Lambert, Re (1994), 20 O.R. (3d) 108 (C.A.)

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  • Date : 2024

Lambert (Re) (1994) 20 O.R. (3d) 108 Cour d’appel de l’OntarioLes juges Grange, Doherty et WeilerLe 29 septembre 1994

Re Lambert

Version française du jugement rendu par :

Le juge Doherty

 

I La question en litige

Dans quelles circonstances une erreur dans la teneur d’un état de financement rend-elle l’état nul et la sûreté qu’il représente inopposable aux tiers? La réponse tient à la portée du par. 46(4) de la Loi sur les sûretés mobilières, L.R.O. 1990, ch. P.10 («L.S.M.»), libellé comme suit :

46(4) Une erreur ou une omission dans l’état de financement ou l’état de modification du financement ou dans la passation ou l’enregistrement de ces états n’a pas, par elle-même pour effet de rendre ceux-ci nuls ni d’en réduire les effets, sauf si l’erreur ou l’omission risque d’induire substantiellement en erreur une personne raisonnable.

II Les faits

M. Lambert a acheté un véhicule automobile aux termes d’un contrat de vente conditionnelle. Le vendeur a vendu le contrat à l’appelante (GMAC), qui a enregistré sa sûreté grevant le véhicule en déposant un état de financement tel que prévu dans la L.S.M. L’état de financement désignait le débiteur sous le nom de Gilles J. Lambert. C’est le nom utilisé par M. Lambert lorsqu’il a signé le contrat de vente conditionnelle et c’est aussi le nom qui désigne le propriétaire du véhicule dans les dossiers du ministère des Transports et Communications. Malheureusement, ce n’est pas le nom exact de M. Lambert. Le nom de ce dernier, tel qu’il figure sur son certificat de naissance, est Joseph Philippe Gilles Lambert. L’état de financement a correctement indiqué la date de naissance de M. Lambert ainsi que le numéro d’identification du véhicule (le N.I.V.).

Après l’enregistrement, M. Lambert a fait une cession de biens et son syndic a pris possession du véhicule automobile. GMAC a déposé une preuve de créance, affirmant être un créancier garanti ayant une sûreté sur le véhicule automobile. À un certain moment après la cession de biens, le syndic a obtenu une copie de l’état de financement de GMAC, dans lequel le véhicule était désigné comme un «bien de consommation».

Le syndic a demandé à son avocate de se renseigner sur la créance de GMAC. Pour ce faire, elle s’est adressée au réseau d’enregistrement informatisé établi en vertu de la L.S.M. Ce réseau permet trois recherches : la recherche individuelle du nom d’un débiteur précis (recherche d’un débiteur précis), la recherche individuelle du nom d’un débiteur non précis (recherche d’un débiteur non précis) et la recherche du numéro d’un véhicule (recherche du N.I.V.). Pour procéder à la recherche d’un débiteur précis, il faut inscrire dans l’ordinateur le premier prénom, l’initiale du second et le nom de famille du débiteur ainsi que sa date de naissance. Cette recherche ne recueille que les états de financement dans lesquels le premier prénom, l’initiale du second, le nom de famille et la date de naissance du débiteur correspondent exactement aux données fournies par le chercheur. Pour faire la recherche d’un débiteur non précis, il faut inscrire dans l’ordinateur le premier prénom et le nom de famille du débiteur. On obtient de la sorte tous les états de financement dans lesquels le débiteur est désigné par le premier prénom et le nom de famille inscrits indépendamment de l’initiale du second prénom, s’il en est, ou la date de naissance figurant sur l’état de financement. Quant à la recherche N.I.V., on y procède en inscrivant dans l’ordinateur uniquement le N.I.V., et on recueille ainsi tous les états de financement dans lesquels le bien grevé est désigné par le même N.I.V. inscrit par le chercheur, indépendamment du nom du débiteur(1). La recherche N.I.V. ne peut se faire que lorsque le bien grevé est un véhicule automobile. Le N.I.V. doit figurer dans l’état de financement lorsque le véhicule automobile est désigné comme étant un bien de consommation. Lorsque ce n’est pas le cas, le N.I.V. peut être inclus dans l’état de financement.

L’avocate du syndic, se fondant sur le nom qui figurait sur le certificat de naissance de M. Lambert, a fait des recherches individuelles précises en utilisant les noms Joseph P. Lambert et Joseph G. Lambert et la date de naissance de M. Lambert. Elle a aussi procédé à une recherche individuelle non précise eu utilisant le nom Joseph Lambert. Aucune de ces recherches n’a donné l’état de financement déposé par GMAC puisqu’il désignait le débiteur comme étant Gilles J. Lambert. L’avocate n’a pas fait de recherche N.I.V., bien que le syndic ait connu ce numéro. Une recherche N.I.V. aurait révélé l’état de financement de GMAC.

Le syndic de faillite a demandé un jugement déclaratoire portant que la sûreté de GMAC n’avait pas été rendue opposable et ne pouvait par conséquent, lui être opposée. Il a soutenu qu’en raison des erreurs dans la mention du nom du débiteur contenues dans l’état de financement, la sûreté ne pouvait lui être opposable. GMAC a maintenu que le par. 46(4) de la L.S.M. obviait aux erreurs en cause puisque le syndic aurait dû faire une recherche N.I.V. et que, s’il l’avait fait, il n’aurait pas été trompé par les erreurs dans le nom du débiteur. Le juge Farley a conclu en faveur du syndic. Ses motifs sont publiés à (1991), 2 P.P.S.A.C. (2d) 160, 11 C.B.R. (3d) 165 (Div. gén.).

III Analyse

N’était-ce de l’art. 46(4), il serait aisé d’appliquer les termes de la L.S.M. aux faits en cause.

