COUR D’APPEL DE L’ONTARIO
Les juges d’appel OSBORNE, LASKIN et BORINS.
REQUÊTE PRÉSENTÉE EN VERTU de la règle 14.05(3) des Règles de procédure civile
ENTRE :
VERNIERE CATANIA
Intimé en appel (Requérant)
– et –
ANGELINA GIANNATTASIO et
NICOLINA MAIURI
Appelantes (Intimées)
) James G. McLeod et Karen Williams
) pour les appelantes
)
)
)
)
)
) Charles P. Criminisi
)
)
)
) pour l’intimé
)
) Audience : le 24 mars 1999
En appel d’une ordonnance du juge Marshall datée du 30 juin 1998.
Le juge d’appel LASKIN :
[TRADUCTION]
[1] La question à trancher dans le présent appel est celle de savoir si un tribunal ontarien a compétence pour déclarer nul un acte translatif passé en Ontario, qui transfert le titre de propriété d’un bien-fonds situé à l’étranger.
[2] Par l’acte translatif qui fait l’objet du litige, M. Eugenio Catania a transféré à ses deux filles, les appelantes Angelina Giannattasio et Nicolina Maiuri, des biens-fonds situés en Italie. L’intimé, Verniere Catania, le frère des appelantes, a présenté une requête pour que l’acte translatif soit déclaré [TRADUCTION] « nul et non avenu ». Il fonde cette requête sur l’allégation selon laquelle son père était incapable mentalement lorsqu’il a signé l’acte. Le juge Marshall a tranché une motion préliminaire présentée par les appelantes en concluant qu’un tribunal ontarien avait compétence pour statuer sur la requête. Les appelantes interjettent appel de cette décision.
LES FAITS
[3] Les appelantes et l’intimé vivent en Ontario. Ils sont les seuls enfants d’Eugenio Catania, décédé le 17 janvier 1993.
[4] Aux termes de l’acte translatif intitulé [TRADUCTION] « Acte de donation et d’acceptation », M. Catania a donné aux appelantes une maison et une parcelle de terrain situées à Salerno, en Italie. L’acte translatif, rédigé en italien, a été signé en Ontario par M. Catania et les appelantes le 2 avril 1990. L’intimé n’est pas partie à l’acte.
[5] Antérieurement, soit en 1983, M. Catania avait rédigé un testament olographe par lequel il avait légué aux appelantes la même maison et la même parcelle de terrain. Contrairement à l’acte translatif, le testament prévoit d’une part que les trois enfants sont détenteurs d’un droit de passage sur la propriété qui entoure la maison et d’autre part un droit de premier refus pour son fils — l’intimé — advenant la vente de la maison.
[6] Suite au décès de son père, l’intimé a intenté des procédures en Italie qui visaient à déterminer si le testament olographe dont il a été question antérieurement était valide et à faire répartir les biens de son père conformément au droit successoral italien. Ces procédures sont toujours pendantes.
[7] En mars 1997, les appelantes ont enregistré l’acte translatif au bureau d’enregistrement en Italie. En mai 1997, elles ont demandé à l’intimé s’il souhaitait acquérir la maison et la parcelle de terrain. Dans la négative, lui ont-elles dit, elles vendraient les deux propriétés. L’intimé a répondu en présentant une requête, en Cour de l’Ontario (Division générale), par laquelle il a contesté la validité de l’acte translatif, alléguant que son père était incapable mentalement lorsqu’il l’avait signé et que, de ce fait, il n’avait pas compris la nature du document. Le juge Marshall a tranché oralement qu’un tribunal ontarien avait compétence pour juger de la validité de l’acte translatif.
ANALYSE
[8] Dans leurs mémoires, les deux avocats ont traité de la question du caractère final ou interlocutoire de l’ordonnance dont il est fait appel. En dépit de ce fait, ni l’un ni l’autre n’a soulevé la question en plaidoirie. Nous n’avons pas tranché cette question et nous avons entendu l’appel en supposant que l’ordonnance du juge Marshall était définitive.
[9] Je doute que l’intimé ait qualité pour contester la validité de l’acte translatif. Il n’est pas partie à cet acte et il ne prétend pas être l’administrateur ni l’exécuteur de la succession de son père. Il soutient, en revanche, qu’il a qualité pour agir parce qu’il est un bénéficiaire en vertu du testament de son père. Même si le fait d’être bénéficiaire lui confère le droit d’ester en justice pour contester la validité de l’acte translatif, l’intimé ne peut le faire devant une cour ontarienne.
[10] L’acte transfère des titres de propriété d’immeubles situés en Italie. Selon la règle générale, les tribunaux canadiens n’ont pas compétence pour trancher des litiges qui portent sur un titre de propriété ou sur un intérêt relatifs à un bien-fonds étranger. Cette règle est reconnue depuis longtemps en droit anglo-canadien. Elle a été appliquée par la Cour suprême du Canada dans Duke c. Andler[1], où le juge Smith a écrit aux pages 738 et 741 : [TRADUCTION] « La règle générale selon laquelle les tribunaux de quelque pays que ce soit n’ont pas compétence pour statuer sur les droits et les titres de propriété relatifs à des biens-fonds situés à l’étranger n’est pas contestée… Ainsi, c’est en vertu des lois qui régissent ces questions dans le pays où se trouvent les biens que doit en être déterminé le droit de propriété ».
