Bannister c. General Motors du Canada Ltd. (1998), 40 O.R. (3d) 591 (C.A.)

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  • Date : 2024

Bannister c. General Motors du Canada Limitée[Répertorié : Bannister c. General Motors du Canada Ltée](1)Cour d’appel de l’Ontarioles juges Finlayson et Carthy, J.C.A., et le juge Then (juge ad hoc)27 août 1998 

Emploi – Congédiement injuste – Motifs du congédiement – Harcèlement sexuel – Insinuations de nature sexuelle de la part d’un superviseur et propos et gestes déplacés de celui-ci en présence d’employées sous sa surveillance – L’employeur avait affiché une politique sur le harcèlement sexuel au milieu de travail et le superviseur a suivi au moins un cours sur le harcèlement sexuel – Lorsqu’il a décidé que le superviseur avait été injustement congédié pour cause de harcèlement sexuel, le juge de première instance a commis une erreur en omettant de tenir compte du rôle de surveillance de l’employé et en concluant à l’absence de harcèlement sexuel du fait qu’aucune des plaignantes n’avait été poursuivie de façon constante après avoir refusé les avances de l’employé – L’employeur avait le droit de se protéger des risques de responsabilité en congédiant un superviseur qui a refusé d’admettre que sa conduite constituait du harcèlement sexuel – Le juge de première instance a également commis une erreur lorsqu’il a refusé de tenir compte de la preuve de harcèlement sexuel qui n’a été dévoilée qu’après le congédiement – Congédiement justifié.

Le demandeur a commencé à travailler pour la défenderesse en 1970. En 1980, il était l’agent supérieur en poste au service de sécurité l’après-midi et le soir et était directement appelé à évaluer le rendement des personnes qui travaillaient sous ses ordres au service ou à prendre des mesures disciplinaires à leur endroit. Une étudiante ayant occupé un emploi d’été au service dont le demandeur faisait partie s’est plainte du fait que celui-ci avait tenté de l’embrasser, qu’il lui avait adressé des remarques comportant des insinuations à caractère sexuel et qu’il avait raconté des histoires de nature sexuelle en sa présence. La plainte a incité la direction à interroger d’autres employés du service, ce qui a mené à d’autres plaintes similaires. Le demandeur a été mis en présence de cette preuve et a eu la possibilité d’y répondre. Il a répondu en niant en bloc les allégations et en soutenant que les femmes complotaient contre lui. La défenderesse l’a congédié. Le demandeur a alors engagé une action en dommages-intérêts pour cause de congédiement injuste. Le juge de première instance a souligné que la défenderesse avait adopté une politique sur le harcèlement sexuel qui était affichée au milieu de travail et que le demandeur avait suivi au moins un cours en matière de harcèlement sexuel, mais il a conclu que la politique n’était pas appliquée de façon uniforme. Selon le juge de première instance, les allégations ne prouvaient pas qu’il y avait eu harcèlement sexuel justifiant le congédiement du demandeur. Il a reproché à la défenderesse d’avoir mal appliqué la politique sur le harcèlement sexuel et d’avoir toléré à l’intérieur du service de sécurité une atmosphère telle que chacun se plaisait à attaquer les autres. Le juge de première instance a également conclu que « l’insistance épuisante » constituait un élément essentiel du harcèlement sexuel justifiant le congédiement, c’est-à-dire qu’il n’y aura pas de harcèlement sexuel si chaque plaignante n’a pas été constamment poursuivie après avoir refusé les avances. L’action a été accueillie. La défenderesse a interjeté appel du jugement de première instance.

Arrêt : L’appel devrait être accueilli.

Le juge de première instance a commis une erreur lorsqu’il a omis de tenir compte du rôle du demandeur qui, en qualité de superviseur représentant l’entreprise, devait surveiller ce qui se passait autour de lui et qui, dans la mesure où les allégations étaient vraies, ne devrait pas servir d’exemple comme prédateur sexuel pourchassant les jeunes filles. La défenderesse s’est acquittée de sa responsabilité en affichant sa politique sur le harcèlement sexuel et en formant les employés à ce sujet et avait le droit de s’attendre à ce que ses superviseurs appliquent la politique. Affirmer qu’il était nécessaire d’en faire davantage dans ces circonstances équivaut tout simplement à ignorer les fonctions de surveillance du demandeur et à invoquer des facteurs non pertinents pour l’excuser de ne pas avoir appliqué la politique à l’intérieur de son service. La défenderesse a réagi de façon prudente, responsable et efficace après avoir reçu la première plainte. Lorsque d’autres plaintes ont été dévoilées et que le demandeur a répondu par une dénégation générale, elle avait le droit d’évaluer la crédibilité. Estimant que les plaintes étaient fondées, elle ne pouvait s’acquitter de sa responsabilité d’employeur en conservant son emploi à son représentant à titre de superviseur. Elle n’avait aucune raison de croire que la conduite de celui-ci changerait et que, si une solution de rechange autre que le congédiement était retenue, le harcèlement continu à l’endroit des employées cesserait.

Le juge de première instance semble également avoir considéré l’affaire comme un concours entre le demandeur et la direction et comme une simple question de discipline. Par conséquent, il s’est montré sympathique à l’endroit d’un employé de longue date dont le dossier de travail était exemplaire. Il a sous-entendu que le demandeur était la victime isolée d’une politique qui n’avait pas vraiment été appliquée dans le passé. Ce faisant, le juge de première instance n’a pas tenu compte des deux rôles que la direction devait jouer, d’une part, protéger les membres du personnel de toute conduite répréhensible et, d’autre part, protéger l’entreprise des poursuites civiles pouvant être intentées par des parties plaignantes.

