Marshall et al. c. Bernard Place Corporation et al., 58 O.R. (3d) 97 [2002] O.J. No. 463

  • Dossier : C35104
  • Date : 2024

COUR D’APPEL DE L’ONTARIO

LES JUGES CARTHY, SHARPE ET CRONK

ENTRE :

)

 

)

MARGARET MARSHALL et DAVID MARSHALL

) Alan Lenczner, c.r. et Kirsten Crain

) pour l’appelante

Demandeurs                        (Intimés)

)

)

 

)

– et –

)

 

)

BERNARD PLACE CORPORATIONand CHESTNUT PARK REAL ESTATE LIMITED

) Sean Dewart) pour les intimés

 

)

Défenderesses                        (Appelante)

)

)

) Audience : le 21 décembre 2001

)

Appel interjeté contre le jugement en date du 8 septembre 2000 du juge Harry J. Keenan (publié à (2000), 36 R.P.R. (3d) 153).

LE JUGE CRONK :

[1] Le présent appel porte sur le droit à un dépôt de 150 000 $ que les intimés ont versé en vertu d’une convention d’achat-vente visant une propriété résidentielle. Lors du procès, le juge Keenan a décidé que les intimés avaient droit au remboursement de leur dépôt. Ce jugement leur accordait aussi les intérêts courus et les dépens sur la base partie-partie jusqu’au 3 novembre1998, et sur la base procureur-client suivant cette date, après liquidation. L’appelante, Bernard Place Corporation, porte cette décision en appel. Initialement, elle avait aussi demandé l’autorisation de se pourvoir contre l’adjudication des dépens; mais elle s’est désistée de cette demande devant la présente cour. Pour les motifs suivants, je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens.

 

CONTEXTE

[2] Le 9 août 1998, les intimés ont signé une convention d’achat-vente (la « Convention »). Cette convention concernait un immeuble résidentiel situé sur l’avenue Bernard, à Toronto, en Ontario (la « propriété Bernard »). La partie venderesse était Bernard Place Corporation (« BPC») et le prix d’achat était de 1 510 000 $. À la suite d’une série de contre-offres et de contre-propositions, la Convention a été finalisée le 11 août 1998.

[3] Les intimés ont versé un dépôt de 150 000 $ au courtier inscripteur,Chestnut Park Real Estate Limited, qui a gardé ce montant pendant plusieurs mois. Après l’introduction de la présente action, les fonds déposés ont été consignés au tribunal et la poursuite contre le courtier a été rejetée, le tout, sur consentement. Au moment du présent appel, le dépôt continuait d’être consigné au tribunal et de produire des intérêts.

[4] La Convention portait la date de clôture du 29 janvier 1999. Elle était assortie des conditions suivantes :

[TRADUCTION]

La Convention est conditionnelle, dans un premier temps, à l’inspection de la Propriété par un expert en habitations choisi par l’Acquéreur, aux frais de celui-ci, ainsi que, dans un second temps, à l’obtention, par l’Acquéreur, d’un rapport qu’il juge satisfaisant ─ cette dernière appréciation relevant de la seule et absolue discrétion de l’Acquéreur. À défaut par l’Acquéreur et/ou le Courtier collaborateur d’aviser le Vendeur et/ou le Courtier inscripteur, par écrit, au plus tard le mercredi 19 août 1998, à 15 h, que cette condition a été remplie, la Convention est nulle et sans effet, et la somme versée en dépôt est remboursée intégralement à l’Acquéreur, sans intérêts ni déductions. Le Vendeur contribue à donner accès àla Propriété aux fins d’une telle inspection, pourvu que celle-ci soit pratiquée à des heures raisonnables et que le Vendeur ait reçu un préavis raisonnable de l’Acquéreur à son sujet. La présente condition est stipulée au seul bénéfice de l’Acquéreur, qui, seul et de son propre chef, peut y renoncer en remettant un avis par écrit à cet effet au Vendeur et/ou au Courtier inscripteur dans le délai prévu par la Convention.

