Beaudoin c. Brown et Eadie [1961] O.R. 429

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  • Date : 2024

Beaudoin c. Brown et Eadie [1961] O.R. 429 ONTARIO [COUR D’APPEL DE L’ONTARIO] LES JUGES LAIDLAW, SCHROEDER et MacGILLIVRAY 7 AVRIL 1961

Prescription des actions II G — Taxes III G — Titre possessoire par jonction de possessions — Vente pour taxe d’un bien — Achat par l’épouse du titulaire du titre possessoire — Rachat par le propriétaire inscrit antérieur — Effet du rachat — Si le titre possessoire est affecté ou non — Assessment Act (Ont.), art. 167.

Une personne en possession d’un bien-fonds sans titre a un intérêt transmissible et, si elle procède à une vente moyennant contrepartie, son successeur peut invoquer la jonction de possessions pour revendiquer un titre possessoire en vertu de la Limitations Act, L.R.O. 1950, chap. 207 [maintenant L.R.O. 1960, chap. 214] contre le propriétaire inscrit. Toute privation de possession ultérieure d’une durée inférieure à la période requise de 10 ans n’aura aucun effet sur le titre possessoire acquis.

 Pour écarter les doutes et se doter d’un acte d’adjudication, le titulaire du titre possessoire a laissé les taxes s’accumuler et a fait acheter le bien par son épouse lors d’une vente pour taxe, mais le titulaire du titre inscrit a payé les sommes relatives au rachat et a reçu un certificat de rachat pour taxe et non un acte d’adjudication. Arrêt : En vertu de l’art. 167 de l’Assessment Act, L.R.O. 1950, chap. 24 [maintenant L.R.O. 1960, chap. 23], le versement des sommes relatives au rachat a eu pour effet de restituer le bien-fonds au propriétaire, que celui-ci fût inscrit ou non, et de libérer le bien-fonds de la revendication de la personne qui l’a acheté lors de la vente pour taxe, une conclusion qui est étayée par le par. 47(2) de la Department of Municipal Affairs Act, L.R.O. 1950, chap. 96 [maintenant L.R.O. 1960, chap. 98]. La personne qui paie les sommes relatives au rachat n’obtient pas le titre au motif qu’elle a payé ces sommes ou qu’elle a reçu un certificat de rachat pour taxe. Sa position n’est pas non plus améliorée par l’enregistrement du certificat de rachat ou la prétendue concession du bien-fonds à une autre personne. La Registry Act, L.R.O. 1950, chap. 336 [maintenant L.R.O. 1960, chap. 348] n’a pas d’effet sur une revendication découlant de l’application de la loi, par ex., une revendication de titre possessoire.

 APPEL interjeté contre le rejet d’une action en revendication de la possession d’un bien-fonds. Infirmé.

 Le jugement de la Cour a été rendu par

 LE JUGE MACGILLIVRAY :— Le présent appel est interjeté par le demandeur à l’encontre d’un jugement prononcé par le juge Currey de la Cour de district du district de Sudbury le 24 juin 1959, dans lequel il a rejeté l’action du demandeur en revendication de la possession d’un bien-fonds et visant à obtenir une ordonnance déclaratoire, une indemnité d’occupation et d’autres mesures réparatoires.

 Les biens-fonds en question sont situés dans la municipalité de Little Current et sont décrits comme étant constitués de la moitié est du lot 29 sur le côté nord de la rue Blake, dans le lotissement de Shaftesbury, dans le district de Manitoulin.