Le juge de première instance a commis une erreur de droit lorsqu’il a refusé de tenir compte de la preuve d’incidents de conduite déplacée qui n’ont été dévoilés qu’à l’instruction et que la défenderesse n’a pas invoqués pour congédier le demandeur. La justification du congédiement peut être établie par la preuve de faits dévoilés après la cessation d’emploi.

Le juge de première instance a commis une erreur lorsqu’il a conclu que, pour constituer une forme de harcèlement sexuel justifiant le congédiement, la conduite adoptée à l’endroit de chaque plaignante doit être insistante et répétée. Même si le demandeur ne s’est pas comporté tout à fait de la même façon à l’endroit de chacune des plaignantes, la conduite reprochée empoisonnait l’atmosphère au sein du service; de plus, il s’agissait de la conduite répétée d’un superviseur à l’endroit de l’ensemble des employées subalternes. Ce type de comportement pourrait être beaucoup plus préoccupant pour un employeur que l’insistance manifestée à l’endroit d’un seul employé. Dans ce dernier cas, il serait peut-être possible d’isoler le problème, de maîtriser la situation et d’éviter le congédiement.

Dans un établissement industriel, personne ne s’attend à ce que la vulgarité ou le langage blasphématoire soit éliminé. Cependant, la conduite ou les expressions répréhensibles fondées sur le sexe ou la race ne peuvent être tolérées. La défenderesse avait le droit de s’attendre à ce que son superviseur prenne tous les moyens à sa disposition pour éviter les insultes de nature sexiste ou raciste ou la conduite répréhensible dans le milieu de travail. En ce qui a trait aux questions liées au sexe, le demandeur n’a pas répondu aux attentes de la défenderesse. Compte tenu de la conclusion selon laquelle il a participé à ces activités sans le reconnaître ou s’excuser plus tard, il est difficile de trouver une solution autre que le congédiement pour mettre fin au harcèlement que la défenderesse a dû éliminer. Le congédiement était entièrement justifié.

Arrêts mentionnés

Janzen c. Platy Enterprises[1989] 1 R.C.S. 1252, 58 Man. R. (2d) 1, 59 D.L.R. (4th) 352, 95 N.R. 81, 47 C.R.R. 274, [1989] 4 W.W.R. 89, 25 C.C.E.L. 1, 89 C.L.L.C. 17,011; Lake Ontario Portland Cement v. Groner, [1969] R.C.S. 553, 28 D.L.R. (2d) 589; Robichaud c. R., [1987] 2 R.C.S. 84, 40 D.L.R. (4th) 577, 75 N.R. 303, 87 C.L.L.C. 17,025.

Lois et règlements

Code des droits de la personne, L.R.O. 1990, chap. H-19, par. 10(1), « harcèlement »

Appel interjeté par l’employeur à l’égard d’un jugement publié dans (1994), 8 C.C.E.L. (2d) 281, 95 C.L.L.C. 1210-017 (Div. gén.) que le juge Dandie a rendu en faveur d’un employé dans une action en dommages-intérêts pour cause de congédiement injuste.

J. Brett Ledger, Deborah A. Glendinning et Laura K. Fric, pour l’appelante

B. Reid et Michael J. McLachlin, pour l’intimé.

Version française du jugement de la Cour rendu par

LE JUGE CARTHY : – Dans l’arrêt Janzen c. Platy Enterprises, [1989] 1 R.C.S. 1252 59 D.L.R. (4th) 352, le juge Dickson, alors juge en chef de la Cour suprême du Canada, a défini de façon large le harcèlement sexuel en milieu de travail en ces termes (p. 1284) :

Sans chercher à fournir une définition exhaustive de cette expression, j’estime que le harcèlement sexuel en milieu de travail peut se définir de façon générale comme étant une conduite de nature sexuelle non sollicitée qui a un effet défavorable sur le milieu de travail ou qui a des conséquences préjudiciables en matière d’emploi pour les victimes du harcèlement. C’est un abus de pouvoir, comme l’a souligné l’arbitre Shime dans la décision Bell v. Ladas, précitée, et comme cela a été largement reconnu par d’autres arbitres et commentateurs. Le harcèlement sexuel en milieu de travail est un abus de pouvoir tant économique que sexuel. Le harcèlement sexuel est une pratique dégradante, qui inflige un grave affront à la dignité des employés forcés de le subir. En imposant à un employé de faire face à des gestes sexuels importuns ou à des demandes sexuelles explicites, le harcèlement sexuel sur le lieu de travail est une atteinte à la dignité de la victime et à son respect de soi, à la fois comme employé et comme être humain.

Le présent appel concerne la manière dont cette définition s’applique concrètement dans un établissement industriel moderne et la façon dont elle devrait être interprétée par la direction d’une entreprise et, en dernier ressort, par le tribunal lorsque des incidents se produisent.

General Motors a interjeté appel du jugement publié dans (1994), 8 C.C.E.L. (2d) 281, 95 C.L.L.C. 210-017, où le juge Dandie a décidé que l’intimé avait été injustement congédié et lui a accordé une indemnité au montant de 119 510,41 $ ainsi que les intérêts avant jugement et les frais.

