui de la nécessité du privilège. Il convient donc d’analyser le privilège revendiqué en fonction de ce critère de nécessité. La nécessité du privilège est une qualité sans laquelle il est inexistant (New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (Président de l’Assemblée législative), [1993] 1 R.C.S. 319, [1993] A.C.S. no. 2).

 8  De plus, l’analyse du contexte social actuel est importante dans la détermination de la nécessité d’un privilège selon la juge McLachlin dans New Brunswick Broadcasting. Il ne s’agit pas ici de vérifier l’exercice du privilège parlementaire, ce qui est prohibé, mais plutôt d’en déterminer l’étendue, conformément à la jurisprudence antérieure.

 9  Toute la question entourant la portée du privilège parlementaire quant aux témoignages devant un comité parlementaire découle de l’interprétation de l’article 9 du Bill of Rights, 1689. Au Canada, le texte de l’article 9 ne pouvant trouver l’application, selon New Brunswick Broadcasting, c’est plutôt les principes sous-jacents qui doivent être interprétés. En effet, comme le rapportela juge Tremblay-Lamer dans Gagliano c. Canada (Procureur général), [2005] A.C.F. No 683, [2005] 3 R.C.F. 555, ‘on ne peut pas affirmer inexorablement que l’article 9 empêche le contre-interrogatoire d’un témoin dans une procédure […] où celui-ci ne fait face à aucune conséquence civile ou juridique’.

 10   À l’instar de la commission Gomery, dont il était question dans Gagliano, les témoins qui seront entendus lors de ce procès et qui avaient été entendus devant le sous-comité ne pourront faire face à aucune conséquence juridique suite à leur contre-interrogatoire, en raison de la protection accordée par l’article 13 de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe de la Loi de 1982 sur le Canada (R.U.), 1982, ch. 11. Dans l’affaire Goffin v. Donnelly (1881), 6 Q.B.D. 307, le défenseur, qui avait témoigné défavorablement contre le demandeur devant le Select Committee, risquait des conséquences juridiques dans cette action en diffamation, soit sa responsabilité civile. Cette dernière a été rejetée en raison du privilège parlementaire. De même, l’affaire australienne R. v. Wainscot, [1899] 1 W.A.L.R. 77, (C.S. Aust. O.) citée dans Gagliano, la Cour suprême de l’Australie-Occidentale en est venue à la conclusion que la poursuite ne pouvait se servir du témoignage du défendeur devant un comité mixte du Parlement dans la poursuite en corruption contre lui. La conclusion tirée par la juge Tremblay-Lamer à l’effet que ‘la protection de l’article 9 du Bill of Rights de 1689 […] consistait à empêcher que les parlementaires (ou par extension, les témoins) subissent des conséquences juridiques devant les tribunaux […]’ est claire. En l’espèce le requérant maintient que les témoignages recueillis par le sous-comité ne relèvent pas du privilège parlementaire parce qu’ils sont sans conséquences juridiques.

 11  Dans R. v. Murphy (1986), 64 A.LR. 498 (C.S.N.G.S.), une décision de la Cour suprême de la Nouvelle-Galles du Sud rendue par le juge Hunt a jugé valable le fait de demander à un témoin de confirmer un témoignage rendu devant un comité sénatorial (ce qui comprend aussi les documents présentés devant ce comité qui contient des déclarations faites par ce témoin). Si le témoin refuse ou n’admet pas clairement avoir rendu le témoignage, il est alors possible de prouver qu’il a rendu ce témoignage sans bris d’un privilège parlementaire. Ce même témoignage permet aussi de confronter le témoin lors d’un contre-interrogatoire et de demander au jury de tirer des conclusions quant à la validité du témoignage rendu au procès ou devant le comité. En somme, l’utilisation d’un témoignage rendu devant un comité est possible si aucune conséquence juridique ne menace le témoin. La décision dissidente du juge Tipping dans Buchanan v. Jennings, [2002] 3 N.Z.L.R. (C.A.N.Z.) 145 va aussi dans ce sens.

 12  En l’occurrence, les témoins qui seront interrogés lors de l’audience ne risquent pas une telle conséquence. L’utilisation de ces témoignages permet au contraire à l’accusé de se bâtir une défense pleine et entière, en permettant de contre-interroger adéquatement les témoins au procès. À l’instar de ce qui a été fait dans les décisions New Brunswick Broadcasting et Gagliano, le critère de la nécessité, dans le contexte canadien actuel, se doit d’être examiné.

