COUR D’APPEL DE L’ONTARIO
LES JUGES D’APPEL FINLAYSON, OSBORNE et MOLDAVER
ENTRE :
WILLIAM BEAIRD,
demandeur,
(intimé)
et
WESTINGHOUSE CANADA INCORPORATED,
défenderesse. (appelante)
)
) Me Louis A. Frapporti
) pour l’appelante
)
)
)
)
)
)
) Me Kenneth Alexander
) pour l’intimé
)
)
) Audience : le 11 février 1999
)
)
LE JUGE D‘APPEL FINLAYSON :
[1] Il s’agit d’un appel interjeté par Westinghouse Canada Incorporated (* Westinghouse +) contre le jugement de madame le juge E.I. MacDonald de la Cour de l’Ontario (Division générale). Le jugement mettait fin à une action pour renvoi injustifié, mais l’appel ne vise que l’adjudication à l’intimé de dommages-intérêts majorés de 15 000 $ et de dommages-intérêts punitifs de 32 000 $.
Les faits
[2] L’intimé a commencé à travailler auprès de Westinghouse en qualité de remonteur de moteurs en juin 1988. Le 20 novembre 1989 il s’est blessé au dos au travail en tentant de changer le contact sur un gros moteur électrique. Il a avisé son superviseur de l’accident et un rapport a été adressé à la Commission des accidents du travail (* CAT +). Le rapport précisait que l’intimé jouissait de la couverture offerte par le Régime de protection du revenu de Westinghouse.
[3] Après s’être blessé, l’intimé a reçu un traitement médical, et sauf pour deux jours, il a continué de travailler. Le 5 avril 1990, il n’est pas retourné au travail parce qu’il éprouvait de la difficulté à conduire et à marcher. Il a commencé à recevoir des prestations de la CAT et aussi des avantages à court terme de Westinghouse, dont une couverture applicable aux médicaments délivrés sur ordonnance. Le 26 juillet 1990, il a été admis à l’hôpital général de St. Catherine, où il a été opéré au dos.
[4] Après que l’intimé ait tenté de retourner au travail, et après des appréciations médicales considérables, Westinghouse, la CAT et l’intimé ont convenu que celui-ci était capable d’effectuer un travail modifié. Son ancien travail étant hors de question, on a décidé qu’il recevrait une nouvelle formation, celle de technicien en réparation d’ordinateur, aux frais de la CAT. Malheureusement, Westinghouse n’avait aucun poste de ce genre. Comme il ne pouvait retourner travailler pour Westinghouse, à aucun titre que ce soit, il a été mis fin à son emploi en juin 1992, deux ans et demi après sa blessure.
[5] Après la cessation de son emploi, l’intimé a suivi une nouvelle formation de plusieurs mois. Il a obtenu un diplôme de technicien en réparation d’ordinateur. Au cours de cette période, il a exprimé à plusieurs reprises le souhait de retourner travailler pour Westinghouse, mais aucun poste ne s’offrant à lui, il a continué de chercher un emploi ailleurs.
[6] Deux ans après son renvoi, l’intimé a retenu un avocat et il a déposé une plainte auprès de la Commission ontarienne des droits de la personne, précisant qu’il était apte au travail et que Westinghouse n’avait rien fait pour lui à cet égard. Westinghouse a dû se constituer défenderesse, et la plainte a finalement été rejetée comme étant prescrite. L’intimé a alors exigé formellement de Westinghouse le versement de prestations pour invalidité de longue durée, au motif qu’il était invalide de façon permanente à la date de la cessation de son emploi en juin 1992. En dépit de ce changement de position, Westinghouse a donné avis de la demande à son assureur d’invalidité de longue durée, The Mutual Life Assurance Company of Canada (la * Mutuelle +), qui était responsable du paiement de ces prestations.
Les avantages sociaux
[7] Westinghouse offre un ensemble d’avantages sociaux étendus. Il comprend un régime d’assurance-vie collective garanti par Confederation Life, un régime de protection du revenu garanti par la Mutuelle, et un régime de pension consolidé, qui est la responsabilité de Westinghouse. Des avantages médicaux, dentaires et applicables aux médicaments délivrés sur ordonnance sont également prévus, et ils sont aussi la responsabilité de Westinghouse.
