COUR D’APPEL DE L’ONTARIO
LES JUGES D’APPEL CATZMAN, AUSTIN ET BORINS
E N T R E :
KUCOR CONSTRUCTION & DEVELOPMENTS & ASSOCIATES
requérante
(appelante)
– et –
THE CANADA LIFE ASSURANCE COMPANY ET HONGKONG BANK TRUST COMPANY
intimées
(intimées)
– et –
COWLING STRATHY & HENDERSON ET FASKEN CAMPBELL GODFREY
intervenants/
intimés
(intimés)
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Robert D. Malen
pour l’appelante
Malcolm M. Mercer
pour l’intimée The Canada Life Assurance Company,
I.V.B. Nordheimer
pour l’intimée la Hongkong Bank TrustCompany
Peter K. Doody
pour l’intimée Gowling Strathy & Henderson
Warren H.O. Mueller, c.r.
pour l’intimé Fasken Campbell Godfrey
Audience: les 17 et 18 septembre 1998
LE JUGE D’APPEL BORINS :
[1] Le présent appel se rapporte au droit légal au rachat anticipé prévu au paragraphe 18(1) de laLoi sur les hypothèques, L.R.O. 1990, chap. M.40. Il s’agit de savoir si, et, dans l’affirmative, dans quelles circonstances, une société en commandite peut se fonder sur ce droit pour obtenir la mainlevée d’une hypothèque commerciale fermée à long terme que cette société a entendu accorder.
[2] Agissant sous le nom de sa raison sociale, Kucor Construction & Developments & Associates (« Kucor »), la société en commandite en l’espèce a déposé une requête contre sa créancière hypothécaire. Dans cette requête, Kucor sollicitait une disposition déclaratoire portant qu’elle avait le droit de [TRADUCTION] « racheter » l’hypothèque en vertu du paragraphe 18(1). La requête a été rejetée par le juge Ground — dont les motifs de décision sont rapportés dans (1997), 32 O.R. (3d) 548. D’autres mesures de redressement qui ont été réclamées; mais, vu ma position sur le présent appel, il n’est pas nécessaire que je les examine.
[3] En résumé, le juge Ground a conclu que, même si Kucor avait entendu accorder l’hypothèque, elle n’était pas en mesure de le faire : en qualité de société en commandite, Kucorn’était pas une entité juridique habilitée à détenir le titre d’un bien immeuble ni à transférer ce titre au moyen d’une hypothèque sur un tel bien. Interprétant la convention hypothécaire, le juge a considéré qu’elle avait été conclue par la commanditée, Kucor Construction & Developments Ltd. (« Kucor Ltd. »), au nom des commanditaires. Kucor Ltd étant une « corporation » (« personne morale ») au sens du paragraphe 18(2) de la Loi, elle n’avait pas la possibilité de racheter l’hypothèque par anticipation en s’appuyant sur le paragraphe 18(1). Comme le juge Ground, je considère que le paragraphe 18(2) empêche l’application du paragraphe 18(1) de la Loi dans les circonstances du présent appel. Par contre, ainsi que je l’expliquerai, je ne souscris pas à certaines des conclusions auxquelles le juge Ground est arrivé lorsqu’il a rejeté la requête.
LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES
[4] En vertu du paragraphe 18(1) de la Loi sur les hypothèques, si une personne — c’est-à-dire, entre autres, une personne morale — a l’obligation de payer ou le droit de racheter une hypothèque qui devient échue plus de cinq ans après la date de sa création, cette personne a le droit d’en rembourser le solde impayé, par anticipation, après l’expiration de cinq ans. Ce paragraphe se lit comme suit :
18(1) Lorsque tout ou partie du principal ou des intérêts garantis par une hypothèque sur une propriété franche ou une propriété à bail, est, en vertu de l’hypothèque, échu plus de cinq ans après la date de l’hypothèque, aucun autre intérêt sur le principal ou les intérêts échus de l’hypothèque n’est exigible, payable ou recouvrable après cette date si la personne ayant l’obligation de payer ou le droit de rachat offre ou paie au créancier hypothécaire du montant de l’hypothèque, à une date subséquente à ces cinq ans, le principal et les intérêts échus à la date de l’offre ou du paiement, de même que les intérêts de trois mois supplémentaires pour tenir lieu d’avis.
[5] Le paragraphe 18(2) de la Loi excepte les personnes morales débitrices hypothécaires de la protection accordée par le paragraphe (1). Le paragraphe 18(2) établit ce qui suit :
18(2) Le présent article n’a pas d’application dans le cas d’une hypothèque consentie par une compagnie par actions ou une autre personne morale, ou d’une débenture émise par celles-ci et garantie par une sûreté sur une propriété franche ou une propriété à bail.
[6] Comme je ferai souvent référence à certains articles de la Loi sur les sociétés en nom collectif, L.R.O. 1990, chap. P.5 et de la Loi sur les sociétés en commandite, L.R.O. 1990, chap. L.16, il est pratique que je les reproduise. Les dispositions suivantes sont tirées de la Loi sur les sociétés en nom collectif :
2. La société en nom collectif est la relation qui existe entre des personnes qui exploitent une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice. Ne constitue toutefois pas une société en nom collectif, au sens de la présente loi, la relation qui existe entre les membres d’une compagnie ou d’une association constituée en personne morale par une loi générale ou spéciale en vigueur en Ontario ou ailleurs ou en application de celle-ci, ou inscrite comme personne morale aux termes d’une telle loi.
