M.M. c. J.H.

  • Dossier : 04-FP-297613FIS
  • Date : 2024

ONTARIO

 

COUR SUPÉRIEURE DE JUSTICE 

 

ENTRE

 

M.M.

 

demandeur

 

– et –

 

 

J.H.

défendeur

 

– et –

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU Canada

))) Marcha A. McCarthy,) pour le demandeur

)

)

)

)

)

)

)

) Julie Hannaford, pour le défendeur

)

)

)

)

) Gail Sinclair et Andrea Horton,

) pour le procureur général du )Canada

)

AUDIENCE : 13 septembre 2004

 

 

 

 

Le juge MESBUR

 

La nature de la demande

 

[1] Cette action fait suite à la demande en divorce intentée par le demandeur. Ce dernier et le défendeur avaient résolu toutes les questions accessoires par accord de séparation, mais ne pouvaient obtenir le divorce parce que leur cas échappe à l’application de la Loi sur le divorce [1] qui définit « époux » comme suit : « homme ou femme unis par les liens du mariage » [2]. Par suite, le procureur général du Canada a été joint à l’instance du fait que la constitutionnalité du texte de loi est en cause. Bref, la question se pose de savoir si la définition d’époux dans la Loi sur le divorce va à l’encontre des droits à l’égalité garantis par le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte), sans être justifiable au regard de l’article premier [3]. Dans l’affirmative, pareille atteinte mettra en jeu le paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, lequel prévoit ce qui suit :

 

La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.

 

[2] Une conclusion qu’il y a atteinte à la Charte a donc pour corollaire la question de savoir quel est « le degré d’incompatibilité » avec les droits garantis par ce texte et quel est le redressement approprié.

 

[3] Le demandeur et le défendeur (désignés ci-après les « parties ») ainsi que le procureur général du Canada (le ministère public fédéral) sont convenus que le point litigieux en l’espèce est le même que celui soumis à la Cour d’appel de l’Ontario dans la cause Halpern v. Canada (Attorney General) [4]. Cette dernière portait sur la constitutionnalité de la condition imposée en common lawque seules deux personnes de sexe opposé peuvent être unies par les liens du mariage. La Cour d’appel a jugé que cette condition était inconstitutionnelle et ne pouvait être justifiée au regard de l’article premier de la Charte. Le procureur général du Canada n’a pas porté devant la Cour suprême du Canada cette décision, qui est devenue ainsi le magistère à suivre pour notre Cour. Les parties et le ministère public fédéral sont convenus qu’il s’ensuit que la définition d’« époux » dans la Loi sur le divorce doit aussi aller à l’encontre du paragraphe 15(1) de la Charte, et ne peut être non plus justifié au regard de l’article premier, puisqu’elle est essentiellement une définition du mariage qui pose pour condition que les deux conjoints soient de sexe opposé.

 

[4] Peu importe qu’ils soient convenus qu’il y a eu atteinte à la Charte, leur accord ne suffit pas en soi pour justifier une conclusion en ce sens [5]. La Cour doit procéder à sa propre analyse et parvenir à sa propre conclusion. À la différence de ce qui se passait dans la cause Schachter, j’ai pu disposer, aux fins de la conclusion sur le redressement, d’éléments de preuve complets touchant à la fois la question de fond de l’atteinte à l’article 15, la question de la justification au regard de l’article premier, et la question de l’objectif législatif.

 

[5] À la clôture de l’audience, j’ai fait savoir que je partageais l’analyse constitutionnelle produite, et que je prononcerais les motifs par lesquels j’aurai conclu que la définition d’époux est inconstitutionnelle, inopérante, nulle et non avenue. J’ai également fait savoir que je me prononcerais sur le redressement approprié de l’atteinte à la Charte.

 

[6] Ayant déclaré la disposition en question inconstitutionnelle et nulle et non avenue, j’ai donc pu accorder aux parties le divorce dut fait de la rupture de leur mariage, comme en témoignait plus d’une année de séparation. La définition inconstitutionnelle d’« époux » ne faisait plus obstacle à leur divorce.

 

[7] Selon le procureur général du Canada, il suffit de supprimer ou d’invalider la disposition fautive ainsi que les passages d’autres articles qui la citent [6] pour remédier à l’atteinte à l’article 15 de la Charte, ainsi que le requiert l’article 52. Les parties ne sont pas de cet avis. Elles soutiennent que le redressement approprié de l’atteinte à la Charte consiste pour la Cour à supprimer ou à invalider les mots « homme et femme » dans la définition d’« époux » et à y substituer soit les mots « deux personnes » soit les mots « deux individus », afin que cette définition se lise :

 

« époux » l’une ou l’autre des deux personnes unies par les liens du mariage

 

ou 

 

« époux » l’un ou l’autre des deux individus unis par les liens du mariage

 

[8] Comme noté supra, le ministère public fédéral soutient qu’il y a lieu de supprimer la définition d’époux de telle façon que toute mention de ce terme dans la Loi sur le divorce se réfère tout simplement à l’actuelle définition de « conjoint » en common law, dans le contexte de la définition donnée par l’arrêt Halpern du mariage. En outre, pareille mesure imposerait de supprimer ou d’invalider la référence à la définition d’époux du paragraphe 2(1) à la fois à l’article 15 et au paragraphe 21.1 de la Loi sur le divorce afin que ces deux derniers se lisent : « conjoint s’entend également de l’ex-conjoint ».