[8] Le régime de protection du revenu définit l’invalidité de la façon suivante :
[TRADUCTION]
Le terme invalidité désigne une maladie ou une blessure qui vous empêche de remplir vos fonctions au cours des deux premières années de votre absence. Par la suite, le mot invalidité désigne une maladie ou une blessure qui vous empêche d’exercer toute occupation rémunératrice qui vous convient raisonnablement en raison de votre formation, votre éducation ou votre expérience. [c’est moi qui mets les italiques]
[9] La distinction soulignée est importante, car la preuve révèle que la responsabilité à l’égard des prestations pour invalidité de courte durée (les deux premières années ou la soi-disant * première étape +) appartient à Westinghouse. Après, les prestations sont considérées comme étant des prestations pour invalidité de longue durée, et en vertu du régime de protection du revenu, elles sont la responsabilité de la Mutuelle. Au cours du procès, l’avocat de l’intimé a concédé qu’il avait été mis fin à l’emploi de son client après l’expiration du délai de deux ans et pendant ce que l’on a appelé * la seconde étape + d’admissibilité aux prestations d’invalidité.
[10] Au moment de la cessation de son emploi, l’intimé recevait des prestations de la CAT équivalant à 90% de ses gains antérieurs à sa blessure. Il recevait aussi des avantages médicaux et dentaires de Westinghouse. Après la cessation de son emploi, l’admissibilité de l’intimé aux avantages offerts par Westinghouse a pris fin.
Historique de l’instance
[11] L’appel a été intenté au moyen d’une déclaration en date du 29 août 1994 faisant état des demandes suivantes :
1. La déclaration que Westinghouse a renvoyé l’intimé de façon injustifiée le 29 juin 1992;
2. La déclaration qu’au moment de son renvoi injustifié, il était et reste toujours admissible à recevoir les prestations pour invalidité de longue durée prévues par le régime de protection du revenu du demandeur;
3. Des dommages-intérêts contre Westinghouse au montant de 325 830 $ pour la perte de prestations d’invalidité de longue durée;
4. Des dommages-intérêts de 50 000 $ contre Westinghouse pour manquement à son obligation de bonne foi envers le demandeur.
[12] Au moment où l’affaire a été instruite, la Mutuelle avait été jointe comme partie en qualité d’assureur des prestations d’invalidité de longue durée prévues par le régime de protection du revenu de Westinghouse. La déclaration a été modifiée et les demandes numéros 1 et 2 susmentionnées ont été radiées. Des demandes de dommages-intérêts majorés et punitifs ont été faites pour la première fois.
[13] À l’ouverture du procès, les parties ont annoncé qu’elles avaient réglé la demande contre la Mutuelle à l’égard des prestations pour invalidité de longue durée prévues par le régime de protection du revenu. La Mutuelle a reconnu sa responsabilité envers l’intimé relativement aux prestations de longue durée et elle lui a versé une somme forfaitaire pour couvrir les arriérés accumulés. Elle a toutefois refusé de verser des intérêts sur les arriérés. La demande d’intérêts a été maintenue contre Westinghouse.
[14] Les questions litigieuses non réglées à l’encontre de Westinghouse visaient l’admissibilité de l’intimé aux autres avantages de l’ensemble, à savoir l’assurance-vie collective, l’assurance médicale et dentaire et les sommes à toucher en vertu du régime de pension. À la fin du procès, les parties ont annoncé le règlement des demandes en cours relativement à l’ensemble des avantages sociaux. On nous a dit en appel que l’intimé avait recouvré son admissibilité à l’égard de toutes les couvertures réclamées.
Motifs du jugement
[15] À la clôture des plaidoiries, le juge de première instance a prononcé son jugement dans lequel elle a rejeté la demande contre Westinghouse visant les intérêts réclamés à l’égard de la somme forfaitaire versée par la Mutuelle. Il n’y a pas eu appel contre cette partie du jugement. Le juge a accordé des dommages-intérêts majorés s’élevant à 15 000 $ et des dommages-intérêts punitifs de 32 000 $. Dans ses motifs, elle a dit ce qui suit :
[TRADUCTION]
Bien que je puisse comprendre les raisons pour lesquelles Westinghouse a agi, j’estime que celle-ci s’est méprise sur son état physique et que la compagnie aurait dû demander pour lui à la Mutuelle son admissibilité à la seconde étape des prestations d’invalidité conformément au régime plutôt que de mettre fin brutalement à son emploi. Comme l’a admis M. Robert Stait, de Westinghouse, la question de savoir s’il y a ou non invalidité est une question médicale. Cette question aurait dû être soumise à la Mutuelle en 1992 pour qu’elle s’en remette à son propre expert médical, si elle l’estimait nécessaire, ce qui fut le cas en 1995 après l’introduction de cette action.
