Leenen c. Canadian Broadcasting Corporation 54 O.R. (3d) 612 (C.A.)

  • Dossier : C34272
  • Date : 2024

COUR D’APPEL DE L’ONTARIO

Le juge en chef MCMURTRY, les juges CATZMAN et AUSTIN, J.C.A.

ENTRE

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FRANS H.H. LEENEN

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M. Philip Tunley,Christine Lonsdale etStanley G. Fisher, c.r.,pour les appelants

 

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demandeur (intimé)

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CANADIAN BROADCASTING CORPORATION, TRISH WOOD, NICHOLAS REGUSH, PAUL WEBSTER, DAVID STUDER et GARRY AKENHEAD

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Richard G. Dearden etAlan P. Gardnerpour l’intimé

 

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défendeurs (appelants)

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Affaire entendue les 23, 24 et 25 avril 2001

 

Sur appel du jugement en date du 20 avril 2000 du juge J. Douglas Cunningham.

Le juge AUSTIN, J.C.A.

[1] Cet appel a été formé par les défendeurs (autres que Trish Wood qui a fait une cession de faillite le 22 septembre 1999) contre la décision que le juge Cunningham, siégeant sans jury, a rendue le 10 avril 2000. Par cette décision, dont les motifs sont rapportés aux recueils (2000), 48 O.R. (3d) 656, et (2000), 50 C.C.L.T. (2d) 213 (C. sup.), il a accordé au demandeur, le Dr Frans H. H. Leenen, des dommages-intérêts généraux, majorés et punitifs totalisant 950 000 $ avec dépens, pour diffamation par suite de la production et de la diffusion par les défendeurs d’une émission télévisée d’une heure, intitulée « The Heart of the Matter ».

[2] Cette émission a été produite par un programme de la Canadian Broadcasting Corporation (CBC) appelé “the fifth estate”, qui est un programme de journalisme d’enquête. Elle a été diffusée une fois sur le canal principal de télévision de la CBC à un auditoire de plus de 1 000 000 téléspectateurs, et quatre fois sur son canal Newsworld à des auditoires totalisant 400 000 téléspectateurs.

[3] Les défendeurs interjettent appel du verdict de responsabilité ainsi que du quantum des dommages-intérêts et des dépens alloués.

[4] L’émission en question portait sur les questions posées au sein de la communauté médicale au sujet de l’innocuité des médicaments pour le cœur appelés inhibiteurs calciques et de l’un d’entre eux en particulier, la nifédipine. Le point focal était la réaction de la Direction générale de la protection de la santé (DGPS), Santé et bien-être social Canada, en la matière. La thèse avancée par l’émission était que lanifédipine, sous forme de capsule à action brève approuvée par Santé Canada pour le traitement des angines mais prescrite par les médecins à la fois pour les angines et l’hypertension artérielle, s’était révélée plus dangereuse qu’utile, et que la DGPS n’avait pas fait diligence ni n’avait pris des mesures concrètes pour découvrir si la ce médicament, sous forme de pilule à action prolongée, était aussi plus dangereux qu’utile.

[5] L’émission consistait en un exposé par Wood, entrecoupé d’interviews qu’elle avait conduites avec certains des intéressés ou leurs représentants. Parmi ces derniers, il y avait un familier ou ancien familier de la DGPS, dont les propos servaient à établir le thème de l’émission. D’autres autorités, dont Leenen, ont été ensuite présentées toujours au moyen d’extraits d’interviews réalisées par Wood pour donner leurs vues respectives sur les questions qui s’étaient fait jour. Le juge de première instance a conclu que l’émission suivait la formule « gentils/méchants », ce que confirme l’examen de la bande vidéo.

[6] Le demandeur reproche aux défendeurs de l’avoir fait paraître, au moyen d’une technique raffinée appelée « couper et coller », comme l’un des « méchants », principalement en se servant de ses propres propos et de son apparence. La plainte n’est pas que ses propos ou les déclarations faites soient faux ou diffamatoires au sens propre et naturel, mais que « l’impression générale créée par les mots et les images est diffamatoire ».

[7] Selon Leenen, l’émission en question insinuait :

 (i) qu’il était en faveur de la prescription de médicaments potentiellement mortels;

 (ii) qu’il était en situation de conflit d’intérêts;

 (iii) qu’il recevait un pot-de-vin de Pfizer Inc., l’une des grandes entreprises pharmaceutiques mondiales; et

 (iv) qu’il avait fait preuve de négligence ou de malhonnêteté dans ses fonctions de président du comité consultatif ad hoc de la DGPS.

