M.(R.). c. M.(S.) (1994), 20 O.R. (3d) 621 (C.A.)

  • Dossier :
  • Date : 2024

R.M. and N.M. v. S.M. et al. (1994) 75 O.A.C. 1

 

Droit de la famille — Adoption — Compétence du tribunal

 Cour d’appel de l’OntarioLe juge en chef Dubin et les juges Robins et OsborneLe 4 novembre 1994 N.M. et N.M. (appelants) c.S.M., A.P. et l’Adoption Agency andCounselling Service (Ontario) et M.J.P.et M.R. (intimés)(C18446)

 

Version française du jugement rendu par

 

[1] Le juge Osborne: Il s’agit essentiellement dans le présent appel de savoir si la Cour a compétence pour rendre, en vertu de laLoi portant réforme du droit de l’enfance, L.R.O. 1990, chap. C-12 (la LRDE), une ordonnance concernant la garde d’un enfant qui a été placé en vue de son adoption en vertu de la partie VII de la Loi sur les services et à l’enfance et à la famille, L.R.O. 1990, chap. C-11 (la LSEF).

[2] Les appelants sont les grands-parents paternels de P.P. (l’«enfant»), qui, avec le consentement de sa mère et de son père, c’est-à-dire les intimés A.P. et S.M., a été placé en vue de son adoption conformément aux dispositions de la partie VII de la LSEF. Après le placement en vue de l’adoption, les appelants ont voulu obtenir la garde de leur petit-fils en vertu des dispositions de la LRDE. Leur requête fut rejetée par le juge Kennedy, pour le motif que tous les aspects se rapportant à la garde de l’enfant étaient régis par la LSEF, qui attribue compétence exclusive à la Cour provinciale (dont la Cour unifiée de la famille). Les grands-parents font appel de l’ordonnance du juge Kennedy qui a rejeté leur requête visant à obtenir la garde.

Les faits

[3] L’enfant est né le 31 janvier 1994 de l’intimée A.P., une élève célibataire d’école secondaire. Avant la naissance, A.P. a décidé que son enfant serait placé en vue de son adoption. Il semble que sa décision fut à la fois difficile et mûrement réfléchie. L’intimée, Adoption Agency and Counselling Service (Ontario) (ci-après l’«Agence»), est l’agence titulaire d’un permis par l’entremise de laquelle l’adoption de l’enfant a été effectuée. Les intimés M.J.P. et M.R. sont les futurs parents adoptifs de l’enfant. Ils n’étaient pas parties à la requête des appelants visant à obtenir la garde; ils sont cependant intimés dans le présent appel.

[4] Le père de l’enfant, l’intimé S.M., s’est d’abord opposé à la décision de A.P. de placer l’enfant en vue de son adoption. Au début de février 1994, il a présenté à la Cour de l’Ontario (Division générale) une requête en vue d’obtenir la garde de l’enfant. Le 11 février 1994, il obtenait du protonotaire local, à Windsor, une ordonnance «ex parte» qui interdisait à l’intimée A.P. d’amener l’enfant à l’extérieur du comté d’Essex.

[5] L’intimée A.P. s’employa activement à trouver pour son enfant un endroit où elle pourrait le placer en vue de son adoption. Au 20 février 1994, elle avait rencontré un certain nombre de parents adoptifs possibles. À cette date, elle et l’intimé S.M. ont rencontré les parents adoptifs éventuels considérés par l’intimée A.P. comme les personnes les plus qualifiées pour adopter l’enfant. Lors de cette rencontre, l’intimé S.M. a dit qu’il était d’accord pour que son fils soit placé auprès de ce couple en vue de son adoption. Puis il a déclaré qu’il se désisterait de sa requête visant à obtenir la garde.

[6] Le 25 février 1994, les intimés A.P. et S.M. signèrent des consentements en bonne et due forme à l’adoption. Le 4 mars 1994, S.M. déposa un avis de désistement d’action quant à la garde de l’enfant et consentit à l’annulation de l’ordonnance «ex parte» qu’il avait obtenue du protonotaire le 11 février 1994. C’est alors que prirent fin ses démarches en vue d’obtenir la garde.