. . .
Je conclus que Westinghouse a commis une erreur qui aurait pu et aurait dû être corrigée. Westinghouse a manqué à ses obligations envers le demandeur en le congédiant sans l’aider à obtenir des prestations de longue durée en vertu du régime de protection du revenu de la compagnie. Par conséquent, Westinghouse est responsable envers M. Beaird des conséquences raisonnables et prévisibles de ses actions.
Comme la Mutuelle a maintenant réglé la demande relative aux prestations d’invalidité antérieures, et comme on m’a informé que les autres demandes de M. Beaird ont fait l’objet de négociations et qu’elles ont été réglées au cours du procès, les seules demandes sur lesquelles il faut maintenant se prononcer sont ses demandes de dommages-intérêts majorés et punitifs.
[16] En accordant des dommages-intérêts majorés, le juge de première instance s’est appuyée sur le jugement dissident du juge Wilson dans l’arrêtVorvis v. Insurance Corporation of British Columbia (1989), 58 D.L.R. (4th) 193 (C.S.C.) dans lequel le juge Wilson a conclu que des dommages-intérêts indemnitaires étaient payables à l’employé en vertu d’un contrat de travail parce que * les parties auraient dû raisonnablement prévoir au moment de la passation du contrat que la violation de celui-ci causerait un préjudice moral + (à la p. 212). Le juge de première instance a conclu :
[TRADUCTION]
. . . le préjudice moral qu’a subi le demandeur a procédé directement de la conduite répréhensible de la défenderesse, et je ne crois pas que le tort soit si indirect qu’il écarte l’adjudication de dommages-intérêts majorés. Un régime de protection du revenu a notamment pour objet de dissiper les inquiétudes que pourraient avoir les employés à l’égard d’éventuels problèmes. Par conséquent, il est raisonnable d’inférer que les parties se rendaient compte, au moment où le demandeur a commencé à travailler pour Westinghouse, que son renvoi et le refus de lui verser des prestations dans les circonstances en cause, lui causeraient un préjudice moral. [C’est moi qui mets les italiques]
[17] En adjugeant des dommages-intérêts punitifs, le juge de première instance s’est de nouveau fondée sur la dissidence du juge Wilson dans l’arrêt Vorvis, lorsqu’elle a dit * Je ne partage pas le point de vue de mon collègue selon lequel des dommages-intérêts punitifs ne peuvent être accordés que si la mauvaise conduite constitue en elle-même * un ‘méfait donnant ouverture à un droit d’action’ + (pp. 223-24). Le juge de première a cité le sommaire de l’arrêt Vorvis à cet égard. Elle a ensuite tiré des conclusions qui, à son sens, justifiaient l’adjudication de dommages-intérêts punitifs. Elle a dit :
Je ne crois pas qu’à l’époque du congédiement de M. Beaird, ou de fait à aucun autre moment, Westinghouse a fait preuve de méchanceté particulière à son égard. Peut-être la compagnie a-t-elle montré une certaine dureté en lui retirant brutalement des avantages sociaux alors qu’il n’était pas encore clair qu’il pouvait exercer un emploi, mais la compagnie s’est comportée avec plus de maladresse que de méchanceté. Cependant, au fil du temps, et particulièrement après l’introduction de cette action, la conduite de la compagnie est devenue de plus en plus répréhensible.
