COUR D’APPEL DE L’ONTARIOLE JUGE MACPHERSON, J.C.A. (EN CHAMBRE)
ENTRE
LE MINISTÈRE DU PROCUREUR GÉNÉRAL (ONTARIO)(intimé)
Amy Alyea etLorna Bolton pour l’intimé
– et –
CONRAD M. BLACK(demandeur/appelant)
Michael Lacypour le demandeur/appelant
Appel entendu : le 12 mars 2007
Appel formé contre le jugement en date du 5 mars 2007, ensemble les motifs de jugement supplémentaires en date du 8 mars 2007, du juge Colin L. Campbell de la Cour supérieure de justice
Le juge MACPHERSON, J.C.A. :A. INTRODUCTION
[1] Le demandeur Conrad Black demande l’autorisation d’interjeter appel du jugement en date du 5 mars 2007, par lequel le juge Colin L. Campbell a ordonné que le contenu de 13 cartons que M. Black, une sienne collaboratrice et son chauffeur avaient enlevés des bureaux de Hollinger Inc. au 10, rue Toronto à Toronto, soit obtenu et produit à un agent de la GRC conformément au paragraphe 17(2) de la Loi sur l’entraide juridique en matière criminelle, LRC (1985), ch. 30 (4e suppl.) (la Loi).
B. LES FAITS DE LA CAUSE(1) Les parties et les événements
[2] M. Black et plusieurs coaccusés ont été inculpés aux États-Unis de divers chefs de fraude à la suite de diverses opérations touchant surtout des clauses de non-concurrence concernant HollingerInternational. Il est aussi inculpé d’entrave à la justice en raison des 13 cartons qu’il a enlevés des bureaux de Hollinger Inc. à Toronto. Le procès doit s’ouvrir le 14 mars 2007 à Chicago (Illinois).
[3] En application des paragraphes 17(2) et 20(1) de la Loi, les autorités américaines ont conclu à ordonnances d’obtention et de transmission relatives aux 13 cartons susmentionnés, à titre d’éléments de preuve potentiels relatifs aux chefs de fraude reprochés aux défendeurs et, en particulier, au chef d’entrave à la justice dont doit répondre M. Black.
[4] La poursuite base son accusation d’entrave à la justice exclusivement sur l’enlèvement par M. Black des 13 cartons en question. En mai 2005, celui-ci avait été déjà inculpé en application de la loi sur les valeurs mobilières, dite Securities Exchange Act, des États-Unis, et savait qu’il faisait l’objet d’une enquête criminelle dans ce pays. Le 20 mai 2005, une demande de production de documents avait été signifiée aux avocats de M. Black et d’autres. Dans leur requête introduite en application de la Loi, les autorités américaines allèguent que s’est passé ce qui suit le même jour :
l. Le 20 mai 2005 ou aux environs de cette date, vers les 14,08 h HNE, une collaboratrice de BLACK a demandé aux vigiles des bureaux sis au 10, rue Toronto, de l’aider à transporter quelque 13 cartons à son véhicule garé au parking à l’arrière de l’immeuble. Pendant que ces vigiles transportaient les cartons, un représentant de Hollinger Inc. a informé l’inspecteur que BLACK prévoyait enlever des cartons de documents des bureaux sis au 10 rue Toronto. Dès qu’il fut mis au courant, l’inspecteur a informé les vigiles de l’ordonnance judiciaire rendue le 17 décembre 2004 au Canada au sujet de l’enlèvement de documents. Subséquemment, les vigiles ont rentré tous les cartons dans les bureaux du 10 rue Toronto.
m. Le 20 mai 2005 ou aux environs de cette date, vers les 17,11 h HNE, BLACK, son chauffeur et sa collaboratrice sont revenus aux bureaux sis au 10 rue Toronto et ont sorti par une porte arrière quelque 13 cartons de documents (qu’il avait essayé d’enlever auparavant dans la même journée) pour les charger dans son véhicule. Son chauffeur est parti ensuite avec ce véhicule transportant les cartons de documents.
[5] Six jours après, le 26 mai 2005, l’avocat de M. Black a remis les 13 cartons entre les mains de l’inspecteur de Hollinger Inc. Depuis le 9 novembre 2006, ces cartons sont gardés au greffe de la Cour supérieure de justice à Toronto.
