Thompson c. Mechan (1958), O.R. 357 (C.A.)

  • Dossier :
  • Date : 2024

Thompson c. Mechan Cour d’appel de l’Ontario (1958),13 DLR (2d) 103

Cour d’appel de l’Ontario

 

Le juge Roach, de la Cour d’appel1958

Successions – Existence d’une donation entre vifs valable – Existence d’une donation à cause de mort valable – Conditions applicables à la donation à cause de mort

La demanderesse est l’administratrice de la succession de son défunt mari. Elle a intenté la présente action pour recouvrer la possession d’une automobile qui appartiendrait à la succession, ainsi que des dommages-intérêts pour la rétention illicite de celle-ci. La défenderesse prétend que le défunt lui a donné l’automobile soit comme donation entre vifs, soit comme donation à cause de mort. Au procès, le juge a décidé qu’il n’y avait pas eu de donation entre vifs valable mais qu’il y avait eu une donation à cause de mort valable. L’action a été rejetée avec dépens.

Dans les dernières années de sa vie, le défunt prêtait, à l’occasion, son automobile à la défenderesse. La plupart du temps, il lui remettait alors les clés de la voiture. Mais, à trois reprises, avant de partir en voyage d’affaires, il lui a remis les clés, avec l’immatriculation de l’automobile, après avoir signé la formule de transfert de propriété en blanc à l’endos de cette formule. Cette remise s’était accompagnée de déclarations indiquant une donation à cause de mort. Le défunt considérait que ses voyages en avion le mettaient en danger de mort et il voulait que, s’il décède, la défenderesse devienne propriétaire de la voiture.

La première fois, en remettant les clés et l’immatriculation à la défenderesse, le défunt a dit que s’il lui arrivait quelque chose et qu’il ne revenait pas, la voiture lui appartiendrait. Lors du troisième voyage, le défunt s’est rendu à destination, où il est mort d’une thrombose coronaire.

Arrêt : L’appel est accueilli avec dépens et le jugement est inscrit en faveur de la demanderesse.

Aucune preuve ne donne à entendre que le défunt soit parti en voyage sans avoir eu l’occasion de faire son testament. De plus, une donation à cause de mort n’est valable que lorsqu’elle est faite en prévision d’une mort imminente provenant d’une cause immédiate, qu’il s’agisse d’un péril existant ou imminent, qui place le donateur dans une situation de dernière extrémité. Or, le défunt ne se trouvait pas dans une situation qui, selon le droit, soit susceptible de fonder une donation à cause de mort. Et même si l’on considérait que les voyages en avion constituent un péril suffisant pour fonder une donation à cause de mort valable, la donation en l’espèce n’en serait pas une parce que le défunt n’est pas décédé à la suite du supposé péril ni au moment où il se trouvait menacé par celui-ci. Le péril avait cessé une fois le défunt arrivé à destination.

[Cain c. Moon, [1896] 2 QB 283; Malone c. Trans-Canada Airlines, [1942] 3 DLR 369, OR 453, 54 CRTC 331, suivis; Rosenberger c. Public Trustee(1945), 12 ILR 34, critiqué; Duffield c. Elwes, 1 Bligh NS 497, 4 ER 959;Hedges c. Hedges (1708), Prec. Ch. 269, 24 ER 130, infirmé à (1709), 2 Bro. P.C. 457, 1 ER 1062; McDonald c. McDonald (1903), 33 SCR 145;Ward c. Bradley (1901), 1 OLR 118; Re Richards, Jones c. Rebbeck, [1921] 1 Ch. 513; Wilkes c. Allington, [1931] 2 Ch 104, mentionnés]

APPEL d’un jugement décidant qu’il n’y avait pas eu de donation entre vifs valable, mais qu’il y avait eu une donation à cause de mort valable, et rejetant l’action avec dépens.

Version française du jugement de la Cour rendu par

LE JUGE ROACH [qui a rendu l’arrêt de la Cour].  La demanderesse est l’administratrice de la succession de son défunt mari. Elle a intenté la présente action pour recouvrer la possession d’une automobile qui, dit-elle, appartient à la succession, ainsi que des dommages-intérêts pour la rétention illicite de celle-ci. La défenderesse prétend que le défunt lui a donné l’automobile soit comme donation entre vifs, soit comme donation à cause de mort.

Au procès [[1958] OWN 23], le juge a statué à juste titre sur la preuve présentée qu’il n’y avait pas eu de donation entre vifs valable, mais a statué, à tort selon moi, qu’il y avait eu une donation à cause de mort valable et a rejeté l’action avec dépens.