[18] Il semble que l’inquiétude du juge de première instance au sujet de ce qu’elle estimait être la conduite répréhensible de Westinghouse s’est entièrement concentrée sur la façon dont le docteur H.R. Galway a traité deux rapports médicaux obtenus à la suite d’un examen médical effectué sur consentement. Le premier rapport était daté le 24 février 1995, suivi d’un rapport complémentaire en date du 7 novembre 1995. Les rapports concluaient à l’invalidité permanente de l’intimé. Le juge de première instance a reconnu que même après réception du premier rapport, Westinghouse avait * une excuse raisonnable pour retarder la réintégration +. Cependant, l’omission de transmettre une copie du rapport à l’avocat de l’intimé, comme l’exigent les Règles de procédure civile, constituait une * conduite dure et répréhensible +. Ceci en dépit du fait que saisie d’une requête à l’ouverture du procès visant la radiation de la défense de Westinghouse pour défaut de communication de ces deux rapports, le juge de première instance avait statué comme suit :
[TRADUCTION]
. . . la défenderesse aurait dû produire les rapports en temps utile, permettant ainsi à l’avocat du demandeur de se préparer au procès en connaissant l’existence de ces deux rapports favorables. Je considère que le retard dans ce cas soulève non pas une question de préjudice justifiant la radiation de la défense, mais plutôt une question de dépens. Ceux-ci sont un redressement à l’égard de cette production tardive. [C’est moi qui mets les italiques.]
[19] En dernière analyse, ces rapports sont devenus essentiels à la conclusion du juge de première instance relativement au droit du demandeur de recevoir des dommages-intérêts punitifs. Elle a dit :
[TRADUCTION]
Je conclus que le demandeur a droit à des dommages-intérêts punitifs, que je lui accorde au montant de 32 000 $. En fixant ce montant, je tiens compte du fait qu’en l’espèce, on n’a pas invoqué la malhonnêteté et la somme devrait être inférieure à celle qui a été accordée dans l’affaire Ribeiro [Ribeiro v. Canadian Imperial Bank of Commerce et al. (1989), 67 O.R. (2d) 385 (J.H.C.)]. En effet, la conduite répréhensible est de nature différente. Elle consiste, d’une part, en un refus de reconnaître un droit et d’aider le demandeur alors que son droit aurait dû être reconnu et qu’il aurait dû recevoir de l’aide, et, d’autre part, en l’omission de fournir des éléments de preuve qu’elle était légalement tenue de produire.
J’ai adjugé des dommages-intérêts punitifs au montant de 32 000 $ au motif que la conduite de la défenderesse est devenue progressivement plus scandaleuse. J’ai, grosso modo, calculé les dommages-intérêts au tarif de 1 000 $ par mois de décembre 1995 à novembre 1996 pour un total de 12 000 $, et par la suite au tarif de 2 000 $ par mois et au tarif légèrement plus élevé pour ce mois de septembre partiel, soit le total de 20 000 $ pour cette période.
Les questions en litige
[20] Cette action a débuté d’une part, comme une demande de jugement déclaratoire contre Westinghouse, concluant qu’il avait été injustement mis fin au contrat de travail de l’intimé et, d’autre part, comme une demande de redressement accessoire pour la perte d’avantages consécutifs au congédiement. Toutefois, au moment où l’affaire a été instruite, l’action se limitait simplement à une demande pour perte d’avantages. À la fin de la présentation de la preuve, les parties ont annoncé que Westinghouse avait réglé la demande de prestations en convenant de rétablir l’admissibilité de l’intimé à tous les avantages. Les questions dont nous sommes saisis sont les suivantes :
1. L’intimé avait-il droit à des dommages-intérêts majorés en raison de l’omission apparente de Westinghouse de l’aider à obtenir des prestations d’invalidité de longue durée?
2. L’intimé avait-il droit à des dommages-intérêts punitifs?
Analyse
[21] L’intimé s’est désisté de son action pour renvoi injustifié avant le début du procès. La faute secondaire donnant ouverture à un droit d’action, à savoir que Westinghouse n’a pas reconnu et appuyé l’admissibilité de l’intimé à des prestations pour invalidité de longue durée, est alors devenue la cause principale d’action. À la conclusion de la preuve, les parties ont réglé l’aspect indemnitaire de la nouvelle demande principale. La tâche incombait alors au juge de première instance de déterminer si la preuve justifiait l’adjudication de dommages-intérêts majorés et punitifs.
[22] Les dommages-intérêts majorés sont indemnitaires, alors que les dommages-intérêts punitifs, comme l’indique leur nom, constituent une punition imposée par le tribunal. Avant que des dommages-intérêts majorés ou des dommages-intérêts punitifs puissent être accordés, le demandeur doit démontrer l’existence d’une faute distincte donnant ouverture à un droit d’action.