(2) La décision du juge des requêtes
[6] Le juge saisi de la requête en ordonnance d’obtention introduite en application du paragraphe 17(2) de la Loi, l’a entendue le 27 février 2007 et y a fait droit par motifs rendus publics le 5 mars 2007. À la demande de l’avocat de M. Black, il a rendu publics des motifs supplémentaires le 8 mars 2007.
[7] Le juge a résumé en ces termes sa résolution des points litigieux, vers la fin des motifs pris en premier lieu :
[TRADUCTION] Je conclus en conséquence qu’en dépit des arguments éloquents de l’avocat de Black, il y a lieu à ordonnance d’obtention. Aux fins de cette ordonnance d’obtention, il n’est nécessaire de faire rien d’autre en cet état de la cause au sujet des documents en question puisqu’ils sont sous la garde de la Cour.
L’index original établi pour le compte de l’inspecteur, ensemble les révisions et addenda plus récents, seront mis à la disposition du procureur général.
Je conclus qu’il convient de différer très brièvement l’audition de la requête en ordonnance de transmission en attendant de nouvelles conclusions que soumettrait la partie demanderesse une fois qu’elle aura eu la possibilité d’examiner l’index tel qu’il est en l’état.
À la reprise de l’audition de la requête ajournée, les avocats des parties éclairciront les points suivants, savoir :
a) quels documents figurant sur la liste sont supposés avoir un rapport avec l’assignation à produire de la Commission des valeurs mobilières et, par conséquent, avec l’inculpation d’entrave à la justice;
b) dans quelle mesure il faut permettre l’accès accru aux documents en question par voie d’ordonnance de transmission, vu l’approbation générale donnée par le ministre à la requête;
c) la question du secret des communications et le fondement de la prétention au secret.
[8] L’audition de la requête en ordonnance de transmission a été maintenant fixée pour le 16 mars 2007.
[9] Le demandeur demande l’autorisation d’interjeter appel de la décision du juge des requêtes et, si l’autorisation est accordée, conclut à ordonnance portant suspension de l’ordonnance d’obtention en attendant l’issue de l’appel.
C. LES POINTS LITIGIEUX
[10] La demande en instance soulève les points litigieux suivants :
(1) Faut-il accorder l’autorisation d’appel afin que le demandeur puisse former appel contre l’ordonnance d’obtention rendue par le juge des requêtes?
(2) Dans l’affirmative, faut-il suspendre l’ordonnance d’obtention en attendant l’issue de l’appel?
D. ANALYSE(1) La question de l’autorisation d’appel
[11] La demande d’autorisation d’appel est introduite en application de l’article 35 de la Loi, qui porte :
35. Il peut être interjeté appel, avec son autorisation et sur une question de droit seulement, auprès de la cour d’appel au sens de l’article 2 du Code criminel de toute décision ou ordonnance qu’un juge ou un tribunal au Canada rend en vertu de la présente loi, à la condition d’en demander l’autorisation à un juge de la cour d’appel dans les quinze jours suivant la décision ou l’ordonnance.
[12] Le critère à observer pour savoir s’il y a lieu d’autoriser l’appel sous le régime de l’article 35 de la Loi a été exposé pour la première fois par le juge Southin, J.C.A. (siégeant en chambre du conseil) dans United States of America v. Ross, [1994] B.C.J. No. 971 (C.A.), paragraphe 33, comme suit :
[TRADUCTION] Appliquant dans le contexte de cette loi le critère dégagé pour des dispositions semblables, j’estime que le critère à observer en la matière consiste dans les questions suivantes :
1. La question soulevée n’est-elle pas résolue par la jurisprudence?
2. Est-elle d’importance générale et, dans la négative, est-elle néanmoins d’une grande importance pour la personne dont des droits importants pourraient être en jeu, par exemple sa liberté?
3. L’argument de droit proposé a-t-il un certain fondement; autrement dit, paraît-il sérieux au juge?
4. Y a-t-il d’autres facteurs relevant de l’appréciation discrétionnaire du juge, tel le préjudice éventuel pour le demandeur ou pour l’État demandant la communication des documents en question, qui doivent être pris en considération?