5. Les personnes qui se sont associées pour former une société en nom collectif sont, pour l’application de la présente loi, appelées collectivement une firme, et le nom sous lequel elles exploitent leur entreprise est appelé la raison sociale.
6. Chaque associé est mandataire de la firme ainsi que de ses coassociés aux fins de l’entreprise de la société en nom collectif. Les actes de chaque associé dans le cadre de la conduite ordinaire de l’entreprise qu’exploite la firme dont il est membre lient cette dernière et ses associés, sauf si, d’une part, l’associé en question n’a en fait aucun pouvoir d’agir pour la société en la matière et si, d’autre part, la personne avec laquelle il traite sait qu’il n’a aucun pouvoir en la matière ou ne sait pas qu’il est un associé ou ne croit pas qu’il le soit.
10. Chacun des associés d’une firme est responsable, conjointement avec ses coassociés, de toutes les dettes et obligations de la firme contractées pendant qu’il est associé. Après son décès, sa succession est solidairement responsable dans le cours normal de l’administration de ces dettes et obligations dans la mesure où il n’y est pas satisfait, sous réserve du paiement préalable de ses dettes personnelles.
21.(1) Tous les biens, ainsi que les droits et les intérêts sur les biens formant le capital initial de la société en nom collectif ou acquis, par achat ou autrement, pour le compte de la firme ou dans la conduite de l’entreprise de la société et à ses fins, sont appelés « biens de la société » dans la présente loi. Ils ne doivent être détenus et utilisés par les associés que pour les fins de la société en nom collectif et conformément au contrat de société.
[7] Les dispositions suivantes sont tirées de la Loi sur les sociétés en commandite :
2.(1) Sous réserve de la présente loi, une société en commandite peut être formée pour exploiter toute entreprise qu’une société en nom collectif sans commanditaires peut exploiter.
(2) Une société en commandite se compose d’une ou de plusieurs personnes ayant qualité de commandités et d’une ou de plusieurs personnes ayant qualité de commanditaires.
3.(1) La société en commandite est constituée dès le dépôt d’une déclaration auprès duregistrateur conformément à la présente loi.
(2) La déclaration est signée par tous les commandités qui désirent constituer une société en commandite et contient les renseignements prescrits.
4.(1) Les commandités de toute société en commandite autre qu’une société en commanditeextraprovinciale tiennent un registre des commanditaires à jour où figurent, pour chaque commanditaire, les renseignements prescrits.
5.(1) Dans une société en commandite, une personne peut être à la fois commandité et commanditaire.
(2) La personne qui est à la fois commandité et commanditaire dans une société en commandite a les droits, pouvoirs et obligations d’un commandité et est assujettie aux restrictions applicables à un commandité. Toutefois, à l’égard de son apport en tant que commanditaire, cette personne ne peut opposer à ses coassociés que ses droits de commanditaire.
7.(1) L’apport du commanditaire peut consister en une somme d’argent ou en d’autres biens, mais non en services.
(2) L’intérêt d’un commanditaire dans la société en commandite est un bien meuble.
8. La commanditée d’une société en commandite a tous les droits, pouvoirs et obligations d’un associé dans une société en nom collectif et est assujetti aux restrictions applicables à celui-ci, mis à part le fait que, sans le consentement écrit ou la ratification expresse de tous les commanditaires, il n’a pas le pouvoir d’accomplir les actes suivants :
a) agir en violation du contrat de société;
b) accomplir tout acte qui rend impossible la poursuite de l’exploitation normale de l’entreprise de la société en commandite;
c) consentir à un jugement contre la société en commandite;
d) détenir un bien de la société en commandite ou céder un droit sur un bien précis de la société, à d’autres fins que celles de la société.
9. Sous réserve de la présente loi, le commanditaire n’est responsable des obligations de la société en commandite que jusqu’à concurrence de la valeur de l’apport, en argent et en autres biens, qu’il a fourni ou s’engage à fournir à la société en commandite, selon le montant qui figure dans le registre des commanditaires.
13.(1) Le commanditaire n’est pas responsable au même titre qu’un commandité, sauf si, en plus d’exercer les droits et pouvoirs qui lui sont conférés en qualité de commanditaire, il participe à la direction de l’entreprise.
(2) Pour l’application du paragraphe (1), le commanditaire n’est pas présumé participer à la direction de l’entreprise du seul fait qu’il exerce plus de droits et de pouvoirs que n’en confère la présente loi à un commanditaire.
FAITS
[8] La société en commandite Kucor a été créée par une convention de société en commandite conclue le 12 mars 1976. Kucor Ltd. y figure en tant que commanditée, et un certain nombre d’autres personnes morales et personnes individuelles y sont présentées comme commanditaires.
[9] Selon les énoncés de la convention, les parties ont formé la société en commandite comme instrument de placement, afin d’acquérir un bien-fonds déterminé, situé à Cornwall, en Ontario, et d’y construire un grand immeuble à logements. Les buts déclarés de la convention étaient, entre autres, l’établissement de dispositions prévoyant [TRADUCTION] « la détention de titres de terrains et d’immeubles par la société en commandite » et la construction de l’immeuble. Finalement, deux immeubles à logements ont été construits.