[7] Le 5 mars 1994, l’enfant fut placé en vue de son adoption, par l’entremise de l’agence intimée, conformément à la partie VII de la LSEF. Depuis le 5 mars 1994, l’enfant demeure avec ses parents adoptifs éventuels. Le prononcé de l’ordonnance finale d’adoption a été différé jusqu’à l’issue du présent appel.

[8] Les appelants ont demandé à la Cour de l’Ontario (Division générale), par un avis de requête en date du 9 mars 1994, de leur accorder la garde de leur petit-fils. Ils ont présenté leur requête en vertu de l’article 21 de la LRDE, qui prévoit ce qui suit:

Le père ou la mère d’un enfant ou une autre personne peut demander au tribunal, par voie de requête, de rendre une ordonnance relativement à la garde de l’enfant ou au droit de visite ou réglant certains aspects des droits accessoires à la garde de l’enfant. (Je souligne)

[9] Le 25 mars 1994, le juge Kennedy rejeta la requête des appelants visant à obtenir la garde. Il accepta l’argument de l’agence, qui affirmait qu’il n’avait pas compétence pour rendre l’ordonnance demandée par les appelants. Dans ses motifs, il fit observer que les droits des appelants devaient et pouvaient être établis par la Cour provinciale (ou la Cour unifiée de la famille) en vertu de laLRDE.

Adoption – Partie VII de la

Loi sur les services à l’enfance et à la famille

[10] Les matières se rapportant à l’adoption sont traitées dans la partie VII de la LSEF. Les articles suivants de cette loi sont pertinents au présent appel:

3(1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

«tribunal» La Cour de l’Ontario (Division provinciale) ou la Cour unifiée de la famille.

 

137(1) Pour l’application du présent article, le terme «père ou mère», en ce qui concerne un enfant, s’entend des personnes suivantes :

a) la mère de l’enfant;

b) la personne visée à l’une des dispositions 1 à 6 du paragraphe 8 91) de la Loi portant réforme du droit de l’enfance, à moins qu’il ne soit établi par la prépondérance des probabilités que cette personne n’est pas le père naturel de l’enfant;

c) la personne qui a la garde légitime de l’enfant;

d) la personne qui, au cours des douze mois qui ont précédé le placement de l’enfant en vue de son adoption, a manifesté l’intention bien arrêtée de traiter l’enfant comme s’il s’agissait d’un enfant de sa famille ou a reconnu le lien de filiation qui l’unit à l’enfant et a subvenu à ses besoins;

e) la personne qui, en vertu d’une entente écrite ou d’une ordonnance d’un tribunal, est tenue de subvenir aux besoins de l’enfant, s’en est vu accorder la garde ou possède un droit de visite;

. . . . .

Sont toutefois exclus les titulaires de permis et le père et la mère de famille d’accueil.

(2) L’ordonnance portant sur l’adoption d’un enfant âgé de moins de seize ans ou d’un enfant qui a seize ans ou plus, mais qui ne s’est pas soustrait à l’autorité parentale, ne doit être rendue qu’avec :

a) soit le consentement écrit de chaque personne qui est le père ou la mère de l’enfant;

b) soit le consentement écrit du directeur, si l’enfant est pupille de la Couronne aux termes de la partie III (Protection de l’enfance).

(5) Les droits et responsabilités du père et de la mère relativement à la garde de l’enfant, aux soins à lui donner et à la surveillance dont il doit faire l’objet passent à la société ou au titulaire de permis jusqu’à ce que le consentement soit retiré aux termes du paragraphe 139 (1) (retrait tardif avec autorisation du tribunal) ou qu’une ordonnance d’adoption soit rendue en vertu de l’article 146, si les conditions suivantes sont réunies :

a) la société ou le titulaire de permis place l’enfant en vue de son adoption;

b) chaque consentement visé au paragraphe (2) a été donné et n’a pas été retiré aux termes du paragraphe (8);

c) la période de vingt et un jours visée au paragraphe (8) est expirée.

(8) La personne qui donne le consentement visé au paragraphe (2) ou (6) peut le retirer par écrit dans les vingt et un jours. Si cette personne avait la garde de l’enfant immédiatement avant de donner le consentement, l’enfant lui est rendu dès le retrait du consentement.

