Maddock c. Maddock, [1958] O.R. 810-833

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Maddock c. Maddock [1958] O.R. 810-833 ONTARIO [COUR D’APPEL] Les juges LAIDLAW, LeBEL et SCHROEDER, J.C.A. 4 DÉCEMBRE 1958.

 Divorce — Connivence — Dessein corrompu — Acquiescement — Inférence tirée des faits.

 Connivence s’entend essentiellement du fait que le conjoint qui en est accusé a consenti ou contribué de son propre gré à l’adultère ou l’a encouragé, de façon à trahir un dessein corrompu. Le défaut de connivence est présumé, la preuve stricte est donc requise en la matière. Ainsi, lorsque la femme dit au mari que le codéfendeur lui a demandé de partir avec lui, qu’elle le ferait si elle ne pouvait pas s’entendre avec son mari et que peu après, celui-ci a été persuadé de signer un accord de séparation, il n’est pas justifié de conclure à la connivence sur la foi de la seule preuve qu’au moment où il quittait le foyer conjugal, le mari a croisé le codéfendeur qui y emménageait, sans protester ni chercher à l’en empêcher.

 Le juge LeBel, J.C.A., (dissident) : Les témoignages produits établissent clairement l’acquiescement, et le juge de première instance était fondé à conclure à la connivence.

 Il y a en l’espèce appel formé par le demandeur contre la décision en date du 13 mai 1958 par laquelle le juge King l’a débouté de son action en divorce par ce motif que l’adultère était établi mais qu’il y avait eu connivence.

 Il ressort des faits rapportés dans le jugement du juge Shroeder, J.C.A., que le demandeur et la défenderesse s’étaient mariés le 10 août 1940 et qu’ils habitaient tout le temps par la suite une maison en location rue Gore, à Forest. Le demandeur et le codéfendeur, tous deux conducteurs de camions de livraison de pains pour Canada Bread, avaient fait connaissance deux ans avant les incidents à l’origine de l’action en divorce. Ces deux hommes et leurs épouses se fréquentaient durant cette période, allant ensemble aux danses, aux piques-niques, au théâtre et à d’autres mondanités. À un moment donné, la femme du demandeur lui a dit tout d’un coup que le codéfendeur lui avait demandé de partir avec lui et qu’elle avait l’intention de le faire si elle n’arrivait pas à s’entendre avec le mari. Dès lors, les rapports conjugaux se sont détériorés et si les deux continuaient à vivre sous le même loi, il n’y avait plus de relations conjugales. La femme a demandé la séparation, le demandeur a fini par accepter et, le 10 octobre, un accord de séparation a été signé. Cet accord ne disait pas lequel des deux continuerait à occuper la demeure conjugale, mais il appert qu’il était entendu que le mari s’en irait. Celui-ci restait chez lui jusqu’au 11 octobre, date à laquelle il est parti avec les quelques effets auxquels il avait droit en exécution de l’accord. En sortant, il a croisé le codéfendeur qui emménageait avec ses vêtements. Le défendeur nie qu’il fût au courant de l’intention du codéfendeur d’emménager ou qu’il y eût aucun arrangement entre les deux à cet effet.

 Le juge de première instance a conclu de ces faits qu’il y avait connivence, faisant observer ce qui suit dans les motifs de son jugement :

 

 [TRADUCTION] Ces circonstances me paraissent bien plus qu’une coïncidence, et m’amènent à la conclusion quasi inéluctable qu’il devait y avoir un certain arrangement entre le demandeur et le défendeur.

 

 

 Autrement, on voit mal comment un homme pouvait, sans arrangement avec le mari, avoir la témérité d’emménager ses effets pendant que celui-ci sortait les siens de la demeure conjugale.

 

 

 En l’espèce, selon le témoignage produit et je pense que je l’interprète correctement, le demandeur et le défendeur se sont frôlés au passage, l’un sortant ses effets de la maison et l’autre y rentrant les siens.

 

 

 On peut en conclure, à mon avis, que le demandeur et le défendeur sont convenus que le premier déménagerait et que le second emménagerait.

 

 

 Je conclus que le demandeur a permis avec insouciance l’adultère reproché entre sa femme et le défendeur et qu’en fait, il en a facilité la consommation.

 

 Le demandeur a interjeté appel de cette décision.