[8] Le juge de première instance a examiné la grande quantité d’éléments de preuve produits, analysé les arguments proposés pour et contre les chefs de conclusion du demandeur, puis a conclu que les quatre chefs d’insinuation étaient étayés par les preuves administrées et que ces insinuations étaient diffamatoires. Voici son analyse à ce sujet :

[TRADUCTION] Ayant conclu que sur le plan juridique, les mots reprochés peuvent effectivement avoir les sens dégagés par le demandeur, j’ai conclu que dans les faits ils revêtent effectivement ces sens. Conscient que je ne dois pas leur imputer le sens le plus dur et le plus extrême dans la gamme des sens possibles, j’ai appliqué le critère du téléspectateur raisonnable et objectif, et non celui du téléspectateur qui entend mettre en doute la réputation du demandeur. En analysant les mots effectivement employés pour déterminer s’il y a eu atteinte à la réputation de celui-ci, j’ai focalisé mon attention sur le sens que les téléspectateurs ordinaires au Canada donneraient à ces mots, compte tenu de leur expérience générale et de leur connaissance des affaires publiques. Ainsi que l’a fait observer lord Reid dans Lewis v. Daily Telegraph Ltd., [[1963] 2 All E.R. 151 (H.L.)] en page 154 :

Ce que l’homme ordinaire conclurait sans expertise spéciale a été généralement appelé le sens naturel et ordinaire des mots en question. Mais cette expression est plutôt fallacieuse en ce qu’elle dissimule le fait qu’il y a deux éléments en elle. Parfois il n’est pas nécessaire de chercher plus loin que les mots eux-mêmes, par exemple dans le cas où le demandeur a été traité de voleur ou de meurtrier. Mais plus souvent, ce qui blesse n’est pas tant dans les mots eux-mêmes que dans le sens que l’homme ordinaire en déduit et qui est aussi considéré comme faisant partie intégrante de leur sens naturel et ordinaire. [C’est moi qui souligne.]

Le contexte est évidemment crucial pour déterminer le sens diffamatoire des mots; des propos soi-disant diffamatoires ne peuvent pas être considérés abstraction faite des circonstances dans lesquelles ils ont été tenus. Je n’ai pas analysé les mots employés comme s’il s’agissait d’un contrat écrit que j’examinais soigneusement. Au contraire, j’ai considéré l’émission dans son ensemble pour décider si elle était diffamatoire et c’est sur cette base que j’ai jugé qu’elle était en fait horriblement diffamatoire à l’égard du demandeur. Dans ce contexte, le téléspectateur raisonnable conclurait que le Dr Leenen préconisait la prescription de médicaments potentiellement mortels, qu’il était en situation de conflit d’intérêts, qu’il recevait un pot-de-vin de Pfizer et qu’à tout le moins, en sa qualité de président du comité, il faisait preuve de négligence et plus probablement, de malhonnêteté. Les mots employés laissent entendre un manque d’intégrité chez le demandeur, ce qui touche au cœur de son standing professionnel.

La télévision, qui est un médium très puissant, dissémine largement et instantanément les informations. Les programmes comme the fifth estate ont un potentiel et une capacité nuisibles remarquables. Un programme comme celui-ci, du fait du sensationnisme qui en caractérise la production, tend bien plus à faire du tort que les publications ou émissions respectables. Ainsi une plus grande responsabilité incombe aux gens qui produisent des émissions de ce genre de s’assurer que le contenu est conforme aux faits. La réputation d’honnêteté et d’intégrité est un bien précieux et lorsqu’elle est mise en doute, les résultats pourraient être dévastateurs. Tout comme les allégations de conflit d’intérêts sont diffamatoires, d’insinuer qu’une personne du standing du DrLeenen manquait d’intégrité et se souciait moins de la sécurité des patients que des bénéfices des laboratoires pharmaceutiques, et que sa conduite laissait à désirer sur le plan professionnel, non seulement remet en question sa crédibilité de chercheur, ce qui le diminuait aux yeux de ses collègues, mais encore causait un dommage irréparable à sa réputation générale au sein de la société.

Ayant conclu que tel est le sens que le téléspectateur raisonnable et objectif dégagerait des propos de l’émission, je tiens à souligner que j’ai passé en revue toutes les alternatives et la gamme entière des significations possibles.

[9] Le juge de première instance a examiné ensuite si le moyen de défense de la justification ou de la « vérité », que faisaient valoir les défendeurs, répondait pleinement aux conclusions du demandeur. Les défendeurs avaient articulé leur version des « faits véridiques » au paragraphe 10, alinéas (a) à (q), de leur défense. Le demandeur reconnaît qu’un certain nombre de ces « faits » étaient avérés, mais le juge de première instance a conclu qu’à la lumière des preuves produites au procès, nombre d’entre eux ne l’étaient pas et qu’ainsi, le moyen de défense de la justification n’était pas fondé. Je partage cette approche et cette conclusion.

[10] Le juge de première instance s’est penché sur l’argument d’immunité relative de la défenderesse, soulignant que « pour faire valoir ce moyen de défense, la défenderesse doit non seulement faire la preuve d’un devoir public ou privé, mais encore prouver que les téléspectateurs avaient le droit correspondant de recevoir l’information en question ».

[11] Il a ajouté que si l’émission en cause était susceptible d’intéresser le public, elle n’était pas d’intérêt public, mais était plutôt :

[TRADUCTION]. . . contraire à l’intérêt public en raison de son véritable potentiel nuisible du fait qu’elle semait la panique chez les gens souffrant d’hypertension artérielle . . .