La demanderesse et son mari étaient séparés depuis environ dix ans, mais il avait subvenu aux besoins de celle-ci au cours de cette période. Dans les dernières années de sa vie tout au moins, il était en très bons termes, voire en termes intimes, avec la défenderesse; ils étaient au service du même employeur, et il lui arrivait de lui prêter son automobile. La plupart du temps, il lui remettait simplement alors les clés de la voiture. Mais, à trois reprises, il lui a donné non seulement les clés, mais également l’immatriculation de l’automobile, à l’endos de laquelle il avait signé la formule de transfert de propriété en blanc dans des circonstances et en faisant des déclarations qui constitueraient dans chaque occasion une donation à cause de mort.

La première fois était en juillet 1955, immédiatement avant que le défunt ne parte pour l’Angleterre en voyage d’affaires pour son employeur. À la demande de ce dernier, il a pris l’avion pour gagner du temps. La preuve révèle qu’il avait peur de l’avion, qu’il considérait comme dangereux. À cette occasion, lorsqu’il a remis les clés et l’immatriculation à la défenderesse, il a dit, pour l’essentiel, que s’il lui arrivait quelque chose et qu’il ne revenait pas, l’automobile lui appartiendrait. Il est revenu sain et sauf et elle lui a remis la voiture, les clés et l’immatriculation.

La deuxième fois était en avril 1956, lorsque son employeur l’a de nouveau envoyé en voyage d’affaires à Montréal. Il a de nouveau pris l’avion. La défenderesse a témoigné qu’à cette occasion, lorsqu’il lui a remis les clés et l’immatriculation signée en blanc, elle ne se rappelle pas qu’il ait dit « quoi que ce soit en particulier », et je conclus de la preuve qu’elle a supposé, ce qui paraissait fondé, que son intention à cette occasion était la même que lors de son voyage en Angleterre, savoir que s’il lui arrivait quelque chose et qu’il ne revenait pas, la voiture lui appartiendrait.

La troisième et dernière fois était le 11 juin 1956. À cette occasion, le défunt se préparait à se rendre à Winnipeg en avion pour un voyage d’affaires à la demande de son employeur. Il s’est rendu avec la défenderesse, dans sa voiture, à l’hôtel Royal York, à Toronto, où il devait prendre la navette à destination de l’aéroport. Concernant ce qui est arrivé, je reproduis un passage du témoignage de la défenderesse lors de l’interrogatoire principal :

Q. Et que s’est-il passé à ce moment-là? R. Bien, lorsque nous sommes arrivés, il m’a remis les clés, il m’a dit de prendre le volant et m’a donné l’immatriculation; il est descendu de voiture et m’a dit qu’il me ferait savoir quand il reviendrait. Q. Mlle Mechan, ai-je raison de déduire de ce que vous venez de me dire que M. Thompson vous a conduite au Royal York? R. Oui.Q.Puis il est sorti de la voiture et vous a donné les clés? R. Oui. Q.Vous a-t-il donné autre chose? R. L’immatriculation de l’automobile. Q. Vous a-t-il dit quoi que ce soit à ce moment-là dont vous pouvez vous souvenir Mlle Mechan? R. Non, je suis désolée, je ne peux pas. [En contre-interrogatoire :] Q. Eh bien, qu’a-t-il dit? R. Bien, au cours de la conversation, il répétait, entre autres, qu’il n’avait tout simplement pas envie de faire le voyage. Il ne se sentait vraiment pas bien. Q. Vous a-t-il dit pourquoi il n’avait pas envie de faire le voyage? R. Non, j’ai pensé que c’est parce qu’il n’aimait pas voyager en avion; lorsqu’il ne se sentait pas très bien, c’était pire. Q. Je vois. Si je comprends bien, vous avez parlé du transfert de l’immatriculation et il vous l’a remise avec les clés, etc., et s’il était revenu, vous lui auriez rendu la voiture? R. Oui. Q. C’est plus ou moins l’entente entre vous? R. Oh oui, c’était sa voiture, à moins qu’il ne revienne pas. Q. Comme les autres fois? R. Oui.

D’autres preuves indépendantes établissent que le défunt avait peur de l’avion, qu’il envisageait que son décès pourrait découler de ses voyages en avion et que dans cette éventualité, il avait l’intention que la défenderesse devienne propriétaire de la voiture.

Le défunt est arrivé à Winnipeg sans problème et a vaqué à ses affaires là-bas. Entre le 12 et le 15 juin, la date exacte ne figure pas au dossier, il a soudainement subi une thrombose coronaire et est mort à l’hôpital de Winnipeg le 15 juin. Le certificat de décès énonce, et on convient que cela est exact, que la cause du décès est une « thrombose coronaire — artériosclérose ».

Aucune preuve n’établit que le défunt envisageait que son décès découlerait d’une incapacité physique, mais uniquement du fait de prendre l’avion, qu’il considérait comme périlleux.

