[Répertorié : R. c. Brar]
2016 ONCA 724
Cour d’appel de l’Ontario, les juges Rouleau, Hourigan et Pardu
Le 5 octobre 2016
Droit criminel – Détermination de la peine – Ordonnance d’interdiction – Accusé reconnu coupable d’agression sexuelle, de leurre d’enfants, d’une infraction liée à la prostitution et de non-respect d’un engagement après avoir communiqué avec des adolescents en utilisant les réseaux sociaux sur Internet, dans le but de les leurrer pour obtenir des relations sexuelles – En vertu de l’al. 161(1)d) du Code criminel, la juge de première instance a rendu une ordonnance lui interdisant d’utiliser Internet pendant 20 ans, sauf au travail , et de posséder ou d’utiliser tout appareil mobile ayant une connexion Internet – Étant donné l’usage inoffensif répandu d’Internet pour des activités comme magasiner, chercher un emploi, correspondre avec des amis et des membres de la famille et ainsi de suite, une interdiction presque complète de l’accès à Internet pourrait avoir des répercussions négatives sur la réadaptation de l’accusé et sur ses perspectives d’emploi – L’étendue de l’interdiction imposée n’est pas nécessaire à la protection des enfants, étant donné que l’accusé était également assujetti à une ordonnance, rendue en vertu de l’al. 161(1)c) du Code criminel, lui interdisant de communiquer avec des enfants par l’intermédiaire d’Internet – L’alinéa 161(1)d) ne permet pas au tribunal d’interdire à une personne d’être propriétaire d’un dispositif mobile – L’ordonnance rendue en vertu de l’al. 161(1)d) est modifiée de façon à interdire à l’accusé de consulter tout contenu illicite et de participer à des réseaux sociaux, des forums en ligne ou des clavardoirs – Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, al. 161(1)c) et d).
L’accusé, un homme de 35 ans sans antécédents judiciaires, a été reconnu coupable d’agression sexuelle, de leurre d’enfants, de prostitution d’une personne âgée de moins de 18 ans et de non-respect d’un engagement. Sa conduite répréhensible consistait à communiquer avec des adolescents en utilisant les réseaux sociaux sur Internet, dans le but de les leurrer pour obtenir des relations sexuelles, censément en échange d’une somme d’argent. En plus de lui infliger une peine d’emprisonnement, la juge de première instance a rendu des ordonnances d’interdiction de 20 ans en vertu des al. 161(1)b), c) et d) du Code criminel. L’ordonnance rendue en vertu de l’al. 161(1)d) interdisait à l’accusé d’utiliser Internet, sauf au travail, et de posséder ou d’utiliser tout appareil mobile ayant une connexion Internet. L’accusé a interjeté appel de la peine qui lui a été infligée, contestant la validité des ordonnances rendues en vertu des al. 161(1)c) et d).
Jugement : l’appel est accueilli en partie.
Étant donné que la Cour suprême du Canada a jugé que l’effet rétrospectif de l’al. 161(1)c) était inconstitutionnel, l’ordonnance rendue en vertu de la version actuelle de l’al. 161(1)c) a été annulée, et on lui a substitué une ordonnance, en vertu de la version antérieure de l’al. 161(1)c), interdisant à l’accusé d’utiliser un ordinateur dans le but de communiquer avec des personnes âgées de moins de 16 ans.