 H.D. Garrett, pour le demandeur appelant. Le juge de première instance a dû conclure que le demandeur était coupable de connivence, bien qu’il ne l’ait pas dit expressément. Si les faits de la cause en instance signifiaient connivence, on devrait dire que si pendant l’absence du mari parti en voyage d’affaires pour deux semaines, sa femme laissée seule à la maison commet un adultère, le départ du mari vaut connivence. Telle est l’extension logique de cet argument puisque, une fois que le demandeur a quitté le foyer conjugal, il n’aurait pu empêcher le cointimé de revenir pendant qu’il n’était pas là. En l’espèce, la situation était telle que le demandeur pouvait raisonnablement conclure du fait que sa femme était prête à s’en aller avec un autre homme que l’adultère était consommé entre elle et le cointimé. [Le juge LEBEL, J.C.A. : Mais il aurait dû dire à sa femme que ça suffisait comme ça. Je suis un bon mari, et je t’en empêcherai.] Il n’est pas nécessaire qu’il fasse quoi que ce soit. Si le mari soupçonne qu’il y a eu adultère, il peut permettre que l’adultère se poursuive, mais ne peut pas en encourager la consommation en premier lieu, afin d’en recueillir les preuves, et rien ne rend irrecevable l’action en divorce; voir Kawala v. Kawala, [1951] O.W.N. 244, p. 246. [Le juge LAIDLAW, J.C.A. : L’accord de séparation a été conclu très peu de temps après la conversation au cours de laquelle la femme a dit qu’elle s’en allait avec l’autre homme et il avait été préparé par le même avocat qui a rédigé l’accord de séparation entre le codéfendeur et sa propre femme. De fait, les deux accords portent la même date. Ce qui est pour le moins curieux.] Les deux accords ont été établis par le même avocat parce qu’il avait un bureau à Forest où il venait une fois par semaine, et il était le seul avocat de la localité versé en la matière. En outre, les deux époux adultères ont annoncé leur intention de quitter leurs conjoints respectifs à la même date à peu près, il est naturel que ces accords aient été promptement conclus. Le fait que le codéfendeur est arrivé à la maison au moment même où le demandeur s’en allait était la seule preuve possible de connivence, et il n’y a visiblement pas consentement. [Le juge LEBEL, J.C.A. : Cette affaire empeste la connivence! Le juge SCHROEDER, J.C.A. : Simple soupçon de connivence n’est pas preuve! Le juge LAIDLAW, J.C.A. : La question est de savoir si la permission tacite donnée par Maddock au codéfendeur d’emménager vaut connivence dans l’adultère.] Il ne saurait être question de connivence parce que la relation adultère avait été formée bien avant, et une femme ne décide pas de partir avec un autre homme, annonce ses intentions et rejette son mari à moins que les choses n’aient atteint un stade bien avancé. Légalement, puisque celui-ci avait des soupçons, il était en droit d’aller jusqu’à créer l’occasion pour l’adultère de se manifester; voir : Douglas v. Douglas, [1951] P. 85, p. 98, Lemaich v. Lemaich, [1955] O.R. 35. [Le juge LAIDLAW, J.C.A. : Je suppose qu’il faut tenir compte de ce que le juge de première instance n’a pas expressément rejeté le témoignage de Maddock qui disait ne pas savoir que le codéfendeur devait venir. Si celui-ci venait en fait pour vivre avec Mme Maddock uniquement sur l’invitation de cette dernière, quel acte ou omission de la part de Maddock-il vaut connivence? Jusqu’à ce que ce dernier eût quitté la maison, il n’y avait rien qui nécessitât sa connivence, et la seule preuve de connivence était qu’au moment où il quittait la maison, un autre homme y emménageait, et rien ne prouve qu’il sût à l’avance que l’autre venait ou qu’il y eût consenti. Le juge LEBEL, J.C.A. : Il aurait pu lui dire de s’en aller, et il ne l’a même pas fait. Le juge LAIDLAW, J.C.A. : Si après la signature de l’accord de séparation par lequel Maddock acceptait de quitter la demeure conjugale, il invitait expressément le codéfendeur à venir s’y installer, cela vaudrait-il connivence?] Oui! [Le juge LAIDLAW, J.C.A. : Alors, si par ses agissements il invitait le codéfendeur à emménager, cela vaudrait-il connivence?] S’il avait raisonnablement lieu de soupçonner que l’adultère était consommé, cela ne vaudrait pas connivence. Mais en l’espèce, il n’est pas allé jusque là puisqu’il n’a fait que respecter son engagement de s’en aller et, dans les faits, il n’aurait pas pu empêcher le codéfendeur de revenir après que lui-même fut parti. En fait, il est bien possible qu’à partir de ce moment, il n’eût aucun droit d’empêcher le codéfendeur d’aller là où celui-ci avait le droit d’aller. [Le juge LAIDLAW, J.C.A. : On pourrait raisonnablement prévoir que Maddock savait ce qui allait se produire. Cependant, il ressort de l’arrêt Mudge v. Mudge, [1950] 1 All E.R. 607, que la décision Pearl v. Pearl, [1943] O.R. 720, était mal jugée. Demeure cependant la question de savoir si le simple acquiescement vaut connivence? Jusqu’ici on ne peut rien reprocher à Maddock.]

 Les autres parties n’ont opposé aucune réponse.

P.O.C.A.V.

 Le juge SCHROEDER, J.C.A., après avoir rappelé les faits de la cause : Il ressort des motifs de jugement du distingué juge de première instance qu’il attachait la plus grande importance au fait que le contimé rentrait ses effets dans la maison sise rue Gore au moment même où le demandeur s’en allait et que, malgré les dénégations catégoriques de ce dernier, il ne pouvait accepter qu’il y avait là simple coïncidence.

 Sa décision ne reposait pas sur la crédibilité d’un ou des témoins, mais sur une conclusion tirée du témoignage produit et sur la question de savoir quelles inférences il fallait tirer du comportement des parties. Il est de droit constant qu’en pareil cas, la juridiction d’appel est tout aussi bien placée que le tribunal de première instance, et a non seulement le droit, mais encore l’obligation de former sa propre opinion à la lumière des faits de la cause; cf. Union Marine & Gen. Ins. Co. c. Bodnorchuk, [1958] R.C.S. 399, où était appliquée la règle dégagée dans Jones v. Hough (1879), 5 Ex. D. 115, et dans N.B. & Mercantile Ins. Co. c. Tourville(1895), 25 R.C.S. 177, p. 197.

 Sauf mon grand respect pour l’avis du distingué juge de première instance, il m’est impossible d’interpréter le témoignage produit de façon à partager sa conclusion que le demandeur était coupable de connivence, donc irrecevable à obtenir un jugement de divorce.