 

[9] Les motifs qui suivent comprennent mon analyse de l’atteinte à la Charte ainsi que mes conclusions sur la question du redressement approprié.

 

La définition d’époux dans la Loi sur le divorce porte-t-elle atteinte à la Charte?

 

[10] Le paragraphe 15(1) de la Charte, souvent appelé la disposition sur les droits à l’égalité, garantit à tous l’égalité devant la loi, ainsi que la même protection et le même bénéfice de la loi. Voici ce qu’il prévoit :

 

La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

 

[11] L’article premier de la Charte garantit les droits et libertés prévus dans ce texte, sous réserve seulement « des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique ». Autrement dit, ces droits sont garantis à moins que l’acte discriminatoire ne soit justifié d’une façon ou d’une autre dans les limites étroites prévues à l’article premier. Ainsi que l’a fait observer Mme le juge McLachlin (juge puînée à l’époque) dans la cause RJRMacDonald Inc. c. Canada (Procureur général) [7] :

 

La démarche fondamentale est la suivante. . . . les tribunaux doivent . . . insister pour que, avant qu’il ne supprime un droit protégé par la Constitution, l’État fasse une démonstration raisonnée du bien visé par la loi par rapport à la gravité de la violation. . . . si l’État n’a pas démontré que les moyens qu’il utilise pour atteindre son objectif sont raisonnables et proportionnels à la violation des droits, la loi doit alors par nécessité être déclarée non valide.

 

[12] Afin d’examiner si la définition d’« époux » porte atteinte à l’égalité garantie par l’article 15 de la Charte, la Cour doit examiner les points suivants :

 

a) Le mariage des parties est-il valide?

 

b) Si les parties sont unies dans un mariage valide, leur exclusion des protections ou des avantages de la Loi sur le divorce vaut-elle discrimination en violation des droits à l’égalité, que protège le paragraphe 15(1) de la Charte?

 

c) La discrimination, si discrimination il y a, est-elle justifiée dans le cadre d’une société libre et démocratique; autrement dit, la discrimination peut-elle se justifier au regard de l’article premier?

 

 Ensuite, s’il est jugé qu’il y a eu atteinte à la Charte, qui ne peut être justifiée au regard de l’article premier, la Cour doit prononcer le redressement approprié.

 

[13] En conséquence, il échet en tout premier lieu d’examiner si les parties sont validement mariées l’une à l’autre, faute de quoi il ne saurait être question de l’application de la Loi sur le divorce, puisque cette loi a pour objet premier d’instituer le mécanisme de dissolution de mariages.

 

La validité du mariage

 

[14] Dans Halpern, la Cour d’appel de l’Ontario s’est attaquée de front à la définition de mariage, et a conclu que l’ancienne définition de mariage en common law, savoir [TRADUCTION] « l’union volontaire à vie d’un homme et d’une femme », était inconstitutionnelle. Elle a jugé que l’exclusion des couples de même sexe de cette définition portait atteinte au paragraphe 15(1) de la Charte, notamment en ces termes :

 

[TRADUCTION] En l’espèce, les couples de même sexe sont exclus d’une institution sociale fondamentale, le mariage … Cette exclusion perpétue l’idée que l’union de deux personnes de même sexe est moins digne de reconnaissance que les unions hétérosexuelles. Elle porte ainsi atteinte à la dignité des personnes qui vivent dans une union homosexuelle. [8]

 

[15] Ayant conclu qu’il y avait atteinte au paragraphe 15(1), la Cour a jugé que cette atteinte n’était pas justifiée au regard de l’article premier, en concluant au paragraphe 142 :

 

[TRADUCTION] En conséquence, nous concluons que l’atteinte aux droits d’égalité garantis au paragraphe 15(1) de la Charte n’est pas justifiée au regard de l’article premier de ce texte. Le procureur général du Canada n’a pas démontré que l’exclusion des couples homosexuels du mariage a pour objet des préoccupations sociales urgentes et réelles. Il n’a pas démontré non plus que le moyen choisi pour atteindre cet objectif est raisonnable et peut se justifier dans le cadre d’une société libre et démocratique.

 

[16] La Cour a déclaré invalide l’ancienne définition du mariage en common law et y a substitué la nouvelle formulation suivante : « l’union volontaire de deux personnes à l’exclusion de toute autre ». Elle a rejeté la requête du procureur général du Canada en suspension du jugement déclaratoire d’invalidité pour donner à la législature le temps de modifier la loi. Ainsi, la déclaration d’invalidité et la définition révisée prirent effet dès le prononcé de la décision le 10 juin 2003. Le ministère public fédéral n’a pas cherché à porter l’affaire devant la Cour suprême du Canada, la province d’Ontario non plus.

 

[17] Ainsi donc, à compter du 10 juin 2003, le mariage n’est plus limité en Ontario aux personnes de sexe opposé. Les parties se sont mariées à Toronto (Ontario) le 18 juin 2003. Par application de la décision Halpern, je conclus que leur mariage était valide.

 

[18] Bien que les deux parties eussent vécu ensemble pendant quelques années avant leur mariage, elles se sont séparées juste cinq jours après ce mariage, le 23 juin 2003. La demande en divorce a été faite le 15 juin 2004. Le seul chef de demande était la dissolution du mariage, fondée sur la rupture de l’union comme en témoignait l’année de séparation. À la date de l’audience, elles avaient été effectivement séparées depuis plus d’un an, sans aucune perspective raisonnable de réconciliation.

