Horner c. Horner

  • Dossier : C39173
  • Date : 2024

COUR D’APPEL DE L’ONTARIOLES JUGES WEILER, ROSENBERG et BLAIR 

E N T R E :

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IRENE BALLANTYNE HORNER

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 George F. McFadyen,

 pour l’appelante

 Demanderesse    

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(Appelante)

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– et –

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RONALD BRUCE HORNER

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 Denis E. Burns,

 pour l’intimé

 

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 Intimé

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 Date de l’audience : 21 mai 2004

En appel du jugement rendu par le juge Gordon Killeen de la Cour supérieure de justice, daté du 23 octobre 2002 et du 10 janvier 2003.LE JUGE WEILER :I.   Survol

[1] L’appelante, Irene Horner, a présenté une demande en vertu de l’art. 15.2 de la Loi sur le divorce, L.R.C. 1985, ch. 3 (2e suppl.) (la « Loi »), en vue d’obtenir une pension alimentaire pour conjoint pour une période indéterminée. Dans le cadre de sa demande, elle a demandé l’annulation de la disposition alimentaire d’une durée d’application limitée prévue dans son accord de séparation, ainsi qu’une pension alimentaire accrue. Conformément au par. 17(1) de la Loi, elle a aussi demandé la modification d’une ordonnance de pension alimentaire pour enfants rendue antérieurement. Elle a demandé que la pension alimentaire pour conjoint et la pension alimentaire pour l’enfant à charge, qui habitait avec elle, soient rendues rétroactives pour une période de quinze mois précédant la date de sa lettre de demande de pension alimentaire. L’autre enfant à charge habitait avec M. Horner.

[2] Le juge saisi de la demande a accordé une pension alimentaire pour conjoint en se fondant sur le revenu accru de M. Horner, qui se chiffrait à 149 000 $ US. Il a refusé d’ordonner le paiement d’une pension alimentaire pendant une période indéterminée et a refusé de rendre la pension alimentaire pour conjoint rétroactive pour la période demandée. Il a plutôt ordonné que la pension alimentaire soit versée à partir du mois suivant la demande de pension alimentaire de Mme Horner. En ce qui concerne la pension alimentaire pour enfants, le juge saisi de la demande a modifié l’ordonnance antérieure et a ordonné que la pension soit versée conformément aux Lignes directrices fédérales surles pensions alimentaires pour enfants, DORS/97-175, en fonction du revenu de M. Horner. Comme il l’avait fait pour la pension alimentaire pour conjoint, le juge saisi de la demande a ordonné que la modification prenne effet à partir du mois suivant la demande de pension alimentaire.

[3] Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que le montant de la pension alimentaire pour conjoint accordé par le juge saisi de la demande était nettement erroné. Une combinaison de facteurs me portent à tirer une telle conclusion. Le montant accordé par le juge saisi de la demande était fondé sur un revenu de 149 000 $ US, plutôt que sur le revenu reconnu par M. Horner, qui se chiffrait au moins à 184 119 $ US. De plus, même si le juge saisi de la demande n’a pas conclu que le budget de Mme Horner était déraisonnable et ne l’a pas critiqué de quelque manière que ce soit, il n’a pas accordé le montant de la pension alimentaire qu’elle avait demandé. Il a souligné que Mme Horner avait contribué au développement de la carrière de M. Horner pendant le mariage, mais le montant qu’il a accordé ne semble pas tenir compte de ce facteur. Le montant accordé est inférieur à la médiane des montants accordés dans les affaires comportant des circonstances similaires. En ce qui concerne la durée de la pension alimentaire et la mesure dans laquelle la pension alimentaire accordée devrait être rétroactive, je suis d’avis de rejeter l’appel puisqu’à mon sens, le juge du procès n’a commis aucune autre erreur de principe relativement à la pension alimentaire pour conjoint.

[4] En ce qui a trait à la rétroactivité de la pension alimentaire pour enfants, mon avis est tout autre. La pension alimentaire pour enfants n’est pas accordée pour le même motif que celui justifiant l’octroi d’une pension alimentaire pour conjoint. Dans le cas d’une pension alimentaire pour conjoint, le conjoint auquel la pension alimentaire est demandée n’est pas tenu de tenir compte avant tout de l’intérêt du conjoint demandeur. Dans le cas d’une pension alimentaire pour enfants, le but général des Lignes directrices exige que le parent veille à ce que les intérêts de l’enfant passent en premier lieu lorsqu’il s’agit de subvenir à ses besoins financiers. Voir Francis c. Baker, 1999 CanLII 659 (C.S.C.), [1999] 3 R.C.S. 250, aux par. 38 et 39. Comme je l’expliquerai en plus de détails ci-dessous, si l’enfant est un « enfant à charge » [1] au sens de la Loi, le parent qui veille à ce que les intérêts de l’enfant passent en premier lieu ne doit pas agir dans son intérêt personnel aux dépens de l’enfant. En outre, tel que reconnu dans l’arrêt Francis c. Baker, précité, aux par. 38 et 39, le parent qui veille à ce que les intérêts de l’enfant passent en premier lieu doit s’assurer que son divorce nuit le moins possible à l’enfant. En termes pratiques, les enfants à charge ont droit à un traitement égal quel que soit le parent avec lequel ils habitent. En l’espèce, il est manifeste que M. Horner savait que la pension alimentaire qu’il versait pour les besoins de sa fille ne correspondait pas au soutien qu’il fournissait à son fils, lequel habitait avec lui, et qu’il a agi dans son intérêt personnel en ne versant pas une pension alimentaire appropriée pour sa fille. De plus, le juge du procès a commis une erreur en ne prenant pas en considération les critères applicables à l’octroi d’une pension alimentaire rétroactive. Par conséquent, je suis d’avis d’accueillir l’appel en ce qui concerne la pension alimentaire pour enfants et d’ordonner que le montant de la pension alimentaire pour enfants prévu par les Lignes directrices soit versé rétroactivement au 1er janvier 2000, tel qu’il a été demandé.