[cette émission]

. . . n’avait rien à voir avec le devoir de communiquer des informations importantes. Elle n’avait pour objet que de faire tapage sur une question, d’attirer l’intérêt du téléspectateur par des propos alarmants et de créer une tribune pour la diffusion des vues de longue date de son producteur [Regush], secondée avec compétence par les préoccupations surchauffées d’un régulateur mécontent [le familier]. . . . L’émission aurait pu facilement présenter des informations importantes de façon juste et objective et, l’eût-elle fait, elle aurait été vraiment conforme à l’intérêt général. En présentant une vue tendancieuse et partiale, une vue qu’à nombre d’égards, la CBC savait inexacte ou même mensongère, elle ne sert en rien l’intérêt public.

[12] Le juge de première instance s’est ensuite penché sur le moyen de défense du commentaire objectif, qu’il définit en ces termes:

[TRADUCTION] Le moyen de défense du commentaire objectif tend à disculper les termes de prime abord diffamatoires, à condition qu’il s’agisse du commentaire de faits avérés, rapportés sans malveillance au sujet d’une question d’intérêt public. . . . le moyen de défense du commentaire objectif a été défini, en matière de diffamation, comme étant la manifestation de la protection de la liberté d’expression et il doit être interprété sous cet éclairage.

[13] Leenen n’était pas la seule personne offensée par l’émission en question. Les défendeurs avaient été aussi poursuivis par le Dr Martin G. Myers, qui avait eu gain de cause. Dans ses motifs de jugement rapportés au recueil (1999), 47 C.C.L.T. (2d) 272 (C. sup.), Mme le juge Bellamy a tiré la conclusion suivante au sujet du moyen de défense du commentaire objectif, page 305 :

[TRADUCTION] Je conclus qu’aucune personne objective, voire aucune personne raisonnable, n’aurait pu avoir au sujet du Dr Myers l’opinion telle que l’a présentée cette émission, étant donné tous les faits (rapportés et non) à la disposition des défendeurs. Je conclus de l’examen des transcriptions détaillées et des vidéos, que la CBC a simplifié à outrance un débat médical complexe en déformant gravement la position du Dr Myers. Elle l’a injustement fait paraître comme un « méchant » dans le débat.

[14] Après avoir cité le passage ci-dessus, le juge Cunningham a jugé que « indubitablement, il en est de même du traitement réservé par la CBC au Dr Leenen. »

[15] Se prononçant sur le moyen de défense du commentaire objectif proposé pour l’émission en question, il a conclu en ces termes :

[TRADUCTION] L’un des éléments du commentaire objectif est bien entendu l’objectivité. S’il est jugé que le commentaire est injuste, ce moyen de défense ne tiendra pas. En l’espèce, les défendeurs soutiennent qu’ils ont présenté au téléspectateur un débat équilibré. Telle n’est pas ma conclusion. Cette émission, dès sa conception, était à sens unique. Tout au long, les critiques des inhibiteurs calciques ont été présentés sous un éclairage favorable, cependant que leurs supposés défenseurs avaient le mauvais rôle. L’objectivité requiert que les téléspectateurs entendent les deux côtés du débat de façon équilibrée. En l’espèce, en passant sous silence des informations cruciales, en omettant de donner au Dr Leenen la possibilité de présenter ses vues avec exactitude, et en omettant de creuser le sujet avec de nouvelles interviews, la CBC ne peut prétendre au commentaire objectif lorsqu’elle présente celui-ci comme un défenseur des inhibiteurs calciques. La présentation sélective des faits et vues pour cette émission constitue en soi une injustice inhérente envers ceux qui ne partageaient pas les vues de M. Regush. Tellement de données importantes ont été soustraites au téléspectateur qui, eussent-elles été présentées, auraient pu détruire la thèse de ce dernier. La seule conclusion qu’on puisse tirer de tout cela est que les défendeurs n’avaient jamais eu l’intention d’être objectifs et que ce qu’ils ont fait était de présenter, soit directement soit par insinuation, des assertions, inexacts pour la plupart. Aucun commentaire ne peut être objectif s’il repose sur des faits inventés ou déformés; voir England v. C.B.C., [1979] 3 W.W.R. 193 (C.S.T.N.-O.). Les fausses informations étaient d’autant plus alarmantes en l’espèce que la CBC savait que sa thèse était erronée à nombre d’égards. Elle savait ou aurait dû certainement savoir qu’il n’y avait guère de différence d’opinion, si différence il y avait, entre tous les docteurs ayant pris part à l’émission au sujet de l’utilisation des inhibiteurs calciques. N’empêche qu’elle est allée de l’avant avec une émission censée confronter défenseurs et critiques. S’il y avait une différence, qui ne fût pas imaginaire, elle était si insignifiante qu’il n’aurait fallu y attacher aucune attention. Ainsi que le juge Esson l’a fait observer dans Vogel v. C.B.C., [1982] 3 W.W.R. 97 (C.S.C.-B.) en page 173 :

Pour être objectif, le commentaire doit porter sur les faits fidèlement rapportés, et ne doit pas imputer des mobiles corrompus ou malhonnêtes à la personne dont la conduite est critiquée, à moins que les mobiles imputés ne soient justifiés par les faits . . .

Un autre élément nécessaire du moyen de défense du commentaire objectif est la croyance honnête à la véracité du commentaire.