 

[19] Cependant, puisque selon le paragraphe 8(1) de la Loi, le divorce ne peut être accordé qu’à un époux ou aux deux époux qui en font ensemble la demande, les parties ne pourraient divorcer que si elles étaient « époux » au sens de la Loi. Le paragraphe 2(1) définissant « époux » comme étant « [l’]homme ou [la] femme unis par les liens du mariage », il s’ensuit qu’elles étaient validement mariées en vertu de la modification de la règle de common law, mais ne pouvaient demander la dissolution de leur mariage en raison de la définition dans la loi écrite. Ainsi donc, à la différence des autres couples mariées, elles s’étaient vu dénier la possibilité de demander le divorce à la rupture de leur mariage. La question corollaire qui se pose est de savoir si ce type de discrimination porte atteinte aux droits à l’égalité, que garantit la Charte.

 

La définition d’époux est-elle discriminatoire au regard de l’article 15?

 

[20] Dans Law c. Canada (Ministre de l’emploi et de l’Immigration) [9], le juge Iacobucci a passé en revue l’évolution de la jurisprudence en matière d’égalité et analysé la garantie de l’égalité par la Charte sous l’angle de la protection contre « toute atteinte à la dignité et à la liberté humaines essentielles par l’imposition de désavantages, de stéréotypes et de préjugés politiques ou sociaux ». En bref, le paragraphe 15(1) a pour but de préserver la dignité humaine au moyen de l’élimination du traitement discriminatoire.

 

[21] La dignité humaine signifie qu’ « une personne ou un groupe ressent du respect et de l’estime de soi ». Elle relève « de l’intégrité physique et psychologique et de la prise en main personnelle ».Elle est bafouée par le traitement injuste fondé sur des caractéristiques ou la situation personnelles qui n’ont rien à voir avec les besoins. Elle est rehaussée par des lois qui sont sensibles aux besoins des différents individus et qui tiennent compte du contexte sous-jacent à leurs différences. Elle est bafouée lorsque des personnes et des groupes sont « marginalisés, mis de côté et dévalorisés ». La dignité humaine se rapporte à la façon dont il est raisonnable qu’une personne se sente face à une loi donnée. La question fondamentale qui se pose est la suivante : « La loi traite-t-elle [cette] personne injustement, si on tient compte de l’ensemble des circonstances concernant les personnes touchées et exclues par la loi? » [10].

 

[22] Dans Law, la Cour suprême du Canada a jugé que le tribunal saisi doit entreprendre une analyse comparative, prenant en compte à la fois le contexte de la demande et la situation particulière du demandeur. Elle préconise « une démarche fondée sur l’objet et sur le contexte » de préférence à une formule figée et limitée, « pour permettre la réalisation de l’important objet réparateur qu’est la garantie d’égalité et pour éviter les pièges d’une démarche formaliste ou automatique » [11]. L’analyse visant à déterminer s’il y a atteinte au paragraphe 15(1) doit porter sur trois principaux éléments ou points de repère.

 

[23] En premier lieu, le tribunal doit examiner si la loi contestée distingue formellement entre le demandeur et d’autres personnes en raison d’une ou de plusieurs caractéristiques personnelles, ou omet de tenir compte de la situation défavorisée dans laquelle le demandeur se trouve déjà au sein de la société canadienne, créant ainsi une différence de traitement réelle entre celui-ci et d’autres personnes en raison d’une ou de plusieurs caractéristiques personnelles.

 

[24] En l’espèce, la loi, c’est-à-dire la Loi sur le divorce, distingue formellement entre les demandeurs, en leur qualité d’époux de même sexe, et les époux de sexe opposé, en limitant la définition d’époux et, partant, l’application de la même loi aux époux de sexe opposé. Les époux de même sexe ont pour caractéristique personnelle commune d’être homosexuels, et non hétérosexuels.

 

[25] Pour ce qui est du second volet de la question, il n’est pas nécessaire de chercher plus loin que la conclusion tirée par la Cour dans la cause Halpern, telle qu’elle est reproduite au paragraphe 14 supra. La Cour y fait état de la situation désavantagée des demandeurs en concluant que l’exclusion des couples de même sexe de l’institution du mariage perpétue l’idée que l’union de deux personnes de même sexe est moins digne de reconnaissance que les unions hétérosexuelles. Il est indubitable qu’en l’espèce, la loi exclut les demandeurs des avantages du divorce. Elle ne tient pas compte de leur situation défavorisée, et se traduit par un traitement réellement différent du fait de leur caractéristique personnelle, qui est de vivre dans une union homosexuelle. De ce fait, la Loi sur le divorce porte atteinte aux personnes qui ont contracté un mariage homosexuel. Il est évident que les demandeurs passent l’épreuve de ce volet de l’analyse.

 

[26] En deuxième lieu, il s’agit d’examiner si le demandeur fait l’objet d’une différence de traitement fondée sur un ou plusieurs des motifs énumérés ou des motifs analogues. Dans Egan c. Canada [12], il a été jugé que « l’orientation sexuelle est une caractéristique profondément personnelle qui est soit immuable, soit susceptible de n’être modifiée qu’à un prix personnel inacceptable et qui, partant, entre dans le champ de protection de l’art. 15 parce qu’elle est analogue aux motifs énumérés » [13]. Une fois que la Cour suprême a jugé qu’un motif de discrimination est analogue aux motifs énumérés, ce motif sera toujours un indice de discrimination. Il est donc visible qu’en l’espèce, la distinction repose sur un motif analogue aux motifs énumérés au paragraphe 15(1).