En 1970, l’intimé a commencé à travailler comme agent de surveillance au service de sécurité de l’établissement de General Motors situé à St. Catharines; en 1980, il avait été promu au rang de sergent et faisait désormais partie de la direction. À ce titre, il était l’agent supérieur en poste au service de sécurité l’après-midi et le soir et était directement appelé à évaluer le rendement des personnes qui travaillaient sous ses ordres au service ou à prendre des mesures disciplinaires à leur endroit. À la fin des années 1970, des femmes ont commencé à travailler au service de sécurité de General Motors; la majorité des employées étaient des étudiantes engagées pour travailler l’été. La plupart de ces étudiantes et la plupart des plaignantes qui ont témoigné contre l’intimé étaient âgées de 18 à 23 ans. À l’époque où la première des plaintes concernant la conduite de l’intimé a été formulée, celui-ci était âgé de 49 ans.

La première plaignante était Trish Murray, une étudiante occupant un emploi d’été qui a déposé une plainte écrite auprès du supérieur de l’intimé après avoir quitté son emploi en septembre 1990. La plainte faisait état des incidents suivants :

— en 1989, l’intimé a placé sa main sur la taille de la plaignante et s’est penché vers elle dans le but évident d’obtenir un baiser. La plaignante s’est détournée et l’intimé a subséquemment indiqué son embarras au sujet de l’incident;

— au cours de l’été 1990, la plaignante a formulé un commentaire gratuit au sujet de son poids et il a dit devant un autre employé : [TRADUCTION] « pourquoi n’enlèves-tu pas tes vêtements et nous évaluerons la situation »;

— plus tard, au cours de l’été 1990, après avoir signalé la présence d’une petite boîte enflammée, elle a entendu à la radio les mots [TRADUCTION] « à qui appartient la boîte enflammée? ». Lorsqu’elle s’est plainte à l’intimé du sous-entendu d’ordre sexuel de cette remarque, il a ri d’elle;

— à une autre occasion en 1990, l’intimé a raconté en présence de la plaignante qu’il avait observé les ébats sexuels d’un couple à un hôtel et qu’il avait imité les gestes de « masturbation » et de « fellation »;

— à une autre occasion, à Noël, l’intimé lui a dit qu’il allait [TRADUCTION] « lui donner un vrai baiser »; il a ensuite incliné sa chaise et l’a embrassée sur la bouche.

Cette plainte a incité la direction à interroger d’autres employés du service, ce qui a mené à d’autres plaintes, dont les suivantes :

Kendra Snodden

— À plusieurs occasions, l’intimé lui a demandé de s’asseoir sur ses genoux et de lui donner un baiser.

— À d’autres occasions, il la serrait très fort dans ses bras et émettait des grognements. La plaignante n’a pas considéré ces gestes comme des gestes de nature sexuelle, mais elle se sentait mal à l’aise et intimidée.

— L’intimé a décrit des films pornographiques en utilisant des gestes de nature sexuelle pour raconter les scènes.

Laurie Jackson

— Sous prétexte d’enlever une poussière qu’elle avait dans l’oeil, l’intimé l’a embrassée.

— À une autre occasion, la plaignante lui a demandé un crayon et il a répondu qu’il lui en donnerait un en échange d’un baiser.

Kelly McNaughton

— L’intimé a mentionné à ses collègues de travail qu’il pouvait voir le soutien-gorge de la plaignante à travers la blouse mouillée qu’elle portait.

— À une autre occasion, il a enlacé la plaignante, l’a pressée contre lui et lui a dit qu’il l’accompagnerait à une soirée [TRADUCTION] « si nous pouvions nous débarrasser de tout le monde et trouver un endroit tranquille pour nous ».

— Il avait l’habitude de se tenir tellement près de la plaignante qu’il la touchait ou approchait son visage à deux ou trois pouces du sien. Elle se sentait mal à l’aise et était intimidée lorsqu’elle travaillait pour lui.

Iris Johnson

— L’intimé a dit à la plaignante qu’il l’aimait et que son épouse était malade et ne le comprenait pas.

— Il lui arrivait souvent de se tenir trop près d’elle et de lui toucher le dos. Elle se sentait mal à l’aise en sa présence.

Au cours de cette enquête, la direction a interrogé environ 40 personnes, y compris des employés de sexe masculin, et a obtenu d’autres éléments de preuve corroborant les allégations susmentionnées des employées. Lorsqu’il a été mis en présence de cette preuve, l’intimé a nié en bloc les allégations et soutenu que les femmes complotaient contre lui. La direction a décidé qu’elle n’avait d’autre choix que de congédier l’intimé, ce qu’elle a fait en lui remettant un avis en ce sens le 24 octobre 1990.

Au cours de l’instruction, des précisions ont été données au sujet de toutes ces allégations ainsi que de certaines plaintes supplémentaires et l’intimé a essentiellement nié chacun de ces éléments de preuve et allégations. Toutefois, dans ses motifs, le juge de première instance n’a tiré aucune conclusion importante au sujet de la crédibilité, soulignant que, même si toutes les allégations étaient établies, elles ne prouvaient pas que l’intimé s’était rendu coupable de harcèlement sexuel justifiant son congédiement. Il semble reprocher à General Motors d’avoir mal appliqué sa politique concernant le harcèlement, d’avoir tenu une enquête insatisfaisante au sujet des plaintes et d’avoir toléré à l’intérieur du service de sécurité une atmosphère telle que chacun se plaisait à attaquer les autres. À mon avis, le juge de première instance a commis une erreur à cet égard, notamment en omettant de tenir compte du rôle de l’intimé qui, en qualité de superviseur et de représentant de la société, devait surveiller ce qui se passait autour de lui et qui, si les allégations s’avèrent bien fondées, ne devrait certainement pas servir d’exemple comme prédateur sexuel pourchassant les jeunes filles. À mon sens, il appert des motifs du juge de première instance que celui-ci a plutôt cherché à excuser la conduite de l’intimé, tout en minimisant l’importance des infractions qui auraient été commises sous sa surveillance et auxquelles il aurait directement participé. Le juge de première instance a également commis une erreur en omettant de tenir compte de certains éléments de preuve établissant une mauvaise conduite qui n’a été dévoilée qu’à l’instruction et ne faisait pas partie des motifs de congédiement que l’entreprise a invoqués. De plus, il a présumé à tort que l’« insistance épuisante » représente un élément essentiel du harcèlement sexuel pouvant constituer un motif de congédiement, c’est-à-dire qu’il n’y aura pas de harcèlement sexuel si chaque plaignante n’a pas été constamment poursuivie après avoir refusé les avances.