Malheureusement, ceux qui ont produit l’émission en question n’auraient pu croire à ce qu’ils faisaient. Ils savaient parfaitement ou ont dû savoir que ce qu’ils présentaient était faux en grande partie. Malgré l’argument proposé par les défendeurs que toutes les insinuations dont le demandeur affirme qu’elles se dégageaient de l’émission étaient des faits rapportés, il ressort d’un examen plus attentif qu’il n’en est rien. Du point de vue objectif, je ne peux conclure que les vues présentées exprimaient des convictions intimes. Et sur le plan subjectif, je ne peux pas conclure, malgré leurs assertions contraires, que les défendeurs croyaient honnêtement à ce qu’ils disaient. Ayant soulevé le moyen de défense du commentaire objectif, il leur incombait de prouver que les faits sur lesquels portait ce commentaire étaient avérés et que celui-ci était objectivement juste. Ils ne l’ont pas fait.

[16] Examinant ensuite chacun des chefs d’insinuation, le juge de première instance a tiré la conclusion suivante :

[TRADUCTION] Je n’accepte pas l’argument proposé par les défendeurs que toutes les insinuations qui selon le demandeur se dégagent de l’émission sont des « commentaires », parce qu’elles sont des conclusions implicites que le téléspectateur tirerait des faits allégués dans l’émission. Ainsi que l’a noté le juge Lane dans Hodgson v. Canadian Newspapers Co., [(1998), 39 O.R. (3d) 235 (Div. gén.)], p. 385, citant O’Brien v. Marquis of Salisbury (1889), 6 T.L.R. 133 (Q.B.), p. 137 :

Un commentaire peut parfois consister en l’articulation d’un fait, laquelle peut être tenue pour tel si le fait articulé est une déduction ou une conclusion que tire le commentateur des faits par lui rapportés ou mentionnés, ou connus de lui et des personnes auxquelles s’adressent ses propos, et dont ses conclusions peuvent raisonnablement être déduites.

Tel n’est tout simplement pas le cas en l’espèce puisque les faits sur lesquels repose le « commentaire » ne sont pas vrais.

Par application de tous les critères appropriés aux propos de l’émission en question, je suis d’avis qu’un téléspectateur raisonnable prendrait toutes les insinuations pour des faits articulés. Elles ont été présentées comme faits avérés. C’et pourquoi le moyen de défense du commentaire objectif ne peut tenir.

[17] Bien qu’en cet état de la cause il ne fût pas nécessaire de le faire, le juge Cunningham s’est penché sur la question de la malveillance au cas où ses conclusions au sujet des moyens de défense seraient infirmées et parce qu’elle avait un rapport avec la question des dommages-intérêts. Il y a de nombreuses preuves à l’appui de sa conclusion qu’il y avait malveillance et, après avoir regardé le vidéo et examiné une bonne partie des preuves et témoignages produits, je partage ses conclusions sauf sur deux points. Les deux se rapportent à la conduite du procès de première instance; je les examinerai brièvement tour à tour.

[18] Il y a en premier lieu le refus de la part de la CBC d’accepter l’avis écrit signifié aux défendeurs personnes physiques en application de la Loi sur la signification, L.R.O. 1990, chap. L. 12, art. 5. Le second point porte sur les circonstances de la requête des défendeurs en ajournement du procès de première instance.

[19] Le juge de première instance a examiné les deux questions et y a vu l’expression de l’attitude adoptée tout au long par la CBC à l’égard du Dr Leenen. À mon avis cependant, ni l’un ni l’autre incident ne peut être considéré comme une preuve de malveillance de la part de la CBC.

[20] En ce qui concerne le refus d’accepter la signification de l’avis d’action en diffamation, il ne suffit pas pour engager à conclure qu’il y avait malveillance. Regush n’était pas un employé de la CBC. Webster était à l’étranger. Studer faisait savoir qu’il était convaincu que la CBC acceptait tout naturellement la signification d’actes de procédure. Quoi qu’il en soit, les avocats de Leenen se sont vite fait délivrer une ordonnance de signification indirecte. À mon avis, ces circonstances ne suffisent tout simplement pas pour justifier une conclusion à l’intention de nuire.

[21] Le jugement de l’affaire devait commencer le 15 février 1999. Peu de temps avant cette date, la CBC a introduit une requête en ajournement par ce motif que Regush allait avoir des empêchements alors que sa comparution était requise tous les jours pendant le contre-interrogatoire de Leenen. Par suite, l’ajournement a été accordé, ce qui fait que l’action intentée par Myers est passée en jugement la première. Lors du procès Leenen, Regush n’a comparu que pour donner son propre témoignage et n’a fait guère ou rien d’autre. Il n’a pas comparu pour le contre-interrogatoire de Leenen. Le juge de première instance a conclu que « ce fait illustre une autre tentative des défendeurs de décourager le D Leenen de poursuivre son action. Il s’agissait tout simplement d’un autre obstacle élevé en travers de son chemin, d’une nouvelle preuve de malveillance. »

[22] Sur ce point encore, je ne pense pas qu’on puisse tirer pareille conclusion. La CBC était représentée par les mêmes avocats dans les deux affaires. Il est tout à fait possible que grâce à l’expérience acquise dans le procès Myers, l’avocat des défendeurs ait opté pour une autre stratégie pour le procèsLeenen. Pareille décision relève parfaitement de sa décision discrétionnaire et il ne serait ni juste ni indiqué pour le juge de première instance d’y trouver à redire. Il m’est impossible de convenir que ces circonstances trahissent la malveillance de la part des défendeurs.