 Connivence s’entend essentiellement du fait que le conjoint qui en est accusé a consenti ou contribué de son propre gré à l’adultère ou l’a encouragé d’une façon ou d’une autre, de façon à trahir ce que la jurisprudence et les auteurs qualifient de « dessein corrompu ». La connivence est, bien entendu, un facteur absolu d’irrecevabilité de l’action en adultère, puisque manifestement le demandeur n’a pas droit à la réparation d’une infraction dont il a été le complice ou qu’il a tacitement permise sous l’empire d’un mobile répréhensible. Il a été souligné que ce principe s’apparente à la doctrine dite volenti non profit injuria de la common law et à l’adage « qui a recours à l’equity doit être sans reproches lui-même ». Un précédent qui a profondément modelé la conception juridique de la connivence dans les affaires de divorce est le jugement rendu par lord Merriman de la Cour d’appel d’Angleterre dansChurchman v. Churchman, [1945] P. 44, en particulier le passage suivant de ses motifs de jugement en page 52 :

 

 [TRADUCTION] La grande difficulté de la question de la connivence tient surtout à ce que par le passé, les juges sont allés au-delà du cas d’espèce pour tenter de poser des principes d’application générale. Il est à notre avis de la plus grande importance de garder à l’esprit que la question est de savoir si, compte tenu des faits de la cause, le mari était, oui ou non, coupable du dessein corrompu de promouvoir ou d’encourager le commencement ou la poursuite de l’adultère de sa femme; et que le juge doit se garder d’intégrer dans son jugement, à titre de principes d’application universelle, les conclusions tirées de circonstances tout à fait différentes, et de se laisser aller ainsi à une conclusion contraire à la justice dans le cas d’espèce.

 

 Il est de droit établi, naturellement, que le demandeur peut être de connivence dans l’adultère sans avoir à donner expressément son consentement. Si, poussé par un dessein corrompu, il ferme les yeux et permet que l’adultère se produise, il peut être coupable de connivence par acquiescement. Cette question a été examinée par Sir John Nicholl dansRogers v. Rogers (1830), 3 Hag. Ecc. 57, p. 59, comme suit :

 

 [TRADUCTION] Dans ces affaires, il a été jugé qu’il n’est pas nécessaire que le mari ait fait quelque chose pour corrompre la femme, pour l’amener et encourager à commettre l’infraction. L’acquiescement passif suffit pour le rendre irrecevable, pourvu que cet acquiescement soit intentionnel et qu’il s’explique par l’attente que la femme serait coupable de l’infraction; par contre, il a toujours été jugé qu’il faut qu’il y ait consentement. La faute doit être volontaire, il faut qu’elle soit davantage que la simple négligence, que la simple inattention, que la confiance excessive, que le manque de perspicacité, que la simple indifférence, il faut qu’elle soit intentionnelle pour qu’il y ait irrecevabilité. C’est ainsi que dans Walker v. Walker, lord Stowell, après avoir noté que l’adultère était irréfutablement prouvé, que les relations coupables avaient eu lieu pendant longtemps dans le plus grand secret, a conclu : « Le moyen de défense n’est pas une dénégation du fait, mais un moyen qui, s’il est jugé fondé, équivaut à la même chose sur le plan juridique. La défense dit que le mari était de connivence, non pas par des mesures concrètes, mais par consentement passif. Je pense que l’avis du professeur Arnold forme la doctrine juste, savoir que le consentement passif est suffisant, mais qu’il faut qu’il y ait consentement, un acquiescement volontaire; non pas la simple négligence, ni une confiance excessive, ni une confiance mal placée — il faut qu’il y ait la preuve qu’il acceptait passivement, qu’il voyait la voie tracée pour la dépravation de sa femme, qu’il la voyait avec plaisir, et y donnait un certain consentement passif ».

 

 Dans la majorité des cas, le consentement coupable du demandeur à la conduite adultère de la femme ne peut être établi qu’au moyen de preuves indirectes et il est de la plus haute importance de se rappeler que l’absence de connivence est présumée. Dans Churchman v. Churchman, op. cit., lord Merriman note en page 51 :

 

 [TRADUCTION] La connivence implique que le mari a été complice de l’infraction même sur laquelle il fonde sa demande, ou a tout le moins acquiescé par dépravation à sa perpétration, et l’absence de connivence a toujours été présumée.

 

Vu cette présomption, qui s’applique avec la même vigueur dans notre droit, il est essentiel de considérer la conduite du demandeur dans son ensemble, et le danger que présente le fait de s’attacher par trop à des propos ou actes isolés qui suscitent un soupçon de connivence à l’égard d’une facette de l’affaire n’est que trop évident.

 Il ressort de son témoignage que le demandeur a soupçonné pour la première fois des rapports répréhensibles entre sa femme et le cointimé lorsqu’elle lui a fait part de la nouvelle surprenante que celui-ci lui avait demandé de partir avec lui. Rien ne permet de die qu’avant ce moment-là, le demandeur avait quelque doute que ce fût sur la fidélité de sa femme ou qu’il y avait une intrigue quelconque entre celle-ci et le cointimé. Tout ce qu’on peut conclure de ce témoignage, c’est que le demandeur espérait que sa femme continuerait de vivre avec lui, mais lorsqu’elle changé d’attitude à son égard, toujours selon son témoignage, pour finir par lui intimer d’accepter une séparation formelle, il a dû se rendre compte qu’il avait perdu l’affection de sa femme. Il n’est donc pas étonnant qu’il ait conclu qu’il ne pouvaient continuer à vivre ensemble et qu’il ait fini par accepter de se rendre à sa suggestion. Il se peut que le demandeur ait été trop facilement amené à céder au souhait de séparation de sa femme, et peut-être peut-on lui reprocher de ne pas avoir protesté contre l’emménagement du défendeur au moment où il partait. Il ne faut cependant pas oublier qu’il a signé un accord formel de séparation avec sa femme et qu’il était tenu, par cet accord qu’il avait signé, de vivre séparé d’elle. À supposer qu’à ce moment-là, il eût pris des mesures pour interdire l’entrée de la maison au cointimé, qu’est-ce qui aurait empêché ce dernier de revenir dès qu’il eut le dos tourné? Les circonstances qui ont éveillé la suspicion du juge de première instance doivent être examinées en regard de l’affirmation par le demandeur qu’il ne savait pas que le cointimé avait pris des arrangements pour emménager. Il est cependant évident que la femme savait et qu’elle a agi de façon tout à fait indépendante et éhontée, au total mépris des souhaits ou des sensibilités de son mari. Je pense que s’il y avait eu un arrangement coupable entre le demandeur et le cointimé comme l’indique le juge de première instance, le premier aurait pris soin d’éviter la plus légère apparence de complaisance, et le fait que l’emménagement du cointimé dans la maison coïncidait avec le départ du demandeur fait ressortir tout aussi bien, sinon davantage, son innocence dans l’affaire. Il convient de noter qu’il n’a rien fait pour dissimuler ce fait dans son témoignage, bien que son action ne soit pas contestée.

