Lederer c. 372116 ONTARIO LIMITED (2001), 53 O.R. (3d) 203 (C.A.)

  • Dossier : C35340
  • Date : 2024

COUR DAPPEL DE LONTARIO

 

LE JUGE OSBORNE, JUGE EN CHEF ADJOINT DE LONTARIO, ET LES JUGES GOUDGE ET SHARPE, DE LA COUR DAPPEL

 

E N T R E :

 

SONYA LEDERER et MAXINE COOPER Brian Finlay, C.R.

 pour lappelant

 Fraser Milner Casgrain LLP

 

 Requérantes Gordon D. Capern/

 (Intimées dans lappel) Megan E. Shortreed

 pour les requérantes

 Sonya Lederer et

 Maxine Cooper

 

-et-

 

372116 ONTARIO LIMITED,

faisant affaires sous le nom Frederick L. Myers

HEMISPHERES INTERNATIONAL et Lindsay P. Hill

MANUFACTURING COMPANY, pour Ray, WECO et KPMG

et ALLAN FENWICK

 

 Martin Teplitsky

 pour Allan Fenwick

 

 Intimés

 (Intimés dans lappel)

 Ronald G. Slaght

 pour lintimée

 Susan Fenwick

 

 Terrence J. OSullivan/

 Rocco Di Pucchio

 372116 Ontario Ltd.

 faisant affaires sous le nom

 Hemispheres International 

 Manu.

 

 

 Date de laudience : le 15 décembre 2000

 

Appel de lordonnance du juge Ian V.B. Nordheimer en date du 16 novembre 2000.

 

 

 E T

 

 Nos DU GREFFE : C34820 et C34836

 

E N T R E :

 

SONYA LEDERER et MAXINE

COOPER

 

 

Requérantes

(Intimées dans lappel)

 

 

-et-

 

 

372116 ONTARIO LIMITED,

faisant affaires sous le nom

HEMISPHERES INTERNATIONAL

MANUFACTURING COMPANY

 

 

Intimée

(Intimée dans lappel)

 

Affaire intéressant un appel interjeté par

KEITH RAY, KMG LLP

et Wm. EISENBERG & CO.

de lordonnance en date du 8 août 2000

du juge Nordheimer

refusant lautorisation

dintervenir dans la requête.

 

 

Appel de lordonnance du juge Ian V.B. Nordheimer en date du 8 août 2000.

 

 

LE JUGE GOUDGE, DE LA COUR DAPPEL :

 

[1] Les appelants Fraser Milner Casgrain et Keith Ray, KPMG LLP et Wm. Eisenberg & Co. ont chacun demandé, par voie de motion, d’être joint, en qualité d’intimé intervenant, à la requête présentée par Sonya Lederer et Maxine Cooper, intimées dans le présent appel. Le juge Nordheimer a rejeté les deux motions en intervention. Les appelants ont interjeté appel de cette décision devant le présent tribunal et, le 15 décembre 2000, le présent banc a rejeté les deux appels en précisant que les motifs de sa décision seraient prononcés ultérieurement. Voici ces motifs.

 

[2] Les faits pertinents peuvent être exposés simplement. La requête donnant lieu à l’instance a été présentée par les intimées. Invoquant l’art. 246 de Loi sur les sociétés par actions, L.R.O. 1990, chap. B.16 ( * la Loi +), les intimées sollicitaient l’autorisation d’intenter une action oblique au nom d’une société appelée * Hemispheres +. Les requérantes (qui agissent comme intimées dans le présent appel) détiennent chacune 30 % des parts de cette société. Les 40 % restants appartiennent à leur frère Allan Fenwick, qui est également l’unique dirigeant et administrateur de Hemispheres. L’action projetée fait valoir qu’AllanFenwick a abusé de ses fonctions en détournant, à son profit personnel, des biens, des revenus et des avenues de développement économique de la société. L’action projetée fait aussi valoir que l’un et l’autre des appelants ont aidé M. Fenwick à effectuer ces détournements, en violation de leurs obligations envers la société et envers les intimées personnellement. Par motion, les appelants ont demandé d’intervenir dans la requête des intimées sollicitant l’autorisation d’introduire l’action.