 La défenderesse, Nina Eadie, est devenue la propriétaire inscrite des biens-fonds par voie d’acte de transport daté du 18 mai 1933 et enregistré le 30 mai 1933. Bien qu’il y eût une maison sur les lieux en question et qu’elle ait vécu dans la municipalité de Little Current ou aux alentours de celle-ci au cours des années qui ont suivi jusqu’au moment de la présente action, il semble qu’elle n’ait rien fait avec la propriété jusqu’en juillet ou août 1957. À l’époque, le demandeur, qui était en possession des biens-fonds par l’intermédiaire de son locataire, avait laissé les taxes s’accumuler, puisqu’il croyait qu’il était nécessaire de libérer le titre en obtenant un acte d’adjudication. Lors d’une vente pour taxe en septembre 1956, il avait fait acheter les biens-fonds par son épouse. Par la suite, le greffier-trésorier de la municipalité a envoyé un avis de la vente à Nina Eadie, qui était encore la propriétaire inscrite sur le titre. Après avoir reçu l’avis, Nina Eadie a, pour la première fois en plus de 20 ans, démontré un intérêt pour le bien assujetti aux taxes. Elle a payé tous les arriérés aux termes de l’avis et, le 14 août 1957, elle a reçu un certificat de rachat pour taxe pour les biens-fonds en question. Le lendemain, le 15 août 1957, elle a effectué un transport desdits biens-fonds en faveur du défendeur Alex Brown qui, à l’époque, occupait les locaux en tant que locataire du demandeur.

 La revendication du demandeur est fondée sur les faits suivants. Avant une certaine date en 1937 ou 1938, William Wallace Eadie était en possession des biens-fonds. À une certaine date en 1937 ou 1938, il a vendu ou censément vendu les biens-fonds à Clifford James Collins qui, à son tour, les a revendus au demandeur en 1946. On ne sait pas très bien quand William Wallace Eadie est entré en possession des biens-fonds pour la première fois. Toutefois, il a témoigné qu’après avoir occupé les locaux pendant une courte période, il les a loués à un dénommé Vern McGovern, qui les a occupés pendant deux ans, jusqu’au moment de la vente à M. Collins. Celui-ci n’a jamais occupé les locaux, mais il les a loués tout d’abord à Vern McGovern, ensuite à Roy Stringer et en dernier lieu à Bill Buzwah, qui les occupait au moment de leur vente au demandeur. Après avoir acheté le bien en 1946, le demandeur l’a remanié pendant plusieurs mois avant d’y emménager en décembre de cette année-là. La municipalité de Little Current a commencé à établir des cotisations à l’égard de M. Collins en sa qualité de propriétaire en 1939 et a continué à le faire jusqu’en 1943. Les registres de la municipalité pour 1944 et 1945 sont introuvables, mais il est probable que la municipalité a continué à établir des cotisations à l’égard de M. Collins pendant ces années-là. En 1946 et par la suite, des cotisations ont été établies à l’égard du demandeur en sa qualité de propriétaire. Monsieur Collins a témoigné qu’il avait reçu un acte de transport des biens-fonds de la part de William Wallace Eadie au moment de l’achat. Dans son témoignage, M. Collins a aussi précisé qu’il avait remis un acte au demandeur. Les livres comptables d’un praticien de l’immobilier local indiquaient qu’un droit relatif à un acte remis à M. Beaudoin avait été payé le 19 avril 1947. Aucun document n’a été enregistré par l’une quelconque des parties se trouvant en possession des biens-fonds et l’on pensait qu’une partie ou la totalité des documents avaient été détruits dans un incendie qui a démoli la maison du demandeur au printemps de 1947. William Wallace Eadie a aussi témoigné qu’il avait reçu un acte de la propriétaire inscrite (bien qu’il ne fût pas certain de la date ou des circonstances de la réception de l’acte, étant donné qu’il avait conclu un nombre de transactions avec elle au cours de ces années-là) et qu’il l’avait remis à M. Collins au moment de la vente à celui-ci. Nina Eadie, qui a comparu devant le tribunal, n’a pas nié ce témoignage, ni celui des trois témoins selon lequel elle n’avait jamais mis pied sur les biens-fonds et n’avait jamais fait valoir une revendication à l’égard de ceux-ci pendant toute la période au cours de laquelle les témoins étaient en possession des biens-fonds.