 La connivence est la contre-accusation la plus grave qu’on puisse formuler contre une personne, en particulier contre un mari. Elle n’est rien moins que l’allégation que l’inconduite (l’adultère) de l’autre conjoint a été effectivement acceptée ou provoquée ou, à tout le moins, sciemment et volontairement permise par le demandeur. Une accusation aussi grave requiert la preuve la plus stricte, laquelle ne doit reposer que sur un témoignage cohérent et concluant, et non sur la simple suspicion ou supposition. Le témoignage produit en l’espèce ne me permet pas de conclure que le demandeur était un complice dans l’adultère de sa femme avec le cointimé, ou qu’il avait consenti par dessein corrompu à l’accomplissement du méfait. Il impose donc de faire droit à l’appel sans dépens et de rendre un jugement de divorce portant dissolution du mariage entre le demandeur et l’épouse défenderesse, et d’ordonner au cointimé de payer au demandeur les frais et dépens du procès de première instance.

 Le juge LAIDLAW, J.C.A. : L’action n’était pas contestée et le témoignage donné à l’appui des conclusions du demandeur établit indubitablement que la défenderesse et le cointimé vivaient ensemble en mari et femme à compter du 11 octobre 1957. N’empêche que le juge de première instance a rejeté l’action notamment par les motifs suivants :

 

 [TRADUCTION] La seule conclusion qu’on puisse tirer, il me semble, est que le demandeur et le codéfendeur s étaient convenus que le premier s’en irait de chez lui et que le second y emménagerait.

 

 

 Il appert que le demandeur a, avec insouciance, permis l’adultère reproché entre sa femme et le codéfendeur, et de fait, qu’il en a facilité la consommation.

 

 Il convient de rappeler certains principes juridiques relatifs à la connivence, dégagés dans les causes suivantes entre autres : Rogers v. Rogers (1830), 3 Hag. Ecc. 57, p. 59, Gipps v. Gipps (1864), 11 H.L. Cas. 1, Lloyd v. Lloyd, [1938] P. 174, Churchman v. Churchman, [1945] P. 44, Woodbury v. Woodbury, [1948] 2 All E.R. 684, Mudge v. Mudge, [1950] 1 All E.R. 607.

1. La connivence peut consister en tout acte accompli par le mari ou la femme dans le dessein corrompu de promouvoir ou d’encourager le commencement ou la poursuite de l’adultère du conjoint; elle peut aussi consister en l’acquiescement passif à l’adultère.

2. Le dessein corrompu du mari ou de la femme demandant le divorce est un élément essentiel de la connivence, et pour qu’il y ait dessein corrompu, il faut que sa conduite trahisse le consentement volontaire à l’adultère de l’autre conjoint.

3. La question qui se pose est de savoir si, vu les faits de la cause, le mari ou la femme demandant le divorce a ou n’a pas été coupable du dessein corrompu de promouvoir ou d’encourager soit l’accomplissement soit la poursuite de l’adultère par l’autre conjoint.

4. Ce que fait une personne ou quelqu’un qu’elle emploie pour surveiller son conjoint afin de savoir si ses suspicions d’adultère sont fondées ou non, ne vaut nécessairement pas connivence; de même, si cette personne ne fait rien de façon à donner un faux sentiment de sécurité au conjoint dont elle soupçonne l’infidélité, mais ne fait que le surveiller, elle n’est pas nécessairement coupable d’acquiescement passif valant connivence.

5. « Le juge ne doit pas intégrer dans son jugement, à titre de principes d’application universelle, des conclusions tirées de circonstances tout à fait différentes qui pourraient l’amener à une conclusion contraire à la justice dans le cas d’espèce. » (Churchman v. Churchman, [1945] P. 44, p. 52).

6. L’absence de connivence est présumée, et le juge ne doit pas trouver un conjoint coupable de connivence à moins que les preuves produites n’établissent que tous les éléments essentiels de la connivence sont présents dans les circonstances de la cause. Voyons quelques-uns des précédents qui ont été invoqués durant les débats.

 Dans Pearl v. Pearl, [1943] O.R. 720, les motifs de jugement que j’ai pris indiquent que j’avais parfaitement conscience des éléments essentiels de la connivence. J’étais convaincu en l’espèce qu’il y avait chez le mari le dessein corrompu d’encourager ou de promouvoir l’adultère de la femme, sur lequel son action était fondée, et que cette conduite trahissait son consentement à la consommation de cet adultère. Il avait vécu séparé de sa femme pendant près d’un an et, bien qu’il eût retenu les services d’un homme pour surveiller la conduite de cette dernière, il appert qu’il n’avait aucune raison de penser qu’elle avait commis un adultère avec le cointimé ou avec qui que ce fût d’autre avant l’incident en question. Cette fois-là, il avait lieu de penser qu’elle était sur le point de commettre l’adultère et il attendait, dans une attente que je savais remplie d’espoir et de plaisir, qu’elle le fasse. Il l’a observée en pleine action alors qu’il avait la possibilité et, à mon avis, l’obligation, qu’elle fût juridique, morale, sociale ou conjugale, de l’en empêcher. J’ai appliqué les règles de droit pertinentes aux faits de la cause et conclu des preuves et témoignages produits que le demandeur était « intimement associé et impliqué dans la faute de sa femme ». Je pense toujours que cette conclusion était fondée au regard des circonstances de cette cause. Je n’énonçais aucun nouveau principe de droit, et la conclusion et le jugement que j’ai prononcés en l’occurrence ne sont d’aucun secours pour ce qui est de parvenir à une décision dans quelque autre cause dont les preuves produites et les circonstances sont différentes.

