Parsons (Succession) c. Guymer (1998), 40 O.R. (3d) 445 (C.A.)

  • Dossier : C23569
  • Date : 2024

COUR D’APPEL DE L’ONTARIO

 

LE JUGE MORDEN, juge en chef adjoint de l’Ontario, et les juges CATZMAN et WEILER, de la Cour d’appel de l’Ontario

 

ENTRE :

 

DONALD JOHN PARSONS, en sa qualité  d’exécuteur testamentaire de la succession de Margaret Parsons, DONALD LYLE PARSONS, en sa qualité d’administrateur de la succession de James Lyle Parsons, JEAN PARSONS, DONALD JOHN PARSONS, en sa qualité personnelle, MICHAEL DOUGLAS PARSONS et PAUL PARSONS 

demandeurs

(appelants)

 

et

 

STEVEN A. GUYMER ET JANET GUYMER défendeurs

 (intimés)

)

)

) D.W. Goudie, C.R., et

) Daniel W. Monteith

) pour les appellants

)

)

)

)

)

)

)

)

)

)

)

)

) Barry A. Percival,

) C.R., pour les intimés

)

)

) Audience tenue les

) 4 et 5 mai 1998

)

 

 

 

 

LE JUGE WEILER

 

INTRODUCTION

 

 

[1] L’appel soulève la question suivante : les dommages-intérêts accordés pour la perte des soins qu’aurait prodigués un conjoint aux termes de l’alinéa 60(2)d) de la Family Law ReformAct, L.R.O. 1980, chap. 152 (abrogé par le paragraphe 71 (1) du chap. 4 des Lois de 1986) (maintenant l’alinéa 61(2)e) de laLoi sur le droit de la famille, L.R.O. 1990 chap. F3), doivent-ils être réduits si le conjoint survivant se remarie. La question s’inscrit dans une contestation de plus grande envergure, qui vise la méthode adoptée par le juge du procès pour déterminer les dommages-intérêts liés à la perte des soins que l’appelant aurait, par suite de son accident cérébrovasculaire, reçus de son épouse. L’appelant s’attaque en outre à la décision du juge du procès réduisant de 25 % les dommages-intérêts accordés pour la perte de soins future, une réduction qui se fondait sur l’éventualité d’un troisième mariage. Selon l’appelant, si cette réduction n’était pas erronée en principe, elle serait excessive et ne serait pas étayée par la preuve. 

 

LES FAITS

[2] Le 20 mai 1985, Donald Parsons, un cadre récemment retraité âgé de 62 ans, et son épouse ont été victimes d’un accident d’automobile. M. Parsons a subi de légères blessures, tandis que son épouse est décédée. Environ quatre mois plus tard, l’appelant a été victime d’un accident cérébro-vasculaire qui n’avait aucun lien direct ni indirect avec l’accident, et il est devenu incapable de prendre soin de lui-même. Personne ne conteste les répercussions de l’accident cérébro-vasculaire telles qu’elles se trouvent résumées aux paragraphes 16 et 17 du mémoire de l’appelant :

 

[TRADUCTION]

16. L’accident cérébro-vasculaire a eu des conséquences très graves chez Donald. Son bras gauche est complètement paralysé. Sa jambe gauche est paralysée à 85 et 90 %. Il ne peut marcher que sur de courtes distances et il ne peut se tenir debout longtemps. Il craint de tomber. Il se sert parfois de son côté faible pour supporter son poids. Il se marche parfois sur les orteils ou se croise les pieds. Il a très peu d’équilibre. Il aime être accompagné car il se sent alors en sécurité. Quand il marche ou se tient debout, il s’appuie sur un canne quadripode. Il néglige son côté gauche.

 

Donald a besoin d’aide pour se coucher, se lever, placer une attelle sur sa jambe et l’enlever, s’habiller, se déshabiller, revêtir son manteau et l’enlever. Il lui faut du temps pour attacher des boutons mais il se débrouille bien avec les boucles. Il lui faut de l’aide pour monter dans un bain et en sortir, laver son dos, ses jambes et ses cheveux et étendre de la pâte dentifrice sur une brosse à dents. Il ne peut préparer ses repas et couper sa nourriture. S’il veut aller à la toilette, il faut que quelqu’un baisse et remonte son pantalon. S’il est allé à la selle, quelqu’un doit l’essuyer. M. Parsons n’a pas besoin d’aide pour s’asseoir ou se lever quand il passe de son fauteuil roulant à la toilette ou à son fauteuil « Lazy Boy ».