[5] À l’Annexe A de la Convention, il était prévu, entre autres, que la Propriété Bernard pourrait être offerte en location pendant la période conditionnelle prévue à la Convention. Cette annexe confirmait que, si BPC choisissait de louer la propriété avant la date de clôture, les intimés détiendraient un droit d’approbation relativement au locataire et au bail. L’annexe décrivait les travaux que BPC devait effectuer sur la Propriété Bernard avant la date de clôture.

[6] Lorsqu’ils ont signé la Convention, les intimés résidaient à New York et projetaient de revenir un jour à Toronto. C’est ce projet qui les motivait à acquérir une propriété à Toronto et à la louer jusqu’à leur retour.

[7] Les intimés ont visité la Propriété Bernard deux fois avant de signer la Convention. Ils envisageaient deux projets de rénovation si l’achat se réalisait : l’aménagement d’un jardin-terrasse sur le toit, un ouvrage qui nécessiterait la disponibilité d’une source d’alimentation en eau sur le toit; et la modification des portes-patio. Il n’y a aucune mention de l’une ni de l’autre de ces rénovations dans la Convention. On ne les trouve ni parmi les conditions de la Convention ni dans la description des travaux à effectuer par BPC avant la date de clôture, travaux qui se trouvent énumérés à l’Annexe A de la Convention.

[8] Les intimés ont promptement organisé l’inspection professionnelle stipulée. Le rapport d’inspection mentionne divers défauts. Ceux-ci ont trait à la construction, à la conception ou à l’état de la maison. Parmi les lacunes constatées, on note l’isolation insuffisante ou la non-isolation de certains tuyaux, du réseau des conduits d’air et d’un vide sanitaire. Il en découlait un risque de gel de tuyaux et d’augmentation des coûts de chauffage. Il était conclu à la nécessité de faire installer de l’isolant. En plus, parmi d’autres problèmes : le toit plat du garage détaché n’avait pas une pente adéquate, ce qui risquait d’occasionner des problèmes de drainage; le calfeutrage du toit et de la porte principale était décrit comme [TRADUCTION] « incomplet »; une fuite était constatée dans l’une des toilettes de la maison; et des dégâts causés par l’eau étaient observés sur le plafond de l’abri à voitures. Selon l’inspecteur, la plupart de ces déficiences étaient réparables à des coûts peu élevés. Par contre, le montant qu’il en coûterait pour réparer la fuite ne serait déterminé qu’après une inspection plus poussée.

[9] Dans l’ensemble, l’inspecteur a décrit la Propriété Bernard comme étant [TRADUCTION] « une maison bien construite », qui ne nécessitait aucune réparation majeure au moment de l’inspection. Utilisant une échelle d’évaluation, l’inspecteur a attribué une note de 7 sur 9 à la Propriété Bernard. Cette construction se trouvait ainsi qualifiée de [TRADUCTION] « supérieure à la moyenne ». L’inspecteur a témoigné qu’un 8 sur 9 ─ note qu’il a accordée à quelques occasions ─ indique que la maison visée a été construite dans un souci de respect méticuleux des normes les plus élevées qui soient.

[10] Les intimés ont discuté de leurs projets de rénovation avec l’inspecteur. Selon lui, l’aménagement d’une source d’eau pour un jardin de toit était une transformation lourde de conséquences. Un tel projet, leur a-t-il dit, impliquait des réparations et des dépenses importantes. Selon l’inspecteur, le réaménagement des portes-patio serait également lourd de conséquences et ne constituait [TRADUCTION] « pas une petite tâche ».

[11] Après avoir pris en considération le rapport d’inspection, les intimés ont décidé de se prévaloir de la condition, d’une part, en n’y renonçant pas et, d’autre part, en ne remettant pas l’avis, prévu à la Convention, selon lequel la condition avait été remplie. Leur courtier a informé la courtière inscriptrice de cette décision le 17 août 1998, soit deux jours avant l’expiration du délai de préavis stipulé dans la condition. Les intimés ont ensuite demandé le remboursement de leur dépôt. Le remboursement se faisant attendre, ils ont intenté un recours en justice. Dans le cadre de cette instance, les intimés ont réclamé des dommages-intérêts à BPC pour violation de la Convention. L’action n’a pas été axée sur la fraude ni des assertions inexactes, et aucune allégation de contrat accessoire à la Convention n’a été formulée.