Dommages-intérêts majorés
[23] Bien que l’intimé se soit désisté de son action pour renvoi injustifié, le juge de première instance n’a pas compris que le renvoi n’était plus la cause principale d’action à laquelle pouvait se rattacher une faute distincte donnant ouverture à un droit d’action. Elle a conclu que * Westinghouse a manqué à ses obligations envers le demandeur en le congédiant sans l’aider à obtenir des prestations de longue durée en vertu du régime de protection du revenu de la compagnie. + [C’est moi qui mets les italiques]. En renonçant à l’action pour renvoi injustifié, l’intimé a implicitement reconnu que Westinghouse pouvait mettre fin à son emploi parce qu’en raison de sa blessure, il était incapable de remplir ses fonctions habituelles ou toutes autres qui existaient chez Westinghouse. Dans la mesure où la conclusion susmentionnée du juge de première instance se limite à la question de la responsabilité de Westinghouse à l’égard de son défaut de faire reconnaître l’admissibilité de l’intimé aux prestations de longue durée de la Mutuelle, elle ne tient compte d’aucun élément de preuve, dont la conduite et les affirmations de l’intimé, à savoir qu’il n’était pas invalide au sens de la définition prévue par le régime de protection du revenu au moment de son renvoi. Dès que l’intimé a modifié sa position, au moment où il pouvait être admissible aux avantages de la seconde étape, Westinghouse a transmis sa demande à la Mutuelle.
[24] Plus important pour le présent appel, en accordant des dommages-intérêts majorés pour préjudice moral, le juge de première instance a déclaré que les souffrances de l’intimé * ont été la conséquence directe de la conduite répréhensible + de Westinghouse, c’est-à-dire celle qu’elle a démontrée * en le congédiant sans l’aider à obtenir des prestations de longue durée en vertu du régime de protection du revenu de la compagnie +. Le juge de première instance a raisonné que les parties se rendaient compte, au moment où elles ont conclu un contrat de travail,* que son renvoi et le refus de lui verser des prestations dans les circonstances en cause, lui causeraient un préjudice moral +. Ceci est une adjudication directe de dommages-intérêts procédant d’une action pour renvoi injustifié. Comme telle, elle constitue un exposé erroné du droit.
[25] L’idée qu’il peut y avoir lieu d’accorder des dommages-intérêts pour préjudice moral dans les actions pour renvoi injustifié, parce que leur adjudication était envisagée par les parties au moment où a été conclu le contrat de travail, a été rejetée par la majorité de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vorvis, précité. Le juge McIntyre, qui s’exprimait pour la majorité de la Cour, s’est référé à la règle contemporaine du droit du travail selon laquelle, en l’absence de convention collective, l’une ou l’autre des parties peut résilier le contrat de travail moyennant un préavis raisonnable. Conséquemment, le seul préjudice qui pourrait découler de la résiliation serait celui qui résulte de l’omission de donner ce préavis. Le juge McIntyre a dit à la p. 205 :
Je ne voudrais pas qu’on conclue de mes propos que des dommages-intérêts majorés ne peuvent jamais être accordés dans une affaire de renvoi injustifié, surtout quand les actes reprochés donneraient eux-mêmes ouverture à un droit d’action, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Comme le souligne le juge Hinkson de la Cour d’appel, à la p. 46 :
[TRADUCTION] Le demandeur n’a pas laissé entendre que les actes accomplis par Reid pendant les mois qui ont précédé la cessation de son emploi constituaient une violation de contrat. Selon le raisonnement adopté dans l’arrêt Brown le comportement de Reid ne constitue pas un chef distinct de dommages-intérêts dans l’action pour violation de contrat.
Sa mention de l’arrêt Brown concernait les propos tenus par le juge Weatherston dans l’arrêt Brown v. Waterloo Regional Board of Commissioners of Police, précité, [(1983), 150 D.L.R. (3d) 729 (C.A. Ont.)] à la p. 736, où il a affirmé au nom de la cour :
[TRADUCTION] Si le comportement de l’une des parties cause une perte ou un préjudice à l’autre, mais ne donne pas ouverture à un droit d’action, il se peut qu’il ne constitue pas un chef distinct de dommages-intérêts dans une demande fondée sur un méfait donnant ouverture à un droit d’action. Pour être susceptible de redressement, le préjudice subi doit découler d’un méfait donnant ouverture à un droit d’action. Il ne suffit pas qu’un comportement, qui en lui-même ne donne pas ouverture à un droit d’action, soit relié d’une façon quelconque à un comportement qui donne lieu à poursuite.