 

[27] En troisième lieu, il faut examiner si la différence de traitement est discriminatoire en ce qu’elle impose un fardeau au demandeur ou le prive d’un avantage, d’une manière qui dénote une application stéréotypée de présumées caractéristiques personnelles ou collectives ou qui a pour effet de perpétuer ou de promouvoir l’idée que l’individu touché est moins capable ou moins digne d’être reconnu ou valorisé en tant qu’être humain ou membre de la société canadienne, qui mérite le même intérêt, le même respect et la même considération. Il échet donc d’examiner en l’espèce si la loi opère discrimination de façon à porter atteinte à la dignité des demandeurs.

 

[28] Le paragraphe 15(1) concerne l’égalité. Ainsi que l’a fait observer la Cour dans Halpern, ce stade de l’analyse porte sur l’égalité au fond et non sur la procédure. Elle est focalisée sur la dignité humaine. Cette analyse doit être entreprise sur le double plan subjectif et objectif. Dans Law, le jugeIacobucci a relevé quatre facteurs contextuels à prendre en considération pour décider si la loi contestée porte atteinte à la dignité du demandeur. Je les examinerai tour à tour.

 

Désavantage, stéréotypes, préjugés ou vulnérabilité préexistants

 

[29] Pour l’analyse au regard de ce facteur, j’adopte le raisonnement suivi par la Cour aux paragraphes 62 à 87 de son arrêt Halpern. Elle y relève les désavantages et la vulnérabilité dont sont victimes les gais, les lesbiennes et les couples de même sexe, tels que les a évoqués la Cour suprême du Canada dans les causes Law, Egan, Vriend [14] et M. c. H. [15]. Bien qu’un désavantage de longue date ne suffise pas à lui seul à fonder une présomption de discrimination, il en est un indice important. Dans Halpern, la Cour a jugé que l’ancienne définition du mariage en common law qui limitait ce concept aux couples hétérosexuels, déniait aux couples homosexuels un choix fondamental, savoir celui pour la personne homosexuelle d’épouser ou non son ou sa partenaire. Si on applique le même raisonnement en l’espèce, on voit que les couples homosexuels se voient dénier le choix fondamental ouvert aux couples hétérosexuels, savoir celui pour la personne homosexuelle de divorcer d’avec son ou sa partenaire. Je conclus que les parties, en leur qualité d’époux de même sexe, ont fait la preuve d’un désavantage, d’un stéréotype ou d’un état de vulnérabilité préexistant.

 

Le rapport entre les motifs de discrimination et les caractéristiques ou la situation des demandeurs

 

[30] Il découle de l’arrêt Law que le tribunal saisi doit examiner si la disposition législative contestée prend en compte les besoins, les capacités ou la situation véritables du demandeur (ou d’autres personnes partageant les mêmes caractéristiques) d’une façon qui respecte leur valeur en tant qu’êtres humains et membres de la société canadienne. Dans l’affirmative, elle risque moins d’avoir des effets adverses sur la dignité humaine. Elle doit être examinée du point de vue des demandeurs [16].

 

[31] En l’espèce, la loi contestée ne prend pas en compte le véritable état d’époux des demandeurs. Le divorce est ouvert aux époux de sexe opposé, mais non à eux. Cette loi ignore complètement la situation véritable des demandeurs, et d’autres se trouvant dans le même cas, faute de voir en eux des personnes qui peuvent demander le divorce. Ils sont marginalisés, au lieu d’être pris en considération.

 

[32] Je conclus en conséquence que la restriction du recours du divorce aux couples mariés hétérosexuels ne prend pas en compte les besoins, les capacités ou la situation des couples d’époux de même sexe. Ce qui justifie de conclure qu’il y a eu discrimination.

 

La loi contestée a-t-elle pour objet ou effet d’améliorer le sort d’individus ou de groupes plus désavantagés dans la société?

 

[33] Le tribunal doit examiner si la loi contestée a pour objet d’améliorer le sort d’un groupe plus désavantagé dans la société que le groupe dont relèvent les demandeurs. Il peut être acceptable d’exclure des individus plus favorisés du bénéfice de la loi si elle a pour objet d’avantager des individus qui le sont moins. Ainsi que l’a fait observer le juge Sopinka dans Eaton c. Brant CountyBoard of Education, « le par. 15(1) de la Charte a non seulement pour objet d’empêcher la discrimination par l’attribution de caractéristiques stéréotypées à des particuliers, mais également d’améliorer la position de groupes qui, dans la société canadienne, ont subi un désavantage en étant exclus de l’ensemble de la société ordinaire. » [17]. Il s’ensuit que la question cruciale à se poser est de savoir si les couples mariés de sexe opposé, qui jouissent du bénéfice de la Loi sur le divorce, sont désavantagés par rapport aux époux de même sexe.