[23] Ayant prononcé en faveur du demandeur, le juge de première instance a fixé le quantum des dommages-intérêts. Il a condamné l’ensemble des défendeurs à 400 000 $ de dommages-intérêts généraux, la CBC à 150 000 $ de dommages-intérêts majorés, Regush à 150 000 $, et Wood et Webster à 50 000 $ chacun. Il a encore condamné la CBC, Wood, Nicholas Regus et Webster à 50 000 $ de dommages-intérêts punitifs chacun, ce qui fait 950 000 $ au total.

[24] Pour parvenir à ce quantum, il a conclu que Leenen avait souffert énormément sur le double plan personnel et professionnel. Comme dans le cas de Myers (les motifs de la décision Myers v. CanadianBroadcasting Corporation et al seront rendus publics en même temps que les présents motifs), un patient est venu à son cabinet pour l’attaquer directement en ces termes :

Docteur Leenen, vous avez prescrit à tort de la nifédipine pour moi, et vous l’avez fait dans votre propre intérêt, pour faire des sous.

[25] Par suite de l’émission en question, le directeur de l’Institut de cardiologie d’Ottawa a adressé à ses collaborateurs des lignes directrices sur les conflits d’intérêts. Les amis et voisins de Leenen lui tournaient le dos. Deux de ses protocoles de recherche ont été suspendus et pendant un certain temps, l’admission à ses programmes de recherche a été interrompue. Un article paru dans le New England Journal of Medicinemettait en doute son objectivité dans l’évaluation de l’innocuité des médicaments.

[26] En récapitulant ses conclusions, le juge de première instance a fait l’observation suivante :

[TRADUCTION] . . . les insinuations faites dans cette émission ont fait grandement souffrir le DLeenen et lui donnaient l’impression que sa réputation bien méritée d’intégrité, professionnelle ou autre, avait été détruite. Elles auraient été dévastatrices pour n’importe qui; pour un chercheur mondialement connu, elles étaient tout près d’être un coup fatal. C’était la CBC tirant à boulets rouges sur le Dr Leenen, et non quelque obscur tabloïd auquel personne n’aurait fait attention. Comment se défend-on contre les coups de la CBC? . . .

En l’espèce, l’émission en question avait un auditoire de plus d’un million de téléspectateurs et sa reprise sur Newsworld, un auditoire de 400 000. L’émission elle-même était un documentaire d’une heure occupant la durée entière du programme the fifth estate. Il n’y avait aucune crise, à part celle créée par Regush. Certes, il y a eu une certaine controverse au sein de la communauté scientifique médicale à la suite de la publication du résumé du Dr Psaty. C’était justement là le risque que le DrLeenen voulait prévenir lorsqu’il participait à la rédaction de la lettre du 4 avril 1995 aux médecins du Canada. N’empêche qu’au fur et à mesure du développement de sa méchante petite histoire, M.Regush a décidé de braquer son collimateur sur le Dr Leenen présenté comme un défenseur hypocrite des inhibiteurs calcique, dans un documentaire qui, à aucun moment, ne rapportait de façon objective les vues connues et les convictions de ce dernier. Je suis convaincu que cette production déformée et tendancieuse a causé un tel préjudice dévastateur au Dr Leenen que les gens ordinaires, rationnels et raisonnables qui regardaient l’émission auraient conclu que celui-ci était gravement compromis. Pis encore, que ce qu’il faisait était mauvais. J’ajoute foi à son témoignage et à celui de sa femme et de son infirmière qu’il avait énormément souffert et qu’il continue probablement à penser que son honnêteté et son intégrité sont toujours mises en doute.

. . . De toute évidence, chaque affaire de diffamation est un cas d’espèce et doit être jugée à la lumière des faits de la cause. Compte tenu de la gravité de la diffamation telle que je l’ai constatée, de l’étendue de la diffusion et de sa source, de la rediffusion, du standing de la victime et de la nature de sa réputation à la date de l’émission, j’ai conclu de ma recension de la jurisprudence en la matière qu’il s’agit en l’espèce d’un cas de diffamation aussi grave qu’on puisse l’imaginer.

[27] Au sujet des dommages-intérêts majorés, le juge de première instance a cité le passage suivant des motifs pris par le juge Cory dans Hill c. Église de scientologie, 1995 CanLII 59 (S.C.C.), [1995] 2 S.C.R. 1130, p. 1205 :

On peut accorder des dommages-intérêts majorés lorsque le comportement des défendeurs est particulièrement abusif ou opprimant, et accroît l’humiliation et l’anxiété qu’engendre chez le demandeur la déclaration diffamatoire. Dans Walker c. CFTO Ltd., précité, à la p. 111, le juge Robins de la Cour d’appel a décrit avec justesse la nature de ces dommages-intérêts :

Lorsque le défendeur adopte un comportement insultant, abusif, méprisant, malveillant ou opprimant qui accroît l’angoisse morale — l’humiliation, l’indignation, l’anxiété, la peine, la crainte et autres sentiments semblables — chez le demandeur du fait qu’il est victime d’une diffamation, ce dernier est fondé à recevoir ce qu’on a appelé des “dommages-intérêts majorés”.