II.   Le contexte de l’appel

[5] Les faits essentiels ne sont pas en litige. L’appelante et l’intimé ont commencé à habiter ensemble en 1983 et se sont mariés le 7 décembre 1984. Au moment du mariage, Mme Horner avait 32 ans et travaillait comme secrétaire médicale. M. Horner avait 27 ans et travaillait chez Novacor, une filiale de Nova Chemicals.

[6] Il s’agissait d’un mariage traditionnel, en ce sens que Mme Horner restait à la maison pour s’occuper des deux enfants à charge : Samantha, née le 30 avril 1985 et maintenant âgée de 19 ans, et Sean, né le 7 avril 1987 et maintenant âgé de 17 ans. En plus de travailler à temps plein chez Nova Chemicals, M. Horner suivait des cours à temps partiel le soir. Après avoir terminé son baccalauréat en commerce, il a obtenu une maîtrise en administration des affaires. Il a été promu à un poste en ressources humaines au sein de la compagnie.

[7] Après avoir vécu ensemble pendant environ 10 ans, M. et Mme Horner se sont séparés en décembre 1993 et ont conclu un accord de séparation le 3 mars 1995. Chaque conjoint a obtenu des conseils juridiques indépendants.

A.   L’accord de séparation

[8] La clause 5, qui traitait de la pension alimentaire pour conjoint, se lit comme suit :

[TRADUCTION]

PENSION ALIMENTAIRE POUR CONJOINT

5.1 À partir du 1er février 1995, l’époux versera à l’épouse la somme de 400 $ par mois au titre de la pension alimentaire, jusqu’à ce que se produise l’une deséventualités suivantes :

a) l’épouse se remarie;

b) l’épouse décède;

c) l’époux verse à l’épouse un montant d’au moins 50 000 $ en mensualités de 400 $ en sus de la hausse des prix à la consommation, tel qu’indiqué au paragraphe 7.1 des présentes.

Les versements ci-haut seront effectués jusqu’au mois d’avril 2005 et se poursuivront par la suite si l’un ou l’autre des enfants à charge fréquente à temps plein un établissement d’enseignement. L’époux reconnaît qu’il pourrait être responsable de verser une pension alimentaire pour conjoint qui dépasse le montant minimal de 50 000 $.

[9] La clause 6 de l’accord prévoyait une pension alimentaire de 500 $ par mois pour chacun des enfants, pour un total de 1 000 $ par mois, jusqu’à la réalisation de certains événements, dont aucun n’intéresse le présent appel.

[10] La clause 7 de l’accord prévoyait que la pension alimentaire pour conjoint et la pension alimentaire pour enfants devaient être indexées pour tenir compte des changements de l’indice des prix à la consommation (tous les articles) de Statistique Canada pour Toronto, pour chaque année, en utilisant l’année 1981 comme année de référence. L’indice était alors de 174.0.

[11] La clause 9 de l’accord comprenait une reconnaissance selon laquelle M. Horner avait, en 1994, effectué des versements périodiques totalisant 28 800 $ au titre de la pension alimentaire, et indiquait que les versements devaient être considérés comme ayant été effectués en vertu de l’accord. Les versements de pension alimentaire devaient être déduits par l’époux et inclus par l’épouse dans son calcul de l’impôt sur le revenu. L’époux devait rembourser à l’épouse le montant correspondant à la hausse de son impôt pour 1994 seulement.

[12] La clause 12 de l’accord prévoyait que les dispositions relatives à la pension alimentaire pour conjoint et la pension alimentaire pour enfants, prévues respectivement aux paragraphes 5 et 6 de l’accord de séparation, pourraient être modifiées en cas de changement important de la situation. La clause se lisait comme suit :

[TRADUCTION]

12. CHANGEMENT IMPORTANT

12.1 Seuls les paragraphes 5 et 6 peuvent être modifiés en cas de changement important de la situation. Si un tel changement se produit, l’époux ou l’épouse qui demande la modification donne à l’autre partie un avis écrit de la modification demandée et l’époux et l’épouse ont alors un entretien personnel ou par l’intermédiaire de leurs avocats respectifs pour s’entendre sur toute modification qui devrait être apportée.

12.2 Si aucun accord n’est conclu dans les trente (30) jours francs suivant la remise de l’avis prévue au paragraphe (1), la modification relative à la garde, au droit de visite et à la pension alimentaire pour le conjoint et les enfants peut être établie à la demande de l’époux ou de l’épouse dans une instance judiciaire engagée sous le régime de la Loi sur le droit de la famille, la Loi portant réforme du droit de l’enfance ou la Loi sur le divorce.

[13] La clause 14 prévoyait que l’époux transférerait à l’épouse son intérêt dans le foyer conjugal qui était détenu en tenance conjointe.