 13  Le privilège parlementaire s’arrête à la protection des témoins et des membres du Parlement témoignant en comités parlementaires lorsque des sanctions juridiques sont possibles. Le privilège permet d’empêcher quiconque de poursuivre une personne s’exprimant devant un comité parlementaire. Dans Gagliano, on précise que c’est cette protection contre les poursuites qui permet aux témoins de s’exprimer et aux comités de fonctionner.

 14  Il en va tout autrement de l’utilisation des témoignages en vue d’accorder une défense pleine et entière à un accusé. La principale préoccupation concernant les témoignages est d’assurer une ouverture complète des témoins devant les comités. Ce n’est pas parce qu’un témoin peut être questionné sur ce qu’il a affirmé dans le passé qu’il sera inconfortable pour s’exprimer. Si ce témoin peut toutefois être poursuivi pour ses propos, qui peuvent s’avérer diffamants par exemple, alors il y a effectivement une difficulté quant à l’efficacité des comités. Il est possible de faire un parallèle avec l’admission de plus en plus aisée des déclarations antérieures incompatibles en droit pénal. En effet, de telles déclarations répondent au critère de fiabilité puisqu’il est possible de contre-interroger les témoins au procès (voir R. c. B. (K.G.) [K.G.B.], [1993] 1 R.C.S. 740, [1993] A.C.S. no 22). Au contraire de ce que l’on prétend dans Gagliano, la possibilité de confronter les opinions permet d’obtenir la vérité de la part des témoins.

 15  Le pouvoir d’enquête du comité parlementaire est le second critère de nécessité abordée dans Gagliano. D’emblée, le requérant affirme que le privilège de citer des témoins à comparaître ainsi que celui de leur faire produire des documents n’a rien à voir avec l’utilisation subséquente de leurs témoignages dans une procédure pénale. Le privilège parlementaire d’empêcher les poursuites pénales ou civiles contre des témoins à l’aide de leurs déclarations antérieures ne relève pas du privilège parlementaire d’enquêter. Ici, il n’y a pas nécessité d’étendre le privilège.

 16  Toujours en réponse aux arguments soumis dans Gagliano, les craintes de voir apparaître des conclusions contradictoires quant aux différents témoignages apparaissent non fondées. Dans une démocratie, où la séparation des pouvoirs est importante, l’unicité des décisions ne doit pas être recherchée à tout prix. Devant le tribunal, la recherche de la vérité est la quête la plus importante, dans le respect des droits humains. L’intégrité du Parlement n’est pas à ce point menacée qu’elle rend un tel privilège nécessaire.

 17  En somme, le privilège parlementaire existe, mais après l’analyse du critère de nécessité au regard des arrêts récents, notamment New Brunswick Broadcasting et Vaid, il ne nous apparaît pas nécessaire. Rappelons que le fardeau de la preuve du privilège parlementaire incombe à celui qui l’invoque. Ici, en l’absence de conséquences pour les témoins, le pouvoir du Parlement dans sa recherche de la vérité n’est pas entravé, d’où l’inutilité qu’un privilège soit accordé sur l’utilisation des témoignages. Si le tribunal en vient à la conclusion que le privilège parlementaire est inapplicable, il peut accorder la production des témoignages.

Analyse historique du privilège parlementaire

 18  Le conseilleur juridique du Sénat du Canada a référé à l’arrêt Gagliano, aux paragraphes 45 et 49, pour définir les privilèges et immunités du Sénat comme suit :

 

45   Le privilège parlementaire au Canada tire ses origines tant de la common law que des lois. Ainsi, avant la Confédération, en l’absence d’un octroi particulier de la part du Parlement du Royaume-Uni, la règle de common law était bien établie : les privilèges qui étaient nécessairement accessoires à une législature étaient réputés exister (J. P. Maingot, Le privilège parlementaire au Canada, 2e éd., Ottawa : Chambres des communes, 1997, à la page 16).