Ces dommages-intérêts tiennent compte du tort additionnel que cause aux sentiments du demandeur le comportement outrageant et malveillant du défendeur. Comme les dommages-intérêts généraux ou spéciaux, les dommages-intérêts majorés sont de nature compensatoire. Pour les évaluer, le jury doit considérer l’ensemble du comportement du défendeur avant la publication du libelle et pendant tout le déroulement du procès, jusqu’à la fin. Ils sont l’expression de l’indignation que cause naturellement chez les personnes sensées le comportement malveillant du défendeur.

[28] Le juge de première instance s’est alors prononcé sur la question des dommages-intérêts majorés en ces termes :

 [TRADUCTION] Il ne saurait y avoir un cas auquel s’applique davantage la conclusion ci-dessus du juge Cory. Il ne s’agissait pas d’un compte rendu spontané, mais du produit de mois de préparation et d’une adhésion absolue à un scénario déformé et tendancieux. Il n’y a eu ni excuse ni rétraction des propos diffamatoires; par contre, tout au long jusqu’à la fin du procès, les agissements des défendeurs ont fait l’objet d’une défense intransigeante. La ligne de conduite de la CBC a été fixée dès les débuts lorsque l’avocat à son service a refusé d’accepter la signification de l’assignation pour les défendeurs personnes physiques. Cette tactique de la terre brûlée apparaît dans le refus de divulguer des informations importantes sans une ordonnance judiciaire, dans l’obstruction systématique lors de la communication des documents sous prétexte de protéger les sources d’information et, ce qui est plus manifeste encore, dans la requête en ajournement de la dernière minute, dont j’ai conclu qu’elle n’avait pour objet que de faire échec au demandeur. Ceux qui ont participé à la production de cette émission savaient ou auraient dû savoir que les vues du DrLeenen sur les inhibiteurs calciques à effet prolongé étaient les mêmes que celles des personnes présentées comme les « gentils » dans l’émission. La CBC devait savoir qu’il ne savait rien des lignes directrices de la DGPS sur les conflits d’intérêts. Si elle ne le savait pas, elle aurait fait preuve d’insouciance en faisant ce qu’elle a fait sans prendre la peine de vérifier cette information à la source. D’avoir déformé la lettre du 4 avril 1995 du Dr Leenen comme elle l’a fait tout au long du procès était, à mon avis, une circonstance aggravante. De dire qu’il n’y avait rien qu’elle puisse présenter qui aurait pu faire paraître celui-ci sous un meilleur jour pour ce qui était de cette lettre, est tout simplement faux. Elle avait en sa possession suffisamment d’informations pour présenter la position du Dr Leenen sur les sujets abordés. Celui-ci a exprimé sa frustration par cette déclaration au cours de l’entrevue avec Mme Wood :

 . . . Vous ne rendez pas service aux Canadiens en abordant et présentant ce sujet avec un tel cynisme. Je pense que vous devez examiner les faits et si un grand nombre de Canadiens arrêtaient maintenant de prendre des agents non encore éprouvés comme les inhibiteurs calciques ou les inhibiteurs de l’enzyme de conversion et laissaient leur tension artérielle monter en flèche, vous auriez fait beaucoup de tort. Oui, votre cynisme fait du tort aux Canadiens, et ne leur rend pas service.

 Inutile de dire que les échanges de ce genre ont été occultés de l’émission. Ils ne s’accorderaient pas avec la thèse sous-jacente. Pour que le scénario conçu par M. Regush soit pleinement développé, il fallait que le Dr Leenen paraisse stupide, incompétent et, pis encore, malhonnête. Ils y ont réussi.

[29] Au sujet des dommages-intérêts punitifs, le juge de première instance s’est encore guidé sur la conclusion tirée par le juge Cory dans Hill, p. 1208, en ces termes:

 On peut accorder des dommages-intérêts punitifs lorsque la mauvaise conduite du défendeur est si malveillante, opprimante et abusive qu’elle choque le sens de dignité de la cour. Les dommages-intérêts punitifs n’ont aucun lien avec ce que le demandeur est fondé à recevoir au titre d’une compensation. Ils visent non pas à compenser le demandeur, mais à punir le défendeur. C’est le moyen par lequel le jury ou le juge exprime son outrage à l’égard du comportement inacceptable du défendeur. Ils revêtent le caractère d’une amende destinée à dissuader le défendeur et les autres d’agir ainsi. Il importe de souligner que les dommages-intérêts punitifs ne devraient être accordés que dans les situations où les dommages-intérêts généraux et majorés réunis ne permettent pas d’atteindre l’objectif qui consiste à punir et à dissuader.