[14] À la clause 17, les parties ont convenu que ni l’une ni l’autre n’aurait le droit de partager ou de recevoir quelque avantage que ce soit découlant du régime d’entreprise, du régime de participation différée aux bénéfices et du régime enregistré d’épargne-retraite de l’autre partie. Puisque l’épouse ne travaillait pas à l’extérieur du foyer à l’époque et n’avait pas travaillé ainsi pendant le mariage, la clause 17 profitait principalement à l’époux. Les parties ont également convenu de ne présenter aucune réclamation à l’égard du régime de pension du gouvernement fédéral de l’autre partie.

[15] La maison était encore grevée d’une hypothèque totale de 33 000 $ et l’accord prévoyait que l’épouse était responsable de tous les versements hypothécaires, ainsi que des taxes et primes d’assurance y associées. L’époux devait être à lui seul responsable des autres prêts totalisant environ 29 500 $, dont une deuxième hypothèque.

[16] L’accord était fondé sur le fait que le revenu de l’époux était de 75 000 $ à l’époque [2] et comportait des clauses indiquant que chaque partie avait [TRADUCTION] « pleinement et complètement divulgué sa situation financière à l’autre partie ».

[17] Dans une lettre datée du 2 novembre 1994 et adressée à Anne E. McFadyen, l’avocate de Mme Horner, Peter Westfall, l’avocat de M. Horner, a expliqué que M. Horner était disposé à transférer à son épouse une valeur nette de 66 950 $, constituée de sa part de la valeur nette du foyer conjugal et de son contenu, ainsi qu’une automobile et un modeste compte bancaire. En contrepartie, Mme Horner devait transférer à son époux une valeur nette de 26 942 $, constituée de sa part de la valeur nette du REER de son époux, de sa pension et de quelques actions de Suncor.

B.   Après l’accord de séparation

[18] À la suite de l’accord de séparation, le 20 juillet 1995, un divorce a été accordé sans que des mesures accessoires ne soient demandées. Plus tard, Mme Horner est retournée devant les tribunaux en vue d’obtenir une ordonnance exemptant d’impôt sa pension alimentaire pour enfants. La même année, soit en 1995, M. Horner a été muté à Calgary. En septembre 1995, il s’est remarié. Sa présente épouse, Marilyn, est vice-présidente des ressources humaines chez Nova.

[19] En 1997, Mme Horner a présenté une demande d’augmentation de la pension alimentaire pour enfants fondée sur un changement important de la situation, à savoir, l’augmentation des gains annuels de l’époux, d’environ 75 000 $ lors de la signature de l’accord de séparation à 92 064 $. Le juge Brockenshire a ordonné que M. Horner verse une pension alimentaire de 1 156 $ par mois pour Samantha et Sean, soit un montant de 578 $ par enfant, à partir du 1er novembre 1997. Toutes les autres modalités de l’accord devaient demeurer en vigueur.

[20] M. Horner a obtenu un diplôme d’ingénieur et sa carrière s’est développée rapidement. Il est devenu vice-président de l’ingénierie chez Nova. En 1999, Sean est venu habiter avec lui. Peu de temps après, à la demande de sa compagnie, il a déménagé à Pittsburgh, où il réside présentement.

[21] La déclaration américaine de revenus des particuliers de M. Horner pour 2001 indique que son revenu total pour cette année était de 184 119 $ US. En 2000, il a produit, avec son épouse, une déclaration de revenus conjointe indiquant que leur revenu total combiné était de 620 433 $ US. Le revenu brut de M. Horner pour cette année était de 150 215 $ US. Toutefois, ni l’un ni l’autre des revenus pour 2001 ou 2000 ne comprend la valeur des options d’achat d’actions que M. Horner reçoit dans le cadre de son revenu.

[22] Après la séparation, Mme Horner a suivi un cours de recyclage d’un an dans le domaine des applications informatiques. Elle a ensuite travaillé chez Hogan Pharmacy, en moyenne 22 heures par semaine. En 2000, elle a obtenu un emploi à temps plein chez Ingram’s Home Health Care, où son salaire horaire était de 11,50 $. Sans la pension alimentaire, son revenu pour 2001 était de 26 329,47 $. Avec ses versements de pension alimentaire, il s’élevait à 43 329,47 $.

C.   L’accord modificateur

[23] En 1999, lorsque leur fils Sean a déménagé à Calgary pour habiter avec son père, les parties ont signé, le 25 juin, un document intitulé [TRADUCTION] « Modification de notre accord de séparation ». Il s’agissait d’une lettre rédigée par M. Horner et adressée à Mme Horner, qui se lit comme suit :

[TRADUCTION]

À : Irene Horner

Modification de notre accord de séparation

Compte tenu de notre entente selon laquelle Sean habitera à temps plein avec moi à partir du 5 août 1999, l’entente suivante s’appliquera :

1. Je paierai les coûts du déménagement de Sean à Calgary.

2. Je paierai à chaque année quatre voyages aller-retour à Sarnia dont le moment et la durée devront faire l’objet d’une entente. Il peut y avoir plus de quatre voyages par année à condition que les voyages supplémentaires soient à vos frais.

3. Si, par la suite, Sean décide qu’il souhaite habiter de nouveau à Sarnia, je paierai les coûts de son retour et du retour de ses effets personnels.

4. À partir du 15 août 1999, je réduirai le versement de pension alimentaire pour enfants de 50 % ou de 578 $ par mois pour tenir compte de son nouveau lieu de résidence. Si, par la suite, il décide de retourner vivre avec vous, la pension alimentaire pour enfant qui lui est destinée sera rétablie. Cela étant, il est convenu qu’il n’y a aucune demande ni aucun motif de rétroactivité.