[26] Il n’y avait qu’une seule cause d’action, à savoir le défaut de reconnaître et d’appuyer la demande de prestations d’invalidité de longue durée de l’intimé. Je ne suis pas sûr de l’existence d’une telle cause d’action, mais si elle existe, il est nécessaire de trouver une faute supplémentaire donnant ouverture à un droit d’action pour fonder une demande de dommages-intérêts majorés.
[27] En concluant à la responsabilité, le juge de première instance s’est appuyée sur la décision Tarailo v. Allied Chemical Canada Ltd. (1989), 68 O.R. (2d) 288, rendue par le juge R. E. Holland, de la Haute Cour de justice. Bien que les faits dans l’affaire Tarailo aient été semblables à ceux de l’espèce à plusieurs égards, il faut souligner que l’affaire se limitait à une demande de dommages-intérêts indemnitaires. Il n’a pas été question de dommages-intérêts majorés ni punitifs.
[28] Dans l’affaire Tarailo, l’employé était invalide en raison d’une maladie mentale, dont ne s’était pas rendu compte son employeur parce qu’elle ne lui avait pas été révélée. Son congédiement pour faute de faire correctement son travail a mis fin à son admissibilité à des avantages d’invalidité permanente. Le juge de première instance a conclu ce qui suit :
[TRADUCTION]
Je suis convaincu que M. Tarailo a été empêché par sa maladie de travailler et de gagner son revenu habituel au cours de la période de six mois suivant le 6 septembre 1978 [date de la cessation de son emploi]. Il y a peu de preuves contraires. Il a tenté sa chance à la Bourse, sans grand succès. Il s’imaginait avoir percé le secret du marché. Il souffrait d’une grave maladie mentale.
. . .
M. Tarailo était un employé permanent à plein temps de Allied lorsqu’il est tombé malade. Il est devenu admissible à des avantages lorsque sa maladie l’a empêché de travailler. Allied ne pouvait pas couper ces avantages en congédiant M. Tarailo ou en lui disant qu’il allait être congédié et en acceptant ensuite sa démission.
[29] M. Tarailo a intenté une action pour renvoi injustifié. Il a aussi réclamé des dommages-intérêts parce qu’on lui a refusé à tort ses avantages de courte et de longue durée. L’action pour renvoi injustifié contre son employeur a été rejetée, mais l’action contre l’employeur et l’assureur à l’égard des avantages refusés a été accueillie.
[30] Selon mon appréciation des faits, l’employeur n’aurait pu connaître la maladie mentale de son employé avant qu’il décide de le licencier. Cependant, après que le superviseur a reçu des lettres de l’employé dans lesquelles il racontait sa maladie et déclarait recevoir des traitements, l’employeur aurait dû constater que son employé était mentalement affecté depuis déjà quelque temps. Le superviseur avait des formules de demandes de prestations d’invalidité adressées à l’assureur, mais il n’a pas jugé qu’il était tenu d’aviser l’employé de ce recours possible. Selon le juge de première instance, il aurait dû faire au moins cela. L’employeur avait la responsabilité d’aider son employé à soumettre une demande de prestations d’invalidité parce qu’il s’était engagé à le faire dans une brochure qui exposait les avantages disponibles. Dans ces circonstances, le juge de première instance a conclu que l’employeur était l’agent de l’assureur lorsqu’il s’agissait du traitement des avantages. Dans ses motifs, il a dit à la page 299 :
[TRADUCTION]
Les dirigeants ou les employés de Allied auraient dû comprendre, lorsqu’ils ont reçu les lettres de novembre 1979, que la négligence de leur part pouvait être susceptible de causer du tort à leur ex-employé. Il ne leur appartenait pas de décider si une demande était justifiée, mais ils devaient plutôt* aider à remplir les formules requises +. M. Tarailo peut fort bien avoir été si affecté mentalement qu’il ne savait pas qu’il pouvait avoir droit de faire une demande. Je conclus qu’il y avait obligation envers lui. Il ne semble exister aucune considération qui devrait abolir, réduire ou limiter l’étendue de cette obligation ou des dommages-intérêts auxquels sa violation pourrait donner lieu. Allied n’a rien fait pour aider M. Tarailo.