 

 

[…]

 

 

49   Par la suite, toutefois, en 1868, le Parlement canadien a, en vertu de l’article 4 de la Loi sur le Parlement du Canada, expressément incorporé par renvoi ces privilèges, immunités et pouvoirs qui existaient au Royaume-Uni. L’article 4 énonce :

 

 

*

 

4. Les privilèges, immunités et pouvoirs du Sénat et de la Chambre des communes, ainsi que de leurs membres, sont les suivants :

 

 

*

 

a) d’une part, ceux que possédaient, à l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1867, la Chambre des communes du Parlement du Royaume-Uni ainsi que ses membres, dans la mesure de leur compatibilité avec cette loi;

 

*

 

b) d’autre part, ceux que définissent les lois du Parlement du Canada, sous réserve qu’ils n’excèdent pas ceux que possédaient, à l’adoption des ces lois, la Chambre des communes du Parlement du Royaume-Uni et ses membres.

 

 19  C’est dans cette optique que dans l’arrêt Vaid, au paragraphe 20 le Juge Binnie s’exprime, au nom de la Cour, discutant des origines du privilège :

 

20   C’est suivant un principe d’une grande sagesse que les tribunaux et le Parlement s’efforcent de respecter leurs rôles respectifs dans la conduite des affaires publiques. Le Parlement s’abstient de commenter les affaires dont les tribunaux sont saisis conformément à la règle du sub judice. Les tribunaux, quant à eux, prennent soin de ne pas s’immiscer dans le fonctionnement du Parlement. Aucune des parties au présent pourvoi ne remet en question l’importance prépondérante de la Chambre des communes en tant que ‘grand enquêteur de la nation’. Aucune ne doute non plus de la nécessité que la Chambre des communes puisse exercer ses activités législatives libre de toute ingérence de la part d’organismes ou d’institutions externes, y compris les tribunaux. […]

 

 20  L’article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867 octroie au Parlement du Canada le pouvoir de légiférer pour déterminer l’étendue des privilèges, immunités et pouvoirs du Sénat et de la Chambre des communes, ainsi que de leurs membres respectifs. Ce pouvoir législatif est plénier, à une exception près : le Parlement du Canada ne saurait pas, en vertu de l’article 18, accorder des privilèges, immunités ou pouvoirs qui excèdent ceux que possédait la Chambre des communes du Parlement du Royaume-Uni en 1867. Cependant, ces privilèges doivent être susceptibles d’évoluer et de ‘s’adapter aux circonstances changeantes’. (l’arrêt Vaid, paragraphe 39). De plus, pour déterminer l’étendue des pouvoirs, droits, immunités et privilèges du Sénat et de la Chambre des communes du Canada, il faut tout d’abord délimiter ceux dont jouissait la Chambre des communes britannique en 1867. (paragraphe 37).

 21  Le Parlement du Canada a exercé le pouvoir conféré par l’article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867 notamment par l’adoption des articles 4 et suivants de la Loi sur le Parlement, L.R.C. 1985, ch. P-1.

 22  Pour conclure sur les origines du privilège parlementaire, dans l’arrêt Vaid, la Cour suprême du Canada énonce une série de propositions maintenant entérinées tant par les tribunaux que par les experts en matière parlementaire, qui délimitent les privilèges ‘inhérents’ ou reconnus par les tribunaux :

1.

 

Les organismes législatifs créés par la Loi constitutionnelle de 1867 ne constituent pas des enclaves à l’abri de l’application du droit commun du pays. ‘La tradition de retenue judiciaire ne s’applique pas à tous les actes susceptibles d’être accomplis par une assemblée législative, mais se rattache fermement à certaines de ses activités spécifiques, c’est-à-dire à ce qu’on appelle les privilèges de ces organismes’ (New Brunswick Broadcasting, p. 371). Le privilège [TRADUCTION] ‘n’englobe pas ni ne protège les activités des individus, qu’ils soient ou non membres de la Chambre, du seul fait qu’elles sont exercées dans l’enceinte parlementaire’ (R.-U., Joint Committee on Parliamentary Privilege, Report and Proceedings of the Committee (1999) (‘rapport du comité mixte britannique’), par. 242 (en italique dans l’original)).

 

 

2.

 

Dans le contexte canadien, le privilège parlementaire est la somme des privilèges, immunités et pouvoirs dont jouissent le Sénat, la Chambre des communes et les assemblées législatives provinciales ainsi que les membres de chaque Chambre individuellement, sans lesquels ils ne pourraient s’acquitter de leurs fonctions (Jurisprudence parlementaire de Beauchesne, p. 11; Erskine May, p. 75; New Brunswick Broadcasting, p. 380).