5. Aux fins de l’impôt sur le revenu, Sean sera considéré comme une personne dont j’ai la charge à temps plein à partir du 1er septembre 1999.

6. Je renonce à tout droit de vous demander un soutien financier pour les frais de subsistance de Sean, à condition que toutes les conditions énoncées ci-haut soient acceptées telles quelles.

Je vous saurais gré de bien vouloir indiquer que vous acceptez la présente entente en m’en renvoyant une copie signée aussitôt que possible.

[24] Mme Horner a signé le document ci-haut sans obtenir de conseils juridiques indépendants ou la divulgation de renseignements financiers. À la date de l’accord modificateur, le revenu annuel de M. Horner avait augmenté considérablement et s’élevait environ à 134 291 $. Le montant réel payable au titre de la pension alimentaire pour un enfant en vertu des Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants, DORS/97-175 (les « Lignes directrices »), calculé en fonction du revenu de M. Horner, était de 1 002 $ par mois, moins le faible montant compensatoire que Mme Horner aurait été tenue de payer à M. Horner pour le soutien de Sean. Le montant prévu par les Lignes directrices est supérieur au double du montant que M. Horner proposait de payer aux termes de l’accord modificateur. Après la signature de l’accord modificateur, le montant de pension alimentaire total payé par M. Horner était de 978 $ par mois, soit 400 $ au titre de la pension alimentaire pour conjoint et 578 $ au titre de la pension alimentaire pour enfants.

 D.   La demande de pension alimentaire

[25] En raison des difficultés financières qu’éprouvait Mme Horner pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa fille au moyen de son revenu mensuel brut limité de 2 977,33 $, Mme Horner a, le 26 avril 2001, avisé M. Horner qu’elle souhaitait obtenir une augmentation immédiate de la pension alimentaire, rétroactive au 1er janvier 2000. Elle n’avait pas reçu d’augmentation de la pension alimentaire depuis 1995, même si l’accord prévoyait que la pension alimentaire devait faire l’objet d’un rajustement annuel pour tenir compte du coût de la vie. Elle a demandé une pension alimentaire rétroactive à la suite des visites de son fils, qui habitait avec M. Horner, après s’être rendue compte que le style de vie et le revenu de M. Horner s’étaient considérablement améliorés. La date à partir de laquelle la pension alimentaire rétroactive est demandée est environ la date à laquelle M. Horner a été promu au poste de vice-président de l’ingénierie.

[26] N’ayant pas obtenu les renseignements financiers au plus tard en août 2001, Mme Horner a présenté un avis de demande aux termes du par. 17(1) de la Loi, en vue d’obtenir une ordonnance modifiant la pension alimentaire pour enfants et la rendant rétroactive au 1er janvier 2000, ainsi qu’une ordonnance exigeant que M. Horner fournisse sans délai ses déclarations de revenus pour 1998, 1999 et 2000, y compris ses relevés T4 de toutes les sources, de même que les renseignements concernant son revenu depuis le début de l’année.

[27] L’état financier indiquait aussi que Mme Horner avait un actif total de 138 000 $ et des dettes de 61 600 $, pour une valeur nette de 76 400 $. Le montant de son hypothèque était de 55 000 $, soit une augmentation importante par rapport à la première hypothèque de 38 750 $ qu’elle assumait lors de la séparation.

[28] Le budget proposé de Mme Horner était de 5 423,03 $ par mois, selon son état financier. Aux fins du budget proposé, elle avait besoin d’une augmentation de sa pension alimentaire de 2 445,70 $ par mois. Les augmentations dans le budget proposé étaient modestes. Par exemple, dans son budget, Mme Horner proposait d’augmenter de 1 000 $ à 1 200 $ par année le montant pour les réparations et l’entretien ménager et de zéro à 2 500 $ par année le montant pour des vacances en famille. Son budget hebdomadaire pour l’épicerie était de 100 $; dans son budget, elle proposait une augmentation à 125 $ par semaine. Pour les repas à l’extérieur, son budget réel était de 20 $ par semaine et son budget proposé était de 50 $ par semaine. Dans le même ordre d’idées, son état financier indiquait qu’elle avait besoin de plus d’argent pour les vêtements de Samantha et proposait d’augmenter de 100 $ à 200 $ par mois le montant pour les vêtements d’enfant. Elle proposait le même montant de 200 $ par mois pour ses propres vêtements. Elle a indiqué qu’elle contribuait 100 $ par mois à un REER et que ce montant serait le même aux termes de son budget proposé.

 E.   La requête reconventionnelle de M. Horner

[29] Le 14 septembre 2001, M. Horner a présenté un avis de requête reconventionnelle. La requête reconventionnelle visait l’obtention d’une pension alimentaire et d’une pension alimentaire provisoire pour Sean, fondée sur le revenu de Mme Horner, notamment le revenu qui lui était attribué. En outre, dans la requête reconventionnelle, M. Horner demandait que lesdites pensions alimentaires soient rétroactives si le tribunal accordait une pension alimentaire rétroactive à Mme Horner et demandait des dépens sur une base procureur-client.

[30] L’état financier déposé par M. Horner à l’appui de sa requête reconventionnelle n’était pas exact. Dans son état financier, M. Horner a indiqué que son actif total s’élevait à 417 000 $ US, que ses dettes totales se chiffraient à 301 500 $ US et que sa valeur nette était de 115 500 $ US. Dans la catégorie « terre », M. Horner a indiqué que sa moitié du foyer conjugal valait 275 000 $ US et n’a inscrit qu’une seule automobile, à savoir, la Buick Riviera 1972 qu’il avait conservée de son mariage précédent. Dans l’affidavit accompagnant sa réponse, Mme Horner a souligné que M. Horner avait un VUS Acura, remplacé par la suite par une nouvelle Lexus, et que son épouse conduisait une Mercedes.

