Masidon Investments Ltd. c. Ham* 45 O.R. (2d) 563 ONTARIO COUR D’APPEL LES JUGES ZUBER, BLAIR ET GOODMAN, J.C.A. 6 AVRIL 1984
* Autorisation de pourvoi en Cour suprême du Canada refusée, 26 juillet 1984. C.S.C. no 18799.
Prescription légale — Biens immeubles — Possession adversative — Fonds détenu par le propriétaire en attente de mise en valeur — Le revendicateur a utilisé le fonds comme terrain d’atterrissage pendant 10 ans — Savoir si le propriétaire est dépossédé — Limitations Act, R.S.O. 1980, c. 240, art. 4.
Le défendeur, qui était locataire d’un fonds contigu, utilisait le fonds de la demanderesse comme terrain d’atterrissage privé pendant 10 ans. La demanderesse n’utilisait pas le terrain et n’était pas au courant de l’usage qu’en faisait le défendeur. La demanderesse entendait détenir le fonds à titre d’investissement, payait les impôts y afférents, a accepté une indemnité d’expropriation pour une partie du fonds, et a présenté ses observations au sujet de son zonage. Dans le cadre d’une action pétitoire intentée par la demanderesse, le défendeur a invoqué l’article 4 de la loi dite Limitations Act, R.S.O. 1980, c. 240, pour revendiquer le titre par possession adversative pendant 10 ans. La demanderesse a eu gain de cause en première instance.
Sur appel à la Cour d’appel de l’Ontario, arrêt : rejet de l’appel, la demanderesse n’a pas été dépossédée par application de la loi dite Limitations Act puisque rien ne s’opposait à ce qu’elle fasse du terrain l’usage qu’elle entendait en faire, savoir le détenir à titre d’investissement.
Décisions appliquées
Keefer v. Arillotta (1976), 13 O.R. (2d) 680, 72 D.L.R. (3d) 182; Fletcher v.Storoschuk et al. (1981), 35 O.R. (2d) 722, 128 D.L.R. (3d) 59, 22 R.P.R. 75; Wallis’sCayton Bay Holiday Camp Ltd. v. Shell-Mex and BP Ltd., [1974] 3 All E.R. 575
APPEL formé contre le jugement rendu par le juge Carruthers, 39 O.R. (2d) 534, en faveur de la demanderesse dans une action pétitoire.
Garry J. Smith, c.r., et Robert E. Hawkins, pour l’appelante.
R. F. Wilson, c.r., et J. Paul Dillon, pour les intimés.
L’arrêt de la Cour a été prononcé par
Le juge BLAIR, J.C.A.:— Cet appel porte sur une revendication de titre possessoire. Plus spécifiquement, il échoit d’examiner si l’usage du fonds par l’appelant, l’intrus, s’opposait à l’usage par les intimés, qui sont les propriétaires en titre, et si l’appelant justifiait de l’animus possidendi, savoir l’intention de les évincer. M. le juge Carruthers a rejeté la revendication de l’appelant (39 O.R. (2d) 534), d’où cet appel.
Les faits de la cause
Les faits de la cause, tels qu’ils sont relevés par le juge Carruthers dans son analyse détaillée de tous les éléments de preuve produits, peuvent être brièvement résumés comme suit. En 1956, l’appelant est devenu locataire d’une parcelle de terre de quelque 100 acres appartenant à Louis Mayzel et situé du côté nord de l’autoroute Queen Elizabeth, près d’Oakville. Le fonds a été hypothéqué par Mayzel au créancier hypothécaire qui était le fiduciaire d’un groupe d’investisseurs, comprenant les intimés et leurs prédécesseurs en titre. Le 26 septembre 1967, le créancier hypothécaire a enregistré une ordonnance définitive de forclusion sur le terrain. À la suite de négociations subséquentes entre le créancier hypothécaire et Mayzel, la propriété de la moitié ouest du terrain de 100 acres a été transférée à une compagnie contrôlée par ce dernier. Le créancier hypothécaire en conservait la propriété de la moitié est, savoir le fonds en cause, et, en 1968, l’a transférée aux intimés.