Étant donné l’utilisation courante et inoffensive d’Internet aux fins d’activités comme effectuer des opérations bancaires, correspondre avec des amis et des membres de la famille, magasiner ou chercher un emploi, entre autres, une interdiction presque complète de l’accès à Internet pourrait avoir des répercussions négatives sur les perspectives de réadaptation de l’accusé et peut-être même sur ses chances de trouver un emploi dans le futur. Compte tenu des activités criminelles prédatrices de l’accusé et de sa conduite inqualifiable, une quelconque forme d’ordonnance fondée sur l’al. 161(1)d) était appropriée. Toutefois, étant donné que l’accusé était visé par une ordonnance rendue en vertu de l’al. 161(1)c), l’interdiction presque totale d’utiliser Internet n’était pas nécessaire pour assurer la protection des enfants. De plus, l’al. 161(1)d) autorise les tribunaux à interdire l’utilisation d’Internet, mais cette disposition ne leur confère pas le pouvoir de restreindre la propriété d’appareils mobiles ayant une connexion Internet. Et on ne saurait inférer que cette disposition confère un tel pouvoir. L’ordonnance rendue en vertu de l’al. 161(1)d) devrait être modifiée de manière à interdire à l’accusé de consulter tout contenu illicite et de participer de quelque manière que ce soit à des réseaux sociaux, des forums en ligne ou des clavardoirs.
R. c. J. (K.R.), [2016] S.C.J. no 31, 2016 CSC 31, 30 C.R. (7th) 1, 337 C.C.C. (3d) 285, 400 D.L.R. (4th) 398, 486 N.R. 1, 390 B.C.A.C. 1, 358 C.R.R. (2d) 204, 2016EXP-2359, J.E. 2016-1303, EYB 2016-268160, 130 W.C.B. (2d) 668, porté en appel
Autres arrêts mentionnés
R. c. Perron, [2015] J.Q. no 2916, 2015 QCCA 601, 2015EXP-1204, J.E. 2015-664, EYB 2015-250483, 122 W.C.B. (2d) 421; R. v. D’Angelo, [2002] O.J. no 4312, 166 O.A.C. 92, 8 C.R. (6th) 386, 55 W.C.B. (2d) 629 (C.A.); R. v. Branton, [2013] N.J. no 408, 2013 NLCA 61, 341 Nfld. & P.E.I.R. 329, 301 C.C.C. (3d) 408, 109 W.C.B. (2d) 606; R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500, [1996] S.C.J. no 28, 194 N.R. 321, J.E. 96-671, 73 B.C.A.C. 81, 105 C.C.C. (3d) 327, 46 C.R. (4th) 269, 30 W.C.B. (2d) 200; R. v. Woodward (2011), 107 O.R. (3d) 81, [2011] O.J. No. 4216, 2011 ONCA 610, 284 O.A.C. 151, 276 C.C.C. (3d) 86, 97 W.C.B. (2d) 665
Lois mentionnées
Charte canadienne des droits et libertés, art. 1 et al. 11i)
Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, art. 161 [mod.], (1)b), c) [mod.], d), (3), (4), 342.1(2) [mod.], 486.4(1) [mod.], (2) [mod.], (2.1), (2.2), (3), (4), 486.6(1), (2), 687, 718.01
Appel interjeté par l’accusé à l’encontre de la peine imposée le 26 juin 2015 par la juge Milanetti de la Cour supérieure de justice, siégeant seule.
Anna Cooper et Erin Dann, pour l’appelant.
Lisa Henderson, pour l’intimée.
Le jugement de la cour a été rendu par :
[1] Le juge Rouleau : — Le 20 mai 2015, M. Brar a été reconnu coupable d’agression sexuelle, de prostitution d’une personne âgée de moins de 18 ans, de deux accusations de non-respect d’un engagement et de trois accusations de leurre d’enfants. M. Briar s’est vu imposer une peine d’emprisonnement totalisant six ans, moins 39 mois pour le temps passé en détention avant le procès. En sus d’autres ordonnances accessoires, des ordonnances d’interdiction ont été rendues en vertu des al. 161(1)b), c) et d) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46.
[2] M. Brar est âgé de 35 ans; il est marié et n’a pas d’enfants. Il a plaidé coupable, exprimé du remords et assumé la pleine responsabilité en ce qui a trait aux infractions. Il n’avait pas de casier judiciaire.