[11] Cette règle générale a été critiquée, mais elle peut se fonder sur la politique qui la sous-tend[2]. Les tribunaux de la plupart des pays insistent sur leur droit exclusif à trancher les litiges qui portent sur leurs propres territoires. Ainsi, en règle générale, un jugement rendu pas un tribunal canadien à l’égard du titre de propriété relatif à un bien-fonds étranger serait sans effet. Si les tribunaux canadiens ne sont pas en mesure de rendre un jugement exécutoire ou d’accorder un redressement de ce type quant à un bien-fonds situé dans un autre pays, ils devraient refuser d’exercer toute compétence pour trancher ces litiges. L’intimé soutient, en revanche, que les tribunaux ontariens ont bel et bien compétence pour juger de la validité de l’acte translatif. Il soutient qu’en dépit du fait que la déclaration qu’il sollicite affecterait les titres de propriété en Italie, il ne demande en fait qu’une mesure de redressement fondée sur l’equity contre deux résidentes de l’Ontario.
[12] Je ne souscris pas à cet argument. Il faut reconnaître, tel que le souligne le juge Smith dans Duke c. Andler[3], qu’une jurisprudence abondante et de nombreux ouvrages de doctrines ont affirmé que les tribunaux canadiens ont compétence pour appliquer les droits qui affectent les biens-fonds situés dans des pays étrangers à condition que ces droits soient fondés sur un contrat, une fiducie ou l’equity et que le défendeur réside au Canada. Lorsqu’ils exercent cette compétence, les tribunaux canadiens font respecter une obligation personnelle qui lie les parties. En d’autres termes, ils exercent une compétence in personam. Cette compétence constitue une exception à la règle générale selon laquelle les tribunaux canadiens n’ont pas compétence pour déterminer un droit de propriété à l’égard d’un bien-fonds étranger. L’exception découle du fait que certaines réclamations peuvent reposer à la fois sur un droit de propriété et sur un droit contractuel. Cependant, les tribunaux canadiens n’exerceront cette compétence in personam exceptionnelle que si la situation répond à quatre critères. Ces quatre critères, dont le deuxième est déterminant en l’espèce, sont discutés par McLeod[4] :
[TRADUCTION]
Les tribunaux ont voulu que toute compétence in personamexercée en vertu de l’exception soit une compétence effective; à cette fin, ils ont imposé quatre conditions préalables à un tel exercice :
1) La cour doit avoir une compétence « in personam » sur le défendeur. En conséquence, soit le demandeur doit être en mesure de lui signifier l’acte introductif d’instance, soit le défendeur accepte de se soumettre à la compétence de la cour.
2) Les parties doivent être liées par une certaine obligation personnelle. La compétence ne peut pas être exercée à l’égard d’étrangers à l’obligation à moins qu’ils ne soient devenus personnellement affectés par cette obligation…
Il est possible que, dans divers contextes, il survienne une obligation qui relève de l’equity. En revanche, dans tous les cas, la relation qui lie les parties doit être telle que si le défendeur insistait pour obtenir le respect strict de ses droits, cela lui pèserait sur la conscience.
3) La compétence ne peut pas être exercée si le tribunal local n’est pas en mesure de superviser l’exécution du jugement…
4) Finalement, la cour n’exerce pas de compétence si l’ordonnance n’a aucun effet là où se trouve le bien qui fait l’objet du litige… En revanche, le simple fait que la loi applicable là où se situe le bien ne reconnaîtrait pas l’obligation personnelle sur laquelle se fonde la compétence ne saurait empêcher que l’ordonnance soit accordée.
[13] Les appelantes soutiennent — et je souscris à leur argument — que l’intimé ne satisfait pas au deuxième critère. L’acte translatif a créé une obligation pour le père, et à présent pour la succession, de transférer les deux propriétés aux appelantes. Il ne crée ni obligation contractuelle ni aucune autre obligation légale entre les appelantes et l’intimé. Ce dernier est [TRADUCTION] « étranger » à l’acte translatif et rien dans le dossier ne suggère qu’il est personnellement affecté par l’obligation qui liait son père envers les appelantes. En outre, j’estime que les enfants ne sont liés par aucune obligation en equity qui pèserait sur la conscience des appelantes advenant le cas où elles insisteraient pour faire respecter les droits que leur confère l’acte translatif. Pour ces motifs, l’intimé ne peut pas invoquer la compétence exceptionnelle in personam des tribunaux ontariens. Tout litige à l’égard des deux propriétés, notamment tout litige quant à la validité de l’acte translatif et de son contenu, devrait être tranché par les tribunaux italiens.
[14] J’accueillerais l’appel, j’annulerais l’ordonnance du juge Marshall et je rejetterais la requête avec dépens. Les appelantes ont également droit à leurs dépens pour l’appel.
Jugement rendu : le 13 avril 1999
Le juge John Laskin, de la Cour d’appel
[TRADUCTION] « Je souscris aux motifs du juge John Laskin. »
Le juge C.A. Osborne, de la Cour d’appel
[TRADUCTION] « Je souscris aux motifs du juge John Laskin. »
Le juge S. Borins de la Cour d’appel
[1] [1932] R.C.S. 734.
[2] Voir McLeod, The Conflict of Laws, (Calgary : Carswell, 1983) à la page 321.
[3] À la page 739.
[4] McLeod, aux pages 323 à 325.