[10] En vertu de certaines dispositions de la convention, Kucor Ltd, en tant que commanditée, devait se charger de l’administration, de la conduite et de l’exploitation des affaires de la société en commandite, notamment de l’exécution de toutes les conventions reliées à l’acquisition du terrain et à la construction de l’immeuble sur ce terrain. La convention interdisait aux commanditaires de prendre part à l’administration de la société en commandite et stipulait qu’ils n’avaient pas le pouvoir de signer au nom de la société ni de la lier. La convention interdisait en particulier à un commanditaire d’hypothéquer sa part dans la société en commandite sans le consentement de la commanditée. De plus, la convention obligeait chaque commanditaire à signer une garantie pour tout prêt exigé pour l’achat du terrain ou pour le financement de la construction de l’immeuble à logements. Cette garantie se limitait à la part représentée par le capital investi par le commanditaire dans la société par rapport au total du capital investi par l’ensemble des commanditaires.
[11] Le 30 mars 1976, Kucor Ltd., à titre de concédante, a cédé la propriété de Cornwall à la société en commandite, décrite comme la concessionnaire. L’affidavit des droits de cession immobilière, qui a été signé par M. Garth Drabinsky en sa qualité de président de Kucor Ltd., indiquait ce qui suit :
[TRADUCTION]
Le terrain a été pris en fiducie pour une société en commandite projetée; La fiduciaire cède maintenant le terrain à la bénéficiaire. La concessionnaire a, ou aura été, selon le cas, l’unique propriétaire bénéficiaire durant toute la période où les terrains ont été ou seront enregistrés au nom de la concédante.
[12] Dans un acte formaliste bilatéral signé le 8 septembre 1977, la société en commandite, à titre de débitrice hypothécaire, a hypothéqué la propriété en faveur de The Maritime Life AssuranceCompany (« Maritime »). Le montant de cette hypothèque était de 6 460 050,00 $, et le taux des intérêts stipulés étaient de 12% l’an. Le prêt hypothécaire avait une durée de cinq ans et venait à échéance le 1er mai 1982. L’hypothèque avait été signée par Norman Goldman au nom de la débitrice hypothécaire. La description figurant à cet égard au contrat porte ce qui suit : [TRADUCTION] « KUCOR CONSTRUCTION & DEVELOPMENTS & ASSOCIATES, par l’entremise de sa commanditée, KUCOR CONSTRUCTION & DEVELOPMENTS LTD. » Dans un affidavit exigé par la Loi sur l’aménagement du territoire, M. Goldman se dit le secrétaire de la débitrice hypothécaire « Kucor Construction & Developments Ltd. [sic] & Associates ». Chaque commanditaire a signé l’hypothèque en tant que garant. Pour chacun, le montant de l’engagement pris équivaut à-peu-près au montant de l’apport de capital. Kucor Ltd. a elle-même consenti à l’hypothèque en tant que garante. À l’époque, il y avait 17 commanditaires, dont au moins deux étaient des personnes morales.
[13] Subséquemment, l’échéance de l’hypothèque a été repoussée au 1er janvier 1983. Le 9 mars 1983, Maritime a cédé l’hypothèque à Morguard Trust Company (« Morguard »). À la suite de cette opération, la durée de l’hypothèque a été prolongée jusqu’au 1er mars 1988 et le taux d’intérêt annuel a été haussé à 13,875 %. Les différents commanditaires sont demeurés garants de la dette hypothécaire proportionnellement au montant de leur contribution respective au capital de la société en commandite.
[14] Le 1er août 1987, l’hypothèque a été modifiée et prolongée pour une troisième et dernière fois. D’importantes négociations entre Kucor Ltd. et Morguard avaient précédé cette modification. En vertu de celle-ci, le taux d’intérêt annuel sur le prêt hypothécaire a été baissé à 11,96 % et la durée de l’hypothèque a été prolongée de quinze ans, la nouvelle période commençant le 1er juillet 1987 et courant jusqu’au 1er juillet 2002. Suivant une des dispositions négociées pour la convention de modification, l’hypothèque n’était pas ouverte au rachat avant son échéance. Cette disposition, qui est précédée par le sous-titre [TRADUCTION] « Privilège de remboursement anticipé », dit ce qui suit : [TRADUCTION] « La présente hypothèque ne prévoit aucun privilège de rachat par anticipation pour toute la durée du prêt ». Comme les conventions précédentes, cette convention a été passée par [TRADUCTION] « KUCOR CONSTRUCTION & DEVELOPMENTS & ASSOCIATES, une société en commandite, par l’entremise de son unique commanditée, KUCOR CONSTRUCTION & DEVELOPMENTS LTD. », qui a apposé son sceau social à sa signature. Comme auparavant, les commanditaires ont passé la convention de modification en qualité de garants, en s’engageant proportionnellement à leur apport de capital individuel à la société en commandite. Il y avait alors 23 commanditaires et chacun d’eux était une personne individuelle.Kucor Ltd a signé à titre de covenantante supplémentaire.
[15] Le 3 septembre 1987, les commanditaires ont adopté une résolution autorisant Kucor Ltd., en tant que commanditée, à signer la convention de modification avec Morguard au nom de la société en commandite. Les dispositions pertinentes de cette résolution se lisent comme suit :
[TRADUCTION]
3. Les présentes autorisent et approuvent la passation avec Morguard Trust Company et la délivrance, par Kucor Construction & Developments Ltd., au nom de la société en commandite, et en qualité de commanditée, d’une convention prolongeant et modifiant une hypothèque grevant une propriété de la société dont les adresses civiques sont le 1430 et le 1450 First Street East, à Cornwall, en Ontario, s’élevant à 6 089 241,50 $, portant intérêt au taux de onze virgule quatre-vingt-seize pour cent (11,96 %) l’an et assortie d’une durée de cinq ans [sic], de même que la passation et la délivrance des autres documents qui pourraient être requis sous le régime des dispositions de la lettre d’engagement;
4. Par les présentes, la commanditée est autorisée à agir au nom et pour le compte de la société aux fins de tout autre acte, de toute mesure et de toute signature de document qu’elle juge nécessaires ou souhaitables pour donner effet à la lettre d’engagement.