 

ANALYSE :

 

[3] L’article 246 de la Loi est ainsi libellé :

 

246.(1) Actions obliques — Sous réserve du paragraphe (2), le plaignant peut demander, par voie de requête, au tribunal, l’autorisation soit d’intenter une action au nom et pour le compte d’une société ou de l’une de ses filiales, soit d’intervenir dans une action à laquelle est partie cette personne morale, afin d’y mettre fin, de la poursuivre ou d’y présenter une défense pour le compte de cette personne morale.

 

(2) Idem‑‑L’action ou l’intervention visée au paragraphe (1) n’est recevable que si le plaignant a donné aux administrateurs de la société ou de sa filiale un préavis de quatorze jours de son intention de présenter une requête au tribunal aux termes du paragraphe (1) et que le tribunal est convaincu à la fois :

 

a) que les administrateurs de la société ou de sa filiale n’intenteront pas l’action, n’y mettront pas fin, ne la continueront pas avec diligence, ou n’y présenteront pas de défense;

 

b) que le plaignant agit de bonne foi;

 

c) qu’il semble être de l’intérêt de la société ou de sa filiale d’intenter l’action, d’y mettre fin, de la continuer ou d’y présenter une défense.

 

(3) Requête sans préavis — Le tribunal rend l’ordonnance provisoire qu’il estime opportune pour valoir jusqu’à l’envoi par le plaignant de l’avis requis si celui-ci, sur requête sans préavis, a convaincu le tribunal que l’avis prévu au paragraphe (2) était contre-indiqué.

 

(4) Ordonnance provisoire — Le tribunal peut rendre l’ordonnance qu’il estime opportune si, à la requête du plaignant, ce dernier l’a convaincu du bien-fondé de la délivrance d’une ordonnance provisoire de redressement.

 

[4] La requête sur laquelle repose l’instance a été présentée par les intimés conformément au paragraphe 14.05(2) des Règles. Voici ce paragraphe :

 

14.05(2) Une instance peut être introduite par requête à la Cour supérieure de justice ou à un de ses juges, si une loi l’autorise.

 

[5] Pour présenter leurs motions en vue d’intervenir dans la requête, les appelants se sont fondés sur le paragraphe 13.01 des Règles, qui est libellé de la façon suivante :

 

13.01(1) Une personne qui n’est pas partie à l’instance peut demander, par voie de motion, l’autorisation d’intervenir en qualité de partie jointe, si elle prétend, selon le cas :

 

a) avoir un intérêt dans ce qui fait l’objet de l’instance;

 

b) qu’elle risque d’être lésée par le jugement;

 

c) qu’il existe entre elle et une ou plusieurs des parties à l’instance une question de droit ou de fait communes avec une plusieurs des questions en litige dans l’instance.

 

(2) Après avoir étudié si l’intervention risque de retarder indûment la décision sur les droits des parties à l’instance ou de lui nuire, le tribunal peut joindre l’auteur de la motion comme partie à l’instance ou rendre une ordonnance juste.

 

 

[6] Les appelants soutiennent que la façon de procéder des intimées est déficiente. Selon les appelants, c’est par voie de motion que la demande en autorisation d’intenter une action oblique doit être obtenue. La raison en serait que, en vertu du paragraphe 14.01(3) des Règles, l’autorisation d’introduire une instance est obtenue par voie de motion si elle est nécessaire. Les appelants ont ensuite invoqué le paragraphe 37.07(1) des Règles, pour prétendre qu’ils avaient droit à la signification du document de procédure puisqu’ils seraient touchés par l’ordonnance demandée. Les appelants déclarent que, en conséquence, ils ont le droit de devenir partie à la requête sollicitant l’autorisation d’introduire une action oblique.