[13] Cette formulation du critère a été explicitement adoptée par notre Cour; v. Re National Cheese& Food Co., [1998] O.J. No. 1988, paragr. 9, motifs pris par le juge Charron, J.C.A. (en chambre), etCanada (Commissioner of Competition) v. Falconbridge Ltd. (2003), 173 C.C.C. (3d) 466, paragr. 9.
[14] Le demandeur soutient que le juge des requêtes a commis trois erreurs qui justifient d’autoriser l’appel, savoir : (1) que le juge a confondu les deux stades, l’obtention et la transmission, dans le processus d’audition de la demande; (2) qu’il a appliqué le mauvais critère juridique pour examiner s’il y avait lieu à ordonnance d’obtention; et (3) qu’il a commis une erreur dans sa conception de la question de l’excision des informations invoquées à tort à l’appui de l’ordonnance d’obtention.
[15] Dans le contexte des erreurs reprochées par le demandeur au juge des requêtes, j’examinerai l’affaire à la lumière des quatre facteurs dégagés dans les précédents Ross, National Cheese etFalconbridge.
(a) Questions non résolues par la jurisprudence
[16] À mon avis, ce facteur ne penche ni de l’un ni de l’autre côté.
[17] Il n’y a guère de jurisprudence sur le lien entre le stade de l’obtention et celui de la transmission dans le processus d’audition, probablement parce que la procédure en obtention est habituellement une procédure ex parte. Par conséquent, ce facteur favorise le demandeur.
[18] Le critère régissant l’examen de la question de savoir s’il y a lieu à ordonnance d’obtention est clair; il a été explicitement mentionné par le juge des requêtes (de fait celui-ci a précisément cité le passage d’un précédent invoqué par le demandeur) et, à mon avis, il a été correctement appliqué par le juge. Ce facteur favorise l’intimé.
[19] La question de l’excision est relativement nouvelle. Cependant, dans le contexte de l’ensemble des éléments de preuve soumis au juge des requêtes, elle ne constitue qu’un point mineur. Ce facteur ne favorise ni l’une ni l’autre partie.
(b) Importance générale ou importance juste pour la personne dont des droits importants sont en jeu
[20] Ce facteur favorise nettement l’intimé. La réalité – et à mon avis, il s’agit là d’un point crucial dans la demande en instance – est que le stade de l’ordonnance d’obtention dans le processus d’audition est un stade préliminaire. Le stade essentiel, dans lequel des questions importantes sont soulevées et des droits importants sont en jeu, est le stade de la transmission, lequel, en l’espèce, est prévu pour cette semaine. Tout ce que le juge des requêtes a fait la semaine dernière, c’était de préserver les documents pertinents, de les mettre à la disposition des parties, et de prendre les mesures nécessaires pour l’audition pleine et effective de la requête en transmission.
(c) Sérieux des motifs d’appel
[21] Je ne dis pas que les motifs d’appel proposés soient frivoles. Cependant, je qualifierais deux de ces motifs (la confusion des deux stades et le critère juridique à observer) de très faibles, et le troisième (l’excision), de périphérique par rapport à la question principale soumise au juge des requêtes. En conséquence, ce facteur favorise l’intimé.
(d) Les autres considérations
[22] Ce facteur favorise nettement l’intimé. L’ordonnance d’obtention ne porte préjudice à personne. Comme noté supra, elle a pour objet et effet de préserver les documents pertinents, d’en assurer l’accessibilité à toutes les parties, et de garantir l’audition pleine, juste et efficace de la requête en transmission. Comme l’a dit Mme Alyea, l’audition de la requête en transmission est le « plat de résistance » du processus; le stade de l’obtention est le stade préliminaire.
(e) Conclusion
[23] Par application des facteurs dégagés dans les précédents Ross, National Cheese etFalconbridge, il n’y a pas lieu à ordonnance portant autorisation de former appel contre l’ordonnance d’obtention rendue par le juge des requêtes.
(2) La question de la suspension
[24] Les parties conviennent que cette question ne se pose pas si l’autorisation d’appel est refusée.
E. DÉCISION
[25] La Cour rejette la demande d’autorisation d’appel et la requête en suspension de l’ordonnance d’obtention.
RENDU PUBLIC : le 13 mars 2007 (“JCM”)
Signé : J. C. MacPherson, J.C.A.