BATA c. CITY PARKING CANADA LTD.
43 D.L.R. (3d) 190
Cour d’appel de l’Ontario
Le juge d’appel Schroeder
Le 3 DÉCEMBRE 1973
Contrats — Baillement — Permission — Exploitant d’un parc de stationnement annonçant que « Charges are for use of parking space only » ([TRADUCTION] « les frais ne visent que l’utilisation de l’espace de stationnement ») — S’agit-il d’un baillement ou d’une permission? — L’exploitant est-il responsable des dommages causés à l’automobile du client?
Dans la situation où l’exploitant d’un parc de stationnement informe ses clients, sur des enseignes et sur les billets, que les frais de stationnement ne visent que l’utilisation de l’espace de stationnement et que l’exploitant n’est pas responsable de dommages causés aux automobiles, la relation entre l’exploitant et le client en est une de permettant et de permissionnaire, et non de baillant et de baillaire. Conséquemment, en l’absence d’une clause contractuelle spéciale, l’exploitant n’est pas responsable du vol de l’automobile d’un client et des dommages en résultant.
Appel d’une décision de M. Michael E. Anka, agissant en vertu d’une nomination au poste de juge de la Cour des petites créances, et donnant gain de cause au demandeur dans une action se rapportant à des dommages causés à une automobile.
TRADUCTION :
Le juge d’appel SCHROEDER (motifs rendus oralement) : Le défendeur porte en appel le jugement rendu par le jugeMicheal E. Anka, juge de la Cour des petites créances du district judiciaire d’Ottawa-Carleton, dans une action intentée par le demandeur au sujet des dommages causés à son véhicule automobile. Ce véhicule avait été volé alors qu’il était stationné, en échange d’une contrepartie, dans le parc de stationnement du défendeur.
Le demandeur s’est vu accorder la somme de 239 $ pour les dommages causés à son automobile alors qu’elle était hors de sa possession. Le montant réclamé n’est pas contesté.
L’appelante était propriétaire d’un parc de stationnement situé au centre de la Ville d’Ottawa et donnant sur les rues Albert, Metcalfe et Queen. Le 27 août 1970 ou vers cette date, l’intimé a pénétré dans le parc de stationnement de l’appelant par l’entrée de la rue Metcalfe, après quoi il s’est immobilisé derrière une ligne d’automobiles stationnées en file et faisant face à la cabane du préposé du parc, située dans le stationnement. Suivant les déclarations de l’intimé, le préposé lui a demandé de laisser ses clés dans le véhicule pour ensuite lui donner un billet – dont il sera question plus loin.
À la lumière des motifs du juge, il est évident qu’il a traité la relation entre le demandeur et la défenderesse comme une relation de baillant et de baillaire; et que, ce postulat sous-tendant son jugement, le juge a été amené à conclure que la défenderesse devait être tenue responsable envers le demandeur parce qu’elle n’avait pas pu s’acquitter du fardeau de preuve qui lui incombait en tant que baillaire de l’automobile du demandeur. Le juge ne s’est pas demandé si la relation en était une entre baillant et baillaire ou entre permettant et permissionnaire.
La véritable nature de cette relation était exprimée implicitement dans l’avis de contestation formel déposé par la défenderesse. Cet avis se lit comme suit :
[TRADUCTION]
Le contrat de stationnement conclu entre City Parking Canada et ses clients comporte la clause suivante :
Charges are for use of parking space only. This company assumes no responsibility whatever for loss or damage due to fire, theft or otherwise, to the vehicle or its contents, however caused. [Emphasis is mine.]
[TRADUCTION]
Le paiement ne vise que l’utilisation de l’espace de stationnement. La société est dégagée de toute responsabilité face aux pertes ou aux dommages au véhicule ou à son contenu occasionnés par un feu, un vol ou quoi que ce soit d’autre, et ce, quelle que soit la manière dont ces dommages sont causés. [Je souligne.]
Le juge a principalement fondé son jugement sur la décision de la Cour de comté dans Williams & Wilson Ltd. v. OK Parking Stations Ltd., [1971] 2 O.R. 151, 17 D.L.R. (3d) 243, plus particulièrement sur le raisonnement figurant aux p. 153 O.R. ou 245 D.L.R. et suivantes. Comme dans la présente affaire, il était tenu pour acquis que la relation entre les parties constituait un baillement. Il importe donc de déterminer la véritable nature de l’entente conclue entre les parties en l’espèce.