 

Donald ne peut magasiner, cuisiner ou dresser une liste d’emplettes; il ne peut écrire sur une feuille de papier à moins qu’elle ne soit immobilisée. Les déplacements en véhicule nécessitent également une assistance de Donald doit se faire aider pour se rendre au véhicule, ainsi que pour y monter et en descendre. Il a aussi besoin d’aide lorsqu’il s’agit de placer son fauteuil roulant à bord du véhicule et de l’en retirer.

 

Prendre soin de Donald Parsons ne demande pas beaucoup de résistance physique.

 

Donald jouit d’une espérance de vie normale.

 

 

17. Mentalement, Donald est affecté de certains déficits cognitifs, mais il ne souffre pas d’une déficience intellectuelle générale. Il ne maîtrise plus les nombres et ne peut plus effectuer de calculs. Au restaurant, il éprouve de la difficulté à calculer le pourboire ou à vérifier l’addition. Il n’est plus en mesure d’administrer ses ressources financières. Il ne connaît plus la valeur de l’argent.

 

M. Parsons a perdu la faculté de juger. Parfois, il n’arrive pas à déterminer le comportement qui convient. De temps à autre, il devient impatient et grincheux. Il ne semble plus éprouver de grandes joies ni avoir de vif intérêt pour quoi que ce soit. À l’occasion, il se démoralise. Il a perdu le goût des choses.

 

M. Parsons n’est plus capable de se concentrer ni d’analyser rapidement une situation en détail. Il lui faut du temps pour accomplir la plupart des tâches courantes que les autres exécutent assez rapidement. Parfois, Donald n’y parvient tout simplement pas parce qu’il trouve ces tâches trop difficiles.

 

[3] L’appelant a intenté une action en dommages-intérêts contre le conducteur de l’autre automobile, lui réclamant notamment les dommages-intérêts prévus à l’alinéa 60(2)d) de la Family Law Reform Act. Si un conjoint décède à cause de la faute d’autrui dans des circonstances qui donnent au conjoint survivant le droit d’obtenir des dommages-intérêts, le conjoint survivant a le droit, aux termes de l’alinéa 60(2)d), de recouvrer un montant compensatoire au titre de « la perte de conseils, de soins et de compagnie » auxquels il aurait raisonnablement pu s’attendre si le décès n’avait pas eu lieu.

 

 

[4] L’audience a débuté en mai 1990; toutes les questions en litige, sauf une, ont été réglées peu après. Les parties se sont entendues sur toutes les demandes présentées aux termes de la Family Law Reform Act , notamment celle portant sur la « perte de[s] conseils, de[s] soins et de [la] compagnie » de l’épouse de M. Parsons, Margaret, mais les parties sont demeurées en désaccord quant à la demande relative aux soins additionnels requis par l’appelant en raison de son accident cérébrovasculaire. L’appelant prétendait que, si son épouse avait survécu, elle lui aurait fourni un bon nombre des services dont il avait besoin à cause de son accidentcérébrovasculaire, et que en conséquence, il était en droit de recevoir une indemnité pour ces services. M. Parsons et son épouse avaient été mariés pendant quarante et un ans et ils faisaient tout ensemble. L’intimé a fait valoir que, l’accidentcérébrovasculaire étant postérieur à l’accident, il ne pouvait être pris en considération. Le juge du procès a retenu cet argument. Cette décision a été portée en appel et le tribunal a conclu que, bien que le droit d’exiger des dommages-intérêts doive être déterminé à la date de l’accident, l’évaluation des dommages-intérêts doit être faite à la date du procès : Parsons c. Guymer(1993), 12 O.R. (3d) 743, à la p. 746 (C.A.). Par conséquent, dans son évaluation des dommages-intérêts, le tribunal devait tenir compte de l’accident cérébrovasculaire survenu entre la date de l’accident et la date du procès. Les soins qui se rapportaient à l’accident cérébrovasculaire et qui auraient pu être fournis à l’appelante par son épouse demeuraient à déterminer, et la question de leur perte a été renvoyée devant le juge du procès pour qu’elle termine son évaluation des dommages-intérêts. Le 14 octobre 1986, l’appelant a obtenu son congé de l’hôpital. L’appelant est demeuré dans un centre d’hébergement ou dans un établissement de santé jusqu’au 29 décembre 1990, date à laquelle il a épousé Beth Touchie, son aide-infirmière.