 Dans Mudge v. Mudge, op. cit., aucune règle de droit nouvelle n’a été énoncée ou appliquée aux faits de la cause. Le juge de première instance a intégré et appliqué les principes dégagés avec clarté et grande autorité par lord Merriman , P., dans Churchman v.Churchman, op. cit. Il n’a mentionné la cause Pearl v. Pearl, op. cit., que dans une observation incidente.

 Dans Lemaich v. Lemaich, [1955] O.R. 35, le juge Spence a analysé assez longuement les décisions Pearl v. Pearl, op. cit., et Mudge v. Mudge, op. cit., pour conclure en ces termes en page 40 :

 

 [TRADUCTION] La décision rendue par le juge Hodson dans Mudge v.Mudge ne peut être réconciliée avec la conclusion tirée par le juge Laidlaw, J.C.A., dans Pearl v. Pearl, sauf sur cette base possible . . . savoir que le mari soupçonnait sa femme d’adultère, c’est-à-dire qu’il y avait déjà des rapports entre elle et le complice nommé.

 

Il a conclu que par application de l’arrêt Kawala v. Kawala, [1951] O.W.N. 244, de la Cour d’appel de l’Ontario :

 Le précédent Mudge v. Mudge ne peut être accepté comme jurisprudence en Ontario.

Je tiens à souligner encore une fois que la conclusion et la décision rendues dans Kawala v.Kawala étaient liées aux faits de ce cas d’espèce. C’est ce qui ressort de cette conclusion du juge Hogg, J.C.A. :

 

 [TRADUCTION] Aucun élément de preuve produit n’établit que l’appelante ait fait quoi que ce fût pour provoquer les relations illicites entre son mari et la codéfenderesse, et il n’y a aucune preuve de dessein corrompu de sa part.

 

 Je ne vois, sur le plan juridique, aucun conflit entre la décision que j’ai rendue dans Pearl v.Pearl, op. cit., et la décision Mudge v. Mudge, op. cit. Aucun principe de droit nouveau n’a été énoncé dans ces deux causes et chacune de ces décisions était fondée sur l’application de principes établis aux faits de la cause. Je pense que le juge de première instance s’est créé pour lui-même la difficulté relevée par lord Merriman, P., en ces termes dans Churchman v.Churchman, op. cit., en page 52 :

 

 La difficulté suscitée par la question de la connivence tient surtout à ce que par le passé, les juges sont allés au-delà du cas d’espèce pour tenter de poser des principes généraux d’application universelle.

 

Il y a également lieu de noter cette observation faite par lord juge Somervell dans Douglas v.Douglas, [1950] 2 All E.R. 748, en page 752 :

 

 [TRADUCTION] Je pense qu’il est dangereux, en particulier dans ce domaine où l’état d’esprit est l’élément primordial, de tirer des conséquences des faits d’une cause pour les appliquer dans une autre.

 

Je me réfère aussi à la décision Woodbury v. Woodbury, op. cit., p. 689, dans laquelle lord juge Somervell cite l’observation susmentionnée, faite par lord Merriman, P., dansChurchman v. Churchman, op. cit.

 Mon collègue le juge Schroeder m’a communiqué ses motifs de jugement que je partage d’emblée tout comme je partage la décision qu’il propose. Je tiens seulement à ajouter une brève observation.

 Le distingué juge de première instance fondait sa décision sur la conclusion qu’il y avait entre le demandeur et le défendeur un accord selon lequel le premier partirait de chez lui et le second y emménagerait. Il est de droit constant que la juridiction d’appel est tout aussi bien placée que le juge de première instance pour apprécier les preuves et témoignages produits et doit tirer sa propre conclusion lorsque la crédibilité des témoins n’est pas en jeu; voirBenmax v. Austin Motor Co. Ltd., [1955] 1 All E.R. 326. La conclusion du distingué juge de première instance ne repose pas sur la crédibilité du demandeur et, à mon avis, l’inférence qu’il tirait du témoignage donné n’était pas fondée. Je ne vois rien dans ce témoignage qui justifie cette inférence. Il n’y a aucune preuve d’une communication quelconque entre le demandeur et le défendeur à aucun moment après que le demandeur et sa femme furent convenus de se séparer. Au contraire, il y a le témoignage positif du demandeur qu’il n’y avait aucun arrangement ou accord selon lequel il partirait de chez lui et permettrait au défendeur d’y emménager. Il y a son témoignage positif qu’il ne savait pas que le défendeur s’installerait dans la maison. Qui plus est, il me paraît tout à fait improbable que s’il y avait pareil accord entre le demandeur et le défendeur ou entre le demandeur et sa femme, son départ de la maison et l’emménagement du défendeur eussent eu lieu au grand jour, au vu et su de tous, et sans tentative aucune de dissimuler leur méfait. Il est plus probable, à mon avis, que les arrangements pour l’emménagement du codéfendeur dans la maison occupée par la femme du demandeur ont été pris en secret par ces deux fautifs, à l’insu du demandeur. Toute association et intrigue répréhensible entre les deux, avant l’annonce soudaine et inattendue par la femme qu’elle allait partir avec le codéfendeur, était tenue complètement secrète vis-à-vis du demandeur, et il est raisonnable de conclure que le dessein et la détermination des deux défendeurs de vivre ensemble ont abouti à un secret arrangement entre eux, par lequel le codéfendeur devait emménager chez elle. Le fait qu’il ait choisi de le faire au moment même où le mari s’en allait était pure coïncidence.

 Le distingué juge de première instance conclut :

 

que le demandeur a permis avec insouciance l’adultère reproché entre sa femme et le défendeur et qu’en fait, il en a facilité la consommation.