[12] Lorsqu’elle a appris la décision des intimés, la courtière inscriptrice, qui avait agi au nom de BPC lors des négociations relatives à la Convention, a cherché à savoir [TRADUCTION] « quels éléments insatisfaisants ont pu être révélés par le rapport d’inspection ». La courtière inscriptrice a voulu discuter directement du rapport d’inspection avec l’inspecteur, et celui-ci a refusé. Elle est aussi entrée en communication avec les avocats des intimés pour leur demander une copie du rapport d’inspection. Sa demande a été rejetée, bien que, par la suite, une copie du rapport ait été fournie aux avocats de BPC. Si la courtière inscriptrice a entrepris les démarches qui précèdent, c’était que, selon elle, les motifs poussant les intimés à résilier la Convention étaient étrangers à la condition applicable à la Propriété Bernard.

[13] Le jour où les intimés ont avisé la courtière inscriptrice qu’ils se prévaudraient de la condition sur l’inspection, BPC a accepté une offre de location de la Propriété Bernard. Les intimés avaient déjà approuvé la formule du bail utilisé.

[14] Un mois après la résiliation du contrat, les intimés ont signé un nouveau contrat d’achat-vente. La propriété acquise était moins dispendieuse que la Propriété Bernard, mais elle était située dans le même quartier que celle-ci. Tandis qu’ils résidaient encore à l’extérieur du Canada, les intimés ont entrepris des rénovations d’envergure sur la seconde propriété. Ces rénovations leur ont coûté environ 1,6 $ million de dollars.

B. QUESTIONS SOULEVÉES DANS L’APPEL

[15] Les questions soulevées par BPC dans le présent appel ont trait à :

1) la norme régissant l’exercice du pouvoir discrétionnaire par les intimés sous le régime de la condition sur l’inspection;

2) le fardeau d’établir la conformité ou la non-conformité à la norme requise;

3) la possibilité d’obtenir une mesure de redressement contre la confiscation s’il est conclu que les intimés n’ont pas satisfait à la norme applicable.

C. ANALYSE

(1) Norme régissant l’exercice du pouvoir discrétionnaire

[16] Dans Greenberg v. Meffert (1985), 18 D.L.R. (4th) 548 (C.A. Ont.), où l’autorisation d’interjeter appel devant la Cour Suprême a été refusée (1985), 30 D.L.R. 9 (4th) 768, la présente cour a confirmé que, sous le régime des conditions contractuelles assujetties à des décisions discrétionnaires (les clauses dites de « discrétion exclusive ») la décision discrétionnaire doit être prise avec honnêteté et bonne foi. Les deux parties ont connaissance de cette exigence, mais BPC plaide que les intimés n’y ont pas satisfait.

[17] BPC plaide également que, dans l’exercice de leur faculté discrétionnaire sous le régime de la condition sur l’inspection, les intimés étaient tenus d’agir raisonnablement, dans le respect d’une norme objective. Selon les intimés, la raisonnabilité doit s’évaluer en fonction d’une norme subjective ou, subsidiairement, d’une norme à la fois subjective et objective.

[18] Dans Greenberg ainsi que dans Canadian National Railway Co. v. Inglis Ltd. (1997), 36 O.R. (3d) 410 (C.A. Ont.), il a été établi que les dispositions contractuelles discrétionnaires s’insèrent dans deux catégories de base. Dans Greenberg, à la page 554, le juge d’appel Robin déclare ce qui suit :

[TRADUCTION]