Le 24 septembre 1987, le conseil d’administration de Kucor Ltd. a approuvé une résolution similaire. Dans celle-ci, toutefois, la prolongation d’hypothèque était décrite correctement comme étant de 15 ans, plutôt que des cinq ans indiqués dans la disposition 3.
[16] Le 5 octobre 1987, Morguard a changé son nom pour celui de Metropolitan Trust Company. Le 27 octobre 1995, cette dernière a à son tour changé de nom, pour devenir la Hongkong Bank Trust Company (« Hongkong »). L’intimée, The Canada Life Assurance Company (« Canada Life ») est l’actuelle investisseuse dans l’hypothèque, tandis que Hongkong est la gestionnaire de la créance hypothécaire.
[17] La requête présentée au juge Ground a été précipitée par un échange de lettres du printemps 1996 entre l’avocat de la société en commandite et les avocats de Hongkong et de Canada Life. L’avocat de la société en commandite avait écrit à Hongkong pour annoncer que la société avait l’intention de racheter l’hypothèque par anticipation en vertu du paragraphe 18(1) de la Loi sur les hypothèques. Déclarant que la société souhaitait profiter des taux d’intérêt favorables, l’avocat demandait que soient pris les arrangements nécessaires à cette fin. Les avocats de Hongkong ont rejeté cette demande. La raison : l’hypothèque avait été accordée au nom de la société en commandite par son commandité, Kucor Ltd., une personne morale, de sorte que le droit du paragraphe 18(1) au rachat de l’hypothèque par anticipation était annulé par le paragraphe 18(2). Dans sa réponse à cette lettre, l’avocat de la société en commandite a fait valoir que la débitrice hypothécaire était la société en commandite et non Kucor Ltd., et que, en conséquence, le paragraphe 18(1) s’appliquait. La société en commandite et la créancière hypothécaire ont maintenu leur position respective tant devant le juge Ground que devant la présente Cour.
[18] Par une ordonnance du protonotaire Peterson datée du 12 novembre 1996, les cabinets d’avocats Gowling Strathy & Henderson et Fasken Campbell Godfrey, qui représentaient respectivement Morguard et la société en commandite au moment où l’hypothèque a été modifiée et prolongée en 1987, ont obtenu le statut d’intervenant. Cette autorisation d’intervenir les présentait comme [TRADUCTION] « des parties intimées additionnelles à la requête, détenant tous les droits d’un intimé, y compris les droits d’appel ». L’intitulé de la requête était modifié en conséquence. Au paragraphe 3 de cette ordonnance, on trouve ce qui suit :
[TRADUCTION]
LA PRÉSENTE COUR ORDONNE que le juge saisi de la requête aura discrétion pour décider de tout droit à des dépens, ou de toute obligation de verser des dépens, entre une partie à la requête, autre que les intervenants, et les intervenants.
MOTIFS DU JUGE DES MOTIONS
[19] À la page 553 des motifs de sa décision, le juge Ground a défini comme suit les questions dont il était saisi :
[TRADUCTION]
Dans la présente requête, la principale question à trancher consiste à savoir si la société en commandite est une « personne ayant l’obligation de payer ou ayant le droit de rach[eter] » l’hypothèque et si l’hypothèque, sur laquelle porte la requête, a été « consentie par une compagnie par actions ou par une autre personne morale ». D’autres questions, subsidiaires, sont aussi à trancher : si les parties peuvent se soustraire aux dispositions de la Loi sur les hypothèques; et ce que signifie, si tant est, l’apposition du sceau social de Kucor à la troisième modification.
[20] En toute déférence, le juge Ground a défini les questions à trancher en leur prêtant une grande envergure, ce qui a compliqué inutilement la résolution de la requête. De plus, le jugeGround a considéré que la décision de la notre cour dans Litowitz v. Standard Life Assurance Co. (Trustee of) (1996), 30 O.R. (3d) 579, n’était pas utile à la décision de la requête. Cet appel portait sur l’interprétation et l’application, par rapport à trois hypothèques, de l’article 18 de la Loi sur les hypothèques ainsi que de sa contrepartie, l’article 10 de la Loi sur l’intérêt, L.R.C. 1995, ch. I-15. Dans cette affaire, l’opinion du tribunal a été énoncée par le juge d’appel Robins. J’expliciterai les motifs du juge Robins un peu plus loin; pour l’instant, je me contenterai d’évoquer certains de ses propos, qui figurent aux pages 585 et 591 du recueil. Selon le juge, on peut savoir si le paragraphe 18(1) s’applique à une hypothèque spécifique en répondant à deux questions seulement : celle de savoir qui a « consenti » l’hypothèque au sens du paragraphe 18(2); et celle de savoir si cette entité était « une compagnie par actions ou une autre personne morale ».