L’appelant continuait à être un locataire de Mayzel. La demeure qu’il occupait pendant toute la période considérée est située sur la moitié ouest, mais la plupart des bâtiments de ferme et le chemin d’accès à la demeure se trouvent sur la partie est, celle qui fait l’objet de cet appel.
L’appelant utilisait un terrain d’atterrissage comprenant deux pistes gazonnées sur le fonds en cause. La première piste a été aménagée durant les dernières années 1950 et les premières années 1960; l’aménagement de la seconde entre 1966 et 1972 a nécessité de nombreux travaux d’excavation et de nivellement avec en sus un remblai d’une douzaine de grosses camionnées de terre. L’appelant a entretenu les pistes en y coupant régulièrement l’herbe et y répendant de l’engrais, du loam et des semences.
Une manche à air, visible de la route, était planée sur un silo sur le terrain en cause. À un moment donné avant 1960, l’appelant a fait construire un petit bâtiment pour servir de hangar. Une surface de cinq à sept acres environ servait d’aire de stationnement pour les avions. Il y avait aussi un parking pour les automobiles.
Ce terrain d’atterrissage n’était pas une exploitation commerciale ouverte au public mais était réservé à l’usage privé de l’appelant et de ses amis. Ceux qui s’en servaient devaient payer une bouteille de whisky écossais par mois et devaient signer une décharge. Il n’y avait ni installations de service pour les avions, ni radio ni aides à la navigation. Au moment du procès de première instance, 10 à 12 avions en moyenne utilisaient le terrain d’atterrissage, qui était en service tout au long de l’année sauf une période d’au plus quatre semaines au printemps et à l’automne lorsque le sol était boueux. L’utilisation en hiver était limitée puisqu’il n’y avait aucun matériel de déneigement. Le terrain était mentionné dans les publications et cartes de diverses entités, y compris le ministère fédéral des Transports, Flying Farmers, l’Organisation des mesures d’urgence et les services militaires.
L’appelant et sa famille réservaient le restant du fonds aux usages récréatifs et autres. Il a fait construire un barrage pour créer un étang dans un coin de la parcelle de terre. L’entrée de garage a été renforcée par un remblaiement de pierres et est devenue carrossable même pour les camions lourds en toutes saisons. Il y avait aussi du remblayage ailleurs sur le terrain. L’appelant a clôturé un champ servant au pâturage des chevaux de Mayzel. Il prenait du bois d’un boisé pour le chauffage de sa demeure. Tous ces travaux ont été effectués presque sans frais pour l’appelant; ils sont estimés à 200 $ seulement. Le remblayage était donné par une compagnie qui construisait une autoroute à proximité. Les pistes d’envol ont été aménagées et entretenues par les exploitants agricoles de la localité qui avaient sa permission pour y cultiver la terre.
Le distingué juge de première instance a conclu que la clôture érigée par l’appelant était destinée surtout, sinon exclusivement, à contenir les chevaux de Mayzel et non à interdire l’accès au terrain aux gens. L’appelant cherchait à protéger les pistes d’atterrissage en postant des panneaux interdisant aux cavaliers d’y chevaucher. De temps en temps, il cherchait à interdire aux motoneigistes et autres l’accès au terrain et, en particulier, aux pistes d’atterrissage.
L’appelant était un avocat inscrit au barreau ontarien. Le distingué juge de première instance conclut qu’il avait parfaitement conscience des conséquences de l’ordonnance définitive de forclusion et de la scission du terrain en deux parties en juillet 1968. L’appelant a témoigné qu’une fois informé de l’ordonnance de forclusion, il a décidé d’utiliser le terrain « comme il l’avait fait par le passé, tant qu’il restait à ma disposition, à moins d’en être évincé par ordonnance judiciaire ou autre décision autorisée ». Le juge de première instance a aussi relevé que par la suite, probablement à l’approche de l’expiration de la période de 10 ans, il avait « conçu un plan pour acquérir le titre possessoire sur le fonds en cause ».