 

Là encore, il n’y a aucune preuve à l’appui de cette conclusion. Le fait que le demandeur s’en allait n’indique pas qu’il a facilité la consommation de l’adultère de la femme. Il a convenu avec elle qu’il déménagerait et vivrait séparé d’elle, et il ne faisait que ce qu’il avait promis et accepté de faire. Le fait qu’il mettait à exécution sa promesse et cet accord entre sa femme et lui-même au moment même où le cointimé emménageait avec le consentement manifeste de cette dernière n’indique pas qu’il a « permis avec insouciance » à sa femme de commettre l’adultère, ni qu’il en a facilité la consommation. À mon avis, ces faits ne justifient la conclusion que le demandeur nourrissait le « dessein corrompu » d’encourager ou de promouvoir l’adultère commis par sa femme, adultère sur lequel son action était fondée. Il ne saurait donc être trouvé coupable de connivence.

 Il a été dit durant les débats qu’il incombait au demandeur de protéger sa femme contre le danger manifeste qui la menaçait, et de s’opposer à ce que le codéfendeur emménage chez elle, ou de le lui interdire. À ce propos encore, il faut se rappeler les circonstances particulières de la cause. Elle était déterminée à « partir » avec le codéfendeur et était indubitablement prête et déterminée à commettre l’adultère avec lui. Elle avait rejeté le mari et l’avait privé de ses droits conjugaux. Elle avait signé un accord de séparation aux termes duquel elle vivrait séparée de lui. Par ailleurs, le codéfendeur avait projeté et indubitablement décidé de vivre avec la femme du demandeur. Que pouvait faire celui-ci dans ces circonstances pour prévenir la relation adultère de sa femme avec le codéfendeur? Il était trop tard pour la raisonner et s’il avait usé de force physique pour interdire l’entrée de la maison au codéfendeur au moment où ils se croisaient, il aurait été bien facile à ce dernier de remettre à plus tard son emménagement, jusqu’au moment où le demandeur ne ferait pas attention. Je ne vois rien dans le témoignage produit qui permette de conclure que le demandeur était en mesure de prévenir l’adultère de sa femme, sur lequel son action était fondée.

 Je conclus que dans les circonstances particulières de la cause, la conduite du demandeur n’indique pas qu’il nourrissait le « dessein corrompu » d’encourager ou de promouvoir l’adultère de sa femme; il n’est donc pas coupable de connivence propre à le rendre irrecevable à obtenir un jugement de divorce.

 Le juge LEBEL, J.C.A. (dissident) : Il y a lieu de rejeter cet appel. Sauf mon respect pour l’avis contraire de mes collègues, je pense que les conclusions de collusion et de connivence passive tirées par le distingué juge de première instance étaient fondées et je les partage entièrement.

 À la clôture du procès non contesté, il a mentionné le passage du témoignage du demandeur, dans lequel celui-ci faisait savoir qu’il avait déménagé du foyer conjugal le 11 octobre 1957, juste au moment où le cointimé y emménageait, manifestement pour vivre avec la femme du demandeur. Les termes sobres prononcés par le distingué juge de première instance au sujet de cette situation extraordinaire sont les suivants : « Il semble que c’est aller un peu trop loin. ». En développant les motifs par lesquels il a débouté le demandeur, il a ajouté :

 

 En l’espèce, selon le témoignage donné et je pense que je l’interprète correctement, le demandeur et le défendeur se sont frôlés au passage, l’un sortant ses effets de la maison et l’autre y rentrant les siens.

 

 

 On peut en conclure, à mon avis, que le demandeur et le défendeur sont convenus que le premier déménagerait et que le second emménagerait.

 

 

 Je conclus que le demandeur a permis avec insouciance l’adultère reproché entre sa femme et le défendeur et qu’en fait, il en a facilité la consommation.

 

 À même supposer que le fait pour le codéfendeur d’emménager au moment même où le demandeur déménageait fût une simple coïncidence et n’ait pas été prévu à l’avance, ce que le juge de première instance ne croyait pas, je pense qu’il a tiré la seule conséquence possible des circonstances en concluant qu’il y avait eu connivence du demandeur dans l’adultère, dont il devait forcément savoir qu’il se produirait subséquemment.

 Il est de droit constant que la connivence est une fin de non-recevoir absolue contre l’action en divorce, séparément de la collusion, bien qu’à maints égards, les circonstances en chevauchent en l’espèce et justifient la conclusion que le demandeur est coupable des deux. Tel est, à mon avis, le cas en l’espèce, mais qu’il y ait eu ou non cette entente préalable entre les deux hommes, l’importante question qui se pose pour ce qui est de la connivence concerne la conduite du demandeur au moment où il voyait le cointimé emménager chez lui. Était-il innocent ou nourrissait-il un dessin corrompu?

 Qu’est qu’un dessein, ou état d’esprit, corrompu, par rapport à l’état d’esprit innocent? Il semble qu’il est nécessaire de répondre que le dessein corrompu n’est rien d’autre que le dessein de faire quelque chose de corrompu, ainsi que l’a fait observer lord juge Somerwell de la Cour d’appel d’Angleterre, dans Douglas v. Douglas, [1951] P. 85, lorsqu’il a cité en page 92 ce passage du jugement prononcé par lord Merriman, P. , dans Churchman v.Churchman, [1945] P. 44, p. 52 :

 

 [TRADUCTION] À notre avis, il est de la plus haute importance de se rappeler que la question est de savoir, eu égard aux faits de la cause, si le mari a été ou non coupable du dessein corrompu de promouvoir ou d’encourager le commencement ou la poursuite de l’adultère de la femme.

 

et d’ajouter :

 

 Il y a eu devant la Cour un certain débat sur le sens du mot “corrompu”. Il est difficile de concevoir un dessein d’encourager l’adultère qui ne soit pas “corrompu”. Ce terme fait ressortir ce qui est aussi jugé comme “tout important”, savoir “l’état d’esprit” du demandeur.