 

[5] Le juge du procès conclu que, si l’épouse de l’appelant n’avait pas été tuée lors de l’accident, elle lui aurait prodigué, à partir du 14 octobre 1986, date à laquelle il a obtenu son congé de l’hôpital, tous les soins nécessités par son accident cérébro-vasculaire. Les dommages-intérêts accordés par le juge du procès comprennent le remboursement du coût des soins non couverts par le Régime d’assurance-maladie de l’Ontario (OHIP) ou l’assureur privé de l’appelant pendant qu’il demeurait dans un centre d’hébergement. Après que Beth Touchie eut épousé l’appelant, elle lui a prodigué des soins constamment, sauf pendant quatre heures le jeudi et le vendredi. Le jeudi, durant l’avant-midi, un employé de la société Comcare aidait l’appelant à prendre son bain, lavait son linge, changeait les draps, l’habillait, lui servait à déjeuner et à dîner. Le vendredi, un employé de Comcare demeurait avec l’appelant pendant que Beth vaquait à l’épicerie et à d’autres courses. Le juge du procès a conclu que l’appelant devait être remboursé des sommes payées à Comcare.

 

[6] Le juge du procès avait indiqué que son jugement était rendu mais, avant le prononcé du jugement formel, il a appris que Beth Touchie avait été hospitalisée le 8 février 1995 et qu’elle était décédée le 16 février 1995, des suites d’une maladie. L’appelant a déposé une requête en réouverture de l’enquête et en présentation d’une preuve additionnelle sur la question des dommages-intérêts découlant de la perte des soins reliés à l’accident cérébrovasculaire. Le juge du procès a accueilli cette requête. Du 8 février jusqu’au 12 mars 1995, l’appelant est demeuré dans son appartement et il y a reçu des soins d’un employé de Comcare vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Le juge du procès a décidé que ces coûts devaient être remboursés à l’appelant. Le 12 mars 1995, l’appelant a emménagé au Park Place Manor, une maison pour retraités, à Aurora, où il demeure encore aujourd’hui. En plus des soins qui lui sont prodigués par le Park Place Manor, l’appelant reçoit des soins d’un employé de Comcare, huit heures par jour, soit cinquante-six (56) heures par semaine. Lorsqu’il a fixé les dommages-intérêts à partir du 12 mars et pour l’avenir, le juge du procès a considéré qu’une grande partie de l’aide fournie à l’appelant par Comcare consistaient à lui tenir compagnie et non à lui fournir les soins liés à son accident cérébro-vasculaire et il a accordé à l’appelant les dommages-intérêts suivants : le coût (3 480 $ par année) de deux forfaits de soins spéciaux offerts par le Park Place Manor ainsi que le coût ( 21 450 $ par année ) de 30 heures de soins par semaine par Comcare. Un actuaire entendu à l’audience du 19 mai 1995 a indiqué qu’il était nécessaire d’investir 6 064 $ pour obtenir la somme annuelle de 1 000 $ jusqu’à la fin de l’expectative commune de vie de Donald et de Margaret Parsons. En se fondant sur ce témoignage, le juge du procès a accordé à l’appelant la somme totale de 151 175, 52 $, (IL Y A UNE ERREUR DE CALCUL DANS LE JUGEMENT) soit 21 102, 72 $ pour le forfait de soins spéciaux et 130 072,80 $ pour les coûts des services fournis par Comcare. Attendu que cette somme représentait des dommages-intérêts relatifs au coût des soins à l’avenir, le juge du procès a tenu compte de l’éventualité d’un troisième mariage de l’appelant et il a réduit cette somme de 25 %.