[31] Dans les circonstances exceptionnelles de l’affaire Tarailo, le juge Holland a conclu que l’employé était devenu invalide avant son congédiement, et qu’en conséquence il avait droit de réclamer les prestations d’invalidité de courte et de longue durée stipulées dans son contrat de travail. Les motifs du congédiement de l’employé étaient sans importance. La nature de sa maladie l’empêchait de constater son invalidité et en toute justice, elle a aussi empêché ses supérieurs de se rendre compte que la conduite aberrante qui a causé son renvoi était imputable à cette maladie. Le fait qu’il n’était pas possible de constater l’invalidité de M. Tarailo avant son congédiement ne lui retirait pas le droit de réclamer les avantages d’invalidité que lui accordait son contrat de travail. La compagnie était responsable à l’égard des prestations de courte durée et l’assureur, responsable à l’égard des prestations de longue durée. L’assureur ne pouvait invoquer la présentation tardive de la demande de prestations parce que la compagnie était son agent aux fins de la transmission de la demande à l’assureur.
[32] Bien comprise, la décision Tarailo ne crée pas un précédent qui consacrerait l’existence d’une cause d’action indépendante pour des avantages d’invalidité découlant de la * violation, par Westinghouse, de son obligation de bonne foi +. Le jugement constituait la reconnaissance des prestations d’invalidité dues à M. Tarailo en vertu de son contrat de travail.
[33] Dans l’affaire portée en appel, il y a eu désistement de l’action visant à obtenir un jugement déclaratoire concluant au renvoi injustifié, et la demande de dommages-intérêts indemnitaires pour perte d’avantages prévus par l’ensemble des avantages offerts a été réglée. Par conséquent, nul n’est besoin de se demander si les demandes étaient fondées en droit. Toutefois, acceptant l’argument de l’intimé selon lequel la question de la responsabilité à l’égard de la perte des avantages était toujours valide aux fins d’apporter une solution à la demande encore pendante de dommages-intérêts majorés, il n’y a pas place à une autre conclusion qu’il existe une faute donnant ouverture à un droit d’action pour appuyer une demande de dommages-intérêts majorés. La même observation vaut à l’égard de la demande de dommages-intérêts punitifs.
Dommages-intérêts punitifs
[34] Alors que les dommages-intérêts majorés sont indemnitaires, les dommages-intérêts punitifs constituent une punition imposée à une personne par le tribunal. Cependant, la punition ne peut être imposée simplement parce que le juge des faits considère défavorablement cette personne dans l’abstrait. Cela a été exprimé de la façon suivante par le juge McIntyre dans l’arrêt Vorvis, précité, à la page 206 :
Quand peut-on accorder des dommages-intérêts punitifs? Il ne faut jamais oublier que lorsqu’elle est imposée par un juge ou un jury, une punition est infligée à une personne par un tribunal en vertu du processus judiciaire. Qu’est-ce qui est puni? Ce ne peut certainement pas être simplement le comportement que le tribunal désapprouve, quels que puissent être les sentiments du juge. Dans une société civilisée, on ne saurait infliger de peine sans une justification en droit. L’imposition d’une telle peine ne peut se justifier [que] par la conclusion qu’il y a eu méfait donnant ouverture à un droit d’action et qui a causé le préjudice allégué par le demandeur.
[35] Les deux conditions essentielles à l’adjudication de dommages-intérêts punitifs ont été énoncées par le juge d’appel Laskin au paragraphe [22] de son jugement dans l’affaire Whiten v. Pilot Insurance Co., [1999] O.J. No. 237 :
[TRADUCTION]
Pour qu’il y ait adjudication de dommages-intérêts punitifs, deux conditions doivent être remplies : premièrement, le défendeur doit avoir commis une faute indépendante et distincte donnant ouverture à un droit d’action qui a causé un préjudice au demandeur et, deuxièmement, la conduite du défendeur doit être suffisamment * dure, vengeresse, répréhensible ou malicieuse + [Vorvis, p. 208] ou * si malveillante, opprimante et abusive qu’elle choque le sens de dignité de la cour », [Hill c. Église de scientologie de Toronto,[1995] 2 R.S.C. 1130, à la p. 1208]
[36] Dans l’arrêt Whiten, notre cour a élargi le concept de la faute donnant ouverture à un droit d’action en tant que fondement d’une adjudication de dommages-intérêts punitifs. La cour a admis que la prétention qu’un assureur a agi de mauvaise foi à l’égard d’une demande d’assurance pouvait être considérée comme une faute distincte donnant ouverture à un droit d’action dans une action en dommages-intérêts pour perte de l’assurance prévue dans la police. En d’autres termes, la violation de l’obligation de l’assureur d’agir de bonne foi constitue une faute distincte ou indépendante de la faute à l’égard de laquelle une indemnité est versée.