 Tel qu’il a déjà été mentionné, la maison du demandeur a été victime d’un grave incendie au printemps de 1947. Une indemnité d’assurance a été payée au demandeur et à son vendeur, M. Collins, et le demandeur a reconstruit la maison aussitôt après. Les documents qu’il avait en sa possession ayant été détruits, il a commencé à songer à la nécessité d’avoir un titre documentaire pour les biens-fonds. Il a donc laissé les taxes s’accumuler dans l’intention d’acquérir un acte d’adjudication de la municipalité. En raison d’une erreur de calcul, il n’était pas présent à la vente des biens-fonds en 1952 et ceux-ci ont été achetés par un dénommé Benjamin Becks. Sur réception de son certificat de vente pour taxe, M. Becks a présenté une demande de loyer au demandeur, après quoi celui-ci a payé l’arriéré et la pénalité et reçu un certificat de rachat de la municipalité.

 Ces efforts s’étant avérés vains, le demandeur a jugé nécessaire d’essayer de nouveau et a encore une fois laissé les taxes s’accumuler. Les biens-fonds ont été mis en vente en 1956 et, à cette occasion, le demandeur a fait assister son épouse à la vente et lui a fait acheter les biens-fonds. L’épouse a alors reçu un certificat de vente pour taxe. Par la suite, Nina Eadie s’est vu signifier un avis de la vente et a racheté les biens-fonds. Le greffier municipal n’a pu expliquer pourquoi Nina Eadie ne s’était pas vu signifier un avis au moment de la vente en 1952. Les sommes payées par May Beaudoin en même temps qu’un supplément de 10 % lui ont été retournées après le rachat en 1957.

 Lorsqu’il a rejeté l’action du demandeur, le juge du procès a déclaré ce qui suit :

 

[TRADUCTION]

 À la lumière de la preuve du demandeur, je ne suis pas convaincu que ce dernier ait irréfutablement prouvé l’existence d’un titre possessoire, même s’il a occupé les locaux pendant huit ans. Compte tenu des faits énoncés ci-dessus, il s’ensuit donc que la propriété enregistrée du bien par la défenderesse Nina Eadie depuis 1933 doit l’emporter et que celle-ci est, à mon avis, la propriétaire en common law du bien avant son transport en faveur du défendeur Brown.

 

 Les motifs énoncés ci-dessus ne permettent pas à notre Cour de savoir comment le savant juge du procès en est arrivé au chiffre de huit ans ou à sa décision selon laquelle le demandeur n’avait établi aucun titre possessoire. Puisqu’il ne précise pas qu’il n’a pas accepté la preuve d’un témoin, il faut tenir pour acquis que sa décision n’était pas fondée sur une question de crédibilité. Il doit s’ensuivre que sa conclusion est fondée sur les conclusions qu’il a tirées de la preuve et de celles qu’il a tirées des faits. Dans de telles circonstances, notre Cour est aussi bien placée que le juge du procès pour tirer une conclusion de fait et elle est tenue d’examiner la preuve dans le but d’en arriver à sa propre conclusion (Maddock v. Maddock & Beer, 16 D.L.R. (2d) 325 à la p. 334, [1958] O.R. 810 à la p. 814).

 William Wallace Eadie a eu la possession incontestée du bien pendant deux ans avant son transfert à M. Collins en 1937 ou 1938. Toutefois, en raison de cette date incertaine, il sera opportun d’examiner la situation à partir du 1er janvier 1939. J’estime qu’il ressort clairement de son témoignage que M. Collins a pris possession du bien par l’intermédiaire de ses locataires au moment où il a acheté le bien et qu’il en a conservé la possession jusqu’en 1946, lorsqu’il l’a vendu au demandeur. Par conséquent, il était en possession du bien le 1er janvier 1939 et a continué à l’être jusqu’à ce que le demandeur achète son intérêt, après quoi le demandeur a occupé les locaux jusqu’en 1955. L’article 4 de la Limitations Act, L.R.O. 1950, chap. 207 [maintenant L.R.O. 1960, chap. 214], prévoit que le droit d’une personne d’entrer ou d’intenter une action en revendication d’un bien-fonds se prescrit par dix ans à compter de la naissance du droit.