 

Pour ma part, je pense que cela n’est pas seulement difficile, mais encore impossible. Un dessein innocent se passe naturellement d’explications, mais je pense qu’il est aussi nécessaire de dire que par le passé, le fait d’observer passivement a été jugé équivalent à la preuve irréfutable de dessein corrompu, mais pareil comportement a été récemment vu sous un autre éclairage. Dans Mudge v. Mudge, op. cit., le demandeur avait retenu les services de détectives privés qui se sont cachés pour prendre l’épouse en flagrant délit d’adultère; il a été jugé qu’il n’y avait pas connivence. Cette conclusion a été approuvée par la Cour d’appel d’Angleterre dans l’arrêt Douglas v. Douglas, op. cit., lequel a été expressément approuvé par notre Cour sur ce point dans Kawala v. Kawala, op. cit. Dans Douglas, le lord juge Somervell a fait l’observation suivante en pages 93 et 94 :

 

 [TRADUCTION] En l’espèce, je pense que le mari n’avait pas l’intention d’encourager ou de promouvoir une relation adultère, mais de s’assurer la preuve de ce qu’il soupçonnait de se produire depuis Noël. Dans tous les cas où le mari qui soupçonne la femme d’adultère la fait surveiller, on peut dire que s’il l’avait avertie qu’elle serait surveillée, aucun acte d’adultère ne se serait produit à cette occasion. Ce serait absurde de dire que pareille situation vaut connivence; voir Mudge v. Mudge.

 

En l’espèce, il n’y avait pas de surveillance visant à rechercher la preuve d’adultère, mais le fait est effectivement que le mari a créé l’occasion pour que l’adultère se produise et cela, à mon avis, constitue un indice plus concluant de connivence. Cependant, il a été jugé que ni l’observation passive ni la création de l’occasion n’est un facteur décisif de dessein corrompu. Ce qui est de la plus grande importance selon la jurisprudence récente, c’est la question de savoir si un conjoint a raisonnablement lieu de penser que l’autre conjoint a commis l’adultère avant l’observation ou avant l’occasion créée, et je fais mienne la conclusion tirée par le lord juge Denning sur ce point dans la cause Douglas, en page 98 :

 

 [TRADUCTION] Il y a en l’espèce bien plus que la simple observation, parce que le mari a délibérément quitté la maison pour que les deux coupables se croient seuls, puis les a fait surveiller. Ce qui fait qu’il n’a pas simplement acquiescé à l’adultère, mais qu’il en a créé l’occasion. Cet élément supplémentaire le rend-il coupable de connivence, à la différence de la simple surveillance? Je ne le pense pas. Cette Cour n’est pas appelée à se prononcer sur la moralité de l’affaire. La question est de savoir quel est le plus grand mal. Laisser l’adultère se poursuivre non détecté et non prouvé? ou permettre au mari d’en recueillir la preuve en créant l’occasion? Ma réponse est que si le mari pense honnêtement que l’adultère a déjà eu lieu, il est très nécessaire que ses soupçons soient ou bien confirmés ou bien réfutés. [C’est moi qui souligne.]

 

 Si le demandeur soupçonne que sa femme a commis l’adultère, c’est-à-dire qu’il soupçonne honnêtement pour une bonne raison ou pour une raison qui lui paraissait bonne au moment considéré, il n’a pas à prouver par la suite que ses soupçons étaient fondés sur des preuves telles qu’elle lui assureraient un jugement conditionnel de divorce. Ce point a été admirablement exposé par le lord juge Denning dans la cause Douglas, en page 99, où il distinguait en ces termes la conviction fondée sur des motifs raisonnables et la soi-disant conviction fondée sur des motifs déraisonnables, qui se traduiraient par l’expression « Je crains — un simple soupçon » :

 

 [TRADUCTION] Le fait qu’il soit coupable ou innocent ne saurait cependant dépendre de la conclusion que le tribunal peut tirer en fin de compte des preuves produites, lesquelles peuvent être différentes de celle qu’a recueillie le mari. Il doit dépendre de l’état d’esprit de celui-ci au moment considéré. Cette règle a été établie, depuis le précédent Phillips v. Phillips (1844), 1 Rob. Eccl. 144, jusqu’à la cause Churchman v. Churchman, [1945] P. 44, 50. Et, dans l’analyse de son état d’esprit, il faut se rappeler qu’il est présumé innocent de connivence. Il peut fort raisonnablement croire que sa femme s’est lancée dans une intrigue adultère, sur la foi de preuves insuffisantes aux yeux de la justice. Si sa croyance est fondée sur des motifs raisonnables, ses agissements visant à vérifier cette croyance ne sont pas une preuve de connivence, parce qu’il faut, en toute justice, présumer qu’il a pensé qu’il y avait adultère et n’a fait que rechercher la preuve nécessaire. Mais si sa croyance n’a aucun motif raisonnable, une suspicion de connivence est possible, car on peut conclure qu’en fait, il ne croyait pas qu’il y avait adultère. Si dès lors il favorise et encourage un acte d’adultère, en mettant les deux coupables ensemble, il peut être appelé à s’expliquer, parce qu’en fin de compte, le juge doit être convaincu, par application de la norme de la probabilité la plus forte, qu’il n’y avait pas connivence; voir Emanuel v. Emanuel, (1946) P. 115, 118. (C’est moi qui souligne.)

 

 Ce qui est un facteur tout aussi primordial, c’est à date du commencement de l’adultère car, pour établir la connivence, il faut prouver qu’elle précède la consommation de l’adultère. Ce principe, il me semble, n’a jamais été mis en doute. Dans Churchman v. Churchman, op. cit.,en page 50, lord Merriman a fait l’observation suivante :

 

 [TRADUCTION] … le trait essentiel de la connivence est qu’elle précède le fait et, généralement parlant, le fait déterminant est le commencement de l’adultère et non sa répétition, bien que les circonstances puissent être telles que la connivence dans la poursuite d’une liaison adultère signifie qu’il faut présumer que le mari en a été complice en premier lieu.