L’alinéa 19b) de la L.S.M. prévoit qu’une sûreté est opposable lorsque toutes les exigences de la L.S.M. relatives à l’opposabilité ont été remplies. L’article 23 de la L.S.M. prévoit que l’enregistrement rend la sûreté opposable sur tout genre de biens grevés. L’opposabilité par enregistrement exige l’enregistrement d’un état de financement (art. 45), qui doit être rédigé selon la formule prescrite (par. 46(2)). Cette formule est exposée au Règ. O. 372/89 (aujourd’hui R.R.O. 1990, Règ. 912). L’article 16 de ce règlement prévoit ce qui suit :

16(1) L’état de financement contient le nom du débiteur qui est une personne physique de façon que le premier prénom, suivi de l’initiale du second, s’il en est, précède le nom de famille.

Les paragraphes 3(7), (8) et (9) du même règlement sont aussi pertinents :

3(7) Si les biens grevés comprennent un véhicule automobile classé comme bien de consommation, le véhicule automobile est décrit à la ligne 11 ou 12 de l’état de financement ou dans l’espace réservé à cette fin sur la liste des véhicules automobiles.

(8) Si les biens grevés comprennent un véhicule automobile non classé comme bien de consommation, le véhicule automobile peut être décrit à la ligne 11 ou 12 de l’état de financement ou dans l’espace réservé à cette fin sur la liste des véhicules automobiles.

(9) La description du véhicule automobile à la ligne 11 ou 12 ou à la liste des véhicules automobiles comprend le numéro d’identification du véhicule et la marque ou le nom du fabricant, ainsi que, le cas échéant, les deux derniers chiffres de l’année du modèle et le modèle.

L’état de financement de GMAC se conformait aux parties applicables de l’art. 3 du règlement, mais il ne respectait pas l’art. 16 car il désignait incorrectement le premier prénom et l’initiale du second prénom de M. Lambert. Conséquemment, l’état de financement de GMAC n’était pas rédigé selon la formule prescrite et, si ce n’était de l’effet possible du par. 46(4) de la L.S.M., la sûreté de GMAC sur le véhicule ne serait pas opposable.

L’alinéa 20(1)(b) de la L.S.M. prévoit qu’une sûreté portant sur des biens grevés qui n’a pas été rendue opposable est sans effet à l’encontre du syndic de faillite. De nouveau, mettant de côté le par. 46(4) de la L.S.M., il s’ensuivrait que puisque la sûreté de GMAC n’a pas été enregistrée conformément à la Loi et que, par conséquent, elle n’a pas été rendue opposable, elle ne peut être opposée au syndic de faillite. N’était-ce du par. 46(4) de la L.S.M., le syndic avait droit au jugement déclaratoire rendu par le juge Farley.

Le par. 46(4) de la L.S.M. modifie-t-il cette conséquence? Pour des raisons de convenance, je répète cette disposition :

46(4) Une erreur ou une omission dans l’état de financement ou l’état de modification du financement ou dans la passation ou l’enregistrement de ces états n’a pas, par elle-même pour effet de rendre ceux-ci nuls ni d’en réduire les effets, sauf si l’erreur ou l’omission risque d’induire substantiellement en erreur une personne raisonnable.

Deux caractéristiques du par. 46(4) ne donnent pas lieu à controverse. Premièrement, il est susceptible de s’appliquer à toute erreur dans un état de financement : Re Weber (1990), 78 C.B.R. (N.-É.) 224 (C.S. Ont.) à la p. 227. Deuxièmement, une erreur dans un état de financement n’a pas, par elle-même, pour effet de rendre nul celui-ci ni de réduire les effets de la sûreté dont il fait état. L’erreur ne porte pas atteinte à l’état de financement à moins que celui qui cherche à l’annuler ne démontre que «l’erreur … risque d’induire substantiellement en erreur une personne raisonnable.»

L’interprétation du par. 46(4) devient plus difficile lorsque l’on s’aventure au-delà de ces deux propositions. Certains tribunaux de première instance dans cette province ont abordé le par. 46(4) en étudiant les conséquences de l’erreur contenue dans l’état de financement à l’égard de la partie qui conteste la sûreté. Les décisions qui adoptent cette approche comprennent : Fritz c. Ford Credit Canada Ltd. (1992), 15 C.B.R. (3d) 311 (Div. Gén. Ont.) à la p. 314; Prenor Trust Co. of Canada c. 652729 Ontario Ltd. (1992), 4 P.P.S.A.C. (2d) 139 (Div. Gén. Ont.) aux pp. 141 et 142; Canamsucco Road House Food Co. c. Lngas Ltd. (1991), 2 P.P.S.A.C. (2d) 203 (Div. Gén. Ont.) à la p. 208; General Motors Acceptance Corp. of Canada c. Stetsko (1992), 8 O.R. (3d) 537 (Div. Gén.) aux pp. 541 et 542, Re Rose (1993), 16 O.R. (3d) 360, 23 C.B.R. (3d) 58 (Div. Gén.).

Dans l’affaire Fritz, précitée, le nom du débiteur avait été incorrectement épelé sur l’état de financement, mais le N.I.V. avait été correctement enregistré. Le syndic n’avait fait qu’une recherche de débiteur précis, qui n’avait pas retracé l’état de financement, lequel aurait été repéré par la recherche du N.I.V. Le débiteur avait dit au syndic que l’automobile en question avait été donnée en gage au créancier. Le juge Chadwick a conclu que l’erreur dans le nom du débiteur constituait une erreur dans l’état de financement. Il s’est alors reporté au par. 46(4) de la L.S.M. En concluant que le créancier avait une sûreté valide, le juge Chadwick a dit à la p. 314 :

[TRADUCTION] La «personne raisonnable» à laquelle il est fait allusion au par. 46(4) n’est pas une personne fictive mais celle qui conteste la validité du contrat de sûreté. En l’espèce, le syndic de faillite avait une connaissance réelle des droits de Ford Credit Canada Limited au moment de la cession de biens. Le failli lui avait dit que Ford Canada Limited avait sur le Ford Tempo modèle 1989 une garantie pour le plein montant de sa créance. La recherche de nom effectuée par le syndic en application de la L.S.M. visait simplement à déterminer les erreurs éventuelles de l’enregistrement de la documentation et non la bonne foi de l’acheteur.

Les faits en cause montrent clairement que l’enregistrement incorrect n’avait pas induit le syndic substantiellement en erreur.