Le baillement a été défini comme la délivrance de chatels personnels en fiducie, en vertu d’un contrat, exprès ou tacite, portant que la fiducie sera dûment exécutée et les chatels remis, soit dans leur forme originale, soit modifiés, une fois que la durée pour laquelle ils ont été baillés est écoulée, une fois que l’usage pour lequel ils ont été baillés a eu lieu, ou une fois que la condition à laquelle ils l’ont été baillés a été remplie. Cette définition est tirée de Bacon’s Abridgment et elle a été appliquée dans Re S. Davis & Co., Ltd., [1945] Ch. 402. Les relations entre un baillant et un baillaire et entre un permettant et un permissionnaire diffèrent grandement. Dans le second cas, s’il n’existe pas de clause contractuelle spéciale, le permettant n’a aucune obligation envers le permissionnaire quant au chatel faisant l’objet de la permission.
Cette différence entre le baillement et la permission a été analysée par la présente cour dans Palmer v. Toronto Med. Arts Bldg. Ltd., [1960] O.R. 60. À la p. 67, où il est fait référence au jugement rendu par Sir Wilfrid Greene, M.R., dans Ashby v. Tolhurst, [1937] 2 All E.R. 837. Dans cette affaire, le demandeur avait stationné son véhicule automobile en un lieu appartenant à la défenderesse. Le demandeur a payé un shilling au préposé, un employé de la défenderesse, après quoi il a reçu un billet et a laissé son véhicule stationné, les portes verrouillées. À son retour, son véhicule avait disparu et le préposé lui a expliqué qu’il l’avait remis à l’ami du demandeur – en fait, un étranger. Le billet portait le titre de [TRADUCTION] « billet de parc de stationnement » et il affichait l’inscription suivante :
[TRADUCTION]
Les propriétaires de l’immeuble n’assument aucune responsabilité concernant la bonne garde des automobiles ou des articles qu’elles contiennent. De plus, les propriétaires de l’immeuble se dégagent de toute responsabilité face aux dommages occasionnés à ces articles et à ces véhicules, quelle que soit la cause de ces dommages, et face aux blessures que quiconque pourra subir. Tous les véhicules laissés sont laissés, entièrement et à tous égards, aux risques et périls de leurs propriétaires. Les propriétaires des véhicules devront produire leur billet dès que requis de le faire.
Le juge de cette affaire a conclu que la relation entre les parties en était une de permettant et de permissionnaire, non de baillant et de baillaire. La défenderesse n’avait donc aucune obligation envers le demandeur quant au véhicule laissé dans son parc de stationnement.
Le juge a aussi conclu que, même si un baillement avait existé, que le défendeur avait eu le pouvoir de remettre la possession du véhicule et qu’il l’avait fait en commettant une erreur de bonne foi, les conditions inscrites sur le billet avaient suffisamment de portée pour protéger la défenderesse. Il a aussi été conclu qu’on ne pouvait, en interprétant le contrat, y trouver une clause implicite interdisant la remise du véhicule sans présentation de billet.
Dans ses motifs de jugement, à la p. 840, Sir Wilfrid Greene, M.R., a souligné à quel point il est important d’examiner la nature de la relation entre les parties [à la p. 68] :
[TRADUCTION]
[…] une question pour laquelle la nature du terrain n’est pas, à mon sens, dénuée d’importance, mais l’élément le plus important est le document lui-même. Ce document désigne l’endroit où la voiture doit être laissée comme un [TRADUCTION] « parc de voitures » (« car park »); de plus, il se trouve décrit comme un [TRADUCTION] « ticket de parc de voitures » (« car park ticket »). À mon avis, ces termes constituent en un sens, dans un sens concret, la partie la plus importante du document, car ils indiquent la nature des droits qui sont reconnus au propriétaire de la voiture. [TRADUCTION] « Ticket de parc de voitures » (« Car parkticket ») : vous prenez un ticket pour stationner votre voiture, et stationner votre voiture signifie, selon moi, la laisser à un endroit donné. Si vous stationnez votre voiture dans la rue, vous risquez d’avoir des ennuis avec la police. Par ailleurs, vous avez le droit de stationner votre voiture aux endroits que la police ou une administration compétente désigne pour un tel usage. À mon avis, stationner une voiture, c’est laisser la voiture et rien d’autre.
Le juge Romer notait ce qui suit :
[TRADUCTION]
[…] pour qu’il puisse y avoir baillement, il doit y avoir délivrance par le baillant, c’est-à-dire qu’il doit abandonner la possession du chatel en question.