[3] Lors de l’audition de l’appel qu’il a interjeté à l’encontre de la peine qui lui a été infligée, M. Brar a soutenu que la juge qui a prononcé la peine a commis une erreur en omettant de lui accorder un crédit majoré pour détention présentencielle. Il a également contesté à la fois le bien-fondé des ordonnances rendues en vertu des al. 161(1)c) et d) et la constitutionnalité de l’application rétrospective de ces alinéas, étant donné qu’ils sont entrés en vigueur après la perpétration des infractions mais avant le prononcé de la peine.
[4] Au moment de la présentation des plaidoiries en appel, la Cour suprême du Canada avait mis en délibéré sa décision sur la question de l’application rétrospective des al. 161(1)c) et d). Les parties ont présenté des observations sur le bien-fondé des ordonnances rendues en vertu de l’art. 161, et la formation de juges a convenu de surseoir au prononcé du jugement en ce qui a trait à ce motif d’appel, en attendant que la Cour suprême se prononce sur cette question. Les autres motifs de l’appel interjeté à l’encontre de la peine ont été rejetés.
[5] La Cour suprême a rendu sa décision le 21 juillet 2016 : R. c. J. (K.R.), [2016] S.C.J. no 31, 2016 CSC 31. Les parties ont présenté à la cour des observations écrites sur les répercussions de l’arrêt J. (K.R.) sur la peine, et la formation de juges est maintenant prête à rendre jugement sur la question soulevée par l’art. 161.
A. Position des parties par suite de la décision rendue dans l’arrêt R. c. J. (K.R.)
[6] Dans l’affaire J. (K.R.), la juge Karakatsanis, s’exprimant au nom des juges majoritaires de la Cour suprême, a conclu que l’effet rétrospectif des al. 161(1)c) et (d) constitue une violation du droit d’un contrevenant de bénéficier de la peine la moins sévère, droit qui lui est conféré par l’al. 11i) de la Charte canadienne des droits et libertés. Les juges majoritaires ont en outre conclu que l’application rétrospective de l’al. 161(1)c), qui permet d’interdire tout contact, ne constitue pas une restriction raisonnable qui saurait se justifier au regard de l’article premier, mais que l’application rétrospective de l’al. 161(1)d), qui permet d’interdire l’utilisation d’Internet, constitue une restriction raisonnable, qui est justifiée par l’article premier.
[7] Dans les observations qu’elles ont présentées après que la Cour suprême a rendu jugement dans l’affaire J. (K.R.), les parties ont de concert soutenu que la condition figurant dans l’ordonnance rendue en vertu de la version actuelle de l’al. 161(1)c) devrait être supprimée et qu’une ordonnance en vertu de la version antérieure de cet alinéa devrait lui être substituée.
[8] Lors de la perpétration des infractions, l’al. 161(1)c) du Code criminel était libellé comme suit :
161 (1) Dans le cas où un contrevenant est déclaré coupable, ou absous en vertu de l’article 730 aux conditions prévues dans une ordonnance de probation, d’une infraction mentionnée au paragraphe (1.1) à l’égard d’une personne âgée de moins de seize ans, le tribunal qui lui inflige une peine ou ordonne son absolution, en plus de toute autre peine ou de toute autre condition de l’ordonnance d’absolution applicables en l’espèce, sous réserve des conditions ou exemptions qu’il indique, peut interdire au contrevenant :
[…]
c) d’utiliser un ordinateur au sens du paragraphe 342.1(2) dans le but de communiquer avec une personne âgée de moins de seize ans.
[9] Les parties se sont appuyées sur les observations orales et écrites qu’elles avaient antérieurement présentées, ainsi que sur l’arrêt J. (K.R.), en ce qui a trait au bien-fondé de l’ordonnance rendue en vertu de l’al. 161(1)d). Cette question demeure donc toujours en litige. L’alinéa 161(1)d) prévoit que le juge qui détermine la peine peut interdire au contrevenant :
d) d’utiliser Internet ou tout autre réseau numérique, à moins de le faire en conformité avec les conditions imposées par le tribunal.