Aucune preuve ne donne à entendre, et encore moins n’établit que le 11 juin 1956, ou d’ailleurs lors des deux occasions antérieures, soit en juillet 1955 et avril 1956, le défunt soit parti en voyage sans avoir eu l’occasion de faire son testament. En supposant un moment qu’un vol commercial constitue un événement périlleux au point de fonder une donation à cause de mort, le défunt n’avait pas été soudainement placé dans une situation de dernière extrémité. Il vaquait à ses affaires normalement. Je suis d’avis qu’il est impossible de conclure qu’il pensait que son décès se produirait au cours du vol qu’il devait bientôt prendre. S’il l’avait vraiment cru, je suis d’avis qu’il aurait refusé de prendre l’avion, même au risque de perdre son emploi. En supposant qu’il était prêt à prendre le risque de mourir dans l’intérêt de son employeur, il n’était toujours pas dans une situation où il pouvait faire une donation à cause de mort valable. Dans l’arrêt Hedges c. Hedges (1708), Prec. Ch. 269, 24 ER 130, le lord chancelier Cowper a défini comme suit les circonstances nécessaires pour qu’une donation à cause de mort soit valable : « Une personne est dans une situation de dernière extrémité, ou tombe subitement malade, sans avoir eu l’occasion de faire son testament; si, au cas où elle devait mourir avant d’avoir pu le faire, elle donne de ses propres mains ses biens à ses amis qui l’entourent, il s’agit d’un legs valable; mais si elle recouvre la santé, les biens lui reviennent. » [N.D.L.R.Hedges c. Hedges a été infirmé sans motifs par la Chambre des lords à (1709), 2 Bro. P.C. 457, 1 ER 1062.]

De plus, s’il devait soudainement être obligé de faire le voyage en avion et désirait le faire, sans avoir eu l’occasion de faire son testament, il ne se trouvait pas pour autant dans une situation de dernière extrémité parce qu’il n’y avait pas de péril existant ou imminent que le droit reconnaît comme suffisant pour fonder une donation à cause de mort. De nos jours, les voyages en avion ne constituent pas pareil péril. De plus, même si on pouvait conclure, et je ne pense pas qu’on le puisse, que les voyages en avion sont suffisamment périlleux pour fonder une donation à cause de mort valable, le péril avait cessé une fois le défunt arrivé sain et sauf à Winnipeg. Il aurait pu surgir de nouveau si le défunt avait vécu et pris l’avion pour rentrer à Toronto, mais, au moment de son décès, il ne se trouvait pas dans une situation différente, en ce qui concerne la donation, de celle dans laquelle il se serait trouvé s’il n’avait pas laissé Toronto du tout. En d’autres termes, le défunt n’est pas décédé à la suite du supposé péril ni au moment où il se trouvait menacé par celui-ci.

Dans l’affaire souvent citée Cain c. Moon, [1896] 2 QB 283, le lord juge en chef Russell of Killowen a repris les trois éléments qui doivent entrer en jeu pour fonder une donation à cause de mort valable (p. 286) : « Premièrement, la donation doit avoir été faite en prévision de la mort, mais pas nécessairement dans cette expectative. Deuxièmement, l’objet de la donation doit avoir été délivré au donataire. Troisièmement, la donation doit être faite dans des circonstances qui démontrent que la chose doit revenir au donateur s’il se rétablit. » Ce premier élément essentiel ne pourra être établi sur l’impression vague et générale que la mort peut survenir à la suite de l’un des risques normaux inhérents à l’activité humaine. Parmi ces risques, on compte les risques de voyage en automobile, en train, en bateau ou en avion. Les risques découlant des voyages en avion ne sont pas suffisamment grands pour qu’on considère ce mode de transport comme particulièrement périlleux. Il en allait autrement dès les débuts de l’aviation, mais comme l’a dit le juge en chef de l’Ontario, le juge Robertson, de la présente cour, dans Malone c. Trans-Canada Airlines, [1942] 3 DLR 369, à la page 371, OR 453, à la page 458, 54 CRTC 331, à la page 334 : « Il faut maintenant considérer le voyage en avion comme un mode de transport normal, largement utilisé, non seulement en Amérique du Nord, mais ailleurs dans le monde. Les passagers ont le droit de s’attendre à se rendre sains et saufs à leur destination avec des pilotes d’expérience et l’équipement nécessaire. » Depuis que cela a été écrit, les progrès de l’aéronautique ont encore augmenté la marge de sécurité. Si on pouvait élargir ce principe aux donations faites en prévision d’une mort accidentelle au cours d’un voyage, il serait logique de l’étendre à celles faites en prévision d’une mort accidentelle dans une usine, dans le cas d’un ouvrier d’usine, dans une mine, dans le cas d’un mineur, sur une ferme, dans le cas d’un fermier, ou, de fait, dans n’importe quel autre champ imaginable de l’activité humaine. Le mari, en laissant sa femme le matin pour se rendre à son travail, pourrait faire à celle-ci une donation à cause de mort valable en lui disant que la circulation sera dense et les conditions de la route mauvaises, en ajoutant, tout en lui remettant son carnet de banque : « S’il m’arrive quelque chose, l’argent à la banque est à toi ». Certaines activités comportent des risques plus grands que d’autres, et des accidents mortels se produisent partout, mais il s’agit de l’exception et non de la règle.