 

 

3.

 

Le privilège parlementaire ne crée pas un hiatus dans le droit public général du Canada; il en est plutôt une composante importante, héritée du Parlement du Royaume-Uni en vertu du préambule de la Loi constitutionnelle de 1867 et, dans le cas du Parlement du Canada, en vertu de l’art. 18 de cette même loi (New Brunswick Broadcasting, p. 374-378; Telezone Inc. v. Canada (Attorney General)(2004), 69 O.R. (3d) 161 (C.A.), p. 165; et Nation et bande indienne de Samson c. Canada, [2004] 1 R.C.F. 556, 2003 CF 975).

 

 

4.

 

Le privilège parlementaire est

 

 

l’indispensable immunité que le droit accorde aux membres du Parlement et aux députés des dix provinces […] pour leur permettre d’effectuer leur travail législatif. [Je souligne.]

 

 

(J. P. J. Maingot, Le privilège parlementaire au Canada (2e éd. 1997), p. 12; New Brunswick Broadcasting, p. 341; voir Fielding v. Thomas, [1896] A.C. 600 (C.P.), p. 610-611; Kielley v. Carson (1842), 4 Moo PC 63, 13 E.R. 225, p. 235-36.) La notion de nécessité est donc liée à l’autonomie dont doivent bénéficier les assemblées législatives et leurs membres pour effectuer leur travail.

 

 

5.

 

Le fondement historique de tout privilège parlementaire est la nécessité. Si une sphère d’activité de l’organe législatif pouvait relever du régime de droit commun du pays sans que cela nuise à la capacité de l’assemblée de s’acquitter de ses fonctions constitutionnelles, l’immunité ne serait pas nécessaire et le privilège revendiqué inexistant : Jurisprudence parlementaire de Beauchesne, p. 11; Maingot, p. 12; Erskine May, p. 75; Stockdale v. Hansard, p. 1169; New Brunswick Broadcasting, p. 343 et 382.

 

 

6.

 

Quand l’existence d’une catégorie (ou d’une sphère d’activité) à l’égard de laquelle un privilège inhérent est revendiqué (du moins à l’échelon provincial) est contestée, le tribunal ne doit pas seulement prendre en compte les origines historiques de la revendication, mais aussi déterminer si la catégorie de privilège inhérent demeure, encore aujourd’hui, nécessaire au bon fonctionnement de l’organe législatif. L’histoire parlementaire, bien que fort pertinente, n’est pas un facteur déterminant :

 

 

 

   Le fait que ce privilège ait été maintenu pendant plusieurs siècles, tant à l’étranger qu’au Canada, est une preuve qu’il est généralement considéré comme essentiel au bon fonctionnement d’une législature inspirée du modèle britannique. Toutefois, il faut de nouveau nous poser la question suivante : dans le contexte canadien de 1992, le droit [page687] d’exclure des étrangers est-il nécessaire au bon fonctionnement de nos organismes législatifs? [Je souligne.]

 

 

 

(New Brunswick Broadcasting, la juge McLachlin, p. 387)

 

 

7.

 

Dans ce contexte, le concept de ‘nécessité’ doit être interprété largement. Suivant le critère traditionnel, qui tire son origine de la loi et de la coutume du Parlement de Westminster, il s’agit de déterminer ce que requièrent ‘la dignité et l’efficacité de l’Assemblée’ :

 

 

 

Si une question relève de cette catégorie nécessaire de sujets sans lesquels la dignité et l’efficacité de l’Assemblée ne sauraient être maintenues, les tribunaux n’examineront pas les questions relatives à ce privilège. Toutes ces questions relèveraient plutôt de la compétence exclusive de l’organisme législatif. [Je souligne.]

 

 

 

(New Brunswick Broadcasting, p. 383)

 

 

( mon avis, les mentions relatives à la ‘dignité’ et à l »efficacité’ se rapportent également à l’autonomie du Parlement. Pour reprendre les termes utilisés par le lord juge en chef Ellenborough il y a près de deux siècles, une assemblée législative qui n’aurait pas le pouvoir de contrôler sa procédure [TRADUCTION] ‘sombrerait dans l’inefficacité et le mépris absolus’ (Burdett v. Abbot (1811), 14 East 1, 104 E.R. 501, p. 559). Les délais engendreraient l »inefficacité’ et une intervention externe causerait inévitablement de l’incertitude. L’autonomie des parlementaires ne leur a donc pas été conférée comme une simple marque de respect, mais parce que la protection contre toute ingérence externe est nécessaire pour que le Parlement et ses membres accomplissent leur travail.)