Règle générale, deux catégories de base permettent de classer les dispositions contractuelles qui assujettissant un paiement ou une prestation à [TRADUCTION] « la discrétion », à [TRADUCTION] « l’opinion » ou à [TRADUCTION] « la satisfaction » d’une partie à l’entente ou d’une tierce partie. Lorsque, dans le contrat concerné, la question faisant l’objet d’une décision ou d’une approbation ne se prête pas directement a une évaluation objective — mais relève du goût, de la sensibilité, de la compatibilité personnelle ou du jugement de la partie à laquelle le pouvoir est conféré — une telle disposition a de fortes chances d’être interprétée comme imposant seulement une norme subjective. Par ailleurs, dans un contrat où il est traité de questions comme le caractère opérationnel, l’achèvement structural, l’utilité mécanique et la qualité marchande, la disposition est généralement interprétée comme imposant une norme de raisonnabilité objective. Références générales : 4 Hals., 4th ed., p. 612, paragr. 1198-9; Corbin on Contracts (1960), vol. 3A, nos 644-48; Williston on Contracts, 3rd ed. (1957), nos 675A, 675B; Hudson, Building and Engineering Contracts, 10th ed., (1970), chapitre 7.

Dans toute transaction, la catégorie de la disposition sera déterminée par l’intention que les parties auront révélée dans leur contrat. Si le libellé du contrat n’est pas explicite ou que sa teneur ou la nature du sujet dont il traite ne fournit pas d’indication claire sur la question, la jurisprudence tend à exiger que l’exercice de la discrétion ou l’insatisfaction visée soit raisonnable : Ministry Trust, Ltd. v.Traps Tractors, Ltd., et al., [1954] 3 All E.R. 136 à la p.145. De toutes les interprétations possibles, cette interprétation est la moins porteuse de préjudices. En effet, le résultat auquel elle aboutit ne saurait être considéré comme inéquitable ni injuste envers une partie ou envers l’autre. Toutes choses étant égales par ailleurs, il est, à mon sens, préférable que les dispositions de ce type soient interprétées comme imposant la norme de l’examen objectif, la moins arbitraire des normes candidates : American Law Institute, Restatement of the Law, Second: Contracts 2d (1981), no 228. (sic) [Les italiques sont ajoutés.]

[19] Selon les principes exposés dans Greenberg, la norme régissant une clause de discrétion exclusive est dictée par le contrat. Pour déterminer si une condition discrétionnaire impose une norme objective ou subjective, il faut se référer à [TRADUCTION] « l’intention que les parties auront révélée dans leur contrat ».

[20] L’exigence de l’honnêteté et de la bonne foi s’applique à l’exercice de la discrétion peu importe qu’il soit évalué suivant une norme objective ou subjective (Greenberg, p. 554). Aucune discrétion contractuelle n’est absolue, c’est-à-dire exerçable de façon capricieuse ou arbitraire. Dans Greenberg, il est confirmé que, même si une discrétion est établie en des termes généraux dans un contrat, elle n’est pas « débridée » et elle demeure assujettie à des limites données. De plus, comme l’illustre Inglis, même lorsque la norme régissant laraisonnabilité est objective, il ne peut y être satisfait que lorsque la décision discrétionnaire ou l’opinion visée a été arrêtée de façon raisonnable dans les circonstances (à la p. 416 ; le juge d’appel Robins).

[21] À mon sens, à moins que le contrat n’exprime expressément le contraire, lorsqu’un rapport d’inspection identifie des vices de construction ou des problèmes touchant l’intégrité d’une maison, ce rapport fournit une base objective pour évaluer l’exercice potentiel d’une discrétion régie par une condition discrétionnaire visant l’inspection de la propriété. Ensuite, il faut définir la portée de l’évaluation subjective qui déterminera l’importance des lacunes identifiées. À une telle fin, il faut se référer au libellé de la condition. Le libellé d’un contrat peut accorder une latitude considérable à une partie qui voudrait se fonder sur un rapport d’inspection constatant certaines lacunes pour se prévaloir d’une condition discrétionnaire. Dans un tel contexte, la partie se fonde sur le rapport pour décider que les défauts qu’il identifie sont suffisamment inacceptables pour justifier une décision de ne pas compléter l’opération.

[22] En l’espèce, la société BPC s’appuie sur l’arrêt Greenberg etaffirme que les intimés étaient tenus d’effectuer l’achat de la propriété Bernard à moins que le rapport d’inspection ne révèle des vices qui, par nature, mettent en cause [TRADUCTION] « la fonctionnalité, l’achèvement de la structure, l’utilité mécanique et la qualité marchande » de la propriété. Selon la société BPC, les lacunes relevées par le rapport étaient minimes et pouvaient être réparées sans tarder et à un coût modique.