(11) Si la personne qui donne le consentement visé à l’alinéa (2) a) a moins de dix-huit ans, le consentement n’est valide que si le tuteur public est convaincu que le consentement a été donné en pleine connaissance de cause et qu’il reflète les vrais désirs de la personne.

(12) L’affidavit du témoin à la signature, rédigé selon la formule prescrite, est annexé au consentement et à son retrait.

141 (3) Le titulaire de permis, sauf celui qui est exempté en vertu du paragraphe (5) :

a) ne doit pas placer un enfant chez une personne en vue de son adoption;

b) ne doit pas amener ni envoyer en dehors de l’Ontario, ni tenter de ce faire, un enfant qui réside en Ontario pour le placer en vue de son adoption,

sans avoir au préalable avisé le directeur du placement projeté.

142(1) Le titulaire de permis qui avise le directeur d’un placement projeté aux termes du paragraphe 141(3) lui transmet également un rapport d’une étude du milieu familial de la personne chez qui le placement est projeté. Ce rapport est établi par une personne qui, selon le directeur ou le directeur local, est compétente pour ce faire.

(2) À la réception du rapport visé au paragraphe (1), le directeur l’étudie et, aussitôt que possible :

a) ou bien approuve le placement projeté;

b) ou bien refuse d’approuver le placement et communique sa décision au titulaire de permis et à la personne chez qui le placement est projeté.

143 (1) Si une société ou un titulaire de permis l’enfant en vue de son adoption, l’ordonnance portant sur le droit de visite prend fin, sauf l’ordonnance rendue en vertu de la partie III (Protection de l’enfance).

(2) Si l’enfant a été placé en vue de son adoption par une société ou un titulaire de permis et qu’aucune ordonnance d’adoption n’a été rendue, nul ne doit :

a) s’ingérer dans la vie de l’enfant;

b) rendre visite à l’enfant ou à la personne chez qui il a été placé ni communiquer avec l’un d’eux dans le but de s’ingérer dans la vie de l’enfant.

146 (1) À la requête de la personne chez qui l’enfant est placé et dans l’intérêt véritable de celui-ci, le tribunal peut rendre une ordonnance portant sur l’adoption de l’enfant qui est âgé de moins de seize ans, ou de celui qui a seize ans ou plus, mais qui ne s’est pas soustrait à l’autorité parentale et qui :

a) soit a été placé, en vue de son adoption, par une société ou un titulaire de permis;

b) soit a été placé, en vue de son adoption, par une personne autre que la société ou le titulaire de permis et qui a demeuré chez le requérant pendant au moins deux ans.

149 (1) Si une requête portant sur une ordonnance d’adoption d’un enfant est présentée aux termes du paragraphe 146 (1), le directeur, avant l’audience, dépose auprès du tribunal une déclaration écrite indiquant, selon le cas, que :

a) l’enfant a demeuré chez le requérant pendant au moins six mois ou, dans le cas de la requête visée à l’alinéa 146(1)c), pendant au moins deux ans, et, qu’à son avis, il serait dans l’intérêt véritable de l’enfant de rendre l’ordonnance;

b) dans le cas de la requête visée à l’alinéa 146(1)a), pour des motifs précis, il est d’avis qu’il serait dans l’intérêt véritable de l’enfant de rendre l’ordonnance même si l’enfant a demeuré moins de six mois chez le requérant;

c) l’enfant a demeuré chez le requérant pendant au moins six mois, ou, dans le cas de la requête visée à l’alinéa 146(1)c), pendant au moins deux ans, mais qu’à son avis, il ne serait pas dans l’intérêt véritable de l’enfant de rendre l’ordonnance,

et mentionnant les circonstances additionnelles, s’il y a lieu, sur lesquelles le directeur veut attirer l’attention du tribunal.

(5) La déclaration visée au paragraphe (1) est fondée sur le rapport indiquant la façon dont l’enfant s’adapte au foyer du requérant. Ce rapport est établi :

a) soit par la société qui a placé l’enfant ou qui a compétence dans le territoire où il est placé;

b) soit par la personne qu’agrée le directeur ou le directeur local.