 

[34] Personne ne dit et rien ne prouve que les couples d’époux de sexe opposé sont dans une situation désavantagée telle qu’elle requiert que les couples d’époux de même sexe soient exclus de l’application de la Loi sur le divorce. Ce qui pose la question de savoir si la loi contestée est limitative. En l’espèce, les demandeurs font partie du groupe de personnes composé d’époux de même sexe. Parce que leur cas échappe à la définition d’époux dans la Loi sur le divorce, ils sont obligés de demeurer mariés malgré l’échec de leur mariage. Les époux de sexe opposé, c’est-à-dire les personnes qui ne relèvent pas de ce groupe, ne sont pas astreints à cette contrainte, et ont tout loisir de rompre leurs rapports conjugaux. Autrement dit, les couples d’époux de sexe opposé jouissent du bénéfice du divorce, lequel, par l’effet des termes actuels de la Loi sur le divorce, est dénié aux couples d’époux de même sexe. Je conclus en conséquence que la loi contestée est limitative.

 

[35] Il est indubitable que les couples de même sexe, qui se voient dénier la possibilité de divorcer et de se remarier, constituent le groupe désavantagé. Les parties satisfont à la charge de prouver ce facteur contextuel. Ce qui justifie de conclure qu’il y a eu discrimination.

 

La nature des droits touchés

 

[36] Il ressort des deux arrêts Egan et Law que plus l’effet de la loi contestée est grave et limité au groupe touché, plus il est probable que cette loi est discriminatoire. En l’espèce, il convient d’examiner l’objet de la législation en matière de divorce, afin de cerner l’effet véritable du déni de ses bénéfices aux demandeurs.

 

[37] À la différence de la Loi sur le droit de la famille de l’Ontario [18], la Loi sur le divorce n’a pas un préambule qui en présente la philosophie et l’objet. Pour m’éclairer sur son objet, le ministère public fédéral a produit l’historique complet de la législation en la matière, en commençant par la législation d’avant la Confédération, suivie par la législation fédérale, les débats à la Chambre des communes et au Sénat sur le divorce au Canada dans ses avatars jusqu’à l’adoption de la Loi sur le divorce de 1968 [19] et se terminant par les débats de la Chambre des communes et les projets de loi conduisant à l’adoption de l’actuelle Loi sur le divorce.

 

[38] Ce qui est le plus instructif dans les débats de la Chambre des communes, ce sont les déclarations faites par le ministre de la Justice et procureur général, M. Crosbie, lors de la présentation du projet de l’actuelle Loi sur le divorce pour l’examen en seconde lecture, le 21 mai 1985. Il a fait savoir entre autres que la nouvelle législation était fondée sur l’idée que, « une fois les liens d’un mariage irrémédiablement dissous, il faut dénouer les liens légaux de la façon la moins douloureuse et la moins traumatisante possible. . . Nous avons donc besoin d’une législation permettant de régler les problèmes qui se produisent lorsqu’un mariage se défait ». Il a fait état de la nécessité de moderniser la législation et de la pression exercée par la société en ce sens, à la lumière de « l’évolution qui s’est opérée depuis la dernière réforme de la loi il y a 17 ans ». Le ministre a rappelé que même si plus de gens divorçaient, il formaient aussi de nouveaux liens familiaux. « La famille, dit-il, n’est donc pas en voie de disparition au Canada; elle ne fait que prendre de nouvelles formes. Ceux qui divorcent veulent ordinairement se remarier, former une famille et continuer à avoir des rapports familiaux. »

 

[39] Je conclus des propos du ministre que la Loi sur le divorce a pour objet, entre autres, de permettre aux gens de divorcer pour qu’ils puissent mettre fin à l’union légale et aussi pour qu’ils puissent se remarier et fonder une nouvelle famille. Le ministre a expressément fait observer que le mariage avait changé au Canada et que la loi devait traduire ce fait. Je conclus de ce qui précède que la définition actuelle interdit aux couples de même sexe de réaliser l’objet premier de la Loi sur le divorce, savoir la possibilité de mettre fin à leur union légale, de se remarier, de fonder une nouvelle famille et d’entretenir des relations familiales. Il s’agit là de valeurs fondamentales de notre société, qui sont déniées à ce groupe affecté.

 

[40] Dans Halpern, la Cour s’est aussi penchée sur la question de la discrimination sous l’angle de l’exclusion de personnes et de groupes d’institutions sociales fondamentales. L’institution sociale qu’est le divorce est en place au Canada depuis 1791 [20]. La loi de 1791 du Nouveau-Brunswick contient le préambule suivant :

 

[TRADUCTION] Considérant que pour préserver une société décente et ordonnée, il est nécessaire que l’union conjugale soit régie et limitée par certaines règles et contraintes, et l’état de cette Province requiert des dispositions en la matière ainsi que pour le divorce et les obligations alimentaires.

 

[41] Les causes, ou motifs de divorce, prévus à l’article IX de cette loi, étaient « la frigidité, l’impuissance, l’adultère, et la consanguinité au degré interdit par une loi du Parlement, adoptée en la Trente-deuxième année du règne du Roi Henri le Huitième ». Si l’histoire de la législation en matière de divorce au Canada a été caractérisée par l’extension des motifs de divorce jusqu’au motif actuel de l’échec du mariage, il est indubitable que le divorce, en tant qu’institution sociale importante, a existé depuis des siècles.