Les intimés n’ont jamais pénétré sur le fonds en cause ni ne l’ont utilisé et, à part deux évaluateurs immobiliers, aucun représentant n’y est venu en leur nom, après 1968. Le distingué juge de première instance a conclu qu’il n’y avait pas divergence au sujet de l’usage que les intimés entendaient faire du terrain, savoir le détenir en attendant de le vendre à un prix acceptable à leurs yeux, et que l’appelant était au courant de cette intention. Le fonds valait de l’argent en raison de son emplacement et était évalué à 1,2 million de dollars à l’époque du procès de première instance. Les intimés ont reçu entre 1967 et 1978 une douzaine d’offres non sollicitées mais n’en ont retenu aucune.
Après 1968, les intimés payaient tous les taxes et impôts municipaux. Le fonds a été évalué entre 1974 et 1977 mais les évaluateurs, à supposer qu’ils fussent au courant de l’usage qu’en faisait l’appelant, n’en ont rien dit aux intimés. En 1975, la lisière bordant l’autoroute Queen Elizabeth a été expropriée par le ministère des Transports et, après négociations, les intimés ont accepté en 1976 une indemnité de 12 784 $ pour solde de tout compte. En 1978, ils ont déboursé quelque 5 000 $ pour se faire représenter devant la Commission des affaires municipales de l’Ontario lors d’audiences de rezonage affectant la propriété.
Les intimés ne savaient rien de l’usage fait par l’appelant du terrain jusqu’à ce qu’un acheteur potentiel leur en parlât en 1978. À la suite de cette découverte, ils ont intenté l’action pétitoire, laquelle a abouti à l’ordonnance du juge Carruthers reconnaissant leur droit de propriété à l’exclusion de tout droit ou prétention de l’appelant.
Les points litigieux
L’appelant fonde ses prétentions sur la loi Limitations Act, R.S.O. 1980, chap. 240, dont les articles 4 et 15 prévoient en effet que le titre du propriétaire sur un fonds s’éteint par la possession adversative par une autre personne pendant 10 ans: Le délai de prescription de 10 ans est prévu par la phraséologie quelque peu alambiquée et archaïque de l’article 4, dont la version française actuellement en vigueur porte :
4. Le droit d’entrer, de pratiquer une saisie-gagerie ou d’intenter une action en revendication d’un bien-fonds ou d’un loyer se prescrit par dix ans à compter de la naissance du droit en faveur de la personne qui exerce le droit ou en faveur de son auteur, selon le cas.
La question de savoir à quel moment il y a prescription acquisitive est une question de fait, à déterminer à la lumière des circonstances de la cause. Les principes juridiques qui régissent cette détermination ont été récemment rappelés par Mme le juge Wilson de la Cour de céans dans Keefer v. Arillotta (1976), 13 O.R. (2d) 680, p. 692, 72 D.L.R. (3d) 182, et dans Fletcher v. Storoschuk et al. (1981), 35 O.R. (2d) 722 , p. 725, 128 D.L.R. (3d) 59, 22 R.P.R. 75, en ces termes :
[TRADUCTION] … la personne qui prétend au droit de possession doit non seulement faire la preuve de la possession durant le délai de prescription, mais encore la preuve qu’il entendait évincer le véritable propriétaire et que la possession par celui-ci a été effectivement exclue par prescription.
Il est clair que celui qui prétend au titre possessoire tout au long du délai de prescription doit :
(1) avoir effectivement possession;
(2) avoir la volonté d’évincer le véritable propriétaire;
(3) avoir effectivement dépossédé le véritable propriétaire.
La prétention sera vaine à moins que le revendicateur ne satisfasse aux trois conditions, et le délai de prescription commencera à courir contre le propriétaire à la date où toutes les trois sont remplies; voir Wright v. Olmstead (1911), 3 O.W.N. 434, p. 435, jugement prononcé par le juge en chef Mulock, et Pflug et al. v. Collins, [1952] O.R. 519 at p. 527, [1952] 3 D.L.R. 681 (le juge Wells), confirmé par notre Cour, [1953] O.R. 140, [1953] 1 D.L.R. 841. La possession doit être « ouverte, notoire, constante, continue, paisible et exclusive du droit du véritable propriétaire »; voir Fletcher v. Storoschuk et al., op. cit.,p. 725; Ledyard v. Chase (1925), 57 O.L.R. 268, [1925] 3 D.L.R. 794, (le juge Riddell), p. 269 et 270. Dans cette dernière cause, le juge Riddell s’est prononcé en ces termes en page 270 :
[TRADUCTION] L’arrêt Sherren v. Pearson (1887), 14 Can. S.C.R. 581, réitère ce principe et ajoute que la possession ne doit pas être équivoque, occasionnelle, ou à une fin spéciale ou temporaire.