B. Bien-fondé de l’ordonnance d’interdiction d’utiliser Internet
[10] Dans l’ordonnance qu’elle a rendue en vertu de l’al. 161(1)d), la juge chargée de déterminer la peine a interdit à l’appelant d’utiliser Internet pendant 20 ans, sauf lorsqu’il est « au travail », et de posséder ou d’utiliser « tout appareil mobile ayant une connexion Internet ».
(1) Position des parties
[11] L’appelant soutient que l’ordonnance rendue en vertu de l’al. 161(1)d) était manifestement inappropriée, de sorte que notre Cour peut à juste titre intervenir en vertu de l’art. 687 du Code criminel : R. c. M. (C.A.), [1996] 1 R.C.S. 500, [1996] S.C.J. no 28, à la p. 565 R.C.S. Premièrement, il fait valoir que l’al. 161(1)d) n’autorise pas les tribunaux à interdire à un contrevenant de posséder un appareil mobile ayant une connexion Internet. Il soutient en outre que l’interdiction d’utiliser Internet a une portée trop étendue et qu’elle n’est pas convenablement adaptée à sa situation particulière.
[12] Selon l’appelant, empêcher un jeune adulte d’utiliser Internet et de posséder un appareil mobile ayant une connexion Internet pendant 20 ans revient à empêcher une personne de participer activement à la vie moderne. Internet est le média dominant au moyen duquel les gens planifient les événements, accèdent à des services et recherchent des directions. L’appelant fait valoir qu’une telle interdiction générale sera rarement justifiée et que les ordonnances rendues en vertu de la disposition en question doivent soigneusement être adaptées à la situation particulière de la personne visée et prendre en considération la nature de la conduite qui lui est reprochée.
[13] En réponse, le ministère public soutient que l’interdiction est appropriée dans les circonstances et qu’elle s’harmonise avec l’objectif de l’art. 161 de protéger le public comme on l’a indiqué dans R. v. D’Angelo, [2002] O.J. no 4312, 166 O.A.C. 92 (C.A.), aux paras. 19 et 20. Si les conditions imposées devaient ultérieurement se révéler inutiles ou inappropriées en raison d’un changement de circonstances, le tribunal, si le contrevenant ou le poursuivant le lui demandait, aurait en vertu du par. 161(3) le pouvoir de modifier les conditions établies dans l’ordonnance.
[14] Dans ses observations, le ministère public soutient que les restrictions sont à l’heure actuelle appropriées et qu’elles sont nécessaires compte tenu de la gravité des infractions dont l’appelant a été reconnu coupable. Si la situation de l’appelant devait changer, il lui serait loisible de demander que l’ordonnance soit modifiée.
[15] Le ministère public soutient de plus qu’il convient de faire preuve de retenue à l’égard de la décision de la juge appelée à déterminer la peine. La juge a fait mention des préoccupations de l’appelant, qui a fait valoir que l’ordonnance ne devrait pas indument restreindre les perspectives d’embauche d’une personne, et elle a reconnu que la peine infligée bouleverserait considérablement la vie du contrevenant, particulièrement s’il s’agit d’une jeune personne. Ayant pris en considération l’ensemble des facteurs, la juge a néanmoins conclu que la restriction était justifiée compte tenu de la nature des infractions.