[37] Cependant, aucune faute distincte donnant ouverture à un droit d’action n’existe en l’espèce, et le juge de première instance n’en a mentionné aucune. De fait, comme je l’ai dit plus tôt, le juge de première instance semble avoir procédé à son examen en tenant pour acquis qu’il lui était loisible d’adjuger des dommages-intérêts punitifs presqu’exclusivement en raison du traitement accordé par l’avocat de Westinghouse aux deux rapports médicaux du docteur Galway. Cette approche soulève deux problèmes.
[38] Premièrement, la violation des Règles de procédure civile ne constitue pas une faute donnant ouverture à un droit d’action. La mauvaise conduite d’un procès se soldera généralement par l’adjudication de dépens. Par exemple, dans l’arrêt Gerula v. Flores (1995), 126 D.L.R. (4th) 506 (C.A. Ont.), le juge d’appel Weiler a dit à la page 527 : * les dépens-procureur client devraient se rapporter à la conduite de l’action et non à la conduite qui aurait pu faire l’objet de dommages-intérêts punitifs +. Bien qu’elle ait attribué des dommages-intérêts punitifs pour la * conduite tout à fait contraire à la déontologie + de la défenderesse, elle a conclu que les dépens procureur-client étaient la sanction appropriée pour la mauvaise conduite subséquente du procès.
[39] L’obligation faite à l’avocat de l’appelant de produire les rapports concernés se trouve dans les Règles (règle 33.06(2)) et les mêmes Règlesrendent l’appelant susceptible de deux sanctions pour défaut de s’exécuter. L’une de ces sanctions est la radiation de la défense (règle 33.07), et l’autre est l’adjudication de dépens. Le juge de première instance a refusé d’imposer la première sanction, et elle a imposé la seconde sans la forme de l’attribution de dépens procureur-client de la fin août 1987 jusqu’au procès et par la suite.
[40] Le second problème tient à ce que l’intimé n’a pas respecté la seconde condition posée par le juge d’appel Laskin relativement à la nature de la conduite qui pourrait justifier des dommages-intérêts punitifs. La conduite de Westinghouse doit être suffisamment * dure, vengeresse, répréhensible ou malicieuse + ou * si malveillante, opprimante et abusive qu’elle choque le sens de dignité de la cour +. La conduite générale de l’appelante ne peut absolument pas mériter les épithètes péjoratives nécessaires à l’attribution de dommages-intérêts punitifs. En fait, le juge de première instance n’a même pas tenté de tirer une telle conclusion. J’éprouve beaucoup de sympathie pour la position de l’appelante lorsqu’elle dit que le juge n’aurait pas du considérer que les rapports du docteur Galway apportaient la réponse définitive à la question de savoir si l’intimé était invalide de façon permanente à partir de la date de sa blessure. À mon sens, le juge de première instance a accordé trop d’importance à ces deux rapports. Le docteur Galway a été cité comme témoin et il a témoigné au sujet des symptômes débilitants du mal de dos. Il a été forcé de se fier à l’impression subjective de l’intimé quant à l’étendue de ses douleurs. Il ne savait rien des affirmations et actions antérieures de l’intimé qui visaient à démontrer qu’il était apte au travail. Le docteur Galway a concédé que l’exactitude ou la justesse de son opinion dépendait de l’exactitude de la description de l’intimé de ses antécédents médicaux.
Décision
[41] Conséquemment, j’accueillerais l’appel et j’annulerais le jugement de première instance qui adjuge des dommages-intérêts majorés et punitifs. J’accorderais à l’appelante ses dépens de l’appel. Je ne modifierais cependant pas les dépens adjugés en première instance. Le procès était nécessaire et le règlement avec l’appelante n’a pas eu lieu avant la production de toute la preuve. L’attribution de dépens pour sanctionner le défaut de communication des rapports du docteur Galway était également justifiée.