ONTARIO
COUR SUPÉRIEURE DE JUSTICE
ENTRE :
EGLINTON PLACE INC.
Requérante
-et-
SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DE L’ONTARIO (représentée par le ministère de la Consommation et du Commerce), CHACUN DES PROPRIÉTAIRES D’UNITÉ ET DES CRÉANCIERS DÉTENANT UNE HYPOTHÈQUE SUR UNE UNITÉ DE LA METROPOLITAN TORONTO CONDOMINIUM CORPORATION NO. 1128, ET LA METROPOLITANTORONTO CONDOMINIUMCORPORATION NO. 1128
Intimés
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Harry Herskowitz
Robert M. Freedman
Richard P. Hoffman, pour la requérante
Jean Iu (Mme), pour l’intimée Sa Majesté la Reine du chef de l’Ontario (représentée par le ministère de la Consommation et du commerce)
Audience tenue le 15 février 2000
LE JUGE RIVARD
[TRADUCTION]
[1] Il s’agit d’une requête, présentée en vertu de l’alinéa 14.05(3)d) des Règles, en vue d’obtenir une décision sur la question suivante :
[2] La Loi sur les condominiums, L.R.O. 1990, chap. C-26, habilite-t-elle une association condominiale à renoncer à une servitude?
[3] Les faits ne sont pas contestés.
[4] La requérante, Eglinton Place Inc., est propriétaire de terrains situés au 123, Eglinton Avenue est, à Toronto (ci-après, « les terrains 123 »). Assurant elle-même la mise en valeur de ces terrains, la requérante s’applique à y aménager des condominiums à logements multiples.
[5] Une autre société d’aménagement de condominiums est propriétaire des terrains à la limite sud des terrains 123. J’appellerai cette propriété « les terrains MTTC 1128 ».
[6] Les terrains MTTC 1128 bénéficient d’une servitude sur une partie des terrains 123. Cette servitude a pour objet de faciliter l’accès aux camions à ordures qui retirent les déchets des terrains MTCC 1128. La servitude est enregistrée sur le titre au bureau d’enregistrement des droits immobiliers.
[7] De la même façon, les terrains 123 sont munis d’une servitude d’accès à certaines portions des parties communes des terrains MTTC 1128, servitude qui a pour but de faciliter l’accès à l’aire de stationnement des terrains 123. Comme la première, cette servitude est enregistrée sur le titre au bureau d’enregistrement des droits immobiliers.
[8] Les terrains MTCC 1128 n’ont pas besoin de leur servitude sur les terrains 123, et ils n’en font pas usage. L’aire de dépôt et d’enlèvement des ordures des terrains MTCC 1128 est située entièrement dans leur périmètre. MTCC 1128 a accepté de renoncer formellement cette servitude au profit la requérante.
[9] Eglinton n’utilisera pas la servitude sur les terrains MTCC 1128. Elle n’en a pas besoin, puisque le plan d’aménagement des terrains 123 prévoit un garage sous-terrain séparé et indépendant, dont l’accès est situé complètement dans le périmètre de ces terrains. Eglinton a accepté de renoncer formellement sa servitude au profit de MTCC 1128.
[10] En application de ces ententes, l’avocat d’Eglinton a soumis, à des fins de pré-autorisation, deux formulaires d’acte de renonciation à une servitude au registrateur du Bureau des titres fonciers à Toronto. Un de ces formulaires était établi aux fins de l’article 13 de la Loi sur les condominiums; l’autre, aux fins de l’article 38 de cette même loi.
[11] Le registrateur a refusé les deux formulaires au motif que la Loi sur les condominiums n’habilite expressément les associations condominiales à renoncer à une servitude.
[12] Eglinton a ensuite déposé la présente requête. L’avis de requête a été signifié par courrier ordinaire à tous les propriétaires d’unités condominiales, ainsi qu’à Canada Trust et aux cinq principales banques concernées, qui détenaient des créances hypothécaires relativement aux terrains visés.
[13] À mon avis, et de l’avis des avocats ayant agi dans la présente affaire, le mode de signification utilisé était approprié à la lumière du très grand nombre des propriétaires d’unités concernés.