[31] Dans les renseignements financiers qu’il a divulgués, M. Horner a aussi indiqué qu’il avait un prêt de 100 000 $. En contre-interrogatoire, il a admis que le prêt était en réalité un avantage parce qu’il était dispensé de son remboursement s’il demeurait un certain temps au sein de la compagnie.

[32] Dans les notes de l’état financier, M. Horner précise que ses dépenses sont estimatives et comprennent les dépenses totales pour son épouse ainsi que pour Sean. Bien que M. Horner ait reconnu que son épouse contribue un montant aux dépenses du ménage, il n’a pas indiqué le pourcentage de sa contribution.  

[33] Le résumé de l’état financier indique que M. Horner a un revenu mensuel brut de 12 423,62 $ et que son budget mensuel réel est de 15 074,14 $, de sorte qu’il accuse un déficit mensuel de 2 650,52 $. Là encore, puisque M. Horner a inclus les dépenses de son épouse sans indiquer le pourcentage de la contribution de cette dernière, les chiffres ne sont pas exacts.

[34] Durant le contre-interrogatoire portant sur l’affidavit qu’il avait déposé à l’appui de sa requête, M. Horner a tout d’abord déclaré qu’il ne recevait aucune autre rémunération que son salaire annuel de 148 000 $. Il a ensuite admis qu’il participait à un régime de participation aux bénéfices valant jusqu’à six pour cent de son salaire et qu’il recevait en outre une prime de gestion valant jusqu’à 35 pour cent de son salaire de base en fonction du rendement de la compagnie et de sa contribution personnelle. Ayant déjà travaillé dans le domaine des ressources humaines, il n’aurait pu mal interpréter le sens du terme « rémunération ». De plus, M. Horner a une pension à laquelle contribue son employeur, bien qu’il ait refusé d’en donner le montant. Il reçoit aussi des options d’achat d’actions dans le cadre de sa rémunération. Son état financier n’indique pas la valeur des options d’achat d’actions ni les détails concernant leur levée. Par conséquent, l’état financier est inexact non seulement en ce qui concerne son actif, mais aussi quant à son revenu.

III.   Jugement rendu par le juge Killeen

[35] Le juge Killeen a entendu la demande de Mme Horner et la requête reconventionnelle de M. Horner le 23 octobre 2002. Les observations écrites sur les dépens ont été déposées le 13 novembre 2002. Le juge Killeen a ordonné que Mme Horner ait la garde de Samantha, avec un droit de visite généreux pour M. Horner, et que M. Horner ait la garde de Sean, avec un droit de visite raisonnable pour Mme Horner comprenant quatre visites annuelles à Sarnia payées par M. Horner. Cette partie de l’ordonnance ne fait pas l’objet d’un appel.

[36] Le juge Killeen a conclu que le revenu combiné de M. Horner et de sa présente épouse était [TRADUCTION] « environ de 620 433 $ US ou 837 000 $ CAN ». Pour les fins de la demande, il a conclu que le revenu annuel de M. Horner pour 2002 était de 149 000 $ US ou 225 000 $ CAN. Le juge Killeen a souligné qu’il y avait une [TRADUCTION] « clause conditionnelle précise dans l’accord concernant les changements importants de la situation et permettant à l’épouse de demander, selon le cas, une ordonnance ou un accord de modification ».

[37] En ce qui concerne la pension alimentaire pour enfants, le juge Killeen a ordonné que M. Horner verse une pension alimentaire pour enfants de 1 610 $ par mois pour Samantha. Il a aussi ordonné que Mme Horner verse une pension alimentaire pour enfants de 236 $ par mois pour Sean, en fonction de son revenu de 26 488 $ et conformément aux dispositions sur la garde exclusive et l’al. 3(1)a) des Lignes directrices. Le montant qu’il a été ordonné à Mme Horner de payer a été déduit du versement de M. Horner, de sorte que M. Horner a été tenu de verser une pension alimentaire nette pour enfants de 1 374 $ par mois, rétroactive au 1er mai 2001, soit le début du mois après que Mme Horner a demandé l’augmentation de sa pension alimentaire ainsi que les renseignements financiers de M. Horner. Mme Horner interjette appel de cette partie de l’ordonnance du juge du procès et demande une pension alimentaire pour enfants de 1 481 $ par mois, rétroactive au 1er janvier 2000.

[38] En ce qui a trait à la pension alimentaire pour conjoint, il a été ordonné à M. Horner de verser le montant de 1 750 $ par mois, plutôt que la somme demandée de 3 500 $ par mois. L’ordonnance a été rendue rétroactive au 1er mai 2001, pour maintenir la formule énoncée au paragraphe 5.1 de l’accord de séparation. En vertu de l’accord, les versements au titre de la pension alimentaire pour conjoint doivent être effectués jusqu’en avril 2005 et se poursuivre par la suite si l’un ou l’autre des enfants à charge fréquente l’école à temps plein.