[21] Plutôt que de se concentrer sur les questions ciblées par le juge Robins, le juge Ground s’est d’abord demandé qui « avait l’obligation de payer ou avait le droit de rach[eter] » l’hypothèque sous le régime du paragraphe 18(1). Le juge a conclu que la commanditée, Kucor Ltd., et les commanditaires, [TRADUCTION] « collectivement », étaient des personnes qui avaient l’obligation de payer l’hypothèque en raison de leurs garanties; en conséquence, a enchaîné le juge, ces personnes avaient le droit de racheter l’hypothèque en vertu du paragraphe 18(1). Le juge a aussi conclu que rien ne permettait de soutenir [TRADUCTION] « la thèse qu’une société en commandite est une « joint stock company » (dans la Loi : « compagnie par actions ») ou pourrait être qualifiée de « joint stock company » (dans la Loi : « compagnie par actions ») ». (page 554)
[22] Le juge Ground a ensuite conclu qu’une société en commandite n’est pas une entité juridique capable de détenir le titre d’un immeuble et de l’hypothéquer. L’analyse qui sous-tend cette conclusion et qui conduit au rejet de la requête figure aux pages 554 et 555 du recueil. La voici :
[TRADUCTION]
Revenons-en aux principes juridiques fondamentaux. Le droit ne considère comme des personnes jouissant de droits juridiques distincts et séparés que les personnes individuelles et les personnes morales. Une société en nom collectif peut être reconnue en droit comme une association de personnes possédant certaines caractéristiques distinctives. Elle peut aussi, sous le régime de la règle 8.01 des Règles de procédure civile, avoir le droit d’entamer des procédures ou se voir intenter des procédures sous sa raison sociale. Le concept de biens d’une société en nom collectif est aussi reconnu en droit; ceci dit, de tels biens ne sont pas des biens dont la société est propriétaire, mais plutôt des biens dans lesquels tous les associés ont des intérêts indivis. Dans une société en commandite, le titre en common law est détenu par la commanditée au profit de tous les commanditaires. À mon avis, aucun de ces facteurs ne fait de la société une entité juridique ni une personne possédant une existence distincte reconnue en droit et, conséquemment, capable de détenir des titres sur des biens et de les hypothéquer ou de consentir une sûreté sur des biens. Je conclus donc que la société en commandite ne peut détenir de titres sur les biens hypothéqués et, en conséquence, que l’acte formaliste consenti par Kucor à la société en commandite doit être considéré comme nul. Ainsi, le titre de l’immeuble demeure entre les mains de Kucor, qui détient ce bien au profit de tous les commanditaires de la société en commandite. En ce qui concerne les conventions hypothécaires, elles doivent, à mon sens, être interprétées comme ayant été conclues parKucor, en sa qualité de commanditée de la société en commandite, au nom de tous les commanditaires. Une telle conclusion est conforme aux dispositions de la convention de société en commandite et à la résolution des commanditaires qui a autorisé l’hypothèque.
[23] Le juge des motions s’est aussi penché sur la possibilité, pour les parties, de se soustraire aux dispositions du paragraphe 18(1) de la Loi sur les hypothèques. Le juge avait précédemment reconnu qu’une telle question était devenue purement théorique puisqu’il avait conclu que le paragraphe 18(1) ne s’appliquait pas à la débitrice hypothécaire. Quoi qu’il en fût, en se fondant sur la décision de la présente cour dans Litowitz, le juge a conclu que la disposition de la convention de modification interdisant le paiement par anticipation serait inexécutoire.
[24] Le juge Ground a exprimé des doutes au sujet d’un point de procédure : savoir si la requête avait été correctement introduite, présentant, comme elle le faisait, la raison sociale de la société en commandite comme requérante. À la page 554 du recueil, le juge déclare ce qui suit :
[TRADUCTION]
L’avis de requête peut présenter un vice technique du fait qu’il désigne la société en commandite comme requérante. Ceci dit, une modification de la requête serait évidemment autorisée si elle visait à présenter la commanditée comme co-requérante en son propre nom et au nom des commanditaires individuels.
DISCUSSION
[25] Si l’on cherche à déterminer si le paragraphe 18(1) de la Loi sur les hypothèques peut s’appliquer et permettre le rachat de l’hypothèque par anticipation, il faut, à mon sens, comme l’a conclu le juge d’appel Robins dans l’affaire Litowitz, partir du paragraphe 18(2) de la Loi. Si, ainsi que le prévoit le paragraphe 18(2), l’hypothèque a été « consentie par une compagnie par actions ou par une autre personne morale », le rachat par anticipation est interdit. Comme je l’ai indiqué, la position de l’avocat de la société en commandite est que l’hypothèque a été consentie par la société et que, parce que la société en commandite n’est ni une compagnie par actions ni une personne morale, elle a le droit de racheter l’hypothèque par anticipation. Cette position est axée sur la question de savoir si la société en commandite est une entité juridique distincte, qui soit capable de détenir les titres de biens immobiliers et de transférer ces titres en hypothéquant le bien. Les avocats des intimés et des intervenants s’accordent pour dire que la société en commandite n’est pas une entité juridique. Selon moi, ils ont raison.