 L’article 15 de la même loi se lit comme suit :

 

 [TRADUCTION] À l’expiration du délai que la présente loi accorde à une personne pour exercer un droit d’entrée, pratiquer une saisie-gagerie ou intenter une action, le droit et le titre de cette personne sur le bien-fonds ou le loyer, pour la revendication duquel cette entrée ou cette saisie-gagerie aurait pu être effectuée ou cette action intentée, sont éteints

 

 Le délai prévu par la loi a commencé à courir contre Nina Eadie en sa qualité de propriétaire inscrite le 1er janvier 1939. Entre cette date-là et le 1er janvier 1949, aucune demande n’a été présentée au demandeur ni à M. Collins et aucun droit sur les biens-fonds n’a été revendiqué par Nina Eadie ou pour son compte; aucune reconnaissance n’a été formulée par le demandeur ou son prédécesseur. De plus, il n’est pas contesté que, pendant cette période, le demandeur et M. Collins jouissaient de la possession non contestée et paisible du bien. Vu ces circonstances, tout droit ou titre de Nina Eadie relatif aux biens-fonds en question était éteint le 1er janvier 1949.

 En ce qui concerne le droit de possession des biens-fonds qui revient au demandeur, il est de jurisprudence constante qu’une personne ayant la possession d’un bien sans en détenir le titre a un intérêt dans le bien qu’elle peut faire valoir contre quiconque, exception faite du propriétaire légitime, et qu’un tel intérêt est transmissible. Une fois l’intérêt transmis à une autre personne, celle-ci a, dès la fin de la période fixée par la loi, un droit de possession aussi valable que celui qu’elle aurait eu si elle avait occupé le bien elle-même pendant toute la période (Asher et al. v. Whitlock (1865), L.R. 1 Q.B. 1; Perry v. Clissold, [1907] A.C. 73).

 Bien que le document en vertu duquel le demandeur a acquis le titre des biens-fonds n’ait pas été produit, le témoignage du demandeur et celui de M. Collins indiquent clairement que M. Collins a transmis son intérêt à Mme Beaudoin moyennant contrepartie. Je suis d’avis de conclure qu’en janvier 1949, tout intérêt de Nina Eadie relatif aux biens-fonds avait été éteint et le titre possessoire du demandeur avait été établi.

 L’argument présenté à notre Cour visait essentiellement la période ultérieure à 1949 et l’effet des ventes pour taxe des biens-fonds en 1952 et en 1956. À ces deux occasions, le demandeur, soit en personne soit par l’intermédiaire de son locataire, avait continué à occuper les biens-fonds entre la vente pour taxe et le rachat. La première fois, en 1952, l’acheteur lui avait présenté une demande de paiement de loyer, demande à laquelle le demandeur avait répondu sans délai en rachetant le bien. La deuxième fois, aucune demande de paiement de loyer n’a été présentée, puisque l’acheteuse était l’épouse du demandeur et agissait évidemment à titre de mandataire du demandeur. On a fait valoir qu’en raison du par. 166(1) de l’Assessment Act, L.R.O. 1950, chap. 24 [maintenant L.R.O. 1960, chap. 23], le demandeur a été privé de la possession au cours desdites périodes. Bien entendu, il serait nécessaire que notre Cour décide si une interruption de possession a eu lieu ou non, si une telle décision était essentielle afin d’établir le titre du demandeur en vue de prolonger sa possession au cours desdites périodes. Toutefois, une telle décision est inutile, puisque notre Cour a déjà conclu qu’en 1949, le demandeur avait acquis le titre possessoire. À partir de ce moment-là, il avait un titre opposable à tous; ni une entrée par le propriétaire inscrit, ni un paiement ultérieur au propriétaire inscrit qui, dans d’autres circonstances, aurait pu être considéré comme une reconnaissance de titre, ne pouvaient l’annuler. La possession par toute autre personne ne pouvait elle non plus avoir une incidence quelconque sur son titre, à moins qu’il ne soit établi que la possession adversative par cette personne avait duré plus de 10 ans. En l’espèce, même à supposer que le demandeur ait été privé de la possession pendant l’une ou l’autre des périodes susmentionnées (hypothèse sur laquelle je n’exprime aucune opinion), une telle interruption de possession n’aurait duré que pendant une courte période, bien inférieure à une période de 10 ans. Toute interruption de possession résultant des ventes pour taxe n’aurait aucune incidence sur la revendication présentée par le demandeur dans la présente action.