 

 

8.

 

Pour satisfaire au critère de nécessité, il faut notamment [TRADUCTION] ‘démontrer [que le privilège] est depuis longtemps exercé et reconnu’ (Stockdale v. Hansard, p. 1189). La partie qui invoque l’immunité que confère le privilège parlementaire a le fardeau d’en établir l’existence.

 

 

 

[TRADUCTION] … Les défendeurs ont la charge d’établir qu’il en est ainsi, parce qu’il y a assurément à première vue contradiction avec la common law. [Ibid., p. 1189]

 

 

   Le fardeau de la preuve incombe à la partie qui revendique [le privilège] et tous les éléments de l’allégation doivent être étayés par la preuve … [Ibid., p. 1201]

 

 

9.

 

C’est uniquement pour établir l’existence et l’étendue d’une catégorie de privilège qu’il faut démontrerla nécessité. Une fois la catégorie (ou la sphère d’activité) établie, c’est au Parlement, et non aux tribunaux, qu’il revient de déterminer si l’exercice de ce privilège est nécessaire ou approprié dans un cas particulier. En d’autres termes, à l’intérieur d’une catégorie de privilège, le Parlement est seul juge de l’opportunité et des modalités de son exercice, qui échappe à tout contrôle judiciaire : ‘Il n’est pas nécessaire de démontrer que chaque cas précis d’exercice d’un privilège est nécessaire’ (New Brunswick Broadcasting, p. 343 (je souligne)).

 

 

 

Voir également Ontario (Speaker of the Legislative Assembly) v. Ontario (Human Rights Commission) (2001), 54 O.R. (3d) 595 (C.A.); Nation et bande indienne de Samson, par. 13; Martin v. Ontario, [2004] O.J. No. 2247 (QL) (C.S.J.), par. 13; R. v. Richards; Ex parte Fitzpatrick and Browne (1955), 92 C.L.R. 157 (H.C. Aust.), p. 162; Egan v. Willis (1998), 158 A.L.R. 527 (H.C.); et Huata v. Prebble, [2004] 3 NZLR 359, [2004] NZCA 147.

 

 

10.

 

Les ‘catégories’ sont notamment la liberté de parole (Stopforth v. Goyer (1979), 23 O.R. (2d) 696(C.A.), p. 700; Re Clark and Attorney-General of Canada (1977), 17 O.R. (2d) 593 (H.C.); Bill of Rights de 1689 du Royaume-Uni, art. 9; Prebble v. Television New Zealand Ltd., [1995] 1 A.C. 321 (C.P.); Hamilton v. Al Fayed, [2000] 2 All E.R. 224 (H.L.)); le contrôle qu’exercent les Chambres du Parlement sur les [TRADUCTION] ‘débats ou travaux du Parlement’ (garanti par le Bill of Rights de 1689), y compris la procédure quotidienne de la Chambre, comme la pratique de la [page689] législature ontarienne de réciter le Notre Père au début de chaque jour de séance (Ontario (Speaker of the Legislative Assembly), par. 23); le pouvoir d’exclure les étrangers des débats (New Brunswick Broadcasting; Zündel v. Boudria (1999), 46 O.R. (3d) 410 (C.A.), par. 16; R. v. Behrens,[2004] O.J. No. 5135 (QL), 2004 ONCJ 327); le pouvoir disciplinaire du Parlement à l’endroit de ses membres (Harvey; voir également Tafler v. British Columbia (Commissioner of Conflict of Interest)(1998), 161 D.L.R. (4th) 511 (C.A.C.-B.), par. 15-18; Morin v. Crawford (1999), 29 C.P.C. (4th) 362 (C.S. T.N.-O.)); et des non-membres qui s’ingèrent dans l’exercice des fonctions du Parlement (Payson c. Hubert (1904), 34 R.C.S. 400, p. 413; Behrens), y compris l’immunité contre l’arrestation dont jouissent les membres du Parlement pendant une session parlementaire (Telezone; Ainsworth Lumber Co. v. Canada (Attorney General) (2003), 226 D.L.R. (4th) 93, 2003 BCCA 239; Nation et bande indienne de Samson). Historiquement, ces catégories générales sont considérées justifiées par les exigences du travail parlementaire.

