Herrington, R. c. (2003), 68 O.R. (3d) 532 (C.A.)

  • Dossier : C39579
  • Date : 2024

 

 

COUR D’APPEL DE L’ONTARIO 

Le juge O’CONNOR, juge en chef adjoint de l’Ontario,

et les juges d’appel FELDMAN et GILLESE.

 

ENTRE :

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SA MAJESTÉ LA REINE

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Riun Shandler

 

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pour l’appelante

 Appelante

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– et –

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WALTER HERRINGTON

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Anil K. Kapoor

 

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pour l’intimé

 Intimé

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Audience : le 1er décembre 2003

 

En appel d’une ordonnance du juge Emile R. Millette de la Cour supérieure de justice, datée du 27 janvier 2003.

LA COUR :

[TRADUCTION]

[1] Le 27 janvier 2003, le juge Millette a ordonné l’arrêt des procédures relativement à deux chefs d’accusation de contacts sexuels avec une enfant âgée de moins de quatorze ans. Le juge a fondé sa décision sur le délai de 31 mois qui s’est écoulé entre le moment où l’intimé a été mis en état d’arrestation et la date du procès proposée. Selon lui, ce délai constituait une violation du droit que confère l’alinéa 11b) de la Charte, à l’accusé, d’être jugé dans un délai raisonnable. Le ministère public interjette appel.

[2] Le juge du procès a estimé, qu’en l’espèce, les délais étaient attribuables principalement aux difficultés rencontrées par la défense pour signifier une demande de communication d’un dossier de tiers. À son avis, ces délais étaient soit systémiques, soit attribuables au ministère public.

[3] Selon nous, le juge du procès a commis une erreur. Nous sommes convaincus que quelque 15 mois des 31 mois de délai ne devraient être attribuables ni au système ni au ministère public.

[4] Les parties conviennent, qu’en l’espèce, le délai préparatoire raisonnable pour soumettre la cause à la Cour de justice de l’Ontario et à la Cour supérieure de justice était de 2 mois. Il faut considérer que ce délai est neutre.

[5] La première date du procès a été fixée à la semaine du 11 juin 2001. La défense n’avait pas préparé la documentation dont elle avait besoin pour demander la communication d’un dossier de tiers. Ainsi, le 8 juin 2001, elle a demandé un ajournement. La cour a ajourné la cause à l’audience de fixation du rôle subséquente, soit au 27 août 2001. Ce jour-là, la cour a fixé la deuxième date du procès au 25 février 2002. Huit mois et demi se sont écoulés entre la première et la deuxième date du procès. Ce délai ne devrait être attribué ni au système ni au ministère public.

[6] Le 25 février 2002, la cause a été ajournée à nouveau en raison encore une fois de la difficulté à localiser la plaignante. La défense n’a pas été en mesure de lui signifier la demande de communication du dossier de tiers. Il est pertinent de souligner que la défense n’a entrepris de signifier ces documents à la plaignante que quelque deux semaines avant la date du procès. Le procès a été ajourné au 25 novembre 2002. La période qui s’est écoulée entre le 25 février et le 25 novembre 2002 peut éventuellement être qualifiée de délai systémique. Ce faisant, la Cour ferait preuve d’une certaine générosité envers la défense.

[7] Le 25 novembre 2002, soit la troisième date du procès, la cause a été ajournée au 6 janvier 2003 à l’audience de fixation du rôle. C’est ce jour-là que la date du procès a été fixée au 24 mars 2003. Cet ajournement était fondé sur deux motifs. Le premier motif était lié à la demande de communication d’un dossier de tiers par la défense. Le 8 octobre 2002, la défense a écrit au ministère public pour lui demander l’adresse de la plaignante. Environ deux semaines plus tard, le ministère public a répondu ne pas être au courant des allées et venues de la plaignante. En fin de compte, la plaignante a été localisée et le 18 novembre 2002, soit sept jours avant le procès, la demande lui a été signifiée. En revanche, elle a informé la cour subséquemment qu’elle souhaitait retenir les services d’un avocat et qu’elle n’était pas en mesure de procéder.