 Il reste à examiner l’effet du paiement des sommes relatives au rachat par Nina Eadie qui, à l’époque, était la propriétaire inscrite. Sur paiement des sommes, elle a reçu un certificat de rachat pour taxe et non un acte d’adjudication. N’ayant pas été l’acheteuse lors de la vente pour taxe, elle n’était pas en mesure d’en demander un. Les nombreuses causes citées devant la Cour et portant sur des situations postérieures à l’octroi d’actes d’adjudication ne sont pas utiles en l’espèce. Il n’est pas non plus nécessaire de discuter de la nature du titre naissant qui a été conféré à l’acheteur lors de la vente pour taxe jusqu’au moment du rachat. La seule question à examiner est celle de l’effet, sur le plan juridique, du paiement des sommes relatives au rachat. À l’art. 167 de l’Assessment Act, sous la rubrique intitulée « Effect of tender of arrears, etc. », elle est abordée comme suit : [TRADUCTION] « 167. Dès l’offre au trésorier du montant intégral des sommes relatives au rachat exigées par la présente loi, l’acheteur cesse d’avoir quelque droit supplémentaire que ce soit se rattachant au bien-fonds en question. ».

 Par conséquent, le plein effet d’un paiement de rachat qui est prévu par la loi est tout au plus la restitution des biens-fonds au propriétaire inscrit ou autre, les biens-fonds étant libres de toute revendication de l’acheteur lors de la vente pour taxe. Par opposition, l’art. 181 de la même loi, qui mentionne l’effet d’un acte d’adjudication, traite expressément du titre des biens-fonds. Il se lit en partie comme suit :

 

[TRADUCTION]

 Si une partie des taxes pour lesquelles un bien-fonds a été vendu conformément à toute loi antérieurement en vigueur en Ontario ou à la présente loi avait, au moment de la vente, été accumulée pendant trois ans tel qu’il est mentionné à l’article 131, et que le bien-fonds n’est pas racheté un an après la vente, celle-ci et l’acte officiel remis à l’acheteur (pourvu que la vente ait été effectuée ouvertement et justement), malgré toute négligence, omission ou erreur de la municipalité ou de tout mandataire ou fonctionnaire de celle-ci relativement à l’imposition ou la perception desdites taxes ou dans le cadre de toute instance ultérieure à la vente, sont définitifs et lient l’ancien propriétaire du bien-fonds et tous ses ayants droit […[ et, si les taxes ne sont pas payées ou le bien-fonds n’est pas racheté de la manière indiquée ci-dessous, il est interdit d’intenter une action en annulation dudit acte ou en recouvrement dudit bien-fonds.

 

 Il est également intéressant d’observer l’effet qu’il faut donner à un certificat de rachat tel qu’il apparaît au par. 47(2) de la Department of Municipal Affairs Act, L.R.O. 1950, chap. 96 [maintenant L.R.O. 1960, chap. 98]. La disposition se lit comme suit :

 

[TRADUCTION]

 Lorsqu’un bien-fonds est racheté en application du présent article, le trésorier enregistre sans délai au bureau d’enregistrement un certificat appelé « certificat de rachat » (formulaire 3) qui contient une description du bien-fonds racheté. Le certificat de rachat enregistré constitue une annulation valide et effective du certificat d’arriérés de taxes enregistré relativement au bien-fonds et, sous réserve du paragraphe 3, le bien-fonds est alors dévolu et appartient alors aux personnes qui y auraient eu droit si le certificat d’arriérés de taxes n’avait pas été enregistré, conformément à leurs droits et intérêts respectifs.