[11] Il est admis que toutes les questions visées par la LSEF en général, et l’adoption en particulier, relèvent de la compétence de la Cour de l’Ontario (Division provinciale) ou la Cour unifiée de la famille (voir le par. 3(1)). Il faut également noter que toutes les étapes du processus d’adoption qui sont prévues par la partie VII de la LSEF ont été franchies et que l’enfant avait été, en vertu de la LSEF, placé en vue de son adoption, avant que les appelants ne présentent, en vertu de la LRDE, une requête en vue d’en obtenir la garde.

[12] La partie VII de la LSEF renferme des règles détaillées en matière d’adoption. Elle part du postulat selon lequel le choix de recourir à l’adoption appartient au père ou à la mère de l’enfant. Ici, seuls les intimés A.P. et S.M. répondent à la définition de «père ou mère», qui apparaît dans la LSEF. Aucune disposition de la LSEF n’exige que les appelants consentent à l’adoption projetée de leur petit-fils.

[13] Le «placement en vue de l’adoption» est traité dans les articles 140 à 143 de la LSEF. Bien que le «placement» ne soit pas défini dans la Loi, il n’est pas contesté que l’enfant a été placé en vue de son adoption auprès de ses parents adoptifs éventuels le 5 mars 1994. Il n’est pas contesté non plus que, avant ce placement, toutes les conditions préalables ont été remplies.

[14] Outre la condition du consentement parental prévue par la LSEF, l’intérêt véritable de l’enfant est également pris en considération, avant le placement, dans le contexte de l’article 142. Cet article prévoit que le titulaire de permis doit aviser le directeur d’un placement projeté et lui transmettre un rapport d’une étude du milieu familial. Après que le titulaire de permis a accompli ces deux démarches, le directeur doit, aussitôt que possible, approuver ou refuser le placement projeté (par. 142(2)). Si, comme c’est le cas ici, le directeur approuve le placement, il doit s’écouler alors une période de placement d’au moins six mois (la période de six mois peut dans certains cas être abrégée (par. 149(1)).

[15] Après le placement, l’intérêt véritable de l’enfant est exposé au tribunal au moyen d’une déclaration écrite, qui doit être déposée par le directeur auprès du tribunal avant qu’une ordonnance d’adoption ne puisse être rendue (par. 149(1)). Le paragraphe 149(5) prévoit que la déclaration écrite du directeur doit être fondée sur un rapport indiquant le niveau d’adaptation de l’enfant après son placement. Le rapport est établi par l’agence qui a placé l’enfant.

[16] Finalement, la LSEF prévoit clairement que, durant la période de placement, nul ne doit s’ingérer dans la vie de l’enfant ni communiquer à cette fin avec les personnes chez qui il a été placé (par. 143(2)).

CONCLUSION

[17] À mon avis, l’objectif premier des règles établies par la partie VII de la LSEF est l’intérêt véritable de l’enfant. Voir l’arrêtC.G.W. c. M. J. et al. (1981), 24 R.F.L. (2d) 342 (Cour d’appel de l’Ontario). Mais les dispositions de la Loi qui concernent l’adoption visent à préserver aussi d’autres valeurs connexes. Ces valeurs sont la stabilité et l’intégrité du processus d’adoption lui-même, ainsi que la sécurité des parents adoptifs éventuels. Cette sécurité est particulièrement importante durant la période de placement, lorsque l’on ne sait pas si une ordonnance d’adoption sera finalement rendue.

[18] Durant la période de placement, la stabilité du processus d’adoption et la protection des parents adoptifs éventuels sont essentielles à l’intérêt véritable de l’enfant. Le processus d’adoption commence lorsque les père et mère (selon le sens étendu donné à cette expression par la LSEF) décident que l’adoption est dans l’intérêt véritable de l’enfant. Le processus d’adoption doit pouvoir se dérouler jusqu’à son terme sans être influencé par ceux et celles qui ne font pas partie de la catégorie de personnes à qui revient au départ de prendre la décision. En l’espèce, comme je l’ai dit, le consentement des appelants à l’adoption de l’enfant n’était pas requis. De plus, le principe de non- ingérence est expressément énoncé au paragraphe 143(2) de la LSEF.