[8] Le 25 novembre 2003, la plaignante n’avait pas d’avocat. Cette difficulté aurait facilement pu être évitée si la défense avait entrepris des démarches avant le 8 octobre 2003 pour lui signifier la demande de communication d’un dossier de tiers. Dès janvier 2001, la défense avait indiqué à la cour qu’elle avait l’intention de présenter une demande de communication d’un dossier de tiers. Le procès a été ajourné une première fois le 8 juin 2001 parce que la défense n’était pas prête à présenter cette demande. Le procès a été ajourné une deuxième fois le 25 février 2002 en raison des difficultés à localiser la plaignante. Après le deuxième ajournement, il aurait été raisonnable que la défense anticipe qu’il soit nécessaire de signifier la demande à la plaignante plutôt tôt que tard. En effet, la défense aurait dû reconnaître que la plaignante pourrait être difficile à localiser et qu’elle pourrait souhaiter retenir les services d’un avocat. Malheureusement, la défense a attendu plus de sept mois avant d’effectuer quelque démarche que ce soit. En fin de compte, c’est seulement sept jours avant le procès que la demande a été signifiée à la plaignante. Cela dit, comme elle n’avait pas retenu les services d’un avocat, le procès a été ajourné.

[9] L’indisponibilité d’un témoin du ministère public – N.C. – qui était hospitalisée, est le deuxième facteur, moins déterminant, qui a joué un rôle pour justifier l’ajournement du 25 novembre 2002. Le ministère public était disposé à commencer le procès sans madame C. La défense souhaitait qu’elle soit présente pour témoigner.

[10] Le 27 janvier 2003, après que la défense en ait fait la demande, le juge du procès a ordonné l’arrêt des procédures relativement aux chefs d’accusation en raison du délai déraisonnable. Ainsi, la cause ne s’est jamais rendue jusqu’à la quatrième date du procès.

[11] Selon nous, les circonstances à l’origine de l’ajournement de quatre mois, ordonné le 25 novembre 2002, ne sont pas telles que le délai devrait être traité comme s’il s’agissait d’un délai systémique ou attribuable au ministère public.

[12] Nous sommes convaincus qu’un total de 15 mois et ¼ de délai ne devrait pas être comptabilisé comme un délai systémique ou attribuable au ministère public. Cette période correspond au total des 2 mois et ¾ de délai préparatoire, des 8 mois ½ qui se sont écoulés entre la première et la deuxième date du procès et des 4 mois qui se sont écoulés entre la troisième et la quatrième date du procès. Le reste du délai, soit 16 mois, devrait être considéré comme un délai systémique.

[13] Ce qui constitue un délai systémique ou institutionnel variera en fonction de la nature et des circonstances de chaque cause. Il n’y a pas de durée maximale fixe ou inflexible. En revanche, selon les décisions de la Cour suprême du Canada dans R. c. Askov, [1990] 2 R.C.S. 1199 et R. c. Morin, [1992] 1 R.C.S. 771, un délai de 8 à 10 mois avant la citation à procès et un délai de 6 à 8 mois après la citation à procès correspondent à la « ligne directrice administrative » actuelle. Après avoir autorisé une période neutre de délai préparatoire acceptable, la fourchette admissible pour un délai systémique ou institutionnel se situe entre 14 et 18 mois pour les affaires qui doivent être entendues par la Cour supérieure de justice.

[14] En l’espèce, les délais systémiques se situent dans la fourchette acceptable pour les causes qui doivent être entendues par la Cour supérieure de justice. Le juge du procès a commis une erreur en concluant que dans les circonstances le délai cumulatif de 31 mois était déraisonnable.

[15] Selon nous, les délais encourus en l’espèce, une fois caractérisés comme il se doit, ne constituent pas des délais déraisonnables et ne sont pas à l’origine d’une violation des droits que confère l’alinéa 11b) de la Charte à l’intimé. En conséquence, nous accueillons l’appel, nous annulons l’ordonnance d’arrêt des procédures et nous ordonnons le renvoi de la cause devant la Cour supérieure de justice.

 

Jugement rendu : le 8 décembre 2003 

 

Le juge en chef adjoint de l’Ontario D. O’Connor, de la Cour d’appel

[TRADUCTION] « Je souscris aux motifs du juge O’Connor. »

 La juge K. Feldman, de la Cour d’appel

[TRADUCTION] « Je souscris aux motifs du juge O’Connor. »

 La juge E.E. Gillese, de la Cour d’appel