[14] Vu ma position, j’ai, par ordonnance, autorisé la signification indirecte de l’avis de demande conformément à l’alinéa d) de la page 4 de l’Avis de requête. De plus, en application des règles 1.05 et 2.03, j’ai autorisé la requérante à utiliser, pour l’intitulé de l’instance, la même description que pour l’Avis de requête en ce qui concerne les intimés propriétaires d’unité et créanciers hypothécaires de MTCC 1128. Ainsi la requérante a-t-elle été dispensée de se conformer à la règle 14.06.
[15] L’avocat de la requérante m’informe que son cabinet a reçu des appels de quelques propriétaires d’unités et que ceux-ci lui ont indiqué qu’ils ne s’opposaient pas à la requête. Il a également discuté avec des représentants juridiques de Canada Trust et de la Banque de Montréal, qui ont également déclaré ne pas s’opposer à la demande. La seule opposition à la requête provient du Ministère.
[16] Je dois maintenant décider si la Loi sur les condominiums habilite l’association condominiale à renoncer à une servitude, ou si l’accord de tous les propriétaires d’unités est nécessaire à cette fin. Selon l’avocat de la requérante, il serait impossible d’obtenir que 100 % des propriétaires d’unités signent l’acte de renonciation.
[17] Selon le Ministère, ces servitudes n’ont pas été cédées à l’association condominiale. Elles compteraient parmi les parties communes et appartiendraient aux propriétaires d’unités, qui les posséderaient comme tenants communs. En outre, les droits de propriétaires immobiliers ne devraient pas être modifiés sans qu’une loi ne l’autorise de façon claire ou que les propriétaires n’y consentent expressément, des éléments qui soit n’existent pas, soit n’ont pu être obtenus, en l’espèce.
[18] Le terme « propriété » se trouve défini au paragraphe 1(1) de la Loi sur les condominiums. Selon cette définition, « propriété » s’entend du bien-fonds et des intérêts qui s’y rattachent, tels qu’ils sont indiqués dans la description; et ce terme s’entend en outre de tous les biens-fonds et intérêts qui s’y rattachent, qui sont ajoutés aux parties communes.
[19] Le terme « parties communes » est également défini au paragraphe 1(1) de la Loi. Aux fins de cette loi, il désigne l’ensemble de la propriété, à l’exception des parties privatives.
[20] Les parties à la requête conviennent qu’une servitude est un intérêt immobilier et compte parmi les parties communes.
[21] Les parties ne s’entendent pas en tout point lorsqu’il s’agit de savoir si une servitude est un bien sous le régime de la Loi sur les condominiums. Bien que les termes « propriété » et « parties communes » soient définis dans la Loi, aucune définition du terme « asset » (« bien ») n’est offerte. La Loi différencie cependant « asset » (« bien ») de « property » (« propriété ») et de « common elements » (« parties communes »).
[22] Aux termes du paragraphe 12 (1) de la Loi sur les condominiums, la mission de l’association condominiale est de gérer la propriété et les biens, le cas échéant, de l’association.
[23] Aux termes du paragraphe 12(2) de la Loi, l’association a le devoir de contrôler, de gérer et d’administrer les parties communes et les biens de l’association condominiale.
[24] Le paragraphe 13(1) de la Loi prévoit ce qui suit :
L’association peut être propriétaire de biens meubles et immeubles, les acquérir, les grever et les aliéner en vue de l’usage et de la jouissance de la propriété.
[25] Un rapprochement peut être fait entre la présente affaire et l’affaire York Condominium Corp. No. 104 v. Supreme Automotive Working Machine Co.(1987), 18 O.R. (2d) 596 (H.C.J.) (« l’affaire Supreme »). Dans celle-ci, la situation de la requérante sous le régime de la Loi sur les condominiums, libellée comme elle l’était à l’époque, était la même que la situation de la requérante sous le régime de la loi actuelle.
[26] Dans l’affaire Supreme, la Loi sur les condominiums n’habilitait pas l’association condominiale à louer les parties communes.
[27] Dans la présente instance, la Loi sur les condominiums ne traite pas de la façon d’effectuer une renonciation à servitude.
[28] Dans l’affaire Suprême, l’association condominiale prétendait à la conclusion d’un bail concernant les parties communes. Rien dans la Loi sur les condominiums ne décrivait les procédures à suivre à cette fin. Le tribunal a dû examiner si, sous le régime de la Loi, l’association condominiale était autorisée à agir comme mandataire des propriétaires d’unités aux fins de la location des parties communes.