 

LA POSITION DES PARTIES

 

 

[7] L’appelant interjette appel contre l’évaluation que le juge du procès a faite des dommages-intérêts deus à la date à laquelle l’appelant a emménagé à Park Place Manor. Selon l’appelant, le juge du procès aurait commis une erreur de principe en évaluant les dommages-intérêts du seul point de vue du remboursement des coûts. L’appelant affirme que Beth, sa deuxième épouse, lui a fourni des soins par bienveillance, et que le juge du procès n’aurait pas dû faire bénéficier l’auteur du délit de cette générosité. Alléguant encore ce motif, l’appelant soutient que le juge du procès a commis une erreur en réduisant les dommages-intérêts de 25 % pour tenir compte de l’éventualité d’un troisième mariage.

 

[8] L’appelant soulève que le juge du procès a commis uneerreur en appliquant une définition trop étroite du concept de « soin » en ce qui concerne la période postérieure au 12 mars 1995, début de son séjour au Park Place Manor, et en ce qui concerne ses soins futurs. Selon l’appelant, en ce qui a trait à la perte des soins qu’il aurait, par suite de son accidentcérébrovasculaire, reçus de son épouse, le juge du procès aurait dû lui accorder des dommages-intérêts équivalant au coût des soins prodigués par Comcare vingt-quatre heures sur vingt-quatre, que l’appelant ait ou non réellement engagé cette dépense dans le passé ou qu’il doive ou non le faire un jour.

 

[9] L’intimé fait valoir que, lorsqu’il s’agit d’évaluer les dommages-intérêts à accorder pour la perte des soins reliés à son accident cérébrovasculaire, le meilleur indicateur est le coût des soins fournis à l’appelant jusqu’à ce qu’il emménage à Park Place Manor. L’intimé souligne que le principe que les dommages-intérêts soient réduits à la suite du remariage d’un conjoint est bien établi en droit. Dans l’appel qui a été interjeté en 1993 devant le présent tribunal, il a été tenu compte d’un remariage dans l’évaluation des dommages-intérêts. (à la page 749) Le tribunal conclut qu’un événement survenu entre la date de l’accident et la date du procès doit être pris en compte lors de la détermination des dommages-intérêts. En ce qui a trait aux dommages-intérêts accordés à partir de mars 1995 et pour l’avenir, l’intimé souligne qu’il n’appartient pas à cette cour de substituer son opinion à celle du juge du procès sauf s’il est démontré qu’il a commis une erreur manifeste et dominante. Selon l’intimé, l’appelant n’a pas fait cette démonstration. L’intimé allègue également que le juge du procès n’a pas commis d’erreur de principe dans la manière dont il a exercé son pouvoir discrétionnaire pour réduire l’indemnité de 25 % afin de tenir compte de l’éventualité d’un troisième mariage de l’appelant.

 

ANALYSE

(1) Le juge du procès a-t-il adopté une approche erronée pour évaluer les dommages-intérêts liés à la perte des soins que Margaret Parsons aurait fournis à Donald Parsons en raison de son accident cérébrovasculaire ?

 

[10] Pour évaluer les dommages-intérêts, la cour tient compte de la valeur des services qu’une épouse en particulier rend à un époux en particulier : Franco et al. v. Woolfe et al. (1976), 12 O.R. (2d) 549 (C.A.), à la p. 551; Nielsen et al. v. Kaufman(1986), 54 O.R. (2d) 188, à la p. 196. Bien qu’il soit impossible de calculer de façon purement mathématique la valeur de la perte des soins que Margaret aurait prodigués à son mari par suite de son accident cérébrovasculaire, il faut tenir pour acquis qu’il est possible d’en calculer la valeur économique. Les sommes que M. Parsons aura à verser à une entreprise commerciale pour remplacer les soins que son épouse lui aurait prodigués constitueront un critère important, qui comporte deux volets. En raison de son accident cérébrovasculaire, M. Parsons ne peut plus accomplir certaines activités physiques. De plus, à cause d’un manque de jugement, il ne peut plus administrer certaines de ses activités quotidiennes. L’appelant pouvait raisonnablement prévoir que, si elle n’avait pas été tuée, son époux lui aurait fourni les soins dont il avait besoin en raison de son accident cérébrovasculaire, pour accomplir ces activités physiques et gérer ces activités quotidiennes.