L’essentiel du raisonnement que le juge de première instance a invoqué se trouve à la page 287 de ses motifs :

[TRADUCTION]

À mon avis, la version donnée par une bonne partie des témoins permet de dire que le demandeur est un coureur de jupons ou, de façon plus exacte, un coureur de jupons en devenir, parce qu’aucun élément de la preuve ne permet de dire qu’il a eu du succès à cet égard.

Je reviendrai maintenant de façon plus approfondie sur chacune de ces erreurs et sur la grande question à trancher en définitive. L’absence de conclusion au sujet de la crédibilité donne à penser qu’une nouvelle instruction s’impose, mais une période de huit ans s’est écoulée depuis que les plaintes en l’espèce ont été signalées et il convient d’éviter de reprendre une instruction qui a duré plus de 16 jours et au cours de laquelle plus de 26 personnes ont témoigné, s’il existe un autre moyen raisonnable de mettre fin au litige.

Politique de General Motors en matière de harcèlement sexuel

Un bulletin énonçant la politique de General Motors en matière de harcèlement sexuel était affiché en permanence sur le babillard de l’établissement. Voici le texte de cette politique :

[TRADUCTION]

Le 10 mars 1989

À TOUS LES EMPLOYÉS DE GENERAL MOTORS

DEPUIS BON NOMBRE D’ANNÉES, GENERAL MOTORS DU CANADA LIMITÉE APPLIQUE UNE POLITIQUE ÉCRITE LARGEMENT DIFFUSÉE QUI VISE À INTERDIRE LA DISCRIMINATION DANS L’EMPLOI. TOUT COMME LE HARCÈLEMENT FONDÉ SUR L’ÂGE, LA RACE, LA COULEUR, LES CROYANCES OU L’ORIGINE NATIONALE, LE HARCÈLEMENT SEXUEL EST DEPUIS LONGTEMPS CONSIDÉRÉ COMME UNE CONDUITE ALLANT À L’ENCONTRE DE CETTE POLITIQUE.

TOUS LES EMPLOYÉS DOIVENT SE COMPORTER DE FAÇON ÉQUITABLE ET HONNÊTE LES UNS ENVERS LES AUTRES AFIN DE TRAVAILLER DANS UN MILIEU EXEMPT D’INTIMIDATION ET DE HARCÈLEMENT. L’ABUS DE LA DIGNITÉ DE TOUTE PERSONNE PAR DES INSINUATIONS DE NATURE ETHNIQUE, RACISTE OU SEXISTE OU D’AUTRES TYPES DE COMPORTEMENT DÉROGATOIRE OU RÉPRÉHENSIBLE EST UNE CONDUITE BLÂMABLE. LE HARCÈLEMENT SEXUEL COMPREND ÉGALEMENT LES AVANCES SEXUELLES NON DÉSIRÉES, LES DEMANDES DE FAVEURS SEXUELLES ET D’AUTRES GESTES OU PAROLES À CARACTÈRE SEXUEL.

TOUT COMME DANS LE CAS DES AUTRES COMPORTEMENTS RÉPRÉHENSIBLES QUI VONT À L’ENCONTRE DE LA PRÉSENTE POLITIQUE INTERDISANT LA DISCRIMINATION, SI VOUS CROYEZ QUE VOUS AVEZ ÉTÉ VICTIME DE HARCÈLEMENT SEXUEL, VOUS POURREZ FAIRE PART DE VOS PRÉOCCUPATIONS À VOTRE SUPERVISEUR IMMÉDIAT, AU DIRECTEUR DU PERSONNEL OU À UN REPRÉSENTANT DE CEUX-CI OU EXERCER LES RECOURS INTERNES APPLICABLES EN MATIÈRE DE PLAINTE.

________________________R.P. MigusDirecteurÉtablissement de St. Catharines________________________C.K. GreenmanDirecteur du personnelÉtablissement de St. Catharines 

(BULLETIN PERMANENT)

Non seulement Bannister était-il au courant de la politique affichée, mais il a suivi un cours sur le harcèlement sexuel que General Motors a donné à l’intention des superviseurs en mars 1981 et en a peut-être suivi un autre en 1988. Les notes de la conférence à laquelle Bannister a assisté indiquaient que le harcèlement sexuel pourrait entraîner le congédiement. Ces notes ont été affichées pendant la présentation au moyen d’un rétroprojecteur. Au cours de son témoignage, Bannister a dit qu’il savait qu’en qualité de superviseur, il devait veiller à ce que ses subalternes s’abstiennent de faire du harcèlement sexuel. Il a ajouté qu’il savait que les étudiantes occupant un emploi d’été étaient particulièrement vulnérables à cet égard.