 

 

11.

 

Le rôle des tribunaux consiste à s’assurer que la revendication d’un privilège ne permet pas au Parlement, à ses représentants ou à ses employés de se soustraire au régime de droit commun en ce qui a trait aux conséquences de leurs actes lorsque leur conduite outrepasse la portée nécessaire de la catégorie de privilège en cause (Re Ouellet (No. 1) (1976), 67 D.L.R. (3d) 73 (C.S. Qué.), p. 87). Ainsi, en 1839, près de trois décennies avant la Confédération, les tribunaux anglais ont refusé de reconnaître une résolution formelle de la Chambre des communes qui dépassait à leur avis les véritables limites du privilège revendiqué (Stockdale v. Hansard, p. 1156, le juge en chef Denman; p. 1177, le juge Littledale; p. 1192, le juge Patteson; p. 1194, le juge Coleridge). Des spécialistes des usages parlementaires britanniques ont depuis reconnu la compétence des tribunaux pour trancher une revendication de privilège (voir Erskine May, p. 185-186). Notre Cour a aussi reconnu ce partage des compétences entre les tribunaux et la Chambre [page690] dans Landers c. Woodworth(1878), 2 R.C.S. 158. Le juge en chef Richards, qui fut le premier a occuper ce poste à la Cour, s’est alors exprimé comme suit à la p. 196 :

 

 

 

[TRADUCTION] [L]es tribunaux regarderont si les choses que la Chambre des communes déclare être ses privilèges en sont vraiment; la simple affirmation par cet organisme qu’un certain acte constitue une violation de ses privilèges n’empêche pas les tribunaux d’examiner et de décider si le privilège revendiqué existe réellement.

 

 

 

Cette règle relative à la compétence a également été reconnue par des spécialistes de la procédure et des usages parlementaires au Canada (voir Maingot, p. 66) et n’est pas contestée dans le présent pourvoi.

 

 

12.

 

Les tribunaux peuvent examiner de plus près les affaires dans lesquelles la revendication d’un privilège a des répercussions sur des personnes qui ne sont pas membres de l’assemblée législative en cause, que celles qui portent sur des questions purement internes (New Brunswick Broadcasting, p. 350; Bear v. State of South Australia (1981), 48 S.A.I.R. 604 (Indus. Ct.); Thompson v. McLean(1998), 37 C.C.E.L. (2d) 170 (C. Ont. (Div. gén.)), par. 21; Stockdale v. Hansard, p. 1192).

 

 23  La première étape dans la détermination de l’existence d’un privilège consiste à se demander si l’existence et l’étendue du privilège allégué ont été établies péremptoirement en ce qui concerne notre Parlement. Certaines catégories, comme la liberté de parole à la Chambre, le pouvoir de contrôler les débats et le pouvoir disciplinaire du Parlement à l’endroit de ses membres, sont depuis longtemps reconnues comme des catégories de privilèges, justifiées par les impératifs du travail parlementaire. En l’espèce, la présente requête implique deux principes inhérents déjà reconnus, soit le droit de parole, et le droit du Sénat de contrôler ses débats, incluant le droit de débattre à huis-clos ou de publier les débats.

 24  Selon les motifs du juge Binnie dans l’arrêt Vaid :

 

33   La décision New Brunswick Broadcasting, interprétée strictement, confirme le statut constitutionnel des privilèges ‘inhérents’ que les assemblées législatives provinciales possèdent du seul fait de leur création. [L]e Parlement fédéral s’est vu conféré, en termes exprès, le pouvoir d’établir des privilèges plus vastes que les privilèges ‘inhérents’ à la création du Sénat et de la Chambre des communes, mais de tels privilèges établis par voie législative ne doivent pas ‘excéder’ les privilèges ‘possédés et exercés’ par la Chambre des communes du Royaume-Uni et par ses membres au moment de la passation de la loi.