 

 Si ces deux principes sont conformes à notre droit, ainsi que je le pense, la question qui se pose en l’espèce est la suivante : le demandeur avait-il raisonnablement lieu de penser honnêtement que sa femme avait déjà commis l’adultère avec le cointimé avant que lui n’eût quitté la maison le 11 octobre? Si telle était sa croyance honnête à cette date, je dois faire observer tout de suite qu’il n’a jamais affirmé sous serment qu’elle l’était, ni même qu’il soupçonnait sa femme d’avoir été coupable d’adultère avec le cointimé.

 À la suite de la décision Pearl v. Pearl, op. cit., la question s’est posée de savoir si nos règles de droit sont différentes de celles d’Angleterre au sujet de l’importance de l’état d’esprit du demandeur; cf. la conclusion tirée par le juge Spence dans Lemaich v. Lemaich, op. cit.,en page 42, citée dans Power, Divorce, 4th supp., p. 12. Le jugement Pearl a été rendu à l’issue du procès devant la Haute Cour, non devant notre Cour comme l’a noté le distingué auteur de Power (son erreur est compréhensible parce que le recueil rapportant la décisionPearl n’est pas clair sur ce point). Dans la cause Pearl, le juge de première instance n’a tiré aucune conclusion sur la question de savoir si oui ou non, le demandeur était animé d’un dessein corrompu quand il permettait passivement que l’adultère se commît en sa présence, et ce jugement n’a pas été approuvé dans Mudge v. Mudge, manifestement pour cette raison. Quoi qu’il en soit, la question de l’importance de l’état d’esprit du demandeur a été résolue par notre Cour dans Kawala v. Kawala, op. cit., où la cause Pearl n’est pas mentionnée, vraisemblablement pour la même raison. Dans la cause Kawala, le juge de première instance a conclu que la femme était allée dans une chambre d’hôtel avec son beau-frère et y avait découvert des choses qui justifiaient pleinement la conclusion que son mari s’y était rendu coupable d’adultère, mais le juge l’a déboutée parce qu’à son avis, elle avait « pris soin de différer » (la visite à l’hôtel) « non pas afin de prévenir l’adultère, mais afin de laisser l’adultère se produire puis de le découvrir ». C’est pour ce motif que sa décision a été infirmée, par cette conclusion tirée par le juge Hogg, J.C.A., au nom de notre Cour en pages 246 et 247 :

 

 [TRADUCTION] Rien dans les preuves et témoignages produits ne permet de dire que l’appelante ait fait quelque chose pour provoquer la liaison illicite entre son mari et la codéfenderesse, et il n’y a absolument aucune preuve de “dessein corrompu” de la part de l’appelante.

 

Et par le même arrêt, la décision rendue sur ce point dans la décision Douglas a été expressément approuvée. Ainsi, les règles de droit applicables en la matière dans cette province sont celles qui ont été dégagées par notre Cour dans la cause Kawala.

 Nul doute, comme l’ont fait observer mes collègues, que la preuve de la collusion ou de la connivence n’incombe pas au demandeur dans ces cas. Cependant, pour comprendre la règle, il est nécessaire de l’amplifier. Comme nous le verrons infra, le lord juge Denning a noté dans la cause Douglas que la norme de preuve requise est celle de la probabilité la plus forte. Il avait aussi conclu dans Emanuel v. Emanuel, [1945] 2 All E.R. 494, p. 497, qu’une infraction conjugale telle la collusion ou la connivence ne requiert pas la preuve sans l’ombre d’un doute raisonnable. Ce serait en effet un curieux résultat s’il en était autrement, vu la conclusion tirée par notre Cour dans Boykowych v. Boykowych, [1953] O.R. 827 (confirmée sur ce point par la Cour suprême du Canada, [1955] R.C.S. 151), que la norme de preuve de l’adultère lui-même est la même que dans toute action civile. Dans la cause Emanuel, le lord juge Denning a expliqué de façon convaincante la nature de la présomption d’innocence, en page 496 et 467. Il s’agit, dit-il :

 

 [TRADUCTION] d’une présomption de fait (telle la présomption de capacité de tester ou la présomption de négligence en situation de res ipsa loquitur), [laquelle] doit être distinguée de la présomption de droit (telle la présomption de légitimité ou la présomption en faveur du porteur de titre).

 

Et en page 496 :

 

 [TRADUCTION] La présomption d’innocence dans les affaires de divorce n’est pas une présomption légale, qui impose à l’autre partie la charge de prouver la collusion. Si les circonstances sont telles que, sans prouver la collusion, elles suscitent une suspicion raisonnable de collusion, elles peuvent contre-balancer la présomption de fait (tout comme une suspicion d’incapacité ou une explication démontrant la diligence raisonnable peut contre-balancer les présomptions de fait susmentionnées) et inverser de nouveau la charge de la preuve. La charge de la preuve issue de la présomption de fait, qui se fait jour durant l’affaire et peut passer d’une partie à l’autre sur un point donné, doit être distinguée de l’obligation légale de prouver le point litigieux, laquelle ne se déplace jamais. Les présomptions de fait et la charge de la preuve y relative ne sont pas tant des règles de droit que des règles de bon sens, ainsi que l’a posé la jurisprudence constante de la Court of Common Pleas, dont le jugement du juge Willes dans Sutton v. Sadler (1857), 3 C.B.N.S. 87, p. 96; du lord juge Brett dans Pickup v. Thames Ins. Co. (1878), 3 Q.B.D. 594, p. 602; et du lord juge Du Parcq dans Easson v. L.N.E.R., [1944] 1 K.B. 421, p. 425.

 

Et de conclure en page 497 comme suit :