Les deux parties conviennent que le droit légal de l’appelant de se trouver sur le terrain en cause a pris fin à l’enregistrement, le 26 septembre 1967, de l’ordonnance définitive de forclusion. Par la suite, il l’a occupé en qualité d’intrus pendant plus de 10 ans. Le jugeCarruthers a conclu qu’il ne peut faire valoir sa prétention au titre possessoire parce qu’il ne remplissait pas les deuxième et troisième conditions ci-dessus. Je me propose d’examiner l’affaire à la lumière de ces conditions dans l’ordre inverse, savoir d’abord la dépossession puis l’intention de déposséder.
1. L’usage fait du bien-fonds par l’appelant était-il incompatible avec l’usage par les intimés? La question de la “possession adversative”
Celui qui prétend au titre possessoire doit prouver que sa possession exclut effectivement celle du véritable propriétaire. Cette condition s’exprime par le concept de “possession adeversative”. Ce concept n’a plus le sens technique qu’il avait avant l’adoption de la loi dite Limitations Act [“An Act to amend the Law respecting RealProperty”], 1834 (U.K.), c. 1, qui reprenait les termes de la loi dite Real PropertyLimitations Act, 1833 (U.K.), c. 27. Avant 1833, certains actes de possession étaient réputés accomplis au nom du propriétaire, donc non “adversatifs”. Par suite des lois modificatrices des années 1830, il y a possession adversative lorsque l’usage du bien-fonds par le revendicateur est incompatible avec « la jouissance de la terre [par le propriétaire] pour les fins auxquelles il la destine »; voir Leigh v. Jack (1879), 5 Ex. D. 264, p. 273, jugement prononcé par le lord juge Bramwell, et Megarry et Wade, The Law of Real Property, 4th ed. (1975), p. 1013.
Il ressort de récentes décisions de notre Cour que l’usage du bien-fonds ne vaut pas dans tous les cas possession adversative aux dépens du propriétaire. Mme le juge Wilson a résumé l’effet de ces décisions dans Fletcher v. Storoschuk et al., op. cit., p. 724, en ces termes :
[TRADUCTION] … les actes invoqués pour établir la possession adversative doivent être examinés à la lumière de la nature du fonds et en particulier de l’usage et de la jouissance dont le propriétaire entend en tirer; voir LordAdvocate v. Lord Lovat (1880), 5 App. Cas. 273, p. 288; Kirby v. Cowderoy, [1912] A.C. 599, p. 603. Le simple fait pour les défendeurs d’avoir diverses choses sur le fonds ne suffit pas à établir la possession adversative. Les choses qu’ils font doivent être incompatibles avec la forme de l’usage et de la jouissance dont le propriétaire entend tirer du fonds; voir Leigh v. Jack (1879), 5 Ex. D. 264; St. Clair Beach Estates Ltd. v. MacDonald et al. (1974), 5 O.R. (2d) 482, 50 D.L.R. (3d) 650; Keefer v. Arillotta (1976), 13 O.R. (2d) 680, 72 D.L.R. (3d) 182. Ce n’est qu’à cette condition que ces actes peuvent être cités comme preuve de l’animus possidendi nécessaire contre le propriétaire.
Ce principe est appliqué dans plusieurs décisions de notre Cour et d’autres juridictions. Dans Keefer v. Arillotta, susmentionnée, notre Cour a conclu que le fait d’utiliser une lisière de huit pieds entre les fonds des parties pour garer les voitures, par une partie qui y jouissait d’une servitude de passage ne dépossédait pas l’autre partie, le propriétaire en titre, de son droit de propriété. Ce dernier était toujours à même de faire un usage saisonnier ou occasionnel de la propriété comme il le voulait. Mme le juge Wilson, J.C.A., a fait cette observation en page 691 :
[TRADUCTION] L’usage qu’un propriétaire entend faire de son fonds peut être limité ou intermittent ou sporadique. Il n’est cependant pas possible d’acquérir un titre possessoire en le privant des usages qu’il n’a jamais voulu ou souhaité en faire. L’animus possidendi dont doit justifier la personne revendiquant le titre possessoire est la volonté d’évincer le propriétaire des usages qu’il tient à faire de sa propriété.