 

 

[11] Il n’est pas nécessaire que la partie ayant subi un préjudice prouve qu’elle avait effectivement embauché quelqu’un pour lui fournir des soins jusqu’à la date du procès ou qu’elle le fera à l’avenir : Fobel c. Dean, [1991] 6 W.W.W. p. 408 (C.A. Sask.) à la p. 430, autorisation de pourvoi refusée [1992] C.S.C. vii; Smith et al. v. Wells and Employers Reinsurance Corp. (1993), 105 Nfld. & P.E.I.R. 351 (C.A.T.-N.), à la p. 356. Les dommages-intérêts visent, dans la mesure du possible, à replacer la partie lésée dans la situation où elle aurait été s’il n’y avait pas eu de délit. Par conséquent, en adoptant une approche fondée sur le remboursement des coûts réellement engagés, le juge du procès a commis une erreur dans son évaluation des dommages-intérêts.

 

[12] Même si l’appelant a perdu les soins que lui aurait fournis son épouse Margaret à la suite de son accidentcérébrovasculaire, il conserve l’obligation de subvenir à ses propres besoins dans la mesure de ses capacités, ainsi que le prévoit l’art. 30 de la Loi sur le droit de la famille, précitée. Cette obligation est permanente et l’adjudication de dommages-intérêts pour le coût des soins futurs ne devrait pas dispenser entièrement l’appelant de cette obligation : Neilsen et al. v. Kaufman, précitée, à la p. 197. L’appelant n’a pas droit à des dommages-intérêts pour des soins vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

 

[13] Selon les conclusions du juge du procès, l’appelant n’aurait pas résidé dans un établissement de santé si son épouse n’était pas décédée. J’infirmerais la décision du juge du procès concernant les dommages-intérêts pour la période du 14 octobre 1986 au 29 décembre 1990. Le motif de ma conclusion est que ce juge a commis une erreur en adoptant une approche fondée sur le remboursement des coûts réellement engagés. À mon avis, pour compenser correctement l’appelant pour la perte des soins qu’il aurait reçus de son épouse Margaret à la suite de son accident cérébrovasculaire, il faut lui accorder des dommages-intérêts équivalant au coût des soins de Comcarehuit heures par jour, ou cinquante-six (56) heures par semaines. Cette conclusion tient compte des facteurs suivants : le conjoint qui prodigue les soins a besoin de repos; les soins fournis par Margaret à son époux n’auraient pas tous été liés à l’accident cérébrovasculaire; l’appelant subvenait auparavant à ses besoins, et il ne devrait pas être en mesure de transmettre la totalité du coût de ses soins à son épouse.

 

 

2. Le juge du procès a-t-il commis une erreur en tenant compte du remariage de Donald Parsons lorsqu’il a évalué les dommages-intérêts liés aux soins que l’appelant devait recevoir en raison de son accidentcérébrovasculaire ?

 

 