[19] Durant la période d’évaluation, c’est-à-dire durant les six mois de la période de placement, il serait inutile de permettre d’engager un procès portant sur la garde en vertu de la LRDE entre, d’une part, les appelants, qui n’ont pas établi avec l’enfant une relation propre à les inclure dans la définition étendue de «père ou mère» donnée par la LSEF et, d’autre part, les futurs parents adoptifs, qui éventuellement obtiendront ou non une ordonnance d’adoption. Un tel procès serait incompatible avec l’esprit des dispositions de la LSEF en matière d’adoption, injuste pour les futurs parents adoptifs et en général contraire à l’intérêt véritable de l’enfant.

[20] Même si les appelants ont obtenu ce qu’ils voulaient, c’est-à-dire la «possibilité d’exposer leur point de vue devant un tribunal» (selon les mots employés par Me Baker), je me demande en réalité comment le juge des motions aurait pu statuer sur leur requête. Les intimés M.J.P. et M.R. (les parents adoptifs éventuels) n’étaient pas alors parties à la requête des appelants visant à obtenir la garde. La requête des appelants a été présentée durant la période de placement, lorsqu’il n’avait pas encore été décidé si une ordonnance finale d’adoption serait rendue en faveur de M.J.P. et M.R. Lorsque la requête des appelants a été présentée au juge Kennedy, les revendications opposées concernant la garde n’avaient pas encore cristallisé. L’inutilité de l’enquête demandée par les appelants saute aux yeux et montre que le législateur ne voulait pas que les questions relatives aux droits de garde ou aux droits de visite soient débattues durant la période de placement. De plus, permettre aux appelants de prétendre à des droits de garde en invoquant les mots «une autre personne» qui figure à l’article 21 de la LRDE serait manifestement contraire aux dispositions du par. 143(2) de la LSEF, qui interdisent l’ingérence dans le processus de placement.

[21] Je reconnais que la situation peut changer une fois l’ordonnance d’adoption rendue. À titre d’exemple, citons l’affaire C.G.W. c. M.J. et al., précitée, dans laquelle la Cour d’appel de l’Ontario examinait la portée de l’article 35 de la Loi portant réforme du droit de la famille, L.R.O. 1980, chap. 152 (la LRDF). L’article 35 prévoyait que «either parent or any person» («le père ou la mère outoute personne») pouvait obtenir une ordonnance accordant des droits de garde ou des droits de visite (je souligne). Dans l’arrêtC.G.W., la mère naturelle de l’enfant avait, peu après qu’une ordonnance d’adoption eut été rendue, tenté d’obtenir des droits de visite. Sa requête fut rejetée par un juge de la Cour provinciale, qui estima que les dispositions du Child Welfare Act, 1978 (le texte qui régissait alors les adoptions) avaient préséance. Il refusa donc de statuer sur le bien-fondé de la requête. La mère en appela à un juge de la Cour de comté, qui estima que «toute personne» pouvait invoquer la Loi portant réforme du droit de la famille pour revendiquer des droits de visite. Il arriva donc à la conclusion que la mère requérante avait droit à ce que sa requête soit examinée «quant au fond». Les parents adoptifs, soutenus par la Société d’aide à l’enfance, en appelèrent à un juge de la Haute Cour, qui accueillit l’appel, affirmant que, une fois l’enfant adopté, il n’appartenait pas aux tribunaux d’accorder des droits de visite aux termes des dispositions de la LRDF. La mère naturelle en appela à la Cour d’appel. Voici ce que dit le juge MacKinnon, juge en chef adjoint de l’Ontario, à la p. 349, à propos de la portée de l’art. 35 de la LRDF:

[TRADUCTION] «Théoriquement, un parfait étranger ne connaissant ni l’enfant ni ses parents pourrait, aux termes de l’art. 35 de la Child Welfare Act, 1978, présenter une requête en vue d’obtenir des droits de visite et mettre en mouvement tout l’arsenal de la procédure. Dans de telles circonstances, il me semble surprenant qu’il faille tenir une audience pour permettre à l’auteur de la requête d’exprimer son point de vue, lorsque les faits sont admis. Je crois qu’une requête préliminaire pourrait disposer d’une telle question.»