Dans l’affaire Stetsko, précitée, un créancier avait inscrit la mauvaise date de naissance du débiteur sur l’état de financement. Le débiteur avait prévenu le syndic de la sûreté du créancier sur l’automobile, mais le syndic n’avait procédé qu’à la recherche d’un débiteur précis, laquelle n’avait pas retracé l’état de financement du créancier en raison de l’erreur dans la date de naissance. En concluant que la sûreté du créancier restait opposable au syndic, le juge Maloney a mentionné, en l’approuvant, l’analyse du par. 46(4) dans l’arrêt Canamsucco et il a dit à la p. 542 :

[TRADUCTION] Pour déterminer si une «personne raisonnable» risque d’être induite substantiellement en erreur, on ne peut se demander que ce qui suit : (1) qui est cette personne, (2) quelle connaissance peut-elle avoir eu, et (3) comment peut-elle être visée.

Selon cette optique du par. 46(4), l’erreur dans l’état de financement est sans conséquence si celui qui conteste l’état avait connaissance de la sûreté, ou si, agissant raisonnablement, étant donné ce qu’il savait, il aurait pu retracer l’état de financement grâce aux diverses recherches possibles en vertu de la L.S.M. Cette façon de voir n’est pas sans attraits, particulièrement dans le cas où le syndic de faillite cherche à tirer avantage d’une erreur dans l’état de financement. Dans ce cas, le syndic fait davantage figure d’un opportuniste qui bondit sur une aubaine que d’un créancier ou l’acheteur éventuel vulnérable cherchant la protection d’un réseau d’enregistrement fiable : voir Ziegel, «The New Provincial Chattel Security Law Regimes» (1991), 70 R. du B. c. 681 aux pp. 715 et 716. On peut dire que l’approche subjective rend «justice» dans les cas où le syndic de faillite est en cause en ce sens qu’elle lui refuse une aubaine.

Je ne saurais toutefois être d’accord avec cette interprétation de l’art. 46(4). En recourant au critère de la personne raisonnable, le législateur voulait que le critère prévu au par. 46(4) soit un critère objectif. Limiter la recherche à la conséquence de l’erreur sur celui qui conteste la sûreté, c’est imposer un critère personnel ou subjectif propre à cette partie. De plus, cette interprétation substitue un critère fondé sur un préjudice réel au critère de la personne raisonnable exposé dans l’article en cause. Tel qu’il est rédigé, le par. 46(4) n’exige pas de prouver que l’erreur a réellement induit quelqu’un en erreur.

Il peut être utile de comparer le libellé du par. 46(4) à celui du par. 9(2) de la L.S.M. :

(2) Un vice, une irrégularité, une omission ou une erreur dans le contrat de sûreté ou dans la passation de celui-ci n’a pas pour effet, par lui-même, de le rendre inopposable aux tiers, sauf s’il a réellement induit ceux-ci en erreur.

Le paragraphe 9(2) dit expressément qu’une erreur dans le contrat de sûreté n’a pas pour effet de rendre inopposable aux tiers sauf «s’il a réellement induit ceux-ci en erreur». Le libellé du par. 46(4), qui vise expressément les états de financement, oppose un contraste marqué au libellé subjectif du par. 9(2). Le point de vue adopté dans les affaires Fritz, précitée, Stetsko, précitée, et d’autres semblables convient au libellé du par. 9(2) mais non pas au libellé très différent du par. 46(4).

Les antécédents législatifs du par. 46(4) renseignent aussi sur ce point. Je n’ai pas à les relater en détail car ils sont très bien rapportés ailleurs(2). Il suffit à mon propos de remarquer que le par. 47(5) de la L.S.M., L.R.O. 1980, ch. 375, le prédécesseur du par. 46(4), exposait le critère du préjudice réel comme faisant partie de son cadre législatif pour distinguer entre les erreurs dans les états de financement qui les rendent nuls et celles qui n’ont pas cet effet : Re Charles (1990), 73 O.R. (2d) 245 à la p. 249, 79 C.B.R. (N.S.) 92 (C.A.). En 1984, le Comité consultatif ministériel de la Loi sur les sûretés mobilières (le Comité Catzman) a recommandé que les dispositions curatives de la Loi soient modifiées pour prévoir l’application du critère de la personne raisonnable à l’évaluation de l’effet des erreurs dans les états de financement et les contrats de sûreté : Ontario, Report of the Minister’s Advisory Committee on the Personal Property Security Act, 1984, aux pp. 13, 27 et 28. Le comité a fait une recommandation semblable en 1986, bien qu’elle se fût limitée aux états de financement. Ceux qui préféraient un critère subjectif, visant un préjudice réel, se sont opposés à la recommandation du comité. Tout d’abord, il semblait que le gouvernement au pouvoir allait appuyer l’approche subjective, Une rédaction primitive des modifications envisagées de la L.S.M. comprenait ce qui suit :

[TRADUCTION] Un vice, une irrégularité, une omission ou une erreur dans l’état de financement … ou dans sa passation ou son enregistrement n’a pas, par lui-même ou elle même, pour effet de le rendre nul ni d’en réduire les effets, sauf si le vice, l’irrégularité, l’omission ou l’erreur a réellement induit une personne en erreur.(3)

Toutefois, le projet de loi tel qu’il a finalement été présenté adoptait la recommandation du comité. Celle-ci proposait une clause correctrice rédigée comme celle que nous trouvons maintenant au par. 46(4).

L’historique du par. 46(4) est remarquablement complet. Point n’est besoin de faire des conjectures sur la façon dont l’article s’est retrouvé comme il est. Deux points de vue opposés ont été avancés et leurs mérites respectifs ont été débattus pendant plusieurs années. Finalement, c’est le critère qui tenait compte du risque, pour une personne raisonnable, d’être induite substantiellement en erreur qui l’a emporté sur le critère subjectif du préjudice réel que d’autres préféraient. En toute déférence, les arrêts Fritz, Stetsko et autres du genre interprètent sensiblement le par. 46(4) dans la même optique que celle qu’a considéré, puis rejeté, la législature lorsqu’elle a opté pour le libellé du par. 46(4). Quelle que soit la valeur des arguments favorables au critère du préjudice réel, ces arguments ont été présentés aux assises appropriées, qui les ont rejetés. On ne peut les ressusciter en leur donnant la forme d’une interprétation législative.