[39] Dans ses motifs de jugement, le juge Killeen a refusé d’annuler la partie de l’accord d’une durée d’application limitée. Il a conclu que, lors de la séparation des parties, [TRADUCTION] « M. Horner gagnait environ 75 000 $. En 1995, lorsque l’accord a été conclu, il gagnait environ 81 975 $ ». Le juge Killeen a souligné que Mme Horner [TRADUCTION] « avait obtenu l’intérêt de son époux dans le foyer conjugal et quelques autres crédits ». En outre, il a déclaré ce qui suit : [TRADUCTION] « Elle pourraitavoir obtenu environ 40 000 $ de plus que son époux dans l’ensemble et, en contrepartie, l’époux a protégé sa pension et profité d’une ordonnance de pension alimentaire pour conjoint d’une durée d’application limitée pendant environ 10 ans ». [C’est nous qui soulignons.]

[40] Au moment de se pencher sur le montant de la pension alimentaire pour conjoint, le juge Killeen a évalué les facteurs et objectifs énoncés aux par. 15.2(4) et (6) de la Loi et conclu ce qui suit :

[TRADUCTION]

[B]ien que l’on ne puisse nier que M. Horner a acquis plus de compétences depuis la séparation et qu’il a ainsi obtenu un meilleur poste et un meilleur salaire au sein de sa compagnie, il est clair que son ascension remonte aux années 1980 et ne peut être dissociée du mariage et des ententes conclues avec son épouse quant à la structure de leur mariage.

[…]

À mon avis, il ne devrait pas être dérogé à l’accord en ce qui concerne la durée limitée de la pension alimentaire. Il s’agit d’une partie du marché essentiel conclu entre les parties et elle devrait être respectée en l’absence de circonstances inhabituelles, lesquelles n’existent pas en l’espèce. Par conséquent, la pension alimentaire pour conjoint sera maintenue, au nouveau taux, en vertu de la formule énoncée au paragraphe 5.1 de l’accord.

[41] Le 10 janvier 2003, le juge Killeen a rendu un jugement ordonnant à M. Horner de verser à Mme Horner la moitié des dépens d’indemnisation partielle, établis à 1 500 $ en plus des débours taxables et de la TPS. Fait important, le juge Killeen a souligné ce qui suit : [TRADUCTION] « [l]’audition de la demande en soi a duré environ une demi-journée et je ferais remarquer que, dans le cadre de l’instance, M. Horner n’a pas honnêtement communiqué les renseignements exacts sur sa situation financière complète au cours des récentes années passées aux États-Unis ».

IV.   Analyse A.   Norme d’examen

[42] Dans l’arrêt Hickey c. Hickey, 1999 CanLII 691 (C.S.C.), [1999] 2 R.C.S. 518 aux par. 10 à 12, la Cour suprême a réaffirmé qu’au moment de réviser l’allocation d’une pension alimentaire aux termes de la Loi, les tribunaux d’appel doivent faire preuve d’une grande déférence envers les juges de première instance en raison de la nature factuelle et discrétionnaire de la pension alimentaire. La Cour suprême a insisté sur la règle qui veut qu’une cour d’appel n’infirme une ordonnance alimentaire que si les motifs révèlent une erreur de principe ou une erreur significative dans l’interprétation de la preuve, ou encore si la décision est manifestement erronée. Par ailleurs, une cour d’appel n’a pas le droit d’annuler le montant adjugé en première instance pour le seul motif qu’elle aurait adjugé un montant différent ou soupesé les divers facteurs différemment.

[43] Il faut examiner toutes les questions soulevées par l’appelante en tenant compte de la norme d’examen. L’appelante veut savoir si, étant donné l’accord modificateur, elle devrait verser une contribution au titre de la pension alimentaire pour enfants destinée à Sean. Elle veut aussi connaître la mesure dans laquelle la pension alimentaire pour enfants destinée à Samantha devrait être rétroactive, le montant de la pension alimentaire pour conjoint et la mesure dans laquelle celle-ci devrait être rétroactive. En dernier lieu, l’appelante veut savoir si la pension alimentaire pour conjoint ne devrait pas être assortie d’un délai.

 B.   Pension alimentaire pour conjoint

[44] Le paragraphe 15.2(1) de la Loi prévoit que le tribunal compétent peut rendre une ordonnance enjoignant à un époux de verser à l’autre époux la prestation, sous forme de capital, de pension ou des deux, qu’il estime raisonnable pour les aliments de l’autre époux. En vertu du par. 15.2(4), le tribunal doit tenir compte des ressources, des besoins et, d’une façon générale, de la situation de chaque époux, y compris : a) la durée de la cohabitation; b) les fonctions qu’ils ont remplies au cours de celle-ci; c) toute ordonnance, toute entente ou tout arrangement alimentaire au profit de l’un ou l’autre des époux. Tel qu’énoncé au par. 15.2(6), la Loi vise à prendre en compte les avantages ou les inconvénients économiques qui découlent, pour les époux, du mariage ou de son échec; à répartir les conséquences économiques qui découlent du soin des enfants; à remédier à toute difficulté économique causée par l’échec du mariage et à favoriser l’indépendance économique de chacun des époux.

[45] En l’espèce, la cohabitation a duré environ 10 ans. Le juge saisi de la demande a conclu qu’il s’agissait d’un mariage traditionnel, [TRADUCTION] « l’épouse étant une femme au foyer alors que l’époux se bâtissait une carrière chez Nova Chemicals » tout en faisant des études plus poussées le soir. En ce qui concerne M. Horner, le juge saisi de la demande a conclu que son [TRADUCTION] « ascension remonte aux années 1980 et ne peut être dissociée du mariage et des ententes conclues avec son épouse quant à la structure de leur mariage ». Il a aussi conclu que l’augmentation spectaculaire du salaire de M. Horner à partir de 1995 avait entraîné un changement important de la situation.