 

 Comme l’énonce la dernière disposition citée, l’enregistrement du certificat de rachat a pour effet de restituer la propriété du bien-fonds à la personne qui y aurait eu droit si le certificat d’arriérés de taxes n’avait pas été enregistré. Il est illogique de croire que l’effet d’un certificat de rachat pour taxe que prévoit la présente loi serait différent de celui que prévoit une autre loi de la même législature qui traite de droits de nature similaire. Le fait qu’à l’art. 167 de l’Assessment Act, il n’a pas été jugé nécessaire de décrire l’effet du rachat en long et en large, ne peut être interprété comme signifiant que la disposition prévoyait un autre effet que celui qui est si clairement énoncé dans la Department of Municipal Affairs Act. De tels mots n’étaient pas non plus nécessaires à cette fin. Par contre, pour faire droit à la prétention des défendeurs, il serait nécessaire d’incorporer dans l’article 167 la conclusion selon laquelle le paiement des sommes relatives au rachat par le propriétaire inscrit avait pour effet de lui conférer les biens-fonds. Or il est impossible de le faire. Comme l’a dit lord Loreburn, L.C., dans l’arrêt Vickers et al. v. Evans (1910), 79 L.J.K.B. 954 à la p. 955 : « Nous n’avons pas le droit d’incorporer des mots dans une loi fédérale, à moins qu’il n’existe dans la loi même des motifs clairs nous permettant de le faire ». Aucun motif clair à cet effet n’existe en l’espèce et, à moins que Nina Eadie ne soit en mesure d’établir, aux termes d’un autre article de la loi, un privilège grevant les biens-fonds pour le montant payé, je suis d’avis que son rachat n’a eu aucune incidence sur le titre du demandeur. Le fait que les sommes relatives au rachat ont été payées par un volontaire et non par le propriétaire n’a également aucun effet. L’adjudicataire était la seule personne qui aurait pu s’opposer au paiement de l’arriéré par un volontaire; puisqu’il ne l’a pas fait, les sommes ont été acceptées à juste titre par la municipalité et la situation qui existait avant la vente pour taxe a été rétablie.

 L’enregistrement du certificat de rachat le 19 août 1957 et de la concession au défendeur Brown le 6 septembre 1957 n’a nullement amélioré la position des défendeurs. La Registry Act, L.R.O. 1950, chap. 336 [maintenant L.R.O. 1960, chap. 348] ne traitait que de l’enregistrement des documents et de l’effet de l’enregistrement. Elle ne visait nullement à traiter d’une revendication découlant de l’application de la loi et non d’un autre instrument et elle ne touchait pas les revendications découlant de l’application de la loi. Je cite les mots du juge Street, qui a rendu le jugement de la Cour dans l’arrêt Israel v. Leith (1890), 20 O.R. 361 à la p. 368 :

 [TRADUCTION]

 

 La Registry Act exige l’enregistrement des instruments touchant les biens-fonds; à l’origine, elle ne portait pas atteinte aux droits en common law ou en equity découlant d’une autre source que les instruments pouvant être enregistrés : Harrison v. Armour, 11 Gr. 303. Elle a ensuite été modifiée de manière à reporter dans certains cas les droits en equity non enregistrés, que ceux-ci soient fondés ou non sur des instruments écrits, sans toutefois traiter des droits en common law découlant d’une autre source que les instruments écrits.

 

 En l’espèce, le demandeur avait un droit en common law, effectivement acquis en vertu de la Limitations Act. Par conséquent, la défenderesse Eadie n’a pas acquis, par l’enregistrement de son certificat, un titre supérieur à celui qu’elle détenait avant l’enregistrement; pour sa part, le défendeur Brown n’a obtenu aucune protection en achetant les biens-fonds de la propriétaire inscrite et en enregistrant un acte à cet effet. La revendication du demandeur est restée prépondérante : Canada Permanent Loan & Savings Co. v. McKay (1881), 32 U.C.C.P. 51; Bishop v. Cox, [1928] 2 D.L.R. 441, confirmé à la p. 990.