[23] Selon la condition d’inspection, qui avait été rédigée par l’agent des intimés et approuvée par l’agente inscriptrice, le rapport d’inspection devait être jugé [TRADUCTION] « satisfaisant » par l’acheteur; la décision de l’acheteur relevait de sa [TRADUCTION] « seule et absolue » discrétion; et la condition était énoncée « au seul bénéfice » de l’acheteur, qui pouvait [TRADUCTION] « seul et de son propre chef » décider d’y renoncer en suivant une procédure stipulée.

[24] Le juge du procès a exprimé le point de vue suivant :

[TRADUCTION]

La présente convention d’achat-vente constituait un contrat entre des gens d’affaires d’expérience, des personnes de même niveau ; il a été négocié par l’entremise de professionnels, qui ont convenu d’un libellé explicite, libellé qui confère une discrétion subjective très étendue aux acquéreurs. À la lumière du contrat, l’intention des parties était que, après réception du rapport d’inspection, les acquéreurs puissent se retirer de l’entente s’ils n’étaient pas convaincus qu’ils obtenaient ce pour quoi ils avaient négocié.

 

[25] Je suis d’accord pour dire que, en l’espèce, le libellé de la condition sur l’inspection introduit une composante subjective importante dans l’exercice de la discrétion sous le régime de la condition. Si l’on donne aux mots de la condition leur sens ordinaire, l’on constate que les facteurs subjectifs relevant [TRADUCTION] « de la sensibilité, de la compatibilité personnelle ou du jugement » ne sont pas exclus par des termes limitatifs ou exclusifs. Si les parties avaient eu l’intention d’exclure de tels facteurs, il n’est pas déraisonnable de tenir pour acquis qu’elles auraient introduit, au sein de la condition, les termes voulus pour l’assortir de réserves.

[26] Par contre, je suis aussi d’avis que, en raison de son objet, la Convention met en jeu certains éléments d’une norme objective deraisonnabilité. La Convention porte sur l’acquisition d’un immeuble résidentiel. L’intégrité et l’état de l’immeuble sont des matières qui se prêtent à des mesures objectives. Comme il a été mentionné ci-dessus, cette constatation laisse entendre que, au départ, des facteurs objectifs doivent fonder l’exercice de la discrétion sous le régime de la condition. Lorsque de tels facteurs objectifs sont présents, le libellé de la condition entre en jeu et définit la latitude accordée à la partie qui souhaite se prévaloir de la condition. Ce libellé détermine en effet si les risques reliés aux lacunes de l’immeuble qui ont été relevées sont acceptables dans les circonstances. La décision doit être fondée raisonnablement et l’exercice de la discrétion doit être honnête et de bonne foi. Ainsi, dans le contexte en l’espèce, le contrat entre les deux parties stipule que, sous le régime de la condition sur l’inspection de la propriété, l’exercice de la discrétion doit être régi par une norme de raisonnabilité qui comprenne, en premier lieu, des éléments objectifs, et, en second lieu, des éléments subjectifs. Cela dit, il reste à savoir si les intimés ont satisfait à cette norme, en agissant avec honnêteté et bonne foi, lorsqu’ils se sont prévalus de la condition sur l’inspection.

[27] Le rapport d’inspection signalait des lacunes matérielles qui pouvaient être réparées à un coût minime; par contre, les risques véritables posés par certaines des lacunes ne pouvaient être évalués au moment de l’inspection. De plus, le rapport faisait ressortir non seulement qu’il fallait corriger les lacunes relevées et effectuer les réparations voulues, mais encore que ces mesures devaient être prises alors que les lieux étaient en possession d’un locataire. Ces perspectives suscitaient des incertitudes et présentaient des inconvénients que les intimés pouvaient légitimement prendre en compte.