Voici les conclusions que le juge de première instance a formulées sur ce point aux pages 298 et 299 de ses motifs :

[TRADUCTION]

Par conséquent, je suis d’avis que General Motors avait consigné par écrit une politique sur le harcèlement sexuel qui n’était pas appliquée en pratique. Le congédiement d’un employé, notamment lorsqu’il s’agit d’une personne qui compte 23 ans de services, dont le dossier d’évaluation est excellent et dont le salaire annuel s’établit à 75 000 $, y compris les avantages, est une décision extrêmement grave et, même s’il est admis que General Motors avait le droit de congédier le demandeur, avant de conclure que le congédiement pour cause de harcèlement sexuel était justifié en raison d’insinuations, de propos déplacés ou de blagues à caractère sexuel, j’exigerais une preuve indiquant clairement que chaque agente de sécurité savait pertinemment qu’elle pouvait s’attendre à entendre des propos déplacés et des blagues à caractère sexuel au travail; que les agentes de sécurité avaient le droit de tenir elles-mêmes ces propos ou de faire des blagues de cette nature ou de décider de s’y opposer; que, si une agente de sécurité se plaignait ou s’opposait, elle serait assurée que son poste n’était pas en danger; qu’aucune des agentes de sécurité n’était tenue de tolérer l’embarras découlant de l’emploi de propos déplacés ou encore de blagues ou d’insinuations à caractère sexuel de la part de l’un ou l’autre de ses collègues de sexe masculin ou de ses superviseurs. Dans la présente affaire, j’estime que General Motors n’a pas habilité ses agentes de sécurité en les informant clairement qu’elles n’étaient pas tenues de tolérer des propos déplacés, des insinuations ou des blagues de nature sexuelle et que toute plainte reçue serait traitée de façon confidentielle. La dernière chose qu’un agent de sécurité ou un superviseur souhaite, c’est qu’une plainte de harcèlement sexuel, fondée ou non, soit déposée contre lui ou figure dans son dossier.

À mon avis, il ne suffisait pas pour General Motors de tenir des séminaires sur le harcèlement sexuel, comme elle l’a fait en 1980, ou d’afficher un bulletin au babillard. Pour que la politique sur le harcèlement sexuel devienne une politique réelle et non seulement théorique, l’entreprise devait informer les agentes de sécurité de la façon que je viens de décrire et mettre en place une structure visant à surveiller l’application de la politique, que ce soit dans le cadre de rencontres mensuelles au cours desquelles les superviseurs examineraient le langage et la conduite des membres du personnel de sécurité, ou autrement. En tout état de cause, j’imagine que l’atmosphère qui règne dans le milieu de travail de General Motors est bien différente maintenant de ce qu’elle était lorsque le demandeur a été congédié et que les employés de sexe masculin sont plus prudents quant à la façon dont ils parlent et agissent en présence de leurs collègues de sexe féminin.

Ces conclusions ne tiennent manifestement pas compte du témoignage de l’intimé lui-même, qui a reconnu sa responsabilité en qualité de superviseur et confirmé qu’il était au courant de la politique affichée. À mon avis, General Motors s’est acquittée tout au long de sa responsabilité et avait le droit de s’attendre à ce que ses superviseurs appliquent la politique. Affirmer qu’il était nécessaire d’en faire davantage dans ces circonstances équivaut tout simplement à ignorer les fonctions de surveillance de l’intimé et à invoquer des facteurs non pertinents pour l’excuser de ne pas avoir appliqué la politique à l’intérieur de son service.

L’enquête

Dans ses motifs (p. 285), le juge de première instance s’exprime en partie comme suit :

[TRADUCTION]

De par sa nature, la plainte peut avoir beaucoup d’importance et entraîner de graves conséquences pour l’avenir d’un superviseur; c’est pourquoi il faut réfléchir attentivement pour tenter de trouver des solutions de rechange à la tenue d’une enquête complète mettant en cause une quarantaine d’employés.

Le juge de première instance propose ensuite une solution de rechange que je ne comprends pas tout à fait, mais qui semble s’apparenter à une enquête menant à d’autres avertissements pour le cas où d’autres plaintes seraient révélées.

Voici une description de l’enquête elle-même. Le superviseur de Bannister, James David Wallace, a dit au cours de son témoignage que, le 11 septembre 1990, Trish Murray a communiqué avec lui pour se plaindre au sujet de Bannister. Le lendemain, Murray a rencontré Wallace et ses supérieurs et a décrit le comportement sexuel de Bannister à son endroit. Le même matin, Murray a déposé une déclaration formelle. Kendra Snodden a ensuite été interrogée, étant donné que Murray avait mentionné son nom. Snodden a également décrit le comportement sexuel de Bannister à son endroit et fourni une déclaration le lendemain. Par suite de ces entrevues, d’autres employés ont été interrogés. Au début de l’entrevue, l’enquêteur demandait à la personne interrogée si elle avait des renseignements à fournir au sujet d’une plainte de harcèlement sexuel ou d’une plainte en matière de droits de la personne. Les enquêteurs n’ont pas mentionné le nom de Bannister en premier, préférant plutôt attendre de voir si l’employé le ferait de son propre chef. Des notes ont été prises au cours des entrevues et un certain nombre de témoins ont fourni des déclarations.

Lorsqu’il a été interrogé pendant l’enquête et pendant l’instruction, Bannister a nié carrément avoir eu ou tenté d’avoir des contacts sexuels avec l’une ou l’autre des employées ou avoir harcelé sexuellement une employée. Même s’il a nié avoir commis quelque faute que ce soit, il a relaté certains incidents mentionnés par les plaignantes d’une façon différente et ne croyait pas que sa conduite constituait une forme de harcèlement sexuel. Il a été interrogé quatre fois avant d’être congédié par General Motors. Bannister a dit qu’il n’avait pas eu toutes les chances voulues de présenter sa version des faits au cours de l’enquête, mais il a reconnu que toutes les personnes qu’il avait mentionnées comme personnes devant être interrogées l’avaient effectivement été. Les supérieurs de Bannister ont dit au cours de leur témoignage qu’ils ne croyaient pas que celui-ci avait été franc au cours de ses entrevues. Ils croyaient plutôt que les plaignantes disaient la vérité. À leur avis, le congédiement motivé était la réparation qui s’imposait, compte tenu des renseignements portés à leur attention et des dénégations de Bannister.