Le juge de première a conclu de ce qui précède :

 [TRADUCTION] C’est dans cet esprit que j’ai décidé que des dommages-intérêts punitifs s’imposent en l’espèce. La CBC possède un pouvoir énorme et une capacité incroyable à causer du tort. Par les motifs pris supra et vu la façon malveillante dont les défendeurs se sont comportés, il ne faut pas que leur comportement soit accepté. Il faut qu’il y ait un avertissement clair pour que des gens vulnérables ne soient pas attaqués de cette façon à l’avenir. Les dommages-intérêts punitifs ne doivent jamais être considérés comme faisant partie des frais généraux. Ils doivent traduire l’outrage éprouvé par la Cour devant le comportement des défendeurs. À mon avis, il s’agit en l’espèce de l’un de ces cas exceptionnels visés par le juge Cory dans Hill c. Église de scientologie, op. cit.

[30] Le juge de première instance a relevé les différences entre l’affaire en instance et la cause Myers en ces termes :

 [TRADUCTION] Puisque l’action intentée par le Dr Martin Myers portait sur la même émission et s’est soldée par un jugement en sa faveur, je pense qu’il est important pour moi de distinguer les deux affaires. Dans Hill c. Église de scientologie, op. cit., le juge Cory a fait observer que chaque affaire de diffamation est un cas d’espèce et qu’il ne sert à rien d’entreprendre une comparaison détaillée des dommages-intérêts accordés pour diffamation. Les avocats de la défense soutiennent qu’il y a lieu de faire une exception en l’espèce. Je ne suis pas de cet avis. Il s’agit de deux actions à part, que distinguent nombre de facteurs. En premier lieu, les plaidoyers n’étaient pas les mêmes. Les preuves et témoignages produits n’étaient pas les mêmes non plus. Par exemple, dans Myers c. C.B.C., op. cit., Mme le juge Bellamy n’a pas été mise au courant de nombre des interviews non utilisées que j’ai pu voir, elle ne connaissait pas l’ampleur du conflit de travail qui opposait le DrBrill-Edwards à la DGPS ni l’échec du premier à s’assurer une issue favorable du conflit. À la différence de ce qui s’est fait à l’égard du Dr Leenen, l’émission en question n’a présenté la moindre allégation de conflit d’intérêts contre le Dr Myers. Même les conclusions étaient différentes. J’ai conclu que le moyen de défense du commentaire objectif n’est valable au sujet d’aucune des insinuations faites, alors que Mme le juge Bellamy a jugé que le même moyen de défense tenait sur certains points, bien qu’en fin de compte, il fût anéanti par la conclusion à la malveillance.

 Il n’a pas été jugé que les rapports entre le Dr Myers et l’hôpital avaient subi un changement à la suite de l’émission. Par contre, la réputation et l’intégrité du Dr Leenen ont été endommagées dans ses rapports non seulement avec ses patients, mais encore avec ses confrères dans les milieux de la recherche. Après l’émission du programme the fifth estate, le Dr Wilbert Keon, directeur de l’Institut de cardiologie d’Ottawa, a fait distribuer des lignes directrices sur les conflits d’intérêts et a réservé au Dr Leenen un traitement inconnu jusque là. Non seulement le nombre de patients aguillés sur lui a chuté, mais ses protocoles de recherche ont été renouvelés pour des périodes plus courtes. Par suite de cette émission, il a dû démissionner de la Société canadienne de pharmacologie clinique. L’allocation de dommages-intérêts doit non seulement réparer le tort fait à la réputation de l’intéressé, mais encore le mal qu’il aura à refaire cette réputation, en particulier dans les milieux de la recherche où l’intégrité est un élément primordial.

 En l’espèce, les défendeurs ont choisi de montrer un séquence où le Dr Leenen cherchait quelque chose à tâtons parce qu’il n’avait pas ses lunettes. Cette séquence peu flatteuse a été répétée à la fin de l’émission avec pour seul but, à mon avis, de diminuer la réputation et la crédibilité du DrLeenen dans l’esprit du téléspectateur. Cette insistance à chercher à présenter son inaptitude dans une fonction vitale des plus fondamentales montre à quelle profondeur les défendeurs sont descendus pour essayer de détruire le demandeur non seulement sur le plan professionnel mais encore en tant qu’être humain.

 Un autre facteur que j’ai pris en considération pour ce qui est des dommages-intérêts punitifs est qu’à la différence de ce qui s’et passé en l’espèce, le procès Myers n’a pas été ajourné, à la dernière minute, pendant six mois. Je conclus que dans les circonstances de la cause, cette action de la part des défendeurs a réussi à ajouter à l’angoisse du Dr Leenen et à retarder la possibilité pour lui de se blanchir. Il ne s’agit à que de l’un des exemples de comportement malveillant de la part des défendeurs. Ce comportement s’est fait jour dès la préparation de l’émission, elle s’est poursuivie durant l’émission et a duré jusqu’à la fin du procès. En l’absence de toute méconduite chez le Dr Leenen, le comportement des défendeurs avait un effet dévastateur sur lui. Le fait que ce comportement a été orchestré par une entité comme la CBC constitue, à mon avis, une circonstance proprement aggravante.