[…]
Il est vrai que, si la voiture avait été laissée là à une fin précise exigeant que le défendeur en ait la possession, on aurait pu correctement inférer qu’il y avait eu délivrance; et que, si l’auto avait été laissée au parc de stationnement afin d’être vendue, pour faire l’objet d’une mise en gage, aux fins d’être conduite à un autre endroit ou, en fait, pour être mise sous garde, la délivrance de la voiture, bien que non effectivement réalisée, serait immédiatement inférée. En l’espèce, il est parfaitement clair que la voiture n’a pas été délivrée aux défendeurs à des fins de garde.
La règle énoncée dans Ashby v. Tolhurst, précité, a été examinée et appliquée plus récemment par la Cour d’appel d’Angleterre dans Tinsley v. Dudley, [1951] 1 All E.R. 252.
En l’espèce, l’intimé à admis avoir reçu un billet numéroté et surmonté des mots « City Parking » en forme triangulaire ― cette entête était inscrite en grosses lettres majuscules. Le billet portait aussi l’inscription suivante :
Charges are for use of parking space only.
This company assumes no responsibility whatever for loss or damage due to fire, theft, collision or otherwise, to the vehicle or its contents, however caused.
[TRADUCTION]
Le paiement ne vise que l’utilisation de l’espace de stationnement.
La société est dégagée de toute responsabilité face aux pertes ou aux dommages au véhicule ou à son contenu occasionnés par un feu, un vol ou quoi que ce soit d’autre, et ce, quelle que soit la manière dont ces dommages sont causés.
La preuve révèle aussi que sur le terrain se trouvaient deux enseignes portant des inscriptions similaires à celle du billet de stationnement. L’une de ces enseignes était installée sur la cabane du préposé, à l’entrée de la rue Metcalfe, et l’autre, sur une planche placée sur la partie du terrain longeant la rue Albert. Ces enseignes mesuraient 30 pouces de haut et 18 pouces de large, et les lettres y figurant mesuraient entre un pouce et demi et un pouce et trois quarts de haut. L’intimé s’est stationné alors qu’il faisait jour et une des enseignes lui était clairement visible lorsqu’il a pris les arrangements pour stationner son véhicule et recevoir son billet de stationnement.
Le texte apparaissant sur les deux enseignes et le billet donné au client indique clairement la nature des droits que le propriétaire peut attendre de l’entente conclue. Les mots « charges are for use of parking space only » ([TRADUCTION] « le paiement ne vise que l’utilisation de l’espace de stationnement ») excluent immédiatement toute idée que l’entente conclue est un baillement, et si un doute persistait, les mots « This company assumes no responsibility whatever for loss or damage due to fire, theft or otherwise, to the vehicle or its contents, however caused. » ([TRADUCTION] « La société est dégagée de toute responsabilité face aux pertes ou aux dommages au véhicule ou à son contenu occasionnés par un feu, un vol ou quoi que ce soit d’autre, et ce, quelle que soit la manière dont ces dommages sont causés. ») achèveraient de le dissiper.
En toute déférence, je suis en désaccord le juge du procès lorsqu’il conclut que la relation entre le demandeur et le défendeur était celle d’un baillant et d’un baillaire. Appliquant le critère employé par notre cour dans Palmer v. Toronto Med. Arts Bldg. Ltd., précité, un arrêt qui reprenait et appliquait le critère établi dans Ashby v. Tolhurst, je me dois de conclure que la relation entre le demandeur et le défendeur était plutôt celle d’un permettant et d’un permissionnaire. Il s’ensuit que, sans preuve de quelque clause imposant une obligation de permettant à la société défenderesse et faisant du demandeur le permissionnaire de cette dernière, la défenderesse n’est pas responsable des dommages causés à la voiture du demandeur après qu’elle a été volée. De plus, aucun baillement n’ayant été établi, aucun fardeau de preuve ne se trouvait imposé à la défenderesse, contrairement à ce qu’a conclu le juge du procès.
Conséquemment, l’appel est accueilli avec dépens, le jugement en appel est annulé, et un jugement rejetant l’action avec dépens sera rendu. Je fixe les frais d’avocats admissibles de la défenderesse à 25 $ en ce qui concerne le procès et à 25 $ en ce qui concerne l’appel. Puisque l’appelant à déposé son mémoire très tardivement, il n’a droit à aucuns frais à ce poste.
L’appel est accueilli.