Enfin, après avoir reçu son avis de congédiement, l’intimé a eu une autre chance de s’opposer à son congédiement aux termes de la politique de la porte ouverte de General Motors.

Dans l’arrêt Robichaud c. R., [1987] 2 R.C.S. 84, la Cour suprême du Canada a confirmé qu’un employeur pouvait être tenu responsable de la conduite de son superviseur aux termes de la Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, ch. 33, et, ce faisant, a souligné qu’un employeur qui répond rapidement et efficacement à une plainte peut échapper à la responsabilité ou être exonéré de tout blâme dans la même mesure que l’employeur qui omet de prendre ces mesures. Le risque est le même aux termes de la loi provinciale applicable à General Motors.

À mon avis, General Motors a réagi de façon prudente, responsable et efficace après avoir reçu la première plainte. Lorsque d’autres plaintes ont été dévoilées et que l’intimé a répondu par une dénégation générale, elle avait le droit, comme elle l’a fait, d’évaluer la crédibilité. Estimant que les plaintes étaient fondées, elle ne pouvait s’acquitter de sa responsabilité d’employeur en conservant à son emploi son représentant à titre de superviseur. Elle n’avait aucune raison de croire que la conduite de l’intimé changerait et que, si une solution de rechange autre que le congédiement était retenue, le harcèlement continu à l’endroit des employées cesserait. Bien entendu, ayant conclu que le congédiement était nécessaire, General Motors devait prouver à l’instruction que les plaintes étaient fondées et justifiaient le congédiement.

L’absence de conclusions au sujet de la crédibilité

À mon avis, le juge de première instance s’est mal orienté en établissant une formule pour trancher les questions en litige soulevées en l’espèce.

Voici comment il s’exprime aux pages 300 et 301 de ses motifs :

[TRADUCTION]

L’avocat de General Motors a soutenu que la question dont je suis saisi est simplement une question de crédibilité, soit celle de savoir si je crois la version des cinq femmes qui ont témoigné au nom de General Motors ou si je crois plutôt le demandeur lorsqu’il nie chacune des plaintes. En d’autres termes, si je retiens la version des cinq femmes, cela signifiera que General Motors avait des raisons valables de congédier le demandeur pour cause de harcèlement sexuel.

Je ne suis pas d’accord. La question à trancher est celle de savoir si General Motors a prouvé selon la prépondérance des probabilités qu’elle avait des raisons valables de congédier le demandeur pour cause de harcèlement sexuel. Pour répondre à cette question, il faut, notamment, examiner attentivement la version présentée par les cinq employées dans le contexte de la définition du harcèlement sexuel ou des éléments dont il est formé, même en admettant que chacun des témoignages est vrai. En d’autres termes, il se pourrait que le témoignage des cinq femmes soit raisonnablement vrai, mais que cette preuve ne suffise pas en soi à établir le harcèlement sexuel au sens juridique. J’ai l’intention de m’orienter comme j’orienterais un jury, c’est-à-dire en examinant la question selon la prépondérance des probabilités à l’aide des plateaux de la balance de la justice pour évaluer, d’une part, la preuve qui permettrait de dire que General Motors avait des raisons valables de congédier le demandeur, et d’autre part, la preuve tendant à prouver la proposition contraire. Sur un plateau, nous avons la preuve présentée par les cinq femmes qui ont témoigné ainsi que par les autres témoins qui ont peut-être appuyé le témoignage de celles-ci à certains égards. Sur l’autre, nous avons le témoignage du demandeur, qui nie en bloc les plaintes formulées contre lui, auquel j’ajoute mes conclusions au sujet de la preuve relative au témoignage des cinq femmes, l’atmosphère qui régnait dans le milieu de travail ou la conduite adoptée et le langage utilisé par la majorité des employés du service de sécurité, le témoignage d’employés comme Peter Douglas Allister et Quinn Salterelli, qui considèrent le demandeur comme un superviseur ferme et décidé tout en étant juste et équitable et qui appuieraient un agent de sécurité dans le cadre de leur interaction avec les employés de l’établissement, de même que les excellents rapports d’évaluation annuels concernant le rendement du demandeur. Compte tenu de tous ces facteurs, je ne puis que conclure, à tout le moins, que les deux plateaux de la balance de la justice sont équilibrés et que la balance penche peut-être même en faveur du demandeur. Par conséquent, j’estime que la défenderesse General Motors n’a pas prouvé qu’elle avait des raisons valables de le congédier comme elle l’a fait sans lui donner d’avis ou un certain montant en remplacement de l’avis.

En examinant la question sous cet angle, le juge de première instance a créé un imbroglio dont il est devenu impossible d’identifier les éléments. Il aurait dû trancher la question de la crédibilité en comparant la version des cinq femmes à celle de l’intimé et, dans la mesure où il aurait retenu le témoignage des plaignantes, en examinant d’autres facteurs comme l’atmosphère qui régnait dans le milieu de travail et le dossier d’emploi de l’intimé pour décider si le congédiement était justifié, eu égard aux plaintes établies et aux solutions de rechange disponibles. Si les plaintes n’avaient pas été établies, et le raisonnement du juge de première instance donnait à entendre le contraire, le congédiement ne pourrait être justifié. En passant, il importe de souligner que le juge de première instance n’a encore une fois nullement tenu compte du rôle de superviseur de l’intimé au sein du service relativement à la faute reprochée. Il a, de toute évidence, commis une erreur en traitant l’intimé comme s’il s’agissait simplement de l’un des nombreux employés du service pouvant avoir participé avec d’autres à des actes répréhensibles.