[46] Le juge saisi de la demande a ensuite accordé à Mme Horner une pension alimentaire pour conjoint de 1 750 $ par mois, rétroactive au 1er mai 2001, la date de sa demande, [TRADUCTION] « en tenant compte de ses besoins financiers et de la capacité de payer de l’époux, ainsi que de l’incidence de l’impôt », mais sous réserve des conditions énoncées dans l’accord de séparation. Il a refusé d’annuler les dispositions de l’accord d’une durée d’application limitée, en indiquant qu’il s’agissait d’une partie du marché essentiel conclu entre les parties au moment où Mme Horner a reçu plus de la moitié des biens familiaux.

[47] Mme Horner soutient que le juge saisi de la demande a commis une erreur en ce qui concerne le montant de la pension alimentaire qu’il a accordé et l’ampleur de la rétroactivité du montant accordé, et en n’annulant pas le délai dont est assorti le montant accordé.

 i.   Le montant de la pension alimentaire

[48] Une combinaison de facteurs me portent à conclure que le montant de la pension alimentaire accordé par le juge du procès est « manifestement erroné ».

[49] Premièrement, le juge saisi de la demande a accordé le montant de la pension alimentaire pour conjoint en se fondant, en ce qui concerne le revenu de M. Horner, sur un revenu inférieur de 35 000 $ US à son revenu déclaré pour 2001. Le juge saisi de la demande a accordé la pension alimentaire en tenant pour acquis que le revenu de M. Horner était de 149 000 $ US ou 225 000 $ CAN. Cependant, la déclaration de revenus de ce dernier pour la même année indiquait que son revenu était de 184 119 $ US ou environ 272 000 $

CAN, sans compter la valeur des options d’achat d’actions. En outre, le juge du procès a conclu que M. Horner n’avait pas honnêtement communiqué les renseignements demandés. Je souscris à sa conclusion.

[50] Deuxièmement, le budget de 2 445,70 $ proposé par Mme Horner était raisonnable. Cependant, le juge du procès a rejeté sans commentaires le montant de la pension alimentaire qu’elle avait demandé.  

[51]  Troisièmement, pour établir le montant de la pension alimentaire, le juge saisi de la demande était tenu de déterminer les conséquences économiques découlant du fait que Mme Horner avait effectué la majorité des travaux ménagers. Dans l’arrêt Moge c. Moge, 1992 CanLII 25 (C.S.C.), [1992] 3 R.C.S. 813, le juge L’Heureux-Dubé a indiqué que les dispositions de la loi relatives à l’obligation alimentaire conjugale avaient pour objet la compensation. Tel qu’elle le souligne au par. 43, « le processus d’évaluation de l’obligation alimentaire conjugale après la rupture du mariage doit mettre l’accent sur l’effet positif ou négatif qu’a eu le mariage sur les possibilités économiques respectives de chacun des partenaires ». Il est clair que M. Horner a obtenu un avantage économique en laissant la majorité des charges familiales à son épouse, ce qui lui a permis de consacrer du temps à des études plus poussées et d’obtenir ultérieurement le poste qu’il occupe aujourd’hui. Pour sa part, en restant à la maison, Mme Horner n’a pu profiter d’un avantage semblable lorsqu’elle est allée se chercher du travail, un facteur dont ne semble pas tenir compte le montant de la pension alimentaire accordé par le juge saisi de la demande.  

[52] Compte tenu du fait qu’il n’est pas toujours possible de mesurer l’ampleur de la perte économique attribuable à l’absence d’un époux de la population active rémunérée, le tribunal considère les besoins et le niveau de vie comme critères premiers, avec la capacité de payer de l’autre partie : voir Ross v. Ross, (1995), 168 N.B.R. (2d) 147 à la p. 156 (C.A.); 16 R.F.L. (4th) 1, cité et approuvé dans Bracklow c. Bracklow, 1999 CanLII 715 (C.S.C.), [1999] 1 R.C.S. 420 au par. 36. Les motifs du juge saisi de la demande n’indiquent pas comment ni dans quelle mesure celui-ci a considéré les besoins de Mme Horner et le niveau de vie de M. Horner pour évaluer la perte économique.