Si l’on cherche un appui à la conclusion que la personne raisonnable dont fait mention le par. 46(4) ne peut être assimilée à la personne qui cherche à invalider les états de financements, consultons les arrêts Kelln (Trustee of) c. Strasbourg Credit Union Ltd. (1992), 89 D.L.R. (4th) 427, 9 C.B.R. (3d) 144 (C.A. Sask.). Le paragraphe 66(1) de la Personal Property Security Act, S.S. 1979-1980, ch. P-6.1, prévoit ce qui suit :

[TRADUCTION] 66(1) Un vice, une irrégularité, une omission ou une erreur dans un document visé par cette Loi ou dans la passation ou l’enregistrement de ce document ne porte pas atteinte à sa validité ni n’en réduit les effets sauf si le vice, l’irrégularité, l’omission ou l’erreur est gravement trompeur.

Cet article s’applique aux états de financement enregistrés sous le régime de la Loi de la Saskatchewan. Le libellé du par. 66(1), qui ne fait aucune mention expresse de la personne raisonnable, se prêterait plus encore à l’application du critère subjectif du préjudice réel que le libellé du par. 46(4) de la L.S.M. En dépit de ce que l’on pourrait considérer comme une ambiguïté, la Cour d’appel de la Saskatchewan a conclu unanimement que le par. 66(1) dégage un critère purement objectif. Elle a expressément rejeté les décisions de première instance rendues en Saskatchewan qui avaient considéré les effets de l’erreur commise du point de vue de la partie contestant la validité de l’état de financement. Le juge en chef Bayda, exprimant uniquement son opinion personnelle, a conclu à la p. 430 que pour déterminer l’application de la condition curative, il fallait se demander :

[TRADUCTION] … si une personne raisonnable, utilisant les réseaux d’enregistrement et de recherche établis par la Loi, est susceptible, en raison de l’omission et des circonstances qui l’entourent, de croire qu’une affaire est importante alors qu’en réalité elle ne l’est pas.

Le juge Vancise, exprimant son opinion et celle du juge Wakeling, a fait sienne à la p. 442 la question que le professeur Cumming avait considérée comme celle devant être posée :

[TRADUCTION] Le vice, l’irrégularité, l’omission ou l’erreur seraient-ils susceptibles d’induire gravement en erreur une personne raisonnable appartenant à la catégorie de personnes au profit desquelles l’enregistrement ou les autres modes d’opposabilité sont exigés.

Les tribunaux de première instance dans cette province, et le juge Farley en l’espèce, ont aussi rejeté l’approche adoptée dans les arrêts Fritz et Stetsko en faveur d’une autre qui prend en considération les utilisateurs hypothétiques des possibilités de recherche prévues par le réseau d’enregistrement. Parmi ces arrêts, mentionnons : Armstrong, Thomson & Tubman Leasing Ltd. c. McGill Agency Inc. (Trustee of) (1993), 15 O.R. (3d) 292 aux pp. 297 et 298, 21 C.B.R. (3d) 295 (Div. gén.); Re Haasen (1992), 8 O.R. (3d) 489 à la p. 499, 13 C.B.R. (3d) 94 (Div. gén.); Re Ghilzon (1993), 21 C.B.R. (3d) 71 (Div. gén. Ont.) aux pp. 73 et 74; Re Weber, précité, à la p. 243; Re Woolf (1992), 15 C.B.R. (3d) 292 (Div. gén. Ont.) aux pp. 298 à 300; Adelaide Capital Corp. c. Integrated Transportation Finance Inc. (1994), 16 O.R. (3d) 414 aux pp. 428 et 249, 23 C.B.R. (3d) 289 (Div. gén.). La Cour divisionnaire a cité l’arrêt Weber en l’approuvant dans l’arrêt 656956 Ontario Ltd. c. General Electric Capital Equipment Finance Inc. (1992), 8 O.R. (3d) 481 aux pp. 485 et 486, 90 D.L.R. (4th) 76.

Dans leur récent ouvrage intitulé The Ontario Personal Property Security Act: Commentary and Analysis (1994), le professeur Ziegel et M. Denomme sont aussi en faveur de l’approche objective en ce qui concerne le par. 46(4). Après avoir comparé le présent paragraphe à son prédécesseur, ils ont écrit aux pp. 361 et 362 :

[TRADUCTION] Comme on l’a noté, le par. 46(4) donne naissance à un critère objectif — une «personne raisonnable» serait-elle «induite substantiellement en erreur» par l’erreur ou l’omission? Si la réponse est «oui», il n’importe pas que la partie contestant l’état erroné, ou quelqu’un d’autre, ait été réellement induit en erreur. L’application d’un tel critère vise à maintenir l’intégrité du réseau d’enregistrement et à éviter de coûteux procès; celui qui procède à l’enregistrement doit garder à l’esprit un critère de ce genre et s’efforcer toujours de compléter l’enregistrement de façon à ce qu’aucune personne raisonnable ne risque d’être induite en erreur. S’il n’y parvient pas, il n’importera pas que, par hasard, on n’ait trouvé personne qui ait examiné la partie erronée de l’état et s’y soit fiée. Cela incitera ceux qui procèdent à l’enregistrement à s’assurer que celui-ci est exact et complet et aura pour conséquence un réseau plus fiable et utile.

Un problème constant dans la jurisprudence sur cette question est la tendance des juges à rendre des décisions portant sur des faits particuliers, qui peuvent paraître plus justes en l’occurrence, mais qui font planer une incertitude qui affaiblit la structure et l’objectif du réseau d’enregistrement. On peut comprendre la répugnance à priver les créanciers garantis d’une sûreté rendue opposable pour ce qui paraît être des erreurs mineures et des vices de forme dans des états de financement ou des états de modification du financement. Cela a amené certains tribunaux à tenter de départager celui qui a enregistré et celui qui conteste l’enregistrement en concluant que ce dernier n’a pas été lésé par l’erreur. Il convient de répéter que le libellé clair du par. 46(4) exige de rechercher objectivement si le vice en question «risque d’induire substantiellement en erreur une personne raisonnable.»