Mme le juge Wilson prend acte que la personne revendiquant le titre possessoire avait excédé ses droits, mais note en page 691 :
[TRADUCTION] La question qui se pose n’est pas de savoir si les intimés excèdent les droits issus de la servitude de passage, mais de savoir s’ils font obstacle à l’usage que le propriétaire entendait en faire; voir Re St. Clair BeachEstates Ltd. v. MacDonald et al. (1974), 5 O.R. (2d) 482, 50 D.L.R. (3d) 650. Les actes cités comme preuve de la dépossession du véritable propriétaire doivent être incompatibles avec la forme de jouissance que celui-ci entend tirer du fonds. C’est ce qui a été tenu pour être le critère de la possession adversative depuis la jurisprudence Leigh v. Jacks (1879), 5 Ex. D. 264.
Dans Fletcher v. Storoschuk et al., op. cit., le propriétaire, qui était un exploitant agricole, avait érigé une clôture à 18 pieds en-deçà de la limite de sa propriété pour empêcher que son bétail ne vienne troubler les personnes auxquelles il avait vendu les parcelles adjacentes. Un propriétaire adjacent a planté des arbres le long de la lisière bordant son propre fonds, y a cultivé du sarrasin pour combattre les mauvaises herbes et aménagé un jardin. L’exploitant agricole s’est opposé à ce qu’il construise une dalle en ciment sur la lisière pour y installer une pompe pour sa piscine. Mme le juge Wilson a conclu que l’usage antérieurement fait de la zone tampon séparant le pâturage de ce fermier et la propriété résidentielle de l’occupant n’était pas incompatible avec l’usage de l’agriculteur qui était d’empêcher son bétail de s’approcher de trop près de la limite des propriétés résidentielles. Et de tirer cette conclusion en page 725 :
[TRADUCTION] À mon avis, les actes dont le juge de première instance conclut qu’ils ont été accomplis sur cette langue de terre par les défendeurs ne contestaient pas l’usage que le propriétaire entendait en faire. Ces actes n’ont pas cette qualité qu’est l’incompatibilité avec l’usage voulu par le propriétaire, laquelle incompatibilité est nécessaire pour établir la possession adversative au sens de la loi.
Dans John Austin & Sons Ltd. v. Smith et al. (1982), 35 O.R. (2d) 272, 132 D.L.R. (3d) 311 (C.A.), le vendeur, à la vente de la propriété en 1964, se réservait le droit d’y pénétrer pour couper du bois. L’acheteur se servait de la propriété comme terrain de chasse et à d’autres fins récréatives. En 1974, le vendeur est entré pour la première fois et a commencé à y couper du bois. L’acheteur a cherché à l’en empêcher, mais il a été jugé que le vendeur avait le droit d’y entrer. Le juge Arnup, J.C.A., a conclu en ces termes en page 281 :
[TRADUCTION] Le propriétaire du fonds qui vend celui-ci à part les arbres sur pied qui s’y trouvent, conserve le droit de propriété inconditionnelle sur ces derniers, ainsi que le droit de pénétrer sur le fonds avec le matériel raisonnablement nécessaire pour couper et enlever ces arbres. Il ne convient pas dans ces conditions de parler de droit d’entrée “afférent” ou de “droit d’action pétitoire afférent” de façon à invoquer l’article 4 de la Limitations Act. Le demandeur en l’espèce est le propriétaire des arbres en question, avec droit d’entrée pour les prendre, parce qu’il n’a jamais perdu le droit de propriété. Jusqu’à ce que quelqu’un, que ce soit le propriétaire du restant du fonds ou une tierce partie, fasse quelque chose qui s’oppose au titre du propriétaire, le délai de prescription de 10 ans prévu à l’article 4 ne commence pas à courir.