Le juge de première instance semble avoir considéré l’affaire comme un concours entre le superviseur et la direction et comme une simple question de discipline. Par conséquent, il s’est montré sympathique à l’endroit d’un employé de longue date dont le dossier de travail était exemplaire. Il a sous-entendu que le demandeur était la victime isolée d’une politique qui n’avait pas été vraiment appliquée dans le passé. Ce faisant, le juge de première instance n’a pas tenu compte des deux rôles que la direction devait jouer, d’une part, protéger les membres du personnel de toute conduite répréhensible et, d’autre part, protéger l’entreprise des poursuites civiles pouvant être intentées par des parties plaignantes.

Preuve dévoilée subséquemment

À la page 288 de ses motifs, le juge de première instance s’exprime en ces termes :

[TRADUCTION]

Ni les incidents concernant la bande vidéo pornographique, les caleçons et les lunettes de sécurité, non plus que les manifestations de l’intérêt que le demandeur portait à l’endroit de Mlle Murray ne faisaient partie des éléments de preuve sur lesquels Dallas McLean s’est fondé pour décider de congédier le demandeur, étant donné que cette preuve n’a été dévoilée qu’à l’instruction.

Plus loin, le juge s’exprime comme suit aux pages 290 et 291 :

[TRADUCTION]

J’en arrive maintenant au témoignage de Kendra Snodden. À l’instruction, Kendra Snodden ne pouvait se rappeler quoi que ce soit; pourtant, sa déclaration est au dossier en l’espèce parce que l’avocat du demandeur ne s’est pas opposé à ce qu’elle soit déposée en preuve. Après mûre réflexion, j’ai décidé que la question à trancher en ce qui a trait à l’impossibilité pour Kendra Snodden de se rappeler quoi que ce soit est celle de savoir quels sont les renseignements que Dallas McClean avait en mains lorsqu’il a décidé de congédier le demandeur. Bien entendu, ce commentaire s’appliquerait à Trish Murray et aux différents incidents qu’elle a ajoutés à l’instruction.

Il s’agit d’une erreur de droit évidente. Les motifs justifiant un congédiement peuvent être établis au moyen d’une preuve de faits dévoilés après le congédiement. Voir l’arrêt Lake Ontario Portland Cement c. Groner, [1969] R.C.S. 553, p. 563. Il n’est pas nécessaire d’examiner de façon détaillée les éléments de preuve qui ont été exclus de l’examen. Il suffit de dire que cette preuve concernait des incidents supplémentaires importants au sujet d’une conduite qui pourrait être qualifiée de harcèlement sexuel.

Insistance épuisante

Le savant juge de première instance semble avoir conclu que, pour constituer une forme de harcèlement sexuel justifiant le congédiement, la conduite adoptée à l’endroit de chacune des plaignantes devait être insistante et répétée. Voici comment il s’exprime à ce sujet à la page 294 :

[TRADUCTION]

Un baiser volé dans la salle d’examen médical, si cet incident s’est effectivement produit, appartient à la même catégorie d’incidents que le baiser qu’il a tenté de voler à Trish Murray dans la salle des ordinateurs. Même si cette conduite était tout à fait déplacée et qu’une réprimande était justifiée, elle n’a pas été répétée par la suite, que ce soit d’une façon identique ou similaire. En fait, le demandeur a plutôt cherché à s’éloigner de Laurie Jackson après l’incident et j’estime que cette conduite ne constituait pas du harcèlement sexuel, parce qu’elle ne comportait pas cet élément d’insistance épuisante généralement lié au harcèlement sexuel.

À la page 296, il ajoute ce qui suit :

[TRADUCTION]

À mon avis, il n’existe aucun élément de preuve indiquant que le demandeur a accordé ou refusé d’accorder des avantages liés à l’emploi, notamment l’attribution de certaines tâches de premier choix ou encore des augmentations ou des promotions pour demander et obtenir des faveurs sexuelles. Le demandeur n’a fait aucune proposition verbale insistante à l’une ou l’autre des agentes de sécurité.

À la page 300, le juge de première instance formule les remarques suivantes :

[TRADUCTION]

De plus, la preuve n’établit nullement à mon avis que le demandeur a continué à se comporter d’une façon non désirée sur les plans social et personnel lorsqu’il a compris que cette conduite n’était pas désirée. J’insiste là-dessus parce qu’une des principales composantes de la définition du harcèlement sexuel réside dans les tentatives insistantes et importunes en vue d’avoir des relations d’ordre social ou personnel avec une personne.

Au paragraphe 10(1) du Code sur les droits de la personne, L.R.O. 1990, chap. H-19, le harcèlement est défini comme suit : « fait pour une personne de faire des remarques ou des gestes vexatoires lorsqu’elle sait ou devrait raisonnablement savoir que ces remarques ou ces gestes sont importuns ». Selon la politique sur le harcèlement sexuel dont la Commission des droits de la personne de l’Ontario a publié l’énoncé en octobre 1993, il doit y avoir plusieurs événements ou une série de remarques ou de gestes vexatoires pour que la définition du Code s’applique. Toujours selon cette politique, un seul cas de conduite déplacée peut constituer un manquement au Code si cette conduite empoisonne l’atmosphère dans un milieu donné.