[26] Des ouvrages de doctrine et des arrêts respectés affirment que la société en commandite n’est pas une entité juridique. Ceux qui suivent sont unanimes à cet égard. Dans 35 Halsbury’s Laws ofEngland, (4th ed., 1994, Butterworths), à la page 136, il est écrit : [TRADUCTION] « La société en commandite, comme la société en nom collectif ordinaire, n’est pas une entité juridique. » Dans R.C.P. Banks, Lindley & Banks on Partnership, (17th ed., 1995, Sweet & Maxwell), à la page 864, on trouve ce qui suit : [TRADUCTION] « La société en commandite n’est pas une entité juridique comme la société par actions à responsabilité limitée; il s’agit d’une forme de société possédant un nombre de caractéristiques particulières, introduites par la Limited Partnerships Act1907. » Voir aussi Sadle v. Whiteman, [1910] 1 K.B. 868 (C.A.), le lord juge Farwell, à la page 889; Re Lehndorff General Partner Ltd. (1993), 17 C.B.R. (3d) 17, à la page 39 (C. de l’Ont. (Div.gén.)). Le principe selon lequel ni les sociétés en nom collectif ni les sociétés en commandite ne sont des entités juridiques est accepté depuis longtemps, tant par le droit canadien que par le droit anglais. C’est sans aucun doute la raison pour laquelle la société en commandite est légalement tenue d’avoir un commandité et d’agir, normalement, par son entremise : Loi sur les sociétés en commandite, paragraphe 2(2) et articles 8 et 13. Pour ce qui est de la société en nom collectif, l’article 6 de la Loi sur les sociétés en nom collectif indique par l’entremise de qui elle peut agir.
[27] Comme l’a observé le juge Farley dans l’affaire Lehndorff, à la page 38 du recueil, la société en commandite est une création légale. Ceci étant, si la législature avait eu l’intention de créer une nouvelle entité juridique, il est raisonnable de conclure qu’elle l’aurait fait dans la Loi sur les sociétés en commandite, comme elle l’a fait à l’article 15 de la Loi sur les sociétés par actions, L.R.O. 1990, chap. B.16. Suivant cet article, en effet, une « société a la capacité et les droits, pouvoirs et privilèges d’une personne physique. » Voir aussi la Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C. 1985, chap. C-44, paragraphe 15(1). Cette conclusion trouve appui dans une étude de l’histoire des sociétés en commandite : Alison R. Manzer, Canadian Partnership Law (1995, Canada Law Book Inc.), 9-5 et suivants. L’adoption de lois encadrant les personnes morales et les sociétés en commandite a eu lieu au 19e siècle, à peu près en même temps en Angleterre, au Canada et aux États-Unis. Des structures distinctes et fondamentalement différentes ont été édictées pour les personnes morales et les sociétés en commandite. Cette façon d’agir des législatures indique qu’elles n’avaient pas l’intention d’investir la société en commandite d’un statut juridique. En effet, comme je l’explique plus loin, la société en commandite est un type particulier de société en nom collectif.
[28] Il s’ensuit que le juge Ground avait raison de conclure que la société en commandite n’est pas une entité juridique.
[29] Parce qu’une société en commandite n’est pas une entité juridique, il est nécessaire d’examiner comment une société en commandite exerce ses activités commerciales et, en particulier, comment elle peut acquérir des biens immobiliers ou détenir le titre de tels biens.
[30] Dans Lehndorff, aux pages 38 à 40 du recueil, le juge Farley fournit une explication très utile des caractéristiques de la société en commandite et de la façon dont ses activités commerciales sont exercées. Dans le passage qui suit, la mention [TRADUCTION] « LSC Ontario » fait référence à laLoi sur les sociétés en commandite :
[TRADUCTION]
La société en commandite est une création légale et se compose d’un ou de plusieurs commandités et d’un ou de plusieurs commanditaires. Pour les commanditaires, la société en commandite est un moyen d’investissement permettant de faire un investissement passif. Essentiellement, elle combine deux éléments : le caractère accréditif de l’amortissement ou des crédits fiscaux dont bénéficient les associés [TRADUCTION] « ordinaires » sous le régime du droit des sociétés en nom collectif; et la responsabilité limitée à laquelle ont droit les actionnaires sous le régime du droit des personnes morales. Voir LSC Ontario, paragraphes 2(2) et 3(1) et Lyle R. Hepburn, Limited Partnerships (Toronto : De Boo, 1991), p. 1-2 et 1-12. […] Un commandité possède tous les droits et pouvoirs d’un associé d’une société en nom collectif; et un commandité est assujetti à toutes les restrictions et obligations d’un tel associé. Plus particulièrement, le commandité est pleinement responsable, envers chaque créancier, des obligations reliées aux affaires de la société en commandite. Le commandité, exclusivement, administre les biens et dirige les affaires de la société en commandite : voir LSC Ontario, articles 8 et 13. Les commanditaires ne détiennent pas de droit de propriété « indépendant » sur les biens immeubles de la société en commandite. Les droits des commanditaires se limitent à leur apport de capital et à tout profit qui en découle, après le règlement des créances. Voir LSC Ontario, articles 9, 11, 12(1), 13, 15(2) et 24. Quant à la dynamique des rapports débiteur-créancier, en ce qui a trait aux affaires de la société en commandite, elle se déroule entre le commandité et les créanciers de l’entreprise. Si les créanciers recouvrent une créance et exécutent une sûreté, ils doivent se limiter aux actifs de la société en commandite et à ceux du commandité, y compris les intérêts du commandité dans la société en commandite. Ce type de rapport est reconnu par la Loi sur la faillite (aujourd’hui la Loi sur la faillite et l’insolvabilité), aux articles 85 et 142.