Le juge Arnup conclut ensuite que jusqu’en 1974, les acheteurs n’avaient rien fait « qui s’oppose au droit de propriété du demandeur sur les arbres en question » et que le délai de prescription légale ne commençait à courir qu’à compter de cette date.
Dans Keefer v. Arillotta, op. cit., Mme le juge Wilson, J.C.A., s’est appuyée sur l’arrêtLeigh v. Jack, susmentionné, de la Cour d’appel d’Angleterre. Dans cette dernière cause, le vendeur avait retenu une bande de terre adjacente au terrain vendu à l’acheteur, dans l’intention d’en faire une allée. Pendant plus de vingt ans, l’acheteur s’est servi de la bande de terre comme dépotoir pour sa fonderie. Il a été jugé que l’acheteur n’avait pas acquis un titre possessoire parce que l’usage qu’il faisait de la bande de terre n’était pas incompatible avec l’usage par le propriétaire. Le lord juge Bramwell a tiré la conclusion suivante en page 273 :
[TRADUCTION] Je ne pense pas que le propriétaire ait été dépossédé par suite des actes du défendeur : les actes de l’utilisateur ne suffisent pas pour arracher la terre des mains de la demanderesse et de ses prédécesseurs en titre et la transférer du défendeur; afin de défendre un titre par la dépossession de l’ancien propriétaire, il faut qu’il y ait des actes incompatibles avec sa jouissance de la terre pour les fins auxquelles il la destine. Tel n’est pas le cas en l’espèce, où l’intention de la demanderesse et de ses prédécesseurs en titre n’était pas de cultiver le terrain ou d’y construire, mais de l’affecter à des fins publiques à l’avenir. La demanderesse n’a pas été dépossédée; sa possession n’a pas été non plus interrompue. Elle n’a pas perdu le titre de propriété, et la Cour prononce en sa faveur.
(C’est moi qui souligne.)
Dans Williams Bros. Direct Supply Ltd. v. Raftery, [1958] 1 Q.B. 159, le terrain a été acheté aux fins de promotion immobilière en 1937, et une rangée de boutiques a été construite avec des appartements à l’étage. L’intention qu’avait le constructeur de lotir le terrain à l’arrière des boutiques a été interrompue à cause de la guerre. À partir de 1940, l’occupant d’un appartement a aménagé un jardin dans une parcelle de ce terrain, et le locataire qui lui succédait a pris sa suite jusqu’en 1949, date à partir de laquelle le jardin a été envahi par les mauvaises herbes. Il a commencé à ce moment à élever des lévriers et a construit une remise. La Cour d’appel a jugé que cette utilisation du terrain n’était pas incompatible avec les droits du propriétaire et ne valait pas dépossession. Le lord juge Morris a conclu en page 173 qu’il était
[TRADUCTION]… impossible de dire que le défendeur a eu possession effective de nature à évincer les demandeurs, ou à les exclure de la possession : il n’y avait chez les demandeurs nulle intention de faire autre chose que de garder le fonds jusqu’à ce qu’ils puissent l’utiliser …
L’usage que les promoteurs immobiliers entendaient en faire était la mise en valeur en temps utile et, à cet égard, le lord juge Sellers s’est prononcé en ces termes en page 173 :
[TRADUCTION] Il est loisible, dans ces conditions, aux véritables propriétaires de ne faire aucun usage immédiat du fonds, et, au fil des ans, on ne saurait dire qu’ils perdent leur droit de propriété par suite d’actes insignifiants d’intrusion ou d’usage qui ne font nullement obstacle à un usage subséquent prévu.