Plus tard, après avoir étudié l’affaire Kelln, précitée, et les décisions contraires en Ontario, les auteurs concluent aux pp. 364 et 365 :

[TRADUCTION] Pour ce qui est des erreurs dans l’enregistrement, la question initiale posé par le texte de loi consiste à savoir «si cette erreur aurait induit en erreur une personne raisonnable?» La réponse à cette question ne peut dépendre des faits propres à un cas particulier, sinon l’on aboutit à des résultats inégaux. Celui qui enregistre doit surveiller de près le processus d’enregistrement, dans la mesure où il peut le contrôler, pour prévenir toute erreur car il est impossible de prédire, à la date de l’enregistrement, qui pourra par la suite avoir accès aux renseignements donnés et à quelle fin. Par conséquent, dans la mesure où quelqu’un doit être tenu responsable, cette responsabilité doit incomber à celui qui enregistre, de façon à préserver la fiabilité du réseau d’enregistrement.

Sans adopter les ultimes conclusions tirées dans l’arrêt Kelln et la jurisprudence ontarienne à l’appui, ni tous les motifs que Ziegel et Denomme ont donnés à l’appui de leur position, je conviens que le par. 46(4) expose un critère objectif. La recherche qu’impose le par. 46(4) ne peut se concentrer sur une personne un particulier, mais elle doit embrasser la catégorie plus grande de personnes qui peuvent devoir utiliser les moyens de recherche du réseau d’enregistrement. En considérant ces personnes, il faut déterminer, non pas l’existence d’un préjudice réel, mais la probabilité que l’une des personnes en question soit induite substantiellement en erreur. Comme le par. 46(4) donne naissance à un critère objectif, celui qui conteste la sûreté en alléguant des erreurs dans l’état de financement n’a pas à démontrer que lui ou une autre personne a été lésé. Le syndic de faillite peut invoquer une erreur dans un état de financement pour invalider une sûreté revendiquée dans l’état si lui ou un tiers peut démontrer que l’erreur risquent d’induire substantiellement en erreur une personne raisonnable.

Ma conclusion que le par. 46(4) crée un critère objectif qui exige l’appréciation des conséquences de l’erreur pour les personnes susceptibles d’utiliser les moyens de recherche au réseau d’enregistrement ne tranche pas l’appel. Encore faut-il formuler ce critère de façon concrète.

Commençons par l’objectif du par. 46(4). Cette disposition vise à préserver l’intégrité du réseau d’enregistrement prévu par la L.S.M. Le réseau a deux types d’utilisateurs : ceux qui enregistrent des états de financement, et ceux qui recherchent des enregistrements antérieurs. L’intégrité de l’ensemble du réseau doit répondre aux besoins des deux groupes. Le paragraphe 46(4) cherche à préserver l’intégrité du réseau en répartissant l’impact des erreurs contenues dans les états de financement, si inévitables soient-elles, entre les deux groupes. Une interprétation du par. 46(4) trop indulgente à l’égard de ces erreurs impose un trop lourd fardeau aux créanciers et acheteurs éventuels (les chercheurs). Par contre, une interprétation trop stricte à l’égard des erreurs en question impose un trop lourd fardeau aux créanciers actuels (ceux qui enregistrent). Dans les deux cas, l’intégrité du réseau d’enregistrement est ébranlée. Il faut interpréter le par. 46(4), dans la mesure où le permet son libellé, de façon à imposer le fardeau de l’erreur de la manière qui assure le mieux l’intégrité entière du réseau.

J’en arrive maintenant au contexte de l’évolution du par. 46(4). Pour en comprendre l’étendue et les limites, il faut le placer dans le cadre du réseau d’enregistrement établi sous le régime de la L.S.M. et des fins en vue desquelles le réseau est utilisé. Le professeur McLaren, dans son ouvrage intitulé Secured Transaction in Personal Property in Canada, 2nd ed. (1992), aux pp. 30 à 32, définit succintement les objectifs du réseau :

[TRADUCTION] Le réseau d’enregistrement des sûretés mobilières rend possible l’enregistrement d’une sûreté et du privilège non possessoire du réparateur ou de l’entreposeur. Il fournit aussi des renseignements sur l’opération ainsi qu’un moyen par lequel celui qui entend acheter un bien mobilier ou prêter une somme d’argent garantie par un bien mobilier peut déterminer si le propriétaire a grevé ce bien d’une sûreté en garantie d’une dette. Ces renseignements sont rendus possibles grâce au mécanisme par lequel peut se faire une recherche d’enregistrement sous le régime de la Loi.

Le réseau d’enregistrement a pour objet de fournir suffisamment de renseignements pour permettre aux utilisateurs du réseau de savoir à qui s’adresser pour obtenir des renseignements à l’égard d’une opération garantie. C’est pour cette raison que le réseau d’enregistrement est désigné comme étant au système de dépôt d’avis.

(J’ai mis des mots en italiques)

L’objectif à la base de la recherche assurée par le réseau d’enregistrement importe particulièrement à l’interprétation du par. 46(4). Comme le souligne à juste titre le professeur McLaren, l’enquête ou la recherche a pour raison d’être de fournir des renseignements aux acheteurs éventuels de biens ou aux prêteurs éventuels qui acceptent en garantie d’un prêt. L’acheteur ou le prêteur en perspective veut savoir si le bien concerné est déjà grevé de privilèges qui pourraient avoir une incidence sur sa décision de l’acheter ou de l’accepter en garantie.