 Deux autres arguments restent à examiner. Le premier est fondé sur les mesures prises par le demandeur immédiatement après le rachat par Nina Eadie en 1957. À l’époque, sur l’avis de son avocat, le demandeur a introduit une instance en vertu de la partie III de la Landlord and Tenant Act, L.R.O. 1950, chap. 199 [maintenant L.R.O. 1960, chap. 206] contre le défendeur Brown en sa qualité de locataire des biens-fonds et locaux présentement en cause, pour l’évincer des locaux. L’honorable juge Currey aurait entendu certaines preuves dans l’affaire et a rejeté la demande. Voilà pourquoi les défendeurs dans la présente action prétendent qu’il y a chose jugée. Je ne puis donner effet à l’argument du défendeur en me fondant sur une telle prétention. L’instance n’a pas été mentionnée par le savant juge dans la présente action et la seule preuve concernant ce qui s’est passé à cette occasion apparaît dans le contre-interrogatoire de certains témoins.

 Ni le dossier de la demande ni la preuve entendue n’ont été présentés à notre Cour. De plus, les motifs énoncés par le savant juge à l’appui du rejet de l’action n’ont pas été produits. Il est bien établi en droit que la préclusion de chose jugée ne s’applique que s’il est prouvé qu’il y avait identité des questions et que les questions particulières que l’on cherche maintenant à faire trancher ont été tranchées dans l’instance antérieure. De telles questions doivent être prouvées strictement. Puisqu’aucun des motifs rendus par le savant juge dans l’instance antérieure n’a été présenté, il est impossible de se prononcer sur le motif du rejet de la demande. Il est évident que la demande aurait pu être rejetée pour des motifs autres qu’un motif fondé sur le titre des biens-fonds. De plus, il est bien établi en droit qu’une question ou un titre tel que celui qui est présentement en cause ne devrait pas être tranché dans le cadre d’une demande sommaire; il est raisonnable de croire que le juge n’aurait pas cherché à agir de la sorte : Re Mitchell & Fraser (1917), 38 D.L.R. 597, 40 O.L.R. 389; Re Gordon & Muxlow (1930), 38 O.W.N. 199; Re Edwards, [1957] O.W.N. 562. J’estime qu’aucun cas de chose jugée n’a été établi.

 Selon l’autre argument présenté, le demandeur n’a mentionné que sa propre possession dans sa déclaration et ne s’est pas fondé sur celle de ses prédécesseurs. J’estime que cet argument est lui aussi non fondé, car même si sa déclaration était incomplète, la revendication qu’il a faite ne l’était pas. La revendication visait la [TRADUCTION] « possession des biens-fonds et locaux ». Je ne suis pas d’avis que le défaut de citer les faits dans leur intégralité constitue un défaut fatal dans l’acte de procédure, surtout puisque la preuve a été pleinement présentée au tribunal lors du procès et qu’aucune objection aux actes de procédure n’a alors été soulevée. À l’époque, les témoignages de M. Collins et de William Wallace Eadie ont été entendus et un contre-interrogatoire complet a suivi.

 Pour les motifs énoncés ci-dessus, je suis d’avis d’accueillir le présent appel. Le jugement en appel devrait être annulé et remplacé par un jugement déclarant que, le 15 août 1957, lorsque la défenderesse Nina Eadie a censément effectué un transport desdits biens-fonds en faveur du défendeur Alex Brown, le droit, le titre et l’intérêt de Nina Eadie relatifs auxdits biens-fonds pour lesquels une entrée ou une saisie-gagerie aurait pu être effectuée ou une action intentée, étaient déjà éteints, ledit transport étant alors sans effet. Par ailleurs, un jugement devrait être rendu en faveur du demandeur pour la possession desdits biens-fonds. Puisqu’il n’est pas allégué que le défendeur Brown a causé une détérioration quelconque de la valeur du bien, je suis d’avis que, si un jugement était rendu en faveur du demandeur pour la valeur locative de l’utilisation et de l’occupation du 1er juillet 1957 à la date du présent jugement au taux de 25 $ par mois, le demandeur obtiendrait une indemnisation suffisante pour toute atteinte portée à ses droits possessoires. En conséquence, je suis d’avis d’ordonner que le demandeur recouvre le montant du jugement contre le défendeur Brown, à savoir, la somme de 1 125 $. Le demandeur devrait avoir droit à ses dépens du procès et du présent appel selon le tarif de la Cour suprême.

Appel accueilli.