[53] En ne prenant pas en considération les facteurs contextuels énoncés ci-haut, le juge saisi de la demande a accordé un montant qui peut être considéré, à la suite d’une analyse comparative des montants accordés, inférieur à la médiane des montants accordés au titre de la pension alimentaire dans des cas comparables et ce, même si l’on se fonde sur le montant moins élevé de 225 000 $ CAN. Le montant de 1 374 $ par mois accordé par le juge saisi de la demande au titre de la pension alimentaire pour enfants correspond à un montant de 16 488 $ par année. Le montant de 1 750 $ par mois accordé par le juge saisi de la demande au titre de la pension alimentaire pour conjoint correspond à un montant de 21 000 $ par année. Le montant total est de 37 488 $ par année. Si l’on tient pour acquis que le revenu brut de M. Horner est de 225 000 $ CAN, le montant total accordé à Mme Horner au titre de la pension alimentaire pour enfants et de la pension alimentaire pour conjoint ne représente qu’un peu plus de 26 % du revenu brut de M. Horner. Ces chiffres sont bien en deçà de la médiane des montants accordés au titre de la pension alimentaire pour conjoint lorsqu’il y a garde exclusive ou partagée des enfants et, en règle générale, lorsqu’un époux a la garde d’un enfant. Voir, par exemple, les causes suivantes portant sur la garde exclusive : Bemrose v. Fetter, 2003 Carswell Ont. 1725 (C.S.J. Ont.) (cohabitation pendant 13 ans; allocation d’une pension alimentaire égale à 43,6 % du revenu brut); McInnes v. McInnes, [2002] O.J. no 3154 (C.S.J. Ont.) (cohabitation pendant 13 ans; allocation d’une pension alimentaire égale à 42,6 % du revenu brut); Aguanno v. Aguanno (2002), 30 R.F.L. (5th) 14 (C. sup. de l’Ont.) (garde exclusive pendant 19 ans; allocation d’une pension alimentaire égale à 35,6 % du revenu brut). Voir la cause suivante portant sur la garde partagée : Brownstein v. Hanson (2003), 45 R.F.L. (5th) 67 (C. sup. de l’Ont.) (cohabitation pendant 10 ans; allocation d’une pension alimentaire égale à 40 % du revenu brut). Voir aussi les causes suivantes portant sur la garde dite traditionnelle : French v. French, [2002] O.J. no 259 (C.S.J. Ont.) (cohabitation pendant neuf ans; allocation d’une pension alimentaire égale à 30,2 % du revenu brut); Hart v. Hart (2003), 41 R.F.L. (5th) 80 (C. sup. de l’Ont.) (cohabitation pendant cinq ans; allocation d’une pension alimentaire égale à 36,9 % du revenu brut); Masztics v. Masztics, 2003 Carswell Ont. 1452 (C.S.J. Ont.) (cohabitation pendant 10 ans; allocation d’une pension alimentaire égale à 34 % du revenu brut);Royston v. Royston, [2003] O.J. no 849 (cohabitation pendant 10 ans; allocation d’une pension alimentaire égale à 30 % du revenu brut mais tenue d’un examen après trois ans);Savidis v. Savidis 2003 Carswell Ont. 4042 (C.S.J. Ont.) (cohabitation pendant sept ans; allocation d’une pension alimentaire égale à 35,5 % du revenu brut); S.E.C. v. G.P.(2003), 41 R.F.L. (5th) 250 (C. sup. de l’Ont.) (cohabitation pendant 12 ans; allocation d’une pension alimentaire égale à 33,3 % du revenu brut).

[54] Les divers facteurs énoncés ci-haut m’ont porté à conclure que le montant accordé par le juge saisi de la demande est manifestement erroné. Par conséquent, je suis d’avis d’annuler le montant accordé par le juge saisi de la demande au titre de la pension alimentaire pour conjoint et d’ordonner que la pension alimentaire pour conjoint destinée à Mme Horner soit établie à 2 445 $ par mois, tel qu’elle l’a demandé.

 ii.   Rétroactivité

[55] Mme Horner demande aussi que le montant accordé au titre de la pension alimentaire pour conjoint soit rétroactif au 1er janvier 2000.

[56] Dans l’arrêt Bracklow, précité, au par. 21, la Cour suprême a précisé que, lorsqu’un mariage échoue, la présomption d’interdépendance et d’obligation alimentaire mutuelle qui existait entre les époux durant le mariage ne s’applique plus. Le tribunal ne présumera pas qu’il existe une relation fiduciaire entre des époux séparés, ni ne présumera-t-il, en l’absence de preuve, qu’un époux est vulnérable à l’autre : Miglin c. Miglin, 2003 CSC 24 (CanLII), [2003] 1 R.C.S. 303 au par. 82. Si l’un des époux choisit de renoncer par voie d’entente à son droit à une pension alimentaire et que l’entente n’était pas inéquitable au moment où elle a été conclue et n’est pas inéquitable au moment où l’un des époux en demande l’annulation, le tribunal n’interviendra pas. Voir Miglin, précité, aux par. 82 à 91.

[57] Il existe deux théories opposées sur la pension alimentaire pour conjoint : la théorie de la compensation et celle de l’obligation mutuelle. Chacune d’elles peut être modifiée par contrat. Au moment d’accorder une pension alimentaire pour conjoint, le tribunal doit établir l’équilibre qui sert le mieux la justice dans l’affaire particulière dont il est saisi : Bracklow, précité, au par. 39. Il ne s’agit pas d’une tâche facile. La Cour suprême a précisé ce qui suit dans l’arrêt Miglin, précité, au par. 56 :

À la différence des aliments au profit d’un enfant, pour lesquels des critères normatifs relativement clairs ont été établis, les aliments entre époux ne se fondent sur aucun consensus social de ce type. Voir M. Shaffer et C. Rogerson, « Contracting Spousal Support : Thinking Through Miglin » (2003), 21 C.F.L.Q. 49 (exposé présenté pour la première fois dans le cadre du Colloque national sur le droit de la famille à Kelowna (C.-B.), 14 au 18 juillet 2002), p. 61. Nous remarquons de plus que l’adoption par le législateur d’objectifs larges et parfois concurrents en matière d’aliments entre époux fait contraste avec l’adoption de lignes directrices uniformes sur les pensions alimentaires aux enfants. Le pouvoir discrétionnaire conféré aux juges de première instance quant aux aliments entre époux contraste aussi avec le régime supplétif détaillé en matière d’égalisation des biens matrimoniaux prévu, par exemple, à l’art. 5 de la Loi sur le droit de la famille, L.R.O. 1990, ch. F.3, et avec le régime impératif du patrimoine familial énoncé aux art. 414 et suiv. du Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64. Ce qui est « juste » ne dépend donc pas seulement de la situation objective des p