[…]
Les commanditaires me semblent jouer un rôle complètement passif en ce qui a trait aux activités courantes d’une société en commandite (ils y sont obligés, sinon ils perdent la protection de la responsabilité limitée : leur seule raison de choisir le moyen de la société en commandite plutôt que celui de la société en nom collectif). […] Les commanditaires laissent le commandité diriger les affaires de la société. En conséquence, le commandité est responsable de la garde et de l’entretien des biens, de la gestion des actifs et de la bonne marche de l’entreprise de la société en commandite dans laquelle les commanditaires et le commandité possèdent des intérêts. La propriété des biens, des actifs et de l’entreprise de la présente société en commandite est un intérêt indivis et ne saurait être divisé aux fins de procédures judiciaires. […] S’ils ne sont pas satisfaits de leur commandité ou des activités de la société en commandite menées par le commandité, les commanditaires peuvent choisir entre deux lignes de conduite : a) voter pour démettre le commandité et le remplacer par un autre; ou b) voter pour dissoudre la société en commandite. […]
[31] La société en commandite est une société en nom collectif, et la Loi sur les sociétés en nom collectif, qui gouverne les sociétés générales, s’y applique à moins que ses dispositions ne soient contraires à celles de la Loi sur les sociétés en commandite. Ceci dit, à l’examen des dispositions de ces deux lois, au moins deux distinctions importantes entre la société générale et la société en commandite ressortent à l’évidence. La première distinction est la suivante : dans les sociétés générales, tous les partenaires sont responsables des obligations de la société; alors que dans une société en commandite, la commanditée est pleinement responsable des obligations de la société, les enjeux financiers des commanditaires étant restreints à leur apport au capital de la société. La seconde distinction est la suivante : dans une société générale, n’importe quel associé peut diriger les affaires courantes de la société; tandis que dans une société en commandite, les commanditaires sont passifs et la commanditée gère et dirige les affaires de la société.
[32] Il est important de souligner que, contrairement à la société générale, la société en commandite possède une catégorie particulière d’associé, le commanditaire, dont l’obligation envers la société est limitée à une contribution au capital de celle-ci. En vertu du paragraphe 13(1) de la Loi sur les sociétés en commandite, le commanditaire est empêché de participer activement aux activités commerciales de la société et, en retour, bénéficie de la responsabilité limitée. Sous ce dernier aspect, la situation du commanditaire est semblable à celle de l’actionnaire d’une société par actions. Si un commanditaire s’engage dans les affaires de la société, il risque de perdre le bénéfice de la responsabilité limitée.
[33] En raison des caractéristiques légales de la société en commandite, la direction et l’administration d’une telle société ressortissent exclusivement au commandité, qui tire ses pouvoirs de la Loi sur les sociétés en commandite; par conséquent, c’est par l’entremise du commandité que les commanditaires acquièrent et transfèrent les titres de biens immeubles. [TRADUCTION] « Le titre du bien-fonds est généralement au nom d’un seul commandité » : D.J. Donahue et P.D. Quinn,Real Estate Practice in Ontario, (5th ed., 1995, Butterworths), à la page 115; version française : La pratique du droit immobilier en Ontario (CFORP, 1998), à la page 100. À mon sens, il est très peu vraisemblable que des commanditaires exercent leur option et détiennent des titres sous leur propre nom. Les associés d’une société générale sont tenus de détenir ainsi de tels titres; mais si des commanditaires agissent de la sorte, ils s’exposent à une responsabilité illimitée par application de l’article 13 de la Loi sur les sociétés en commandite. Le fait que la société n’est pas une entité juridique et qu’elle est incapable d’acquérir des titres de biens immeubles est reconnu au paragraphe 48(2) de la Loi sur l’enregistrement des actes, L.R.O. 1990, chap. R.20. Ce paragraphe, en effet, prévoit que, parmi les entités reconnues par la loi, les seules ayant la capacité d’acquérir les titres de biens immeubles sont les sociétés par actions à responsabilité limitée et les personnes individuelles.
[34] Parmi les décisions que les parties nous ont présentées, il ne se trouve aucune décision canadienne qui traite spécifiquement des modalités de détention de titres de biens immeubles par les sociétés en commandite. Ceci dit, dans Elevated Construction Ltd. v. Nixon (1969), 9 D.L.R. (3d) 232 (Ont. High Ct.), qui porte sur une requête fondée sur la Vendors & Purchasers Act, le juge Osler semble d’avis que le titre devait être acquis au nom du commandité. Dans 68 Corpus JurisSecundum, à la rubrique « Partnership » ([TRADUCTION] « société en nom collectif »), 1024, il est référé à The Madison County Bank v.Gould, 5 Hill 309 (1843) (Sup. Ct. N.Y.), une décision ancienne, pour étayer la thèse selon laquelle le titre en common law d’un bien immeuble acquis par une société en commandite doit être enregistré au nom des commandités, et non pas des commanditaires. À la page 313 du recueil rapportant cette décision, le tribunal affirme ce qui suit :
[TRADUCTION]
Le titre de l’usine aurait dû être pris uniquement au nom des commandités. La législature entendait clairement que le titre en common law de tous les biens de la société soit dévolu aux commandités; que ceux-ci doivent poursuivre et être poursuivis; et que l’ensemble de l’entreprise soit géré tout comme s’il n’existait aucun associé spécial (« special partner ») en l’espèce.
Le terme « special partner » équivaut au terme « limited partner » ([TRADUCTION] « commanditaire »).