On ne peut justifier l’application du principe à l’espèce en prétendant que, bien que les voyages en avion ne soient pas gravement périlleux, le défunt croyait qu’ils l’étaient. Même si on concède qu’il les considérait comme dangereux au point de croire que, selon toutes probabilités, il en mourrait, et que s’il n’en mourait pas, cela serait miraculeux — et on ne peut me convaincre qu’il avait cet état d’esprit — cette crainte ne suffirait pas à fonder une donation à cause de mort.

La règle de la donation à cause de mort a été tirée du droit romain par l’equity anglais. En droit anglais, une donation à cause de mort n’est valable que lorsqu’elle est faite en prévision d’une mort imminente provenant d’une cause immédiate, qu’il s’agisse d’un péril existant ou imminent, qui place le donateur dans une situation de dernière extrémité. On ne peut dire d’une personne qu’elle est dans une situation de dernière extrémité pour une cause qui n’existe que dans son imagination et lorsque, en fait, elle ne s’expose qu’aux risques normaux qui menacent l’humanité dans ses activités ordinaires et naturelles. Les risques que présentent les voyages en avion relèvent de cette catégorie.

J’ai déjà dit que même si les voyages en avion constituaient un péril suffisant pour fonder une donation à cause de mort, la donation en l’espèce n’en serait pas une, parce que le défunt n’est mort ni à la suite du péril nipendant que celui-ci le menaçait.

Il y a deux courants jurisprudentiels sur ce point : suivant le premier, pour que le donataire devienne investi de la propriété du bien personnel, le donateur doit mourir d’un mal existant à la date de la donation; suivant le second, le donataire sera investi de la propriété même si le donateur ne meurt pas de la maladie ou du péril qui lui faisait craindre la mort, mais d’une autre cause, tant que subsiste cette maladie ou ce péril. Je ne fais que mentionner ces décisions. Dans la première catégorie, on relève les décisions suivantes : McDonald c. McDonald (1903), 33 SCR 145, et Wardc. Bradley (1901), 1 OLR 118. Dans la seconde, les décisions suivantes :Re Richards, Jones c. Rebbeck, [1921] 1 Ch. 513; Wilkes c. Allington, [1931] 2 Ch 104.

Qu’on adopte l’une ou l’autre jurisprudence, le décès du donateur ne relève d’aucune.

En plaidoirie, on a renvoyé la Cour à l’arrêt Rosenberger c. Public Trustee(1945), 12 ILR 34. C’est ce qu’on appelle parfois une « décision difficile » et les décisions difficiles donnent souvent naissance à des règles de droit contestables. À mon avis, cette affaire en est une. Le défunt était un soldat canadien et, lors de sa dernière permission au Canada, il a remis à la demanderesse les clés de sa voiture et lui a dit qu’elle pouvait la vendre si elle avait besoin d’argent rapidement. Il lui a également remis des polices d’assurance en lui disant que, s’il lui arrivait quelque chose, elle devrait percevoir l’indemnité pour elle-même et pour ses enfants. Le défunt n’a jamais quitté le Canada et, quelques jours après avoir fait la donation, est décédé dans un accident ferroviaire. Le juge Kelly a décidé qu’il s’agissait d’une donation à cause de mort. Avec égards, je suis d’avis que ce n’en était pas une, parce que le défunt n’avait jamais été exposé au péril qui l’avait amené à faire la donation.

En 1827 déjà, dans l’arrêt Duffield c. Elwes, 1 Bligh NS 497, 4 ER 959, le lord chancelier, le duc d’Eldon, avait dit ceci, à la page 533 : « On a récemment proposé des améliorations au droit, ou des modifications que l’on considère comme des améliorations; si, parmi ces prétendues améliorations, on supprimait la donation à cause de mort, ce serait très bien; cela n’étant pas le cas, nous devons étudier ce qui en fait l’objet. » Depuis, on a souvent dit qu’il ne fallait pas élargir la portée du principe. […]

J’accueillerais l’appel avec dépens et ordonnerais que jugement soit inscrit en faveur de la demanderesse.

Appel accueilli.