À mon sens, la «personne raisonnable» mentionnée au par. 46(4) est celle qui utilise les moyens de recherche du réseau d’enregistrement conformément aux fins prévues, c’est-à-dire pour découvrir si le bien mobilier qu’elle se propose d’acheter ou de recevoir en garantie est déjà grevé de charges enregistrées. Pour apprécier l’effet possible d’une erreur dans un état de financement, il faut présumer que le bien qui fait l’objet de l’état de financement erroné est le bien visé par la recherche à laquelle se livre l’acheteur ou le prêteur éventuel. En l’espèce, par conséquent, la question tient à savoir si un acheteur éventuel du véhicule automobile mentionné dans l’état de financement, ou une personne qui envisagerait le prendre à titre de garantie, seraient induits substantiellement en erreur par l’erreur contenue dans un état de financement enregistré antérieurement(4)? Cette formulation du critère est en accord avec l’objet de la fonction de recherche du réseau d’enregistrement, et elle donne un sens à la condition voulant que l’erreur «risque d’induire substantiellement en erreur». À moins que l’on ne considère la conséquence de l’erreur dans le contexte d’un achat ou d’un prêt éventuel mettant en cause le bien visé dans l’état de financement, je suis incapable de voir comment une erreur dans cet état «risquerait d’induire substantiellement en erreur» un acheteur ou un prêteur éventuel.

En décrivant de la sorte la fin de la fonction de recherche du réseau, je n’oublie pas qu’il a d’autres utilisations dans le domaine commercial. Certains créanciers éventuels peuvent faire une recherche sous le régime de la L.S.M. dans le cadre de leur enquête sur la solvabilité d’un emprunteur éventuel. Ces créanciers ne s’intéressent pas à la situation d’un bien en particulier mais ils cherchent des renseignements susceptibles de les aider à apprécier l’endettement ou la solvabilité d’un emprunteur en perspective. En décrivant la personne raisonnable aux fins du par. 46(4), je ferais une distinction entre une utilisation possible du réseau établi par la L.S.M. et la fin pour laquelle il existe. Le réseau n’a pas été conçu pour être un service d’enquête sur la solvabilité, bien qu’il puisse fournir des renseignements qui aideront à l’établir. Ce même usage accessoire s’applique aux renseignements que recèlent d’autres banques de données établies pour une multitudes d’autres fins.

La préservation de l’intégrité du réseau d’enregistrement établi par la L.S.M. exige que ceux qui utilisent le réseau à ses fins prévues soient protégés des erreurs des autres utilisateurs lorsque celles-ci risquent de les induire substantiellement en erreur. À mon sens, cette protection ne devrait pas être accordée à ceux qui utilisent le réseau à des fins différentes qui, si utiles soient-elles d’un point de vue commercial, ne sont pas les fins véritables du réseau. J’estime que la personne raisonnable visée au par. 46(4) n’est pas celle qui utilise les moyens de recherche dans le cadre d’une enquête générale sur la solvabilité d’un emprunteur éventuel.

La «personne raisonnable» qui utilise la fonction de recherche du réseau d’enregistrement aux fins susmentionnées doit aussi être considérée comme étant une personne qui connaît les moyens de recherche du réseau. Cela ne signifie pas que le critère applicable est celui de l’usager le plus chevronné et la plus habile. Le critère doit être celui de l’utilisateur raisonnablement compétent du réseau : voir l’arrêt Re Millman (1994), 17 O.R. (3d) 653, 24 C.B.R. (3d) 190 (Div. gén.). Cet utilisateur raisonnable serait au courant des diverses recherches qu’offre le réseau et du produit de chacune d’elles. En outre, on doit présumer que l’utilisateur raisonnable sait que les sûretés pouvant grever des véhicules automobiles peuvent être retracées à l’aide des deux fonctions de recherche distinctes offertes par le réseau, l’une utilisant le nom du débiteur et l’autre, le numéro d’identification du véhicule.

Après avoir désigné la personne raisonnable visée au par. 46(4) comme un acheteur ou un prêteur éventuel à la recherche de charges antérieures susceptibles de grever le bien concerné et un utilisateur raisonnablement compétent de la fonction de recherche du réseau d’enregistrement, j’en arrive maintenant aux renseignements que l’on peut présumer que cette personne raisonnable possède lorsqu’elle fait son enquête. Nul ne prétend que la personne raisonnable serait incapable d’obtenir le nom et la date de naissance du vendeur ou de l’emprunteur au moyen des dossiers pertinents. il est évident qu’elle serait capable de le faire : voir l’affaire Re Haasen, précitée à la p. 500. La personne raisonnable n’aurait toutefois pas nécessairement accès, comme acheteur ou prêteur éventuel, aux noms et dates de naissance des propriétaires antérieurs du véhicule automobile. Et ces derniers auraient pu grever le véhicule d’une sûreté. Les états de financement donnant avis de ces sûretés sont enregistrés sous le nom du propriétaire antérieur et peut-être sous le numéro d’identification du véhicule.

À mon avis, l’acheteur ou le prêteur éventuel qui agit raisonnablement obtiendrait aussi le numéro d’identification du véhicule automobile. Il serait en mesure d’exiger d’avoir accès au véhicule automobile comme condition préalable à l’achat ou au prêt. Cet accès présume l’accès au numéro d’identification du véhicule puisqu’il ne trouve sur une plaque fixée au tableau de bord. En outre, un acheteur ou un prêteur raisonnablement prudent qui connaît le réseau d’enregistrement saurait que le N.I.V. peut être utilisé pour rechercher les sûretés antérieures grevant le véhicule, particulièrement les enregistrements visant les propriétaires antérieurs du véhicule dont l’identité était inconnue de l’acheteur ou du prêteur éventuel. Armée de ces renseignements, la personne raisonnable se rendrait compte de l’importance du N.I.V. et tirerait avantage de sa qualité d’acheteur ou de prêteur pour exiger d’y avoir accès.

La personne raisonnable, ayant accès au nom du vendeur ou de l’emprunteur (et à sa date de naissance), se servirait-elle des deux sources de renseignement pour effectuer deux interrogations du réseau d’enregistrement? Tout en respectant l’opinion opposée, je n’ai aucun doute qu’une personne raisonnable possédant les renseignements nécessaires pour effectuer les deux recherches, ne manquerait pas de les faire. La personne raisonnable voudrait savoir, en effet, si le véhicule automobile en cause fait l’objet de sûretés enregistrées, et elle prendrait toutes les mesures raisonnables pour retrouver dans le réseau les avis de charges antérieures. En qualité d’utilisateur du réseau d’enregistrement, elle saurait que des charges antérieures grevant des véhicules automobiles peuvent être enregistrées sous le nom du débiteur, du N.I.V., ou les deux. Une recherche de nom pourrait ne pas retracer toutes les charges antérieures. C’est aussi le cas de la recherche du N.I.V. si le véhicule automobile n’a pas été classé comme bien de consommation dans le cadre d’une opération antérieure. En faisant les deux recherches, l’utilisateur raisonnable augmenterait ses chances de découvrir toutes les charges antérieures. La protection accrue lui coûterait très peu(5). Tout utilisateur raisonnable dépenserait les quelques dollars requis pour obtenir les renseignements et l’assurance supplémentaires que lui donneraient deux interrogations indépendantes du réseau d’enregistrement.