 

[42] D’exclure les demandeurs d’institutions sociales fondamentales et de leur dénier la capacité à participer aux valeurs fondamentales de la société, revient à leur imposer un fardeau excessif et exclusif, dont sont exemptés les couples d’époux de sexe opposé. Les demandeurs se sont donc aussi acquittés de la charge de la preuve relative à ce facteur contextuel. Ce qui justifie de conclure qu’il y a eu discrimination.

 

Conclusion à la discrimination

 

[43] Par ces motifs, je conclus que la définition d’« époux » dans la Loi sur le divorce est discriminatoire et porte atteinte au paragraphe 15(1) de la Charte. Ce qui nous amène à la question de savoir si cette atteinte est justifiable au regard de l’article premier de la Charte, c’est-à-dire si sa justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.

 

L’atteinte à l’article 15 peut-elle se justifier au regard de l’article premier?

 

[44] Dans R. c. Oakes [21], le juge en chef Dickson a défini le critère à observer pour examiner si une loi représente une limitation raisonnable d’un droit ou d’une liberté garanti par la Charte, dans le contexte d’une société libre et démocratique. Le critère dégagé impose à la partie qui défend le maintien de la loi, la charge de prouver, par application de la norme de la probabilité la plus forte :

 

 a) que l’objectif de la loi vise des préoccupations sociales, urgentes et réelles; et

 

 b) que les moyens choisis sont raisonnables et que leur justification peut se démontrer. Ce qui impose à son tour les conditions suivantes :

 

 (i) le moyen choisi doit présenter un lien rationnel avec cet objectif;

 

 (ii) le moyen choisi doit être de nature à porter le moins possible atteinte au droit en question; et

 

 (iii) il y a proportionnalité entre l’effet de la loi et son objectif, de telle sorte que la réalisation de cet objectif puisse être justifiée par l’atteinte au droit touché.

 

[45] Les parties soutiennent activement que l’atteinte au paragraphe 15(1) n’est pas justifiable en l’espèce. J’en conclus qu’il incombe au ministère public fédéral de la justifier. Il n’a pas cherché à le faire. Ce qui signifie qu’il ne s’est pas acquitté de l’obligation de preuve qui lui incombe, et que la Cour doit conclure que l’atteinte n’est pas justifiable par application de l’article premier. En particulier, parce que le ministère public fédéral n’a fait valoir aucun objectif pour le texte contesté, il est difficile de poursuivre l’analyse au regard de l’article premier à moins que je ne décide de mon propre chef quel est l’objectif législatif. Cependant, puisque le ministère public fédéral a produit de nombreux documents sur l’historique de la loi pour l’examen de cette question (encore que sans aucun commentaire), j’examinerai brièvement la question de la justification au regard de l’article premier.

 

Préoccupations urgentes et réelles

 

[46] Ainsi que l’a fait observer la Cour dans Halpern, l’analyse soumise au critère Oakes requiert que le juge dégage en premier lieu les objectifs de la loi contestée, et examine ensuite ces objectifs pour voir s’ils peuvent restreindre de façon justifiable des droits garantis par la Charte. La Cour a ajouté que si une loi porte atteinte à la Charte du fait qu’elle est limitative, il faut alors examiner à la fois l’objectif de la loi dans son ensemble et l’objectif visé par l’exclusion [22].

 

[47] On peut voir que la Loi sur le divorce dans son ensemble a pour objet d’instituer un mécanisme de dissolution du mariage, permettant aux parties de se remarier et de fonder une nouvelle famille, et aussi de prévoir les mesures accessoires concernant la garde des enfants, le droit de visite, la pension alimentaire des conjoints et des enfants. Le ministère public fédéral n’a articulé aucun objectif pour l’exclusion des couples d’époux de même sexe du bénéfice de cette loi. Rien dans le dossier soumis à la Cour ne permet de dire que le législateur a expressément considéré la question. Seule son inaction, face aux résultats des litiges en matière conjugale visant à redéfinir le mariage de façon à y inclure les couples homosexuels, pourrait être considérée comme un objectif délibérément visé. Je conclus qu’il n’y a aucun objectif impérieux pour exclure les couples d’époux de même sexe du bénéfice de la Loi sur le divorce. Cette exclusion a été tout simplement le résultat de la redéfinition du mariage en common law, et non d’un acte exprès ou ouvert de la part du législateur.

 

[48] Ainsi donc, si l’objectif de la loi dans son ensemble est urgent et réel, l’exclusion des époux de même sexe ne saurait être considérée comme visant des préoccupations urgentes et réelles. Il n’y a donc aucun objectif urgent et réel qui justifie l’exclusion des couples d’époux de même sexe du bénéfice de la Loi sur le divorce. L’atteinte au paragraphe 15(1) ne se justifie pas en application de l’article premier.

 

L’analyse de la proportionnalité

 

[49] À la différence de ce qui se passait dans la cause Halpern, le ministère public fédéral n’a fait état d’aucun objectif du texte contesté, qui serait légitime. Puisqu’il en est ainsi, il n’est ni indiqué ni nécessaire d’entreprendre l’analyse de la proportionnalité requise par le critère Oakes.

 

Conclusion sur la justification au regard de l’article premier

 

[50] Il résulte de ce qui précède que la définition d’« époux » n’est pas justifiable au regard de l’article premier; elle est inconstitutionnelle, inopérante, nulle et non avenue, ainsi que je l’ai jugé le 13 septembre 2004. Ce qui nous amène à la question suivante, savoir quel est le redressement le plus approprié de cette atteinte à la Constitution.