Voir aussi Finnegan et Finnegan c. Desjardins (1985), 8 F.L.R.R. 43 (Cour d’appel de l’Ontario).

[22] Me Baker soutient au nom des appelants que le juge des motions avait compétence pour statuer sur la garde de l’enfant aux termes de la LRDE, parce que les appelants ont présenté leur requête après que les parents de l’enfant eurent consenti à l’adoption de l’enfant, mais à l’intérieur de la période de 21 jours durant laquelle leurs consentements pouvaient être retirés (par. 137(8) de laLSEF). À mon avis, la requête des appelants en vue d’obtenir la garde n’a pas eu pour effet d’interrompre ou de suspendre la période de 21 jours. Lorsque la requête a été présentée devant le juge des motions, la période de 21 jours durant laquelle les consentements des intimés A.P. et S.M. pouvaient être retirés avait expiré sans qu’aucun des deux consentements n’ait été retiré. D’ailleurs, lorsque la requête des appelants a été présentée au juge Kennedy, l’enfant avait été placé en vue de son adoption. L’argument des appelants m’apparaît sans valeur.

[23] Les appelants affirment aussi que le par. 143(1) de la LSEF parle de l’expiration des ordonnances portant sur les droits de visite et non des ordonnances portant sur les droits de garde. Cette omission, affirment-ils, signifie que la question des droits de garde demeure non résolue. Je ne partage pas cet avis. L’expression «père ou mère» est largement définie au par. 137(1) de laLSEF. Cette définition englobe toutes les personnes qui pourraient légitimement avoir des droits de garde. Avant que ne soit fait un placement en vue d’une adoption, toutes les personnes comprises dans la définition de «père ou mère» auront, comme c’est le cas ici, consenti à l’adoption de l’enfant. La définition de «père ou mère» ne comprend pas les personnes qui pourraient avoir des droits de visite dans tel ou tel cas. Il m’apparaît donc conforme aux dispositions de la LSEF en matière d’adoption que les droits de visite prennent fin une fois que le placement a eu lieu et que les droits de garde ne soient pas expressément traités. Au surplus, une fois que l’enfant eut été placé le 5 mars 1994 en vue de son adoption, les droits de garde de ses «père et mère» (au sens de la LSEF) ont été transférés à l’agence intimée. Permettre à des personnes qui n’entrent pas dans la définition de «père ou mère» donnée par laLSEF de revendiquer des droits de garde serait incompatible avec le régime établi par la LSEF en matière d’adoption.

[24] Les appelants soutiennent aussi qu’il n’y a pas de conflit entre les dispositions applicables de la LRDE et celles de la LSEF. Ils affirment qu’il doit exister un conflit entre ces deux lois pour retirer à un juge de la Division générale sa compétence de rendre une ordonnance en matière de garde en vertu de l’art. 21 de la LRDE. Plutôt que de voir s’il existe un conflit entre les deux lois, je préfère examiner les dispositions des deux textes en me fondant sur ce qui, d’après moi, constitue une manifestation claire de l’intention du législateur. Une fois que la solution de l’adoption est retenue par les personnes qui ont le droit de choisir cette solution et que la procédure d’adoption a été suivie jusqu’au placement, je ne vois aucune raison d’appliquer l’art. 21 de la LRDE. Quoi qu’il en soit, lorsqu’un enfant est placé en vue de son adoption, les dispositions du par. 137(5) de la LSEF (qui transfèrent au titulaire du permis les droits de garde et les responsabilités des père et mère de l’enfant) sont effectivement, à mon avis, incompatibles avec l’art. 21 de la LRDE.

[25] En conséquence, je ne crois pas que le juge Kennedy a erré en affirmant qu’un juge de la Cour de justice de l’Ontario (Division générale) n’avait pas compétence aux termes de la LRDE pour rendre l’ordonnance de garde demandée par les appelants. Je ne souscris pas cependant à son affirmation selon laquelle un juge de la Cour de justice de l’Ontario (Division provinciale) avait compétence aux termes de la LSEF (par opposition à la LRDE) pour rendre l’ordonnance demandée par les appelants. Les avocats reconnaissent tous que la LSEF ne renferme aucune disposition qui permettrait à un juge de la Cour provinciale de rendre une ordonnance de garde en faveur des appelants dans l’exercice d’une compétence conférée par la LSEF.