[35] En résumé, parce que la société en commandite n’est pas une entité juridique capable de détenir ou de transférer des titres de biens réels, la Loi sur les sociétés en commandite prévoit que le commandité administre et dirige les affaires de la société en commandite, en procédant notamment à l’acquisition et au transfert de biens réels en son nom. Au vu des faits du présent appel, ce principe a été reconnu par la commanditée et par les commanditaires.
[36] La société en commandite en l’espèce a été créée par une convention en date du 12 mars 1976. Dans cette convention, Kucor Ltd., en qualité de commanditée, est présentée comme chargé de l’administration, de la conduite et des activités de la société en commandite, y compris l’exécution de toutes les conventions reliées à l’acquisition du terrain et à la construction de l’immeuble à logements sur celui-ci. Il est vrai que, dans l’hypothèque originale consentie à Maritime le 8 septembre 1977, Kucor se trouve décrite comme la débitrice hypothécaire; mais il demeure que cette hypothèque a été consentie par Kucor Ltd en qualité de commandité unique de Kucor. Semblablement, lorsque l’hypothèque a été prolongée pour la dernière fois le 1er août 1987, la convention de modification entre Kucor, en tant que débitrice hypothécaire, et Morguard, en tant que créancière hypothécaire, a été consentie par Kucor Ltd. en qualité de commanditée unique deKucor. Dans un cas comme dans l’autre, chacun des commanditaires a consenti une garantie sur la dette hypothécaire, mais aucun n’a pris part à l’hypothèque en tant que débiteur hypothécaire. Au 1eraoût 1987, il y avait 23 commanditaires, qui, tous, étaient des personnes individuelles. De plus, les commanditaires et le conseil d’administration ont adopté une résolution autorisant Kucor Ltd, en qualité de commanditée, à passer la convention de modification repoussant le terme de l’hypothèque de 15 ans et réduisant le taux d’intérêt sur la dette hypothécaire.
[37] À mon avis, à l’examen des faits comme du droit, nous devons clairement conclure que l’hypothèque a été accordée par Kucor Ltd. et que, s’agissant d’une personne morale, elle tombe sous le coup du paragraphe 18(2) de la Loi sur les hypothèques et est incapable de racheter l’hypothèque par anticipation en se fondant sur le paragraphe 18(1). Il s’ensuit que le juge Ground avait raison de rejeter la requête.
[38] Ceci dit, une des conclusions du juge Ground pose un problème préoccupant. Selon ce juge, l’acte formaliste du 30 mars 1976 par lequel Kucor Ltd. transférait la propriété à la société en commandite était nul parce qu’une société en commandite est incapable de détenir le titre d’un bien-fonds. En conséquence, le titre serait demeuré entre les mains de Kucor Ltd., qui aurait continué à détenir le bien [TRADUCTION] « au bénéfice de tous les associés de la société en commandite ». La conclusion que l’acte formaliste est nul signifie qu’il ne possède et n’a possédé aucune validité juridique, donc que le transfert n’a jamais eu lieu.
[39] Pour résoudre le problème, il est nécessaire de déterminer l’intention et le but ayant présidé au transfert. À mon avis, cette démarche ne devrait pas poser de difficulté à la présente cour. En effet, le dossier, qui ne présente aucun élément de preuve contesté, nous oriente vers une unique conclusion. En examinant l’affidavit des droits de cession immobilière de l’acte formaliste, nous apprenons queKucor Ltd. avait acquis le bien en fiducie pour une société en commandite à être constituée et que l’intention et le but ayant présidé au transfert étaient la cession du bien-fonds à la société en commandite — qui, comme je l’ai indiqué, avait été constituée. Le problème, évidemment, réside dans le fait que le cessionnaire n’aurait pas dû être la société en commandite elle-même. Il aurait dû s’agir soit de la commanditée, soit de tous les autres associés.
[40] À mon sens, l’acte formaliste avait pour but de transférer le bien de Kucor Ltd., qui l’avait acquis en fiducie pour une société en commandite à être constituée, à elle-même en sa qualité de commanditée de la société en commandite. S’il persiste des doutes quant au fait que tel ne soit pas le but de l’acte formaliste, ceux-ci sont balayés par l’hypothèque et sa prolongation. Les conventions d’hypothèque et de prolongation ont été consenties par Kucor Ltd., en sa qualité de commanditée. Si l’on avait voulu que l’acte formaliste soit passé en faveur de chacun des commanditaires, chacun de ceux-ci aurait nécessairement signé les documents en question en tant que débiteur hypothécaire; alors qu’en fait les commanditaires ont signé ces documents en tant que garants. Ainsi, tout doute quant à l’identité du cessionnaire est levé par les actes posés par la suite : Canada Square Corp. v. VS Services Ltd. (1981), 34 O.R. (2d) 250, aux pages 260 et 261 (C.A.)
[41] Ainsi, la forme donnée à la cession empêchait l’acte formaliste de remplir le but qui lui était assigné. Ceci dit, si nous examinons les éléments de l’espèce sous un angle pratique, l’analyse ci-dessus établit clairement que, dans les faits, une telle fin a été atteinte. L’acte formaliste visait à régulariser une réalité commerciale définie : le bien-fonds n’était plus la seule propriété de KucorLtd., mais la propriété de la société en commandite; et, en sa qualité de commanditée, Kucor Ltd détenait le titre au nom de tous les associés. À mon avis, il n’était pas