[28] À la lumière de la preuve, ce ne sont pas les coûts en jeu qui ont dicté la décision des intimées de se prévaloir de la condition sur l’inspection. Ni le prix d’achat de la propriété Bernard, ni les frais nécessités par la réparation des lacunes relevées ne dépassaient leurs moyens financiers. Tout doute à cet égard sera dissipé par le fait que, par la suite, les intimés ont acquis et rénové une autre propriété, dont l’existence ne leur a été connue qu’après août 1998, à un coût plus élevé que le prix d’achat total de la propriété Bernard. Par conséquent, rien ne permet de conclure ― et BPC ne plaide pas ― que, lorsqu’ils ont décidé de se prévaloir de la condition sur l’inspection, les intimés avaient pour motif de se soustraire à la Convention afin soit d’acquérir une maison qu’ils préféraient et qui était moins dispendieuse, soit d’échapper à des réparations qu’ils ne pouvaient pas payer.

[29] En tout état de cause, la condition sur l’inspection n’assujettissait le recours à la condition ni aux coûts de réparation des lacunes relevées, ni, par le biais de dispositions restrictives, au nombre ou à la nature des lacunes, ou à la pertinence de toute réparation connexe.

[30] Les intimés ont exigé le rapport d’inspection promptement une fois qu’ils eurent signé la Convention. Ensuite, une fois le rapport entre leurs mains, ils ont agi avec célérité. Par l’entremise de leur agent, ils ont avisé sans tarder l’agente inscriptrice de leur décision.

[31] Suivant une conclusion prise par le juge du procès, la décision des intimés de se prévaloir du rapport d’inspection [TRADUCTION] « était motivée par des considérations subjectives relevant de leurs dispositions personnelles et faisait suite à un exercice de jugement autorisé par la condition sur l’inspection ». À mon sens, il existait des preuves pour fonder une telle conclusion. Le juge a ensuite conclu que les intimés avaient satisfait aux exigences de la bonne foi, de l’honnêteté et de la raisonnabilité. Je suis du même avis, ce, pour diverses raisons.

[32] Premièrement, les lacunes révélées par le rapport d’inspection avaient trait à la construction, à la conception et à l’état de la propriété Bernard. Le rapport, en effet, identifiait des facteurs objectifs et matériels ayant trait à l’intégrité structurale de l’immeuble Bernard. Il est vrai que, au moment où ils ont décidé s’ils concluraient ou non la transaction, les intimés ont tenu compte des incertitudes qu’ils éprouvaient au sujet des rénovations qu’ils projetaient pour la propriété Bernard. Une telle conclusion est suggérée par la preuve, mais un fait, par contre, demeure : le rapport d’inspection décrivait des faits objectifs sur lesquels les intimés pouvaient légitimement fonder l’exercice de leur discrétion – et ont effectivement fondé l’exercice de leur discrétion – sous le régime de la condition sur l’inspection.

[33] Deuxièmement, aucun élément de preuve n’établit que les intimés aient pratiqué, avec malhonnêteté ou mauvaise foi, un comportement collusif comme celui dont il était question dans l’affaire Greenberg. Dans l’affaire Greenberg, à la différence de notre espèce, le tribunal a conclu que les intimés avaient élaboré une combine pour diviser la commission d’un agent d’inscription en vue de lui faire perdre le droit à une commission une fois son engagement terminé. Aucune preuve n’établit que des comportements blâmables de ce type aient été pratiqués en l’espèce. Ensuite, au vu du dossier présenté à la présente Cour, les intimés étaient des acquéreurs sérieux qui, avant l’inspection, n’avaient aucune intention de se soustraire à la Convention ni d’invoquer la condition sur l’inspection afin d’éviter de compléter l’opération.

[34] Troisièmement, la condition sur l’inspection ne comportait pas de termes qui la liassent à [TRADUCTION] « la fonctionnalité, l’achèvement de la structure, l’utilité mécanique et la qualité marchande » de la propriété Bernard et qui, de ce fait, justifiassent l’imposition d’une norme de raisonnabilité exclusivement objective. Le concept de l’importance relative n’est pas présent dans la condition. Cette constatation vaut aussi bien en ce qui concerne le coût des réparations à effectuer qu’en ce qui concerne l’ampleur des lacunes relevées dans leur ensemble. En conséquence, une fois que le rapport d’inspection eut établi des faits objectifs concernant des lacunes de l’immeuble, le libellé permissif de la condition sur l’inspection ― condition à laquelle les parties avaient consenti ― autorisait les intimés à déterminer si les risques, les incertitudes et les inconvénients entraînés par ces lacunes étaient acceptables, ce, à la lumière de leur situation et de leur point de vue, suivant la perception subjective qu’en avaient les intimés.