 

[7] Je ne suis pas d’accord avec les prétentions des appelants. Les prétentions ci-dessus n’ont pas été évaluées par le jugeNordheimer, car elles ont été soulevées pour la première fois devant le présent tribunal. La faiblesse majeure de l’argumentation des appelants réside dans le fait qu’elle ne tient pas compte du libellé, sans détour, de l’article 246 de la Loi. Le paragraphe 246(1) déclare qu’un plaignant * peut demander, par voie de requête + l’autorisation d’intenter une action oblique. Les paragraphes 246(3) et (4) prévoient l’un et l’autre des formes d’ordonnances provisoires qui peuvent être rendues lorsqu’une telle* requête + a été présentée. Comme l’a déclaré le juge Morden (alors juge en chef adjoint de l’Ontario) dans l’affaire Chilian c.Augdome Corp. (1991), 2 O.R. (3d) 696, à la p. 711 :

 

[TRADUCTION]

 

Les propos qui précèdent mettent en évidence les différents moyens de procédure que peut viser l’expression * may apply + [* peut demander, par requête +] lorsqu’elle est utilisée dans une disposition législative; toutefois, il demeure que, selon une interprétation bien établie, lorsque le législateur emploie * may apply +, spécialement dans les lois récentes, il vise généralement l’utilisation d’un moyen de procédure assez sommaire : la requête.

 

[8] Comme l’a de plus indiqué le juge en chef adjoint Morden à la page 709, les règles constituent des textes réglementaires, et il est fondamental que le législateur ait le dernier mot concernant les moyens de procédure à utiliser. La loi prime. Selon moi, le libellé de l’art. 246 de la Loi est clair et permet sans équivoque que la procédure relative à l’autorisation soit introduite par voie de requête. Puisqu’il en a été ainsi dans l’affaire qui nous intéresse, il n’est pas nécessaire de décider si la procédure en question peut être intentée uniquement par voie de requête. Je me contenterai de dire que les intimés n’étaient pas obligés de recourir à une motion, et que, en conséquence, les appelants ne peuvent se prévaloir des dispositions relatives à la signification du paragraphe 37.07(1) des Règles.

 

[9] Sous le régime de la règle 37.06, les intimés n’étaient pas obligés de signifier l’avis de motion aux appelants puisque les appelants n’étaient pas partie à la requête. Par conséquent, pour que les appelants puissent acquérir le droit de devenir partie jointe à la requête en autorisation, il fallait que, par voie de motion, ils puissent obtenir le droit d’intervenir conformément à la règle 13.01.

 

 

[10] Or les appelants ont échoué à se faire accorder ce droit devant le juge Nordheimer. En bref, le juge Nordheimer a conclu que, au plan des principes, rien ne tendait à établir que les appelants doivent être parties à un litige (à savoir, l’autorisation d’intenter une action oblique) qui opposait essentiellement les plaignants et les administrateurs de la société. Le juge a ajouté que, selon toute vraisemblance, les intérêts des appelants seraient défendus adéquatement dans la requête présentée par Hemispheres et Allan Fenwick. Bien que le juge ait conclu que l’issue de la requête risquait d’avoir des effets négatifs pour les appelants (en les entraînant dans une action oblique), il a jugé que ce risque ne suffisait pas à justifier le surcroît de complexité que leur jonction aurait entraîné relativement à la requête en autorisation. Tels sont les motifs pour lesquels le juge a refusé d’accueillir la demande en autorisation d’intervention des appelants.

 

[11] Devant notre cour, les appelants ont soutenu que le juge Nordheimer avait commis une erreur en parvenant à cette conclusion. Selon eux, le caractère erroné de sa décision ressortait d’autant plus que, lors de l’ouverture de l’appel, les avocats deHemisphere et d’Allan Fenwick avaient indiqué (pour la première fois) qu’ils ne comparaîtraient pas relativement à la requête en autorisation et que, en conséquence, ils ne défendraient pas les intérêts des appelants.

 

[12] Je ne suis pas d’accord avec cet argument. Selon moi, le juge Nordheimer est parvenu à la à la bonne conclusion.

 

[13] Il est certain que la règle 13.01 prévoit l’exercice d’une discrétion judiciaire. Je ne vois aucune raison de modifier l’exercice que le juge Nordheimer a fait de cette discrétion à la lumière des éléments qui lui étaient présentés. En fait, même en tenant compte du fait B nouveau B que ni la société, ni M. Fenwick n’avaient l’intention de comparaître relativement à la requête en autorisation, je considère que le juge Nordheimer est parvenu à la bonne conclusion. Voici pourquoi.