[31] Le quantum des dommages-intérêts accordés est susceptible d’appel et les appelants en contestent tous les éléments. Le ton sévère adopté par le juge de première instance ne laisse aucun doute sur ses vues au sujet du très gave préjudice subi par le demandeur et de l’énormité du comportement des défendeurs, individuellement et collectivement. Ce comportement a commencé avec la publication des propos diffamatoires et s’est poursuivi tout au long jusqu’à la fin du procès. Pour couronner le tout, il s’est poursuivi tout au long de l’audition de l’appel. Les avocats des appelants ne se rétractaient d’aucune façon et ceux-ci n’ont pas exprimé la moindre excuse, le moindre remords ou le moindre regret.

[32] En ce qui concerne la responsabilité civile, je ne vois dans la décision du juge de première instance aucune erreur sur un quelconque point de fait ou de droit, qui puisse justifier de toucher à sa conclusion sur ce point.

[33] À mon avis, ses conclusions sur la malveillance ne sont pas fondées là où elles reposent sur le refus de la CBC d’accepter la signification au nom des défendeurs personnes physiques et sur les circonstances de l’ajournement. L’avocat de Leenen a aussi demandé à la Cour d’examiner deux autres points à ce propos. Il s’agit du refus de la CBD de produire les séquences non utilisées. Ce refus a été à l’origine de l’introduction d’une requête dans une action, de la délivrance d’une ordonnance dans cette action et de l’exécution par la CBC de cette ordonnance dans les deux actions. Puisque l’action était basée sur ce qui a été diffusé et que les séquences non utilisées n’ont pas été, de par leur définition même, diffusées, on ne saurait dire que le refus initial de la CBC n’était pas fondé dans une certaine mesure.

[34] Le second élément de preuve proposé pour établir la malveillance était l’observation qu’aurait faite un protonotaire que la requête des défendeurs en radiation de tout ou partie de la déclaration était un « abus des procédures ». La requête en question tendait à la production de détails relatifs à certaines parties de la déclaration ou, à titre subsidiaire, à la radiation de ces parties. Par suite, une ordonnance de produire les détails a été rendue, ce qui démontre que cette requête était fondée. En conséquence, une conclusion à la malveillance ne saurait se fonder sur cet incident.

[35] Pour en revenir aux dommages-intérêts accordés par le juge de première instance, je conviens avec lui qu’il s’agit d’un cas de diffamation très grave, que les dommages-intérêts généraux, majorés et punitifs étaient justifiés et que le quantum n’était pas tel qu’il pourrait choquer la conscience de la Cour. Je ne les réduirais pas malgré les petites erreurs qui se sont glissées dans les conclusions du juge de première instance sur la malveillance.

[36] Les appelants demandent aussi l’autorisation de former appel contre l’allocation des dépens. Les motifs du jugement de première instance furent rendus publics le 20 avril 2000. Le 7 juin 2000, il a décidé que le demandeur avait droit aux dépens, honoraires d’avocat y compris, et le 11 septembre 2000, ses motifs de décision en la matière ont été rendus publics, qui fixent ces dépens à 836 178,94 $.

[37] Les défendeurs soutiennent qu’en accordant des dommages-intérêts majorés et punitifs, en allouant les dépens, honoraires d’avocat y compris, et en fixant le montant de ces dépens, le juge de première instance les a effectivement « punis » plus d’une fois pour le même comportement.

[38] L’effet pour les appelants pourrait être le même, mais le fait est que le comportement en question pourrait parfaitement justifier à la fois l’attribution de dommages-intérêts majorés et punitifs et l’allocation de dépens, honoraires d’avocat y compris. Le juge de première instance entendait faire en sorte que Leenenrecouvre entièrement ses frais et dépens. Dans les circonstances de la cause, cette intention était bien fondée et le moyen approprié de la mettre à exécution était l’allocation de dépens, honoraires d’avocat y compris. Par ailleurs, le demandeur avait droit aux mêmes dépens en application de la règle 49.10(1) du fait qu’il avait, aux premiers temps de l’instance, offert de régler l’affaire pour une somme bien inférieure à la somme accordée par jugement. Les défendeurs n’ont proposé aucun argument convaincant pour déroger à cette règle.

[39] Les appelants contestent les frais horaires accordés à l’avocat principal, le défaut par celui-ci de déléguer davantage de travail aux avocats en second et la présence de l’avocat principal au procès Myers; ils comparent les dépens alloués à Leenen aux 100 000 $ de dépens alloués au Dr Myers. Au sujet de ce dernier point, on peut trouver la pleine réponse dans les conclusions citées supra du juge Cunningham. Il s’agissait d’actions différentes et de procès différents. En ce qui concerne les frais horaires, la délégation du travail et la présence au procès Myers, je n’ai trouvé aucune erreur sur le plan des principes; en conséquence, je ne toucherais pas aux conclusions tirées en première instance sur ces points.

[40] En conclusion, l’appel est rejeté avec dépens. La Cour accorde aux appelants l’autorisation de former appel contre l’allocation des dépens en première instance, mais leur appel en cette matière est rejeté aussi.

RENDU PUBLIC : 12 juin 2001

 Signé : Austin, J.C.A.

 « Je souscris aux motifs ci-dessus,

 R.R. McMurtry, J.C.O. »

 

 « Je souscris aux motifs ci-dessus,

 M. A. Catzman, J.C.A. »