En l’espèce, il importe de souligner qu’il ne s’agit pas d’une plainte qu’une personne a déposée contre une autre devant un tribunal en vue d’obtenir une réparation fondée sur le Code sur les droits de la personne de l’Ontario. Il s’agit de l’évaluation d’une conduite qui justifie ou ne justifie pas un congédiement. Si l’insistance est un facteur dans les cas justifiant la tenue d’une audience devant un tribunal, elle ne représente qu’un aspect de la conduite, et non un aspect déterminant, à examiner pour savoir si le congédiement est bien fondé. Dans le cas qui nous occupe, même si le demandeur ne s’est pas comporté de la même façon à l’endroit de chacune des plaignantes, il appert des plaintes que la conduite reprochée empoisonnait l’atmosphère au sein du service; de plus, il s’agissait d’une conduite répétée d’un superviseur à l’endroit de l’ensemble des employées subalternes. Ce type de comportement pourrait être beaucoup plus préoccupant pour un employeur que l’insistance manifestée à l’endroit d’un seul employé. Dans ce dernier cas, il serait peut-être possible d’isoler le problème, de maîtriser la situation et d’éviter le congédiement.

Conclusion

À mon avis, les motifs du juge de première instance font état d’un manque total de compréhension du concept moderne de l’égalité des sexes. Le juge utilise en effet des expressions comme [TRADUCTION] « elle a eu ce qu’elle méritait » et « c’est un petit jeu qui se joue à deux », deux clichés d’une autre époque. Après avoir conclu que le demandeur avait admis avoir demandé un baiser en échange d’un crayon, il s’exprime comme suit :

[TRADUCTION]

… en ce qui a trait à l’incident du baiser en échange d’un crayon, j’en arrive à la conclusion qu’aucun baiser n’a été donné et que ce type de conduite, même si elle était répréhensible et déplacée, ne constituait pas du harcèlement sexuel.

Cette conduite ne peut être justifiée au motif qu’aucun baiser n’a vraiment été donné ou, pour reprendre les commentaires précités du juge de première instance, que l’intimé était seulement un « coureur de jupons en devenir ». Il est indubitable qu’après avoir écouté les témoins, le juge de première instance a conclu que l’établissement en question était un milieu de travail dur où les insultes et les sous-entendus de nature sexuelle fusaient librement de toutes parts et que les employées étaient capables de donner le change. C’est probablement une description réaliste de bon nombre de milieux industriels qui existaient dans le passé, mais ce genre d’ambiance est intolérable aujourd’hui, compte tenu de l’acceptation culturelle de l’égalité des sexes. Ce n’est pas une question liée à la force, au courage ou à l’esprit combatif des employées. Aucune femme ne devrait se voir forcée de défendre sa dignité, de repousser les avances importunes ou de répondre à des attaques verbales à caractère sexuel. Le superviseur qui se comporte de cette façon ou qui tolère ce genre de conduite commet un abus de pouvoir.

Malgré l’absence de conclusions concernant la crédibilité, si le juge de première instance s’était bien informé des fonctions d’un superviseur, il aurait eu pleinement raison de rejeter l’action compte tenu des conclusions qu’il a tirées.

À la page 298, le juge de première instance s’exprime comme suit :

[TRADUCTION]

J’en suis arrivé à la conclusion que l’interaction quotidienne de la majorité des employés du service de sécurité, qu’ils soient de sexe masculin ou féminin, a créé une atmosphère où les propos déplacés et les blagues de nature sexuelle étaient monnaie courante.

À la page 299, il ajoute ce qui suit :

[TRADUCTION]

À mon avis, le comportement que le demandeur a adopté et les propos qu’il a tenus au travail n’étaient pas moins graves ou plus graves que ceux de la majorité des employés du service de sécurité. De plus, les jurons, les insultes et les blagues de nature sexuelle qui pourraient, dans d’autres circonstances, être considérés comme du harcèlement sexuel étaient monnaie courante dans le service de sécurité et représentaient la norme plutôt que l’exception.

Étant donné que l’intimé a généralement nié les fautes qui lui ont été reprochées, ces conclusions comportent une acceptation implicite de la substance de la version donnée par les plaignantes et par les autres employés qui ont témoigné et sous-entendent que l’intimé avait le droit d’agir comme il l’a fait tout simplement parce que tous les autres se comportaient de la même façon. Le superviseur qui tolère le genre d’atmosphère que le juge de première instance a décrite et qui participe ensuite aux échanges avec autant de vigueur que les autres est un superviseur qui ne s’acquitte pas de ses tâches.

Dans un établissement industriel, personne ne s’attend à ce que la vulgarité ou le langage blasphématoire soit éliminé. Cependant, la conduite ou les expressions répréhensibles fondées sur le sexe ou la race ne peuvent être tolérées. La direction avait le droit de s’attendre à ce que son superviseur prenne tous les moyens à sa disposition pour éviter les insultes de nature raciste ou sexiste ou la conduite répréhensible dans le milieu de travail. En ce qui a trait aux questions liées au sexe, l’intimé n’a pas répondu aux attentes de la direction. Compte tenu de la conclusion selon laquelle il a participé à ces activités sans le reconnaître ou s’excuser plus tard, il est difficile de trouver une solution autre que le congédiement pour mettre fin au harcèlement que la direction a dû éliminer. À mon avis, le congédiement était entièrement justifié.

En conséquence, je ferais droit à l’appel, j’infirmerais le jugement rendu en première instance et je rejetterais l’action avec dépens, tant en première instance qu’en appel.

Appel accueilli.