[14] En se mariant avec Beth Touchie, l’appelant visait surtout à réaliser son désir de quitter l’établissement de santé. Il est bien établi que la cour tient compte de la possibilité d’un remariage lorsqu’elle fixe les dommages-intérêts liés à la perte de soins :Larock v. Steele (1983), 20 A.C.W.S. (2d) 203 (C. A. Ont.);Naeth Estate v. Warbutton, [1993] S.J. 470 Q.L. (C. A. Sask.). Le remariage n’est pas nécessairement un avantage : Brown c.Finch, [1997] B.C.J. 2601 (C. A.C.-B.), à la p. 6. La mesure dans laquelle un nouveau mariage influe sur les dommages-intérêts est une question de fait déterminée eu égard à toutes les circonstances : Naeth Estate v. Warbutton, précitée. L’appelant cite des arrêts selon lesquels la cour ne réduit pas les dommages-intérêts des enfants pour la perte de soins de leur père ou de leur mère lorsqu’un membre de leur famille s’occupe d’eux, ces soins étant considérés comme des actes de générosité personnels. Voir Boarelli v. Flannigan, [1973] 3 O.R. 69 (C.A.), aux pp. 72 et 73; Coe Estate v. Tenant (1988), 31 B.C.L.R.(2d) 236 (C.A. C.-B.), à la p. 252; Sheppard et al. v.McAllister (1987), 60 O.R. (2d) 309 (C.A.), aux pp. 312, 313, et 315; Tompkins (Guardian ad litem of) v. Byspalko (1993), 16 C.C.L.T. (2d) 179 (C.S.C.-B.), aux pp. 191 et 192; Whitter v.DeSousa (5 juillet 1989) (C.S.C.-B.) aux pp. 9 à 12. De même, dans l’arrêt Vana v. Tosta et al. (1967), 66 D.L.R. (2d) p.97 à la p.113 (C.S.C.), n’a pas réduit les dommages-intérêts du conjoint survivant pour la perte des soins de son conjoint, décédé par suite d’un délit civil, même si, dans cette affaire, le conjoint survivant recevait des soins de sa mère et de sa belle-mère. L’appelant estime qu’il ne devrait pas y avoir de réduction des dommages-intérêts lorsque le conjoint qui a subi la perte se remarie. Le père et la mère (voir la définition de ces termes dans la Loi sur le droit de la famille) sont les seules personnes légalement obligées de subvenir aux besoins d’un enfant qui n’a pas atteint un âge déterminé. De même, la loi n’oblige pas le père ou la mère à fournir des aliments à l’enfant qui a atteint un âge déterminé et qui est devenu indépendant; et la loi n’oblige personne à subvenir aux besoins d’une personne de sa parenté ou d’un membre de sa belle-famille. Dans ces circonstances, la personne lésée ne peut légitimement compter recevoir des soins des personnes qui ne les prodigueraient que par pure générosité.

 

[15] La personne qui se marie peut légitiment prévoir que son conjoint lui fournira des soins et vice-versa. Cette attente est fondée non seulement sur les serments conventionnels échangés lors du mariage mais aussi sur l’obligation des conjoints de subvenir mutuellement à leurs besoins durant le mariage, obligation que prévoit la Loi sur le droit de la famille. Les époux ne peuvent se soustraire contractuellement à leur obligation de subvenir à leurs besoins mutuels. À mon avis, le juge du procès n’a pas commis d’erreur en tenant compte du mariage de l’appelant à Beth dans son évaluation des dommages-intérêts pour la perte des soins nécessités par l’accident cérébrovasculaire.

 

[16] Le juge du procès n’a pas retenu la prétention subsidiaire de l’appelant selon laquelle la cour aurait dû fixer les dommages-intérêts en tenant compte du fait que les soins fournis par Beth étaient inférieurs à ceux fournis par Margaret. Le juge du procès a conclu que, bien que les deux épouses aient été des personnes très différentes, Beth était en mesure de prodiguer les soins nécessités par l’accidentcérébrovasculaire à l’appelant, sauf pendant huit heures par semaine, en moyenne, la période durant laquelle une personne de Comcare restait auprès de lui.

 

[17] Je ne modifierais pas le montant des dommages-intérêts fixés par le juge du procès pour la période du 29 décembre 1990 au 8 février 1995.

 

 

(3) Le juge du procès a-t-il commis une erreur dans l’évaluation des dommages-intérêts qu’il a accordés à l’appelant pour les soins nécessités pour son accidentcérébrovaculaire ?

 

[18] L’intimé ne conteste pas les dommages-intérêts accordés en compensation des soins prodigués vingt quatre heures sur vingt quatre du 8 février 1995 au 12 mars 1995, pendant que Beth était hospitalisée, et pendant une courte période par la suite.