 

[14] En premier lieu, je suis d’accord avec le juge Nordheimer (et avec le juge Lane, dans Samuel Manu-Tech Inc. v. RedipacRecycling Corp., [1998] O.J (Gen. Div.), une décision antérieure à celle qui nous occupe) pour dire que la demande en autorisation d’intenter une action oblique prévue à l’art. 246 de la Loi constitue essentiellement une action entre, d’une part, les plaignants, et de l’autre, la société et les administrateurs. Les plaignants veulent que la société prenne des mesures qu’ils jugent profitables mais que les administrateurs refusent d’autoriser. Le par. 246(2) offre confirmation du rôle majeur joué par les administrateurs dans le cadre de la requête en autorisation. En effet, ce paragraphe oblige les plaignants préaviser les administrateurs de la société de leur intention de présenter une requête en autorisation, mais ce paragraphe limite l’exigence du préavis aux administrateurs. L’article 246 ne laisse nullement entendre que des défendeurs éventuels doivent être parties dans le cadre de la requête en autorisation d’intenter une action oblique.

 

[15] En second lieu, à l’instar du juge Ground dans Lederer v. 372116 Ontario Ltd., [2000] O.J. No. 4171 (C.S.J.), je considère que, si le moyen de procédure privilégié à l’art. 246 est la requête, c’est que le législateur a voulu ce moyen expéditif. De la sorte, si un débat judiciaire est nécessaire dans l’intérêt de la compagnie visée, l’introduction de ce débat n’est pas indûment retardée. Cette optique permet de situer la jonction, à la requête en autorisation, de participants autres que ceux nommés à l’article 246. Cette mesure doit être considérée comme l’exception et non comme la règle. En l’espèce, rien dans le dossier ne semble indiquer la présence d’éléments exceptionnels qui justifieraient une telle mesure.

 

[16] En troisième lieu, si les appelants sont exclus de la requête en autorisation, les droits que ces défendeurs éventuels pourraient exercer à un stade ultérieur sont néanmoins entièrement protégés. Une fois l’action introduite, ils seront en mesure de la contester en faisant valoir qu’elle est frivole ou vexatoire; de présenter une motion en jugement sommaire; ou de prendre tous les autres moyens judiciaires mis à leur disposition, en qualité de défendeurs, dans une poursuite. Ce faisant, les appelants pourront faire valoir des prétentions du même type que celles que, selon les indications qu’ils donnent, ils feraient valoir dans la requête en autorisation. Il ne porte donc pas à conséquence que la requête en autorisation puisse ne pas être contestée.

 

[17] En dernier lieu, suivant les prétentions des appelants, les défendeurs éventuels à une action oblique bénéficieraient d’une occasion de mettre fin à la poursuite à un stade auquel les autres défendeurs à une poursuite ne détiennent pas de tel droit; or une telle particularité se justifie difficilement par le fait que l’introduction d’une action oblique requiert une requête en autorisation.

 

[18] Résumons-nous. Il est possible que, dans certaines situations exceptionnelles, les défendeurs éventuels à une action oblique doivent être autorisés à intervenir dans une requête fondée sur l’art. 246 de la Loi. Toutefois, la présente affaire ne présente pas une telle situation. Les appelants pourront être en mesure de contester l’action une fois qu’elle aura été introduite et qu’elle leur aura été signifiée. Ils n’ont simplement pas établi l’existence de circonstances exceptionnelles qui justifieraient une dérogation à la norme édictée par l’article 246. Aussi suis-je d’accord avec le jugement du juge Nordheimer.

 

[19] En conséquence, je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens.

 

 

Communication des motifs : le 21 février 2001, * CAO +

 

 

 * Le juge S.T. Goudge, de la Cour d’appel +

 

 * Je souscris aux motifs du juge Goudge.

Le juge C.A. Osborne, juge en chef adjoint de l’Ontario +

 

 * Je souscris aux motifs du juge Goudge.

Le juge Robert J. Sharpe, de la Cour d’appel +