Kirk c. McLaughlin Coal & Supplies Ltd. (1968), 1 O.R. 311 (C.A.)

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  • Date : 2024

Kirk c. McLaughlin Coal & Supplies Ltd. [1968]

1 O.R. 311, 66 D.L.R. (2d) 321 (C.A. de l’Ont.)

[Traduction du CTTJ du 20 novembre 1991 – © CICLEF, École de droit, Université de Moncton]

Délits – Res ipsa loquitur – Explosion d’une fournaise au mazout – Aucune intervention de la part des demandeurs propriétaires de la maison – La défenderesse est seule à s’acquitter de l’entretien de la fournaise – Peut-on conclure à la négligence par inférence? – Fardeau de la preuve.

 

Si d’une part, la défenderesse a procédé à l’installation du brûleur à mazout, a fourni le mazout et était la seule responsable de l’entretien de la fournaise, et que d’autre part un propriétaire n’a rien fait ni permis qui eût pu causer l’explosion de la fournaise en question, le principe res ipsa loquitur s’applique pour conclure par inférence à la négligence de la défenderesse qui a exécuté des travaux d’entretien sur la fournaise un mois et demi avant qu’elle n’explose. Il est de commune renommée que les fournaises n’explosent pas sans avoir fait l’objet de négligence. Or, dans les circonstances de la présente affaire, le « contrôle » effectif de la fournaise incombait à la défenderesse.

Lorsque la négligence est prouvée par inférence, la défenderesse n’a qu’à fournir une explication compatible avec l’exercice d’une diligence normale de sa part. En effet, le principe res ipsa loquitur n’est qu’une application particulière de la preuve circonstancielle. Ainsi, l’explication fournie par la défenderesse est alors mise en équilibre avec l’inférence tirée de l’accident et la responsabilité est tranchée par prépondérance des probabilités.

Arrêt : L’appel est accueilli et le jugement rejetant l’action est infirmé.

Version française du jugement rendu par

Le juge Evans (oralement).– Il s’agit d’un appel interjeté par les demandeurs à l’encontre du jugement du juge W.A.C. Hall de la Cour de comté de la 8e Division, rendu le 25 octobre 1966 et rejetant l’action avec dépens.

L’action repose sur une demande en dommages-intérêts présentée par les demandeurs pour les dommages causés à leur maison dans la ville d’Oshawa à la suite de deux explosions qui se sont produites dans leur fournaise au mazout les 21 février et 6 mars 1966.

Le juge de première instance a constaté les faits suivants : la fournaise a été convertie par l’installation d’un brûleur à mazout il y a environ 12 ans. Par la suite, la défenderesse a fourni du mazout aux demandeurs, acceptant du même coup d’assurer l’entretien et le nettoyage annuel de la fournaise.

Le 7 janvier 1966, la défenderesse a effectué certaines réparations à la fournaise. Le 21 février, la première explosion s’est produite. La fournaise a été réparée par la défenderesse et le 6 mars, la deuxième explosion a eu lieu.

Le juge de première instance a accepté le témoignage des demandeurs, qu’ils n’avaient pas touché à la fournaise, sauf en utilisant le thermostat pour monter ou baisser la température et que personne d’autre que la défenderesse n’a fait des travaux d’entretien sur la fournaise.

Les demandeurs n’ont pu établir la cause des explosions et ont été incapables d’apporter la preuve d’un acte précis de négligence pouvant entraîner la responsabilité de la défenderesse. Leurs avocats ont fait valoir que les circonstances entourant les deux accidents étaient telles que les événements en eux-mêmes permettaient de conclure par inférence à une conduite négligente de la part de la défenderesse, et qu’il s’agissait d’une situation à laquelle le principe res ipsa loquitur était applicable. Le juge de première instance a rejeté cet argument, étant d’avis que le contrôle exclusif sur la fournaise par la défenderesse était une exigence préalable à l’application du principe, et qu’en outre, tenir la défenderesse responsable en ferait l’assureur du demandeur.

Avec égards pour le juge de première instance, je ne suis pas de cet avis. Je suis d’avis que l’ensemble des circonstances entourant les incidents ont donné naissance à une situation où le principe res ipsa loquitur s’applique. Tout le monde sait que les fournaises au mazout n’explosent pas normalement. Le juge de première instance a accepté le témoignage des demandeurs qu’ils n’avaient rien fait ni permis qui eût pu causer les explosions. Le problème qui se pose est donc de savoir si les explosions sont survenues dans des circonstances telles qu’il est si improbable qu’elles se soient produites sans négligence de la part de la défenderesse que le fait qu’elles soient survenues, en lui-même, permet immédiatement de conclure par inférence que la défenderesse a en fait été négligente. Ayant exclu toute intervention de la part des demandeurs, et ayant accepté leur témoignage que la défenderesse seule a pourvu à l’entretien de la fournaise, le juge de première instance, à mon avis, devait conclure que le « contrôle » effectif incombait à la défenderesse. Je ne considère pas que le « contrôle » signifie la possession ou la garde matérielle. Il suffit pour établir le « contrôle » de démontrer que l’entretien et les réparations de la fournaise relevaient exclusivement de la défenderesse et que nul autre n’est intervenu.

Le principe res ipsa loquitur n’est qu’une application particulière de la preuve circonstancielle, dont on peut ou non tirer une inférence. En l’espèce, je suis d’avis qu’une situation a été produite où il est raisonnable et normal, suivant l’expérience courante, de conclure, par inférence, que les explosions ont été causées par négligence et que la négligence est imputable à la défenderesse.

Malgré les avantages que le principe peut procurer sur le plan de la procédure, il ne dispense pas les demandeurs du fardeau premier qui leur incombe de faire la preuve de leurs prétentions à l’égard de la défenderesse. La défenderesse peut échapper à la responsabilité si elle peut neutraliser l’inférence de négligence en fournissant une explication démontrant l’exercice d’une diligence raisonnable dans l’entretien et la réparation de la fournaise. À mon avis, la défenderesse n’a pas apporté pareille preuve et l’inférence de négligence soulevée par les demandeurs suffit pour leur permettre de s’acquitter du fardeau qui leur incombe de faire la preuve de leurs prétentions par une preuve prépondérante.

Je reconnais que la défenderesse n’a pas à réfuter la négligence qui lui est reprochée. Elle n’a qu’à apporter une explication compatible avec l’exercice d’une diligence normale de sa part. L’explication est alors mise en équilibre avec l’inférence tirée de l’accident et la responsabilité est tranchée par prépondérance des probabilités.

L’appel est accueilli et les dépens sont fixés à 25 $. Le jugement de première instance est annulé et les demandeurs auront droit à 394,43 $, outre les dépens et des honoraires d’avocat de 25 $.