 

 

[19] L’appelant allègue que, depuis son emménagement au Park Place Manor, le 12 mars 1995, ses dépenses mensuelles sont sensiblement plus élevées que s’il demeurait dans sa maison, totalisant 12 418 $ de plus par année. L’appelant paye 2 177 $ par mois, ou 26 124 $ par année pour une chambre et une salle de bains privée au Park Place Manor. Cependant, pour cette somme, l’appelant obtient beaucoup plus qu’un logement. L’établissement lui fournit trois repas par jour ainsi que certains services, tels que la distribution de médicaments, le ménage hebdomadaire, l’enlèvement bi-hebdomadaire des ordures, la lessive, le bain hebdomadaire et des services d’urgence. Le juge du procès a rejeté toute réclamation relative à ces frais mensuels lorsqu’il a fixé les dommages-intérêts relatifs aux soins nécessités par l’accident cérébovasculaire. Le juge a considéré que l’appelant aurait assumé des frais de subsistance quel qu’ait été son lieu de résidence, et que la preuve présentée à l’appui des dépenses que l’appelant aurait assumées s’il était demeuré dans sa maison n’était pas assez précise. Il ne convient pas de modifier les conclusions du juge du procès à cet égard.

 

[20] En plus des services qu’il reçoit à Park Place Manor, l’appelant a retenu les services d’un employé de Comcare pour, au total, huit heures par jour, ou cinquante-six (56) heures par semaines. Le juge du procès a conclu qu’une grande partie de l’aide que M. Parsons reçoit de Comcare consiste à lui tenir compagnie et n’a aucun lien avec les soins requis par suite de son accident cérébrovasculaire. Le juge a également décidé qu’il n’était pas déraisonnable que l’appelant prenne un repas à l’extérieur ou aille magasiner une fois par semaine. L’appelant s’est vu accorder le coût des services de Comcare pour quatre heures par jour, et pour deux heures de sortie par semaine, soit, au total, 30 heures par semaine. Le juge du procès a aussi accordé une provision visant des frais mensuels additionnels de 50 $ pour les services nommés Service Package A hebdomadaire, B comprenant l’aide nécessaire à un deuxième bain lit et le ramassage quotidien des ordures B et 250 $ pour les services nommés aux termes du Service Package D B comprenant une aide aux activités quotidiennes répartie sur une période de 30 à 60 minutes. Le juge du procès a écrit :

 

[TRADUCTION]

Il lui faut de l’aide pour aller aux toilettes au cours de la journée. Si l’employé de Comcare est absent, il obtient cette aide du personnel du Park Place Manor. L’appelant ne verse rien pour ce service parce qu’il n’y a recours qu’à l’occasion et que ce service n’exige que très peu de temps. Les 60 minutes d’aide quotidienne du Service Package D suffiraient amplement à satisfaire à ses besoins à cet égard et cette aide serait disponible au moment voulu.

 

[21] Dans ses motifs, le juge du procès a reconnu que M. Parsons avait besoin de soins, du moins pour aller aux toilettes, lorsqu’il était seul. Lorsqu’il accorde une provision pour le Service Package D, le juge du procès ne tient pas compte du fait que en l’absence d’un employé de Comcare, M. Parsons sera probablement seul quand il lui faudra aller aux toilettes. Dans ces circonstances, il doit se débrouiller pour atteindre le bouton d’appel, demander de l’aide, et attendre que quelqu’un vienne l’aider à baisser son pantalon. Bien qu’il ne faille pas plus qu’une demi-heure à une heure par jour pour aider M. Parsons à baisser son pantalon, l’essuyer s’il est allé à la selle, et remonter son pantalon, la provision pour le Service Package D n’indemnise pas M. Parsons pour la perte de sa capacité d’aller aux toilettes quand il éprouve le besoin. À mon avis, le juge du procès a commis une erreur en retenant une définition trop étroite des soins nécessités par l’accidentcérébrovasculaire. Trop d’importance a été accordée au temps réel nécessaire pour aider M. Parsons. La dispensation de soins implique la disponibilité d’une personne soignante pour satisfaire aux besoins d’une autre personne. Pour les mêmes raisons que celles pour lesquelles j’ai modifié le montant des dommages-intérêts pour la période du 14 octobre 1986 au 29 décembre 1990, j’infirmerais la décision du juge du procès et j’accorderais des dommages-intérêts équivalents à huit heures de soins quotidien de Comcare.

 

 

 

(1) Le juge du procès a-t-il commis une erreur en réduisant les dommages-intérêts de 25 % pour tenir compte de l’éventualité d’un troisième mariage de l’appelant ?