Ceux qui ont conclu que la personne raisonnable visée au par. 46(4) se contenterait de rechercher le nom d’un débiteur précis ont mis l’accent sur l’importance, pour le réseau d’enregistrement, de l’utilisation du nom exact du débiteur dans l’état de financement. Par exemple, le juge Donnelly a dit dans l’arrêt Re Ghilzon, précité, à la p. 74 : [TRADUCTION] «L’intégrité du réseau d’enregistrement repose sur le nom». Nul doute que cette observation est exacte en ce qui concerne les biens mobiliers autres que les véhicules automobiles. Dans le cas des véhicules automobiles, cependant, l’intégrité du réseau d’enregistrement ne dépend pas uniquement de la désignation exacte du nom du débiteur dans l’état de financement. En effet, la recherche du N.I.V. est une fonction qui existe précisément parce qu’un système reposant entièrement sur un nom, en ce qui concerne les véhicules automobiles, serait insuffisant et laisserait les acheteurs et les prêteurs éventuels sans protection contre les sûretés dont les propriétaires précédents d’un véhicule automobile auraient grevé ce dernier. Dans le cas des véhicules automobiles, le réseau d’enregistrement ne dépend pas seulement du nom. Il permet plutôt de retracer les enregistrements antérieurs grâce au double accès au réseau que fournissent les recherches du nom et du N.I.V.

L’interprétation du par. 46(4) qui exclut les erreurs dans le nom du débiteur de celles auxquelles le par. 46(4) peut remédier tient au libellé de l’ancienne clause correctrice (par. 47(5)) selon laquelle seules les erreurs d’écriture ou les erreurs dans des parties sans conséquence ou non essentielles de l’état de financement pouvaient être corrigées en vertu de cette disposition : voir l’affaire Re Weber, précitée, aux pp. 228 et 229. Le nom du débiteur est clairement une partie importante et essentielle de l’état de financement : voir Re Bellini Manufacturing & Importing Ltd. (1981), 32 O.R. (2e) 684 aux pp. 692 et 693, 37 C.B.R. (N.-É.) 209 (C.A.). La clause correctrice actuelle n’est cependant pas axée sur la partie de l’état de financement où se situe l’erreur, mais elle s’attache plutôt aux conséquences de l’erreur pour la personne raisonnable. La présente disposition permet de réparer l’erreur, où qu’elle se trouve dans l’état de financement, si elle ne risque pas d’induire substantiellement en erreur une personne raisonnable. Une erreur peut se produire dans une partie importante de l’état de financement sans toutefois, en raison de renseignements supplémentaires contenus dans ce même document et accessibles à une personne raisonnable, risquer d’induire substantiellement en erreur cette dernière. La jurisprudence afférente à la disposition antérieure qui fait ressortir l’importance du nom du débiteur sur l’état de financement n’aide pas à décider si la personne raisonnable visée dans l’article actuel ferait plus qu’une recherche du débiteur précis.

Les partisans de la recherche unique s’appuient aussi sur le fait que la L.S.M. n’exige pas plus d’une recherche : voir Re Weber, précité, à la p. 228. La L.S.M. n’exige aucune recherche. La recherche des privilèges enregistrés antérieurs est commandée par l’intérêt personnel et non par une obligation légale. La nature de la recherche à laquelle on s’attend de la part d’une personne raisonnable reflète des démarches que ferait cette personne pour protéger ses intérêts. L’absence de dispositions législatives exigeant une ou plusieurs recherches est sans conséquence.

En résumé, la personne raisonnable du par. 46(4) possède les attributs suivants :

Elle est une acheteuse ou un prêteuse éventuelle raisonnablement prudente qui consulte le réseau d’enregistrement établi par la L.S.M. pour s’informer de l’existence de privilèges enregistrés grevant le bien qu’elle se propose d’acheter ou d’accepter en garantie d’un prêt.

Elle connaît les moyens de recherche offerts par le réseau d’enregistrement et elle en est une utilisatrice raisonnablement compétente.

Lorsque le bien qu’elle se propose d’acheter ou de prendre en garantie est une voiture automobile, la personne raisonnable obtient le nom et la date de naissance du vendeur ou de l’emprunteur, selon le cas, ainsi que le N.I.V. du véhicule automobile.

Lorsque le bien concerné est un véhicule automobile, la personne raisonnable fait aussi bien une recherche du nom d’un débiteur précis et une recherche du N.I.V.

Gardant à l’esprit cette personne raisonnable, j’en arrive à la question finale. La personne raisonnable «risque-t-elle d’être induite substantiellement en erreur» par un état de financement qui contient une erreur dans le nom du débiteur mais qui donne correctement le N.I.V.? La fin pour laquelle la personne raisonnable recourt à la fonction de recherche offerte par le réseau d’enregistrement fournit la clef qui permet de déterminer les circonstances dans lesquelles on peut dire qu’une personne raisonnable serait induite substantiellement en erreur par une erreur contenue dans un état de financement. La personne raisonnable a recours au réseau pour connaître les sûretés enregistrées grevant le bien en question. Si l’erreur contenue dans l’état de financement empêche la personne raisonnable d’obtenir du réseau l’état concerné, elle sera probablement induite substantiellement en erreur. Par contre, si la personne raisonnable définie plus haut peut obtenir du réseau l’état de financement recherché en dépit de l’erreur qu’il contient, cette erreur ne risque pas d’induire substantiellement en erreur la personne raisonnable.