(2) Analyse
a) Principes de détermination de la peine
[16] Il est de jurisprudence constante que, dans les cas de crimes sexuels mettant en cause des enfants, les principes de dénonciation et de dissuasion et la sécurité publique doivent avoir préséance sur les autres objectifs reconnus en matière de détermination de la peine, notamment la réadaptation : R. v. Woodward, (2011), 107 O.R. (3d) 81, [2011] O.J. no 4216, 2011 ONCA 610, au para. 39; voir également l’art. 718.01 du Code criminel. S’il est nécessaire de mettre essentiellement l’accent sur la dénonciation, la dissuasion et la sécurité publique dans de telles affaires, cela ne signifie toutefois pas que ces objectifs éclipsent toutes les autres considérations aux fins de détermination de la peine : voir R. v. Branton, [2013] N.J. no 408, 2013 NLCA 61, 341 Nfld. & P.E.I.R. 329, aux paras. 24 et 25. Le tribunal doit néanmoins demeurer conscient de la nécessité d’éviter de rendre, en vertu de l’al. 161(1)d), une ordonnance qui pourrait indument empêcher un délinquant qui n’en est qu’à sa première infraction de déployer de sérieux efforts en vue de se réhabiliter, compte tenu de sa situation particulière : voir R. c. Perron, [2015] J.Q. no 2916, 2015 QCCA 601, 122 W.C.B. (2d) 421, au para. 36.
b) Analyse de la Cour suprême dans R. c. J. (K.R.)
[17] Dans J. (K.R.), les juges majoritaires de la Cour suprême ont confirmé que les ordonnances rendues en vertu de l’art. 161 ont une vocation essentiellement protectrice, à savoir protéger les enfants contre la violence sexuelle (au para. 44). Dans son analyse de l’al. 161(1)d), la Cour a traité de la nécessité d’une telle disposition. Cet alinéa a été édicté en 2012 en vue de combler une lacune législative causée par les rapides changements sociaux et technologiques. Ces changements ont permis que se produisent des comportements préjudiciables que la version antérieure de l’article 161 n’avait pas prévus, laquelle permettait uniquement aux juges d’interdire aux contrevenants d’utiliser un ordinateur dans le but de communiquer directement avec des enfants. Les nouveaux comportements préjudiciables maintenant prévus à l’al. 161(1)d) comprennent le fait d’accéder à de la pornographie juvénile et d’en faire la distribution et de communiquer avec d’autres adultes pour planifier et faciliter un comportement criminel (J. (K.R.), au para. 107). En raison des pouvoirs étendus que leur confère maintenant l’al. 161(1)d)), les tribunaux sont mieux en mesure de surveiller l’utilisation d’Internet par les contrevenants et donc, d’une part, de restreindre les possibilités qui s’offrent à ces derniers de commettre une infraction et, d’autre part, de prévenir un tel comportement préjudiciable. (J. (K.R.), au para. 108).
[18] La Cour suprême a souligné que ces ordonnances étaient rendues en vertu d’un pouvoir discrétionnaire et souple, étant donné que l’art. 161 « montre que le législateur a voulu permettre au tribunal de concevoir une ordonnance adaptée qui tient compte de la nature et de l’importance du risque que représente pour les enfants le délinquant sexuel libéré et rendu à la collectivité » (au para. 47). Étant donné que ces ordonnances peuvent avoir une grande incidence sur le droit à la liberté et à la sécurité des contrevenants et engendrer une stigmatisation non négligeable, elles seront justifiées lorsque le tribunal est convaincu que les conditions particulières dont elles sont assorties visent raisonnablement à réduire le risque que le contrevenant fait courir aux enfants (J. (K.R.), aux paras. 48 et 54). Les conditions dont une telle ordonnance est assortie doivent donc « être soigneusement adaptée[s] à la situation particulière du contrevenant » (au para. 48).
c) Application au présent appel
[19] Il est clair en l’espèce qu’une quelconque forme d’ordonnance fondée sur l’al. 161(1)d) était appropriée. M. Brar s’est livré à des activités criminelles prédatrices et a eu une conduite inqualifiable, particulièrement en raison du fait que l’accusé n’a en outre pas respecté ses engagements. Cela justifie à la fois une lourde peine d’emprisonnement, aux fins de dénonciation et de dissuasion, et, dans le but de protéger le public, des mesures de surveillance dans la collectivité qui soient restrictives une fois que le contrevenant sera libéré. Malgré cela, notre Cour doit examiner la question de savoir si l’interdiction imposée par la juge appelée à déterminer la peine en vertu de l’al. 161(1)d) était raisonnablement adaptée à la situation particulière de M. Brar.