[29] Dans sa résolution du problème, le juge Reid est parti de la proposition que, dans la Loi sur les condominiums, il ne se trouve aucune stipulation qui interdise à l’association d’agir à titre de mandataire. En fait, selon le juge, la Loi, de par sa teneur, voulait le contraire. Voici ce que dit le juge aux pages 2 et 3 :
[TRADUCTION]
Par exemple, c’est à l’association qu’est confiée la responsabilité générale des fonctions d’intérêt commun. En exerçant ces fonctions, l’association agit essentiellement au nom des tous les propriétaires d’unité. L’association peut prendre des mesures en ce qui à trait aux éléments communs. Ainsi faisant, elle agit, dans les faits, en tant que mandataire des propriétaires. Le fait, pour l’association, d’agir comme mandataire des détenteurs d’unité, est donc prévu à la Loi.
[30] Le juge Reid tient ensuite les propos suivants, à la page 3 :
[TRADUCTION]
Aux termes du paragraphe 9(4) [maintenant le paragraphe 12], l’association a pour objet de gérer la propriété et les biens de la corporation. Selon la requérante, la propriété et les biens de l’association n’incluent pas les parties communes puisque celles-ci appartiennent aux membres et non à l’association. Or, à mon avis, le terme « property » ([TRADUCTION] « propriété »), au paragraphe 9(4), ne désigne pas seulement ce qui appartient à l’association. Une des fonctions primordiales de l’association est la gestion de l’organisation; et il lui serait difficile de s’acquitter de cette fonction si elle devait se limiter à la propriété appartenant à l’association. Il m’apparaît donc que, au paragraphe 9(4), le terme « property » ([traduction] « propriété ») devrait revêtir le sens stipulé par la définition de la Loi (alinéa (1)n)).
[31] Je suis d’accord avec les observations du juge Reid dans l’affaire Supreme. En renonçant à une servitude et en obtenant une renonciation à une autre servitude, l’association condominiale « gérait » (« was managing ») la propriété et les biens de l’association. Si le terme « assets » (« biens »), à l’article 12 de la Loi, reçoit son sens clair et ordinaire, ce terme doit, à mon sens, inclure la servitude.
[32] Dans un rapport de M. Mark F. Freedman, un spécialiste des questions juridiques touchant les condominiums, un rapprochement est fait entre la situation de l’association condominiale aujourd’hui, en ce qui concerne les renonciations aux servitudes, et celle ─ dont il est traité dans l’affaire Suprême ─ de l’association condominiale, avant 1978, en ce qui concerne la location des parties communes. Comme M. Friedman, je considère que ces deux situations sont semblables. À la page 6 du rapport en question, qui figure à l’onglet 7 de la jurisprudence et de la doctrine présentés par la requérante, il est écrit ce qui suit :
[TRADUCTION]
Le conseil d’administration est habilité à gérer les biens conformément aux objets de l’association; de sorte que, à mon avis, s’il faut suivre le raisonnement de l’affaire Supreme, le conseil détient (et doit détenir) le pouvoir de renoncer à des servitudes et d’abandonner des servitudes.
[33] J’ajouterai que le paragraphe 12(1) de la Loi sur les condominiums ne devrait pas être interprété trop étroitement. Il devrait être considéré comme un paragraphe habilitant, qui confère de larges pouvoirs à l’association condominiale. Telle est l’approche adoptée dans Metropolitan Toronto Condominium Corporation No. 539 v. Chapters Inc. (1999) O.J. n° 2806, où le tribunal a reconnu et accepté que la Loi sur les condominiums est une loi réparatrice et qu’elle ne devrait pas être interprétée de manière rigide ni étroite.
[34] Pour les motifs qui précèdent, une ordonnance sera rendue qui déclarera que le paragraphe 13(1) de la Loi sur les condominiums, L.R.O. 1990, avec ses modifications, habilite l’association condominiale à renoncer à une servitude entrant dans le domaine des parties communes.
[35] Le tribunal ordonne en outre que le registrateur de la division d’enregistrement des droits immobiliers de la communauté urbaine de Toronto (n° 66) enregistre immédiatement le formulaire de renonciation à servitude qui est annexé à l’avis de requête et en constitue l’annexe « A ».
M. le Juge Paul Rivard
Publié le 21 février 2000