 

Le redressement approprié 

 

[51] La jurisprudence en matière de redressement de l’atteinte à la Charte a été établie par l’arrêtSchachter c. Canada [23], où le juge en chef Lamer a conclu en ces termes :

 

L’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 prévoit l’annulation des “dispositions incompatibles” de toute règle de droit. Selon les circonstances, un tribunal peut simplement annuler une disposition, il peut l’annuler et suspendre temporairement l’effet de la déclaration d’invalidité ou il peut appliquer les techniques d’interprétation atténuée ou d’interprétation large.

 

[52] Le ministère public fédéral soutient que la Cour devrait se contenter de supprimer la définition d’époux à l’article 2. Ce qui signifierait aussi la suppression des mots « au sens du paragraphe 2(8) » aux articles 15 et 17 de la Loi, de façon que les dispositions en question aux articles 15 et 17 se lisent seulement « “époux” s’entend en outre d’un ex-époux ». Les parties tiennent de leur côté que le redressement approprié consisterait à supprimer la définition contestée et à donner de la disposition en question une interprétation large, c’est-à-dire à remplacer les termes inconstitutionnels par des termes conformes à la Charte. L’adoption de cette analyse requerrait de reformuler la définition d’époux de façon en supprimant la mention de « l’homme ou la femme » unis par les liens du mariage et y substituant « deux personnes ».

 

[53] Il s’agit donc là des redressements possibles. Cependant, comme le juge en chef Lamer l’a fait observer en page 715 de l’arrêt Schachter, il n’y a pas de formule magique susceptible d’aider le tribunal à décider si la solution appropriée dans un cas donné est la dissociation ou l’interprétation large. Les principes directeurs sont le respect du rôle du législateur et des objets de la Charte. Diverses considérations doivent être examinées avec soin selon le cas d’espèce. La Cour doit suivre trois étapes pour trouver la réparation appropriée.

 

[54] En premier lieu, elle doit déterminer le degré d’incompatibilité entre le texte contesté et la Charte. En deuxième lieu, elle doit choisir le redressement qui remédie le mieux à cette incompatibilité. Enfin, elle doit décider s’il y a lieu de suspendre l’exécution du redressement. Puisque le procureur général du Canada n’a pas demandé la suspension du redressement, je dois seulement considérer les deux premières étapes, que j’examinerai successivement.

 

Le degré d’incompatibilité 

 

[55] Le texte contesté est la définition d’« époux » qui est limitée aux époux de sexe opposé.

 

[56] La Cour doit choisir le redressement qui remédie le mieux à cette incompatibilité. En l’espèce, le choix est entre la simple suppression, et la suppression avec interprétation large concomitante.

 

Le choix du redressement : suppression ou suppression accompagnée d’interprétation large

 

[57] Pour décider s’il faut simplement supprimer la définition d’époux dans son ensemble, ou supprimer les mots « homme et femme » et lire à la place « deux personnes », la Cour doit trouver le juste milieu entre le respect de la Constitution et le respect du rôle du législateur.

 

[58] Le procureur général du Canada soutient qu’il y a de nombreuses façons de redéfinir « époux » de façon à rendre la définition compatible avec la Charte, que ce choix appartient en dernière analyse au législateur et qu’en attendant, la nouvelle définition du mariage en common law, formulée par l’arrêt Halpern et d’autres décisions en matière matrimoniale [24] suffit pour donner un sens au terme « époux » tel qu’il figure dans la Loi sur le divorce.

 

[59] À l’appui, le ministère public fédéral cite cette conclusion tirée en page 707 de l’arrêtSchachter :

 

… la cour ne devrait pas avoir recours à l’interprétation large dans les cas où la façon de procéder à l’élargissement d’une loi ne se dégage pas avec suffisamment de précision des exigences de la Constitution. Dans ces cas, le recours à l’interprétation large équivaudrait à faire des choix particuliers entre diverses options dont aucune ne ressort avec suffisamment de précision de l’interaction de la loi en question et des exigences de la Constitution. Cette responsabilité incombe au législateur et non aux tribunaux.

 

[60] Le ministère public fédéral cite encore la Loi sur la modernisation de certains régimes d’avantages et d’obligations [25] à l’appui de son argument qu’il suffit de s’en tenir à la définition decommon law d’époux, telle qu’elle découle de la nouvelle définition de common law de mariage. Cette loi a modifié 68 lois fédérales pour donner aux couples homosexuels les mêmes avantages et les mêmes obligations que les couples hétérosexuels. Elle s’ouvre sur la disposition suivante :

 

Art. 1.1 Il demeure entendu que les modifications que la présente loi apporte ne changent pas le sens du terme « mariage », soit l’union légitime d’un homme et d’une femme à l’exclusion de toute autre personne.

 

[61] Après que cet article eut été invalidé pour cause d’inconstitutionnalité, le législateur fédéral n’a pas modifié la législation en la matière pour redéfinir le concept de « mariage »; il n’a pas jugé indiqué non plus de définir « époux » au sens de personne mariée, par opposition à « conjoint de fait » qui est le concept embrassant les personnes qui cohabitent dans une union conjugale, mais ne sont pas mariées.