[20] Dans les motifs à l’appui de sa décision de rendre une ordonnance ayant une portée aussi large en vertu de l’al. 161(1)d), la juge appelée à déterminer la peine a reconnu que l’ordonnance causerait des difficultés à l’appelant, et elle a fait remarquer qu’elle limiterait ses perspectives d’emploi. Elle n’a cependant pas cherché à moduler l’ordonnance de façon qu’elle soit soigneusement adaptée à la situation particulière de M. Brar, ni à établir un lien entre les conditions de l’ordonnance et le type de risques que M. Brar représente. À sa décharge, la juge chargée de déterminer la peine n’avait pas le bénéfice de la décision de la Cour suprême dans l’arrêt J. (K.R.).
[21] La conduite répréhensible de M. Brar consistait à communiquer avec des adolescents en utilisant les réseaux sociaux sur Internet, dans le but de les leurrer pour obtenir des relations sexuelles, censément en échange d’une somme d’argent. L’interdiction de communiquer par Internet avec des adolescents, à n’importe quelle fin, tombe sous le coup de l’ordonnance d’interdiction imposée en vertu de l’ancienne version de l’al. 161(1)c). Les parties conviennent qu’une telle ordonnance devrait être rendue en remplacement de l’ordonnance prononcée par la juge chargée de la détermination de la peine en vertu de l’al. 161(1)c), laquelle disposition a été déclarée inconstitutionnelle dans l’arrêt J. (K.R.).
[22] Toutefois, le dossier n’indique pas que M. Brar présentait tous les multiples risques que l’adoption de l’al. 161(1)d) visait à empêcher. Il n’y a aucune allégation portant qu’il a eu en sa possession ou distribué de la pornographie juvénile, ni qu’il a communiqué ou collaboré en ligne avec d’autres adultes pour faciliter ou planifier ses infractions.
[23] En interdisant à l’appelant d’utiliser Internet sauf « au travail », la juge de première instance a tenu pour acquis qu’à sa libération, l’appelant pourrait chercher et obtenir un emploi sans qu’il lui soit nécessaire d’avoir accès à Internet. Même si la juge a fait remarquer que l’appelant a un emploi qu’il peut reprendre, il est possible que ce poste ne soit pas disponible à sa libération et, quoi qu’il en soit, il se peut que l’appelant souhaite progresser dans sa carrière et chercher un autre emploi. Les demandes d’emploi nécessitent de plus en plus l’utilisation d’Internet, et de nombreux postes requièrent l’utilisation d’Internet même en dehors des locaux de l’employeur. En outre, étant donné l’âge de l’appelant, son instruction et ses antécédents professionnels comme spécialiste en informatique et technicien en technologies de l’information, les risques sont particulièrement élevés de nuire à sa recherche d’emploi et à sa réadaptation en imposant une interdiction d’accès à Internet aussi importante.
[24] De nos jours, au moins certaines formes d’accès à Internet à des fins inoffensives sont tout simplement inévitables, comme l’accès à des services et la recherche d’itinéraires. Dans de nombreux foyers, le téléphone fonctionne à l’aide d’Internet et non au moyen du câblage téléphonique traditionnel. Le simple fait pour l’appelant de faire un appel à partir d’une résidence contreviendrait à l’ordonnance fondée sur l’al. 161(1)d). De plus, comme l’a énoncé la juge Karakatsanis dans l’arrêt J. (K.R.) au paragraphe 54, « [e]mpêcher le contrevenant d’avoir accès à Internet sur le fondement de l’al. 161(1)d) équivaut à le tenir à l’écart d’un élément de plus en plus essentiel à la vie quotidienne ». Le réseau Internet est utilisé pour des activités courantes comme magasiner, correspondre avec des amis et des membres de la famille, faire des opérations commerciales, trouver un emploi, effectuer des opérations bancaires, lire les nouvelles, regarder des films, suivre des cours et ainsi de suite.