 

 25  La Cour a également fait ressortir, à la lecture de l’art. 4 de la Loi sur le Parlement du Canada, que si le Parlement avait bel et bien exercé son pouvoir législatif en vertu de l’art. 18 de la Loi constitutionnelle de 1867 en octroyant au Sénat et à la Chambre des communes ‘tous les privilèges autorisés par la Constitution’, le Parlement ‘n’a ni énuméré ni décrit les catégories de privilège ou l’étendue de ces privilèges, sauf par renvoi général aux privilèges que ‘possédaient’ la Chambre des communes du Royaume-Uni’.

 26  Le Juge Binnie explique donc que les privilèges inhérents, dont la liberté de parole prévue à l’article 9 du Bill of Rights, ont une protection constitutionnelle :

 

36   Par conséquent, les privilèges de notre Parlement sont principalement constitués de privilèges ‘établis par voie législative’ et, selon l’art. 4 de la Loi sur le Parlement du Canada, ils seront reconnus en fonction des lois et coutumes de la Chambre des communes du Royaume-Uni, qui comportent elles-mêmes à la fois des privilèges établis par voie législative (dont le Bill of Rights de 1689) et des privilèges inhérents. […]

 

 

37   Les rédacteurs de la Loi constitutionnelle de 1867 ont néanmoins cru bon d’utiliser le Parlement de Westminster comme point de référence en ce qui a trait au privilège parlementaire canadien et si l’existence ainsi que l’étendue d’un privilège du Parlement de Westminster sont établies péremptoirement (par un précédent anglais ou canadien), ce privilège devrait être reconnu par les tribunaux canadiens sans qu’il soit nécessaire d’en apprécier la nécessité.

 

 27  Tel a été expliqué par la jurisprudence Britannique. Dans l’arrêt Stockdale v. Hansard, supra, confirmé dans l’arrêt Kielley v. Carson (1842), 13 E.R. 225, 4 Moo PC 63 (C.P.) le lord juge en chef Denman a déclaré, à la page 1169 :

 

[TRADUCTION] ‘Si la nécessité peut être prouvée, point n’est besoin d’ajouter autre chose : c’est le fondement de tout privilège du Parlement, et c’est tout ce qui est exigé.’

 

Les critères de la nécessité

 28  Le Sénat du Canada fait valoir que puisque le privilège parlementaire a déjà été reconnu en l’espèce, la question de nécessité ne s’applique pas. La question du privilège étant résolu, ‘il reviendra à la Chambre d’agir et l’exercice du privilège dans un cas particulier ne sera pas assujetti à l’examen des tribunaux.’ Subsidiairement, même s’il fallait appliquer le critère de la nécessité en l’espèce, la preuve démontre que le privilège réclamé est justifié en l’espèce pour permettre au Sénat d’exercer ses fonctions.

 29   En effet, il est intéressant de noter la position du requérant au paragraphe 15 de son mémoire. Il propose de faire une analyse contraire. Selon lui, le privilège existe en l’espèce, mais il ne lui apparaît pas nécessaire. Ainsi, puisque le fardeau repose sur la personne qui allègue le privilège, la nécessité doit être prouvée. Avec égard, tel que discuté plus haut, la Cour suprême en vient à une analyse complètement incompatible. Ainsi, il faut d’abord déterminer si le privilège existe. S’il existe, ce que le requérant admet volontairement, alors la Cour ne peut déterminer si l’exercice de ce privilège est nécessaire ou approprié dans un cas particulier.

 30  Pour ce qui est de la nécessité, il est établi que, dans la mesure où il existe des divergences entre les pratiques parlementaires canadiennes et celles du Royaume-Uni qui découlent des deux systèmes respectifs, ‘[c]es pratiques seraient assujetties au critère de ‘nécessité’ défini en fonction des exigences et circonstances propres à notre Parlement’. Ainsi, le Parlement pourra établir l’existence du privilège parlementaire, même si celui-ci n’était pas péremptoirement reconnu en 1867, pourvue que celui-ci soit nécessaire à son bon fonctionnement.

 31  Il est évident que l’étendue et la portée du privilège parlementaire revendiqué ont aussi varié au fil des ans. Avant la Confédération, et sauf attribution expresse du Parlement du Royaume-Uni, le principe de common law était bien établi : les privilèges qui étaient nécessairement accessoires aux travaux d’une assemblée législative étaient réputés exister.