 

[22] Pour les motifs que j’ai déjà exprimés, le juge du procès n’a pas commis d’erreur de principe dans ses conclusions sur l’éventualité d’un remariage de l’appelant. Une erreur de principe est toutefois commise lorsqu’un juge de procès accorde trop d’importance à un facteur pertinent ou ne donne pas assez de poids à certains facteurs pertinents. Dans de telles circonstances, l’exercice de son pouvoir discrétionnaire par le juge du procès peut être révisée : Friends of the Old Man River Society c. Canada (Minister of Transport), [1992] 1 R.C.S. 3, aux pp. 76 à 80. L’appelant prétend que le juge du procès a accordé trop d’importance preuve indiquant qu’il était impatient de se remarier.

 

[23] Dans ses motifs, le juge du procès déclare ce qui suit :

 

[TRADUCTION]

En janvier, des témoins ont indiqué à quel point Donald Parsons était impatient de se remarier après avoir obtenu son congé de l’hôpital et avoir été placé dans des centres d’hébergement de Whitby. L’encadrement serré de services quotidiens lui déplaît. Il abhorre particulièrement cet aspect des séjours dans les établissements de santé. Donald Parsons n’a pas témoigné au cours des dernières audiences. Certaines personnes ont mentionné qu’il semble se plaire là où il vit actuellement, mais je n’ai rien entendu de tel de la bouche de Donald Parsons. En me fondant sur l’ensemble de la preuve, je dois conclure que, s’il en avait la possibilité et l’occasion, Donald Parsons choisirait de se marier et de demeurer dans sa maison. Il est possible que Donald Parsons se remarie et je dois prendre ce facteur en considération. Pour ces motifs, je réduirais de vingt-cinq (25) pour-cent les dommages-intérêts accordés en ce qui a trait aux coûts des soins futurs.

 

[24] En 1995, l’appelant était âgé de 72 ans. Il sort peu et il a très peu l’occasion de rencontrer des femmes disponibles. L’appelant fait observer que très peu de femmes seraient prêtes à assumer les responsabilités liées à ses soins, et je suis d’accord avec lui. Cinq ans se sont écoulés entre la mort de Margaret et le remariage de l’appelant avec Beth. À mon avis, le juge du procès a mal exercé son pouvoir discrétionnaire, en ce qui concerne l’éventualité d’un remariage de l’appelant. Le juge a accordé trop d’importance à l’empressement de l’appelant à se remarier. Considérant l’ensemble des facteurs que j’ai mentionnés, je conclus qu’une réduction des dommages-intérêts de 5 % rend compte de façon assez juste de l’éventualité d’un remariage.

 

RÉSUMÉ

[25] Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel en partie en ce qui concerne les dommages-intérêts accordés pour la perte des soins que l’appelant aurait, à la suite de son accidentcérébrovasculaire, reçus de son épouse entre le 14 octobre 1986 et le 29 décembre 1990 de même que durant la période postérieure au 12 mars 1995, date de l’admission de l’appelant au Park Place Manor. J’infirmerais la décision du juge du procès pour ces deux périodes et je lui substituerais des dommages-intérêts équivalant à huit heures de soins par jour, soit cinquante-six heures par semaine.

 

 

[26] Les soins de Comcare coûtant 13,75 $ l’heure, je fixe à 168 520  $ le montant des dommages-intérêts pour la période du 14 octobre 1986 au 29 décembre 1990. En ce qui a trait aux dommages-intérêts relatifs au coût des soins futurs, c’est-à-dire ceux prodigués à partir du 12 mars 1995, j’accorderais la somme de 242 802,56 $, que je réduirais de 5 % (12 140, 13 $), pour le fixer à 230 662,43 $, afin de tenir compte de l’éventualité d’un troisième mariage de l’appelant.

 

[27] L’appelant a droit aux dépens du présent appel.

 

Le juge Weiler

 

« Je souscris aux motis du juge Weiler. »

Le juge Morden, de la Cour d’appel

 

« Je souscris aux motifs du juge Weiler. »

Le juge Catzman, de la Cour d’appel

 

 

 

 

Arrêt prononcé le 18 juin 1998