[25] Bien que, comme l’a fait remarquer le ministère public, je reconnaisse que la cour a le pouvoir de modifier une ordonnance prononcée en vertu de l’art. 161 à la demande du contrevenant ou du poursuivant, une telle modification nécessite un changement de circonstances et impose un fardeau important au contrevenant. La modification d’ordonnances d’interdiction en vertu du par. 161(3) ne va pas de soi mais requiert plutôt une audience complète. Le fait que les ordonnances fondées sur l’art. 161 puissent être modifiées ultérieurement ne justifie pas le prononcé d’ordonnances qui restreignent exagérément ou déraisonnablement la liberté d’une personne.
[26] Dans la présente affaire, je conviens qu’en raison de la nature des infractions et de la conduite de M. Brar, une ordonnance fondée sur l’al. 161(1)d) est justifiée pour diminuer le risque que M. Brar représente pour les enfants. L’imposition de limites strictes à l’utilisation d’Internet par M. Brar réduira la possibilité que sa conduite répréhensible se répète dans l’avenir. Toutefois, étant donné le nombre incalculable d’activités inoffensives et peut-être incontournables pour lesquelles l’utilisation d’Internet peut être requise, l’interdiction quasi inconditionnelle de toute utilisation d’Internet que la juge chargée de la détermination de la peine a ordonnée pour une période de 20 ans est à mon sens manifestement inappropriée et déraisonnable dans les circonstances. Je ne considère pas qu’une interdiction totale relative à toute utilisation d’Internet autre qu’une utilisation « au travail » soit nécessaire pour tendre vers l’objectif de protéger les enfants, ni qu’une telle interdiction aidera de façon significative à prévenir la conduite déjà visée par l’ordonnance rendue en vertu de l’ancien al. 161(1)c). La présente cour hésite à imposer une interdiction si sévère qu’elle nuirait déraisonnablement aux efforts de réadaptation de M. Brar et si large qu’elle rendrait presque inévitables la violation de l’ordonnance et les conséquences pénales afférentes prévues au par. 161(4).
[27] Par ailleurs, je souscris aux observations de l’appelant selon lesquelles la juge chargée de la détermination de la peine a commis une erreur en interdisant à l’appelant de posséder et d’utiliser un téléphone intelligent, une tablette ou tout autre appareil mobile ayant une connexion Internet. L’al. 161(1)d) permet aux tribunaux d’interdire l’utilisation d’Internet, mais ne leur confère pas le pouvoir de restreindre la propriété d’appareils ayant la connexion Internet. Un tel pouvoir ne peut non plus être déduit du libellé de cet alinéa.
[28] Par conséquent, je remplacerais l’ordonnance prononcée par la juge de première instance en vertu de l’al. 161(1)d) par une ordonnance qui impose des restrictions à l’utilisation d’Internet par M. Brar, en suivant le modèle de l’ordonnance rendue dans l’affaire R. c. Perron. Plus précisément, M. Brar devra s’abstenir de consulter tout contenu illicite et de participer de quelque manière que ce soit à des réseaux sociaux, des forums en ligne ou des clavardoirs.
C. Décision
[29] Pour ces motifs, j’accueille partiellement l’appel de la peine, j’annule l’ordonnance d’interdiction prononcée en vertu des al. 161(1)c) et d) par la juge de première instance et je substitue l’ordonnance suivante :
(1) En conformité avec l’al. 161(1)c) du Code criminel, pour une période de 20 ans suivant sa libération, M. Brar n’utilisera pas d’ordinateur au sens du paragraphe 342.1(2) aux fins de communiquer avec une personne âgée de moins de 16 ans, sauf si cette personne est un membre de sa famille immédiate.
(2) En conformité avec l’al. 161(1)d) du Code criminel, pour une période de 20 ans suivant sa libération, M. Brar n’utilisera pas Internet ou tout autre service de communication semblable pour :
Appel accueilli en partie.