 

[62] Le ministère public fédéral tient que la Loi sur la modernisation de certains régimes d’avantages et d’obligations a modifié les diverses lois

 

en abrogeant toutes définitions de « conjoint » de telle façon que ce concept se définisse strictement par référence à la common law, « conjoint » s’entendant de la personne qui a contracté un mariage légitime (bien qu’en common law, les autres éléments du mariage fussent définis différemment à l’époque).[26]

 

[63] Il en conclut que le terme « époux » doit s’entendre au sens de la définition de common law, que la preuve est faite qu’il est inutile de définir « époux » dans la Loi sur le divorce et qu’il suffit de s’en tenir à la définition de common law. Il soutient de ce fait que la suppression de la définition d’époux dans cette loi ne crée aucune lacune dans la législation, et laissera au législateur le choix de décider en temps et lieu si une définition est nécessaire ou non. Ce qui respecterait à la fois la Constitution et le rôle du législateur.

 

[64] Je ne trouve pas cet argument convaincant. En premier lieu, l’assertion qu’il y a nombre de façons de redéfinir « époux » touche à la forme et non au fond de la question. Il n’y avait pas une multitude d’alternatives qui se qualifieraient pour le statut conjugal dans le cadre de la Loi sur le divorce. Ou bien les époux de même sexe y sont inclus, ou bien ils ne le sont pas. Leur exclusion étant inconstitutionnelle, il faut donc qu’ils soient inclus. Que le terme « époux » s’entende de deux « personnes » ou de deux « individus », cela ne représente pas une décision d’ordre public si importante ou une variété de choix si grande que le soin de choisir doit être laissé au législateur. Il se peut que le choix de termes propres à remédier au tort soit limité, mais il est indubitable que le législateur doit entendre remédier au tort en incluant les époux de même sexe dans le champ d’application des avantages prévus par la Loi sur le divorce. Il n’y a pas une panoplie de différentes mesures de redressement si variée que la Cour ne peut savoir quelles pourraient être les intentions du législateur et, de ce fait, doit lui en laisser le soin.

 

[65] En deuxième lieu, la Loi sur la modernisation de certains régimes d’avantages et d’obligations n’a abrogé la définition de « conjoint » que dans deux des 68 lois modifiées, savoir laLoi sur la sécurité de la vieillesse [27] et la Loi sur le partage des prestations de retraite [28]. Le terme “conjoint” est défini dans la Loi sur la sécurité de la vieillesse comme suit :

 

« conjoint » Est assimilée au conjoint pensionné la personne de sexe opposé qui a vécu avec ce dernier pendant au moins un an ou, s’il existe des empêchements de mariage, trois ans, pourvu que les deux se soient publiquement présentés comme mari et femme.

 

et dans la Loi sur le partage des prestations de retraite :

 

« conjoint » Personne de sexe opposé à celui du participant et qui :

 

 a) est unie à celui-ci par les liens du mariage;

 

 b) cohabite avec celui-ci dans une union de type conjugal depuis au moins un an;

 

 c) est partie avec lui à un mariage nul.

 

[66] Aucune autre loi n’a été citée qui renferme une définition d’« époux » ou de « conjoint », au sens de conjoint marié, et que la loi portant modernisation aurait abrogée. Par contraste, « époux » est un concept défini de première importance, sur lequel repose l’ensemble de la Loi sur le divorce. Cette loi elle-même n’a pas été modifiée par la Loi sur la modernisation de certains régimes d’avantages et d’obligations. La définition de « conjoint » ne figurant que dans deux des 68 lois modifiées par la loi portant modernisation, je ne pense pas que celle-ci supporte l’argument proposé par le ministère public fédéral qu’une définition d’« époux » n’est pas nécessaire pour l’application de la Loi sur le divorce.

 

[67] Enfin, la suppression pure et simple de la définition en cause pourrait être une source d’autres difficultés. Faute d’une définition d’époux dans la Loi sur le divorce, il n’est expressément prévu nulle part dans cette loi que les dispositions sur les mesures accessoires ne s’appliquent qu’aux époux ou aux ex-époux. Avec une définition d’époux, les droits et obligations corollaires prévus dans cette loi sont subordonnés à une définition limités aux personnes unies par les liens du mariage. À la différence de la loi de 1968, aux termes de laquelle le tribunal n’avait compétence en matière de mesures accessoires qu’après le « prononcé du jugement conditionnel de divorce » [29], la loi actuelle ne prévoit aucune restriction du genre. Ce qui pourrait, en théorie, amener à conclure qu’un « conjoint » au sens de la législation provinciale [30] pourrait demander des mesures accessoires prévues à la Loi sur le divorce. Ce serait là un aboutissement absurde vu l’histoire de la législation en matière de divorce au Canada.

 

[68] Il y a également lieu de noter que l’inclusion d’une définition d’époux dans la Loi sur le divorcen’est pas en soi incompatible avec la Charte. C’est le fait de limiter cette définition aux époux de sexe opposé qui est incompatible. Quelle est donc la voie à suivre pour remédier au mal, dans le respect du principe primordial du devoir de réserve vis-à-vis du pouvoir législatif?

 

[69] C’est au législateur qu’il appartient d’adopter des lois. Ces lois sont évidemment subordonnées à la Charte. Pour respecter le rôle du législateur, le juge doit dégager l’objectif législatif de la loi contestée. En l’espèce, le législateur a jugé nécessaire de définir le terme « époux » pour l’application de la Loi sur le divorce. Pour examiner la genèse de cet élément de la loi, il convient de revenir sur l’his