[26] Subsidiairement, les appelants affirment que, si le juge des motions n’avait en droit aucune compétence pour rendre une ordonnance de garde, il avait néanmoins une compétence «parens patriae» et ils soutiennent qu’il a erré en n’exerçant pas cette compétence. En ce qui concerne cet argument, je suis disposé à présumer que le juge des motions, un juge d’une cour supérieure provinciale, exerçait sur l’enfant une compétence «parens patriae». Il faut alors se demander s’il existait des raisons pour lesquelles le juge des motions aurait dû exercer cette compétence.

[27] Comme je l’ai déjà noté, le législateur a inséré dans la LSEF un ensemble complet de règles en matière d’adoption. Je n’y vois aucun vide juridique. Voir Beson et al. c. Director of Child Welfare (Nfld), [1982] 2 R.C.S. 716; 44 N.R. 602; 39 Nfld & P.E.I.R. 246; 111 A.P.R. 246. Bien au contraire, les dispositions de la partie VII de la LSEF visaient à protéger les parents naturels de l’enfant et ses parents adoptifs éventuels contre les actions en reconnaissance de droits de garde ou de droits de visite durant la période de placement. Cela ressort clairement des par. 137(5) et 143(2) de la LSEF.

[28] Au surplus, la preuve produite dans la présente affaire justifie le non-exercice de la compétence «parens patriae» du juge des motions. Puisque l’examen détaillé de la preuve ne produirait aucun avantage, il suffit de répéter que les appelants ne contestent aucun aspect du processus d’adoption et n’ont rien contre les parents adoptifs éventuels. Ils disent simplement que, quels que soient les parents adoptifs proposés et quel que soit l’environnement dans lequel vit l’enfant (et celui dans lequel il vivra s’il est adopté), ils peuvent élever l’enfant d’une meilleure façon. J’ai évoqué précédemment l’inutilité pour la cour d’entreprendre ce genre d’enquête durant la période de placement. Cette inutilité milite aussi en faveur du non-exercice de la compétence «parens patriae».

[29] Par ailleurs, la mère et le père de l’enfant (les intimés A.P. et S.M.) expriment tous deux énergiquement l’avis qu’il ne serait pas dans l’intérêt véritable de leur enfant qu’il soit confié aux appelants. Ils affirment dans leurs affidavits que les appelants ne sont pas aptes à s’occuper de l’enfant et qu’ils se sont très peu intéressés à lui durant la période allant du début de février 1994, lorsque l’intimée A.P. et son enfant ont quitté l’hôpital, jusqu’au 5 mars 1994, lorsque l’enfant a été placé en vue de son adoption auprès des intimés M.J.P. et M.R.

[30] À mon avis, les affidavits produits à l’appui de la requête des appelants visant à obtenir la garde n’offrent pas une valeur probante justifiant l’intervention de la Cour pour cause de nécessité découlant de situations non prévues. Voir l’arrêt E. (Mme) c. Eve, [1986] 2 R.C.S. 388; 71 N.R. 1; 61 Nfld & P.E.I.R. 273; 185 A.P.R. 273. Lorsqu’une requête en vue d’obtenir la garde est présentée durant la période de placement, comme ce fut le cas ici, il me semble qu’un tribunal exerçant une compétence «parens patriae» n’exercerait cette compétence que dans les cas les plus évidents présentant une nécessité manifeste. Il n’a pas du tout été démontré qu’une telle nécessité existe en l’espèce. Je ne donnerais donc pas effet à l’argument des appelants selon lequel le juge des motions aurait dû statuer sur la demande de garde présentée par les appelants en exerçant sa compétence «parens patriae».

[31] Par ces motifs, je rejetterais l’appel, avec dépens. Tous les intimés demandent leurs dépens procureur-client. Il me semble que tous les intimés autres que l’agence ont droit à leurs dépens procureur-client. En ce qui concerne l’agence intimée, je lui accorderais les dépens partie-partie.

Appel rejeté.