Fardeau de la preuve

[35] BPC présente également un argument au sujet de la preuve relative à la malhonnêteté et à la mauvaise foi qu’auraient manifesté les intimés en décidant de se prévaloir de la condition sur l’inspection. Selon BPC, le juge du procès a fautivement renversé le fardeau de la preuve, pour le faire reposer sur elle, en ce qui a trait à de telles questions. Selon BPC, les intimés ont omis de lui permettre d’examiner le rapport d’inspection et de corriger les lacunes identifiées, et, à la lumière de cette omission, l’imposition du fardeau de la preuve à BPC est illogique. Ces arguments, à mon avis, doivent échouer.

[36] Le juge du procès a conclu ― à juste titre selon moi ― que les intimés avaient le fardeau de faire la preuve de la Convention, de la condition sur l’inspection prévue dans la Convention ainsi que, à la lumière de cette condition, de leur droit de réclamer le remboursement de leur dépôt. Dans sa Défense et demande reconventionnelle, BPC a soulevé les questions de la raisonnabilité et de la bonne foi, en faisant valoir que, sur le fondement de ces critères, les intimés devaient perdre le droit au remboursement de leur dépôt. De plus, BPC a expressément plaidé que les intimés s’étaient montrés de mauvaise foi en cherchant à se prévaloir de la condition sur l’inspection. Dans les circonstances qui précèdent, aucune obligation positive n’est faite aux intimés de réfuter quelque exception ou motif qui lui retirerait le droit à la réparation réclamée. Comme l’a fait remarquer le juge du procès, lorsque des motifs sont invoqués pour faire perdre un droit :

[TRADUCTION]

[…] il revient à la Cour d’examiner l’ensemble de la preuve et de déterminer si, à la lumière de celle-ci, les demandeurs ont manqué d’agir raisonnablement, honnêtement et de bonne foi, et perdent le droit à la réparation qu’ils réclament.

Si elle souhaitait faire valoir que les intimés ne satisfaisaient pas aux exigences fondant leur exercice de la discrétion, BPC devait s’assurer que tous les éléments de preuve sur lesquels elle cherchait à faire reposer ce moyen de défense seraient mis de l’avant lors du procès.

[37] Les intimés ont refusé de fournir une copie du rapport d’inspection à l’agent d’inscription lorsque ce dernier en a fait la demande ; par contre, une copie du rapport ― est-il reconnu ― a subséquemment été fournie aux avocats de BPC. Le libellé de la condition sur l’inspection était clair et il ne prévoyait pas que BPC, à titre de vendeur, puisse participer à l’inspection de l’immeuble ni à la décision sur le caractère satisfaisant ou non du rapport d’inspection. En outre, la condition ne prévoyait pas que BPC ait le droit de remédier aux lacunes identifiées dans le rapport d’inspection et que, au moyen d’une telle intervention, elle puisse éviter que l’acquéreur ne se prévale de la condition sur l’inspection. Si les parties prévoyaient que le vendeur ou son représentant jouirait de tels droits, elles devaient l’exprimer dans le libellé de la condition.

[38] Dans leur Réponse et défense reconventionnelle, les intimés ont demandé, à titre subsidiaire, d’être relevés de toute confiscation qui leur serait imposée. Selon BPC, une telle mesure n’est pas accessible dans le contexte de la présente espèce. Pour les motifs ci-dessus, toutefois, il n’est pas nécessaire d’examiner cette question en l’espèce.

 

D. CONCLUSION

[39] Par conséquent, je suis d’avis de rejeter l’appel, avec dépens.

 

Le juge E.A Cronk, juge d’appel

[TRADUCTION] « Je souscris au motif ci-dessus. » Le juge J.J. Carthy, juge d’appel

[TRADUCTION] « Je souscris au motif ci-dessus. » Le juge Robert J. Sharpe, juge d’appel

 

Publié : le 13 février 2002