 32  Dans l’arrêt Vaid, la Cour suprême du Canada a statué qu’afin de décider si un privilège existe ou non en vertu de la Loi sur le Parlement, les tribunaux doivent vérifier si l’existence et l’étendue du privilège ont été établies péremptoirement en ce qui concerne le Parlement du Canada ou la Chambre des communes du Royaume-Uni :

 

Dans certains cas, par exemple en ce qui concerne la liberté de parole à la Chambre, la réponse ira de soi. Par contre, d’autres privilèges ne sont pas reconnus de façon aussi certaine. Le droit britannique en matière de privilège est encore aujourd’hui en grande partie non écrit. […] En Grande-Bretagne, les tribunaux exercent la diligence qui s’impose lorsqu’ils examinent une revendication de privilège parlementaire qui immuniserait l’exercice, par l’une ou l’autre des Chambres du Parlement, d’un pouvoir qui porte atteinte aux droits des non-parlementaires.

 

 33  Au paragraphe 46 de l’arrêt Vaid, le juge Binnie affirme que le privilège parlementaire se définit en fonction de ce qui est nécessaire pour permettre à la Chambre et à ses membres de s’acquitter de leurs fonctions constitutionnelles. Le critère de nécessité s’applique donc de façon téléologique, car il y a un lien entre la nécessité et la fonction législative. L’analyse du critère de nécessité est étroitement liée à la notion d’autonomie dont la Chambre doit jouir dans l’exercice de ses prérogatives :

 

46   … Pour justifier la revendication d’un privilège parlementaire, l’assemblée ou le membre qui cherchent à bénéficier de l’immunité qu’il confère doivent démontrer que la sphère d’activité à l’égard de laquelle le privilège est revendiqué est si étroitement et directement liée à l’exercice, par l’assemblée ou son membre, de leurs fonctions d’assemblée législative et délibérante, y compris leur tâche de demander des comptes au gouvernement, qu’une intervention externe saperait l’autonomie dont l’assemblée ou son membre ont besoin pour accomplir leur travail dignement et efficacement.

 

 34  Néanmoins, il ne fait pas de doute que les deux privilèges invoqués en l’espèce sont reconnus, l’un par l’article 9 du Bill of Rights (liberté de parole), et l’autre (le contrôle des travaux ou débats) par la Cour suprême : ‘il est généralement reconnu, par exemple, que le privilège couvre les ‘travaux du Parlement’. D’ailleurs, dans l’arrêt Vaid, ces deux privilèges sont compris dans une ‘catégorie’ : ‘Les ‘catégories’ sont notamment la liberté de parole [… et] le contrôle qu’exercent les Chambres du Parlement sur les [TRADUCTION] ‘débats ou travaux du Parlement’ (garanti par le Bill of Rights de 1689)’. Pour ce qui est spécifiquement du droit de délibérer à huis clos, la Juge McLachlin disait ceci dans l’arrêt New Brunswick Broadcasting :

 

139  […] Il n’est pas nécessaire en l’espèce d’examiner le cas d’une tentative d’exclure tous les membres du public, ou certains groupes du public, et de diriger les débats de l’Assemblée en privé, quoiqu’on puisse souligner que la tradition anglaise appuierait le droit de l’Assemblée de délibérer en privé. […]

 

Les prétentions du Sénat du Canada

 35  Le conseilleur juridique du Sénat affirme que le témoignage devant un comité du Parlement est protégé par le privilège et celui-ci empêche le contre-interrogatoire fondé sur des éléments de preuve obtenus par un comité parlementaire pour les raisons suivantes :

(a)

 

Il y a plusieurs raisons qui expliquent l’immunité conférée aux témoignages d’un témoin devant un comité parlementaire. D’abord, même si les témoins qui comparaissent devant un comité parlementaire ne sont pas des membres du Parlement, ils ne sont pas non plus des étrangers à la Chambre. Ils sont plutôt des invités à qui sont conféré le privilège parlementaire parce que, comme pour les membres, le privilège est nécessaire pour s’assurer qu’ils soient en mesure de parler ouvertement, sans craindre que leurs propos soient utilisés par la suite pour les discréditer dans une autre instance.

 

(b)

 

Cette prétention trouve son appui dans l’histoire du privilège, notamment dans Stockdale v. Hansard : ‘ce qui se passe ou se dit dans l’enceinte de l’une ou de l’autre des assemblées ne devrait pas