L’énoncé fautif du nom du débiteur dans un état de financement ne risque pas d’induire substantiellement en erreur la personne raisonnable si cet état contient la mention correcte du N.I.V. En effet, la recherche du N.I.V. permettrait à la personne raisonnable de retracer l’état de financement voulu, en dépit de l’erreur dans le nom. La personne raisonnable apprendrait donc l’existence de la sûreté visée dans l’état de financement et elle pourrait agir en conséquence. Cette conclusion rejoint celle tirée de l’affaire Ford Credit Canada Ltd. c. Percival Mercury Sales Ltd. (No. 1), [1986] 6 W.W.R. 569, 50 Sask. R. 268 (C.A.).

La conclusion serait très différente si l’état de financement, en plus d’énoncer incorrectement le nom du débiteur, ne contenait pas le N.I.V., ce qui pourrait être le cas si le véhicule automobile n’avait pas été classé comme bien de consommation aux fins de l’opération donnant lieu à l’état de financement. Dans une telle situation, l’erreur dans le nom du débiteur serait fatale, car la personne raisonnable procédant à la fois à la recherche d’un débiteur précis et à celle d’un N.I.V. ne pourrait quand même pas retracer l’état de financement. Ce n’est toutefois pas le case en l’espèce. L’état de financement en cause contenait le N.I.V.; les conséquences de l’erreur dans le nom du débiteur doivent donc être appréciées dans cette perspective. C’est rejoindre le sens de l’objectif du réseau d’enregistrement que de conclure que le créancier qui inclut dans l’état de financement des renseignements susceptibles de permettre à un chercheur subséquent de retracer l’état en question de deux façons différentes est en meilleure posture que le créancier qui décide de s’en tenir au strict minimum exigé par les règlements.

J’en arriverais aussi à une différente conclusion si le N.I.V. était incorrectement énoncé dans l’état de financement et le nom du débiteur correctement écrit. Dans ce cas, une personne raisonnable risquerait fort bien d’être induite substantiellement en erreur par la mention fautive dans l’état de financement. Prenons l’exemple suivant. P. convient d’acheter la voiture de V. Celle-ci appartenait auparavant à X. qui l’avait lui-même donnée en gage à Y. Y. a enregistré un état de financement désignant correctement X en qualité de débiteur, mais énonçant incorrectement le N.I.V. du véhicule automobile. P., agissant comme j’ai conclu que le ferait un acheteur raisonnable, fait la recherche d’un débiteur précis en utilisant le nom de V. (son vendeur) et la recherche du N.I.V. en utilisant le bon N.I.V. Les deux recherches auxquelles se livre P. ne révéleront pas l’état de financement d’Y. en raison de l’erreur d’Y. relativement au N.I.V. Cette erreur risquerait donc d’induire P. substantiellement en erreur puisqu’elle l’empêcherait de connaître l’existence de la sûreté antérieure d’Y. grevant le véhicule automobile. Ma conclusion que le par. 46(4) ne pourrait obvier à une erreur dans le N.I.V., même la désignation du débiteur étant exacte, est conforme à la conclusion de l’arrêt Kelln, précité.

Il est nécessaire de se reporter davantage à Kelln. Dans cette affaire, le N.I.V. avait été incorrectement enregistré dans l’état de financement concerné alors que le nom du débiteur avait été énoncé correctement. Le tribunal a conclu que le pendant du par. 46(4) de la loi de la Saskatchewan ne pouvait obvier à l’erreur commise. Tel qu’indiqué précédemment, je suis d’accord avec cette opinion. Le juge d’appel Vancise et moi divergeons alors d’opinion.

Le juge d’appel Vancise remarque à la p. 443 qu’il ne peut être remédié à une erreur dans un état de financement si cette erreur avait pour conséquence [TRADUCTION] «d’empêcher de l’enregistrer correctement ou d’extraire du registre les renseignements relatifs au bien grevé». Je suis d’accord avec cette remarque, mais mon intérêt se limiterait à l’extraction satisfaisante des renseignements.

Le juge d’appel Vancise ajoute aux pp. 443 et 444 :

[TRADUCTION] La conclusion est donc que le défaut d’inclure les deux critères essentiels à la recherche de l’enregistrement lorsque c’est nécessaire aura pour conséquence un enregistrement fort susceptible d’induire en erreur et une sûreté qui n’est pas opposable.

Comme je l’ai souligné, la raison de cette interprétation objective est de fournir une démarcheuniforme de l’enregistrement et de l’opposabilité des sûretés.

Le défaut d’inclure le nom du débiteur sur l’état de financement lorsqu’il y a déjà un numéro de série désignant correctement le bien grevé devrait rendre la sûreté non opposable. En d’autres termes, lorsque les deux critères sont exigés, le défaut d’inclure l’un d’eux est gravement trompeur et cette omission invalide l’enregistrement. Si l’un des critères applicable à la recherche de l’enregistrement, ou les deux, contiennent certaines erreurs qui n’empêchent pas de retrouver ou de récupérer correctement l’état de financement, l’erreur ne risque pas d’induire gravement en erreur et la sûreté devrait être opposable.

La présente analyse tient pour acquis que l’acheteur ou le prêteur éventuel n’est tenu de faire qu’une seule recherche. Conséquemment, une erreur dans le nom ou le N.I.V. qui empêcherait la personne faisant l’une de ces recherches, mais non pas les deux, de retracer l’état de financement l’induirait substantiellement en erreur.

J’en arrive à une conclusion différente de celle du juge d’appel Vancise parce que, pour les motifs que j’ai déjà exposés, je tiens pour acquis que l’acheteur ou le prêteur éventuel aurait accès au nom du vendeur ou de l’emprunteur, selon le cas, aussi bien qu’au N.I.V., et qu’il procéderait aux deux recherches. Probablement qu’une erreur dans un état de financement ne serait substantiellement trompeuse que si, à cause d’elle, l’état en cause échappait aux mailles du filet des deux recherches combinées.

Le juge d’appel Vancise, à juste titre, justifie son point de vue sur la certitude et la prévisibilité qu’il assure. Mon approche tient de la sienne, sauf pour ce qui est de l’appréciation différente d