Un autre exemple de bien-fonds détenu en attente de mise en valeur se trouve dansWallis’s Cayton Bay Holiday Camp Ltd. v. Shell-Mex and BP Ltd., [1974] 3 All E.R. 575. Une compagnie pétrolière a acheté en 1961 une bande de terre d’environ 1,33 acre dans l’intention de la lotir après la construction prévue de la route qui devait la border. Une compagnie exploitant un camp d’été avait précédemment acheté une exploitation agricole adjacente. De 1961 à 1971, elle avait laissé son bétail paître sur le terrain en question comme s’il avait été le sien propre et un an, y avait planté du blé. En 1971, elle s’est servie de toute la bande de terre à ses fins, y coupait l’herbe, ramassait les ordures et l’utilisait comme ligne de façade du camp mais sans rien y construire. En 1972, après l’expiration du délai de prescription légale de 12 ans applicable en Angleterre, la compagnie a revendiqué le droit de possession, ce que lui a refusé la Cour d’appel. Puisque le fonds était détenu en attente de lotissement, ses actes ne dépossédaient pas la compagnie pétrolière, parce qu’ils n’étaient pas incompatibles avec les fins auxquelles le fonds était détenu. Le lord juge Ormrod a tiré cette conclusion en page 591 :
[TRADUCTION] À mon avis, les actes des demandeurs qui consistaient à couper l’herbe ou le foin, faire paître leur bétail et labourer à l’occasion la bande de terre des défenderesses ne diminuaient en aucune façon la jouissance du fonds par ces derrières pour les fins auxquelles elles l’avaient achetée à l’origine, savoir en faire un garage ou une station-essence en temps voulu. Dans les circonstances de la cause, peu importe que les demandeurs justifient ou non de l’animus possidendi, ou qu’ils aient cru que le terrain leur appartenait et l’aient traité comme tel. Leur intrusion, contre les droits pratiques des défenderesses sur le terrain, peut être considérée à juste titre comme insignifiante… À mon avis donc, les demandeurs n’ont pas fait la preuve de la possession adversative contre les défenderesses.
En l’espèce, le juge Carruthers a tiré des conclusions catégoriques sur les faits et y a appliqué les principes dégagés dans les décisions susmentionnées. Il a conclu qu’il n’y avait aucune contestation quant à l’usage que les intimés entendaient faire du fonds qui était détenu en attente de vente à un prix avantageux en temps voulu. Il a ajouté [39 O.R. (2d) 534 en page 552], « …il n’y avait pas grand-chose d’incompatible avec l’usage fait par les demandeurs du fonds durant les 10 années en question. » Il a conclu que l’usage fait par l’appelant du fonds n’était pas incompatible avec celui des intimés. Cette conclusion était amplement étayée par les preuves produites. L’appelant n’a rien tenté pour exclure les intimés du fonds que ce soit par des clôtures ou par d’autres mesures. Il tenait au minimum les installations y aménagées sans aucun effort pour les rendre permanentes. Il a sciemment refusé d’en faire une entreprise commerciale. Rien n’a été fait sur le terrain qui fasse obstacle à la fin poursuivie par les intimés, qui était de le détenir en attendant de le vendre aux fins de lotissement. Le juge Carruthers relève en page 552 que « les installations en question pouvaient être abandonnées vite et facilement sans aucune perte. ».
En l’espèce, le juge Carruthers était appelé à décider s’il devait prendre en compte non seulement l’utilisation du fonds par les intimés à titre de propriétaires durant la période où Ham en avait la possession, mais encore tout usage à l’avenir. Ce point peut être important lorsque le fonds est détenu en attente de mise en valeur et où, en théorie, les agissements de l’intrus qui ne faisaient pas obstacle à l’usage par le propriétaire pendant que le terrain était inoccupé pourraient néanmoins faire obstacle à sa future mise en valeur. Il a conclu en page 547 que « c’est l’usage fait du fonds durant le délai de prescription qui est important, et non quelque usage futur envisagé, à supposer qu’il y en ait un, qui soit différent. »
En tirant cette conclusion, il s’est refusé à suivre la décision en sens contraire de la Haute Cour dans Giouroukos v. Cadillac Fairview Corp. Ltd. et al. (1982), 37 O.R. (2d) 364, 135 D.L.R. (3d) 249, 24 R.P.R. 226; laquelle a été infirmée pas d’autres motifs par notre Cour, voir 44 O.R. (2d) 166, 3 D.L.R. (4th) 595, 29 R.P.R. 224. Dans cette dernière cause, les propriétaires successifs d’un restaurant avaient utilisé pendant de nombreuses années un terrain adjacent comme parking. Ce terrain faisait partie d’un fonds qui avait été acheté en vue de l’aménagement futur d’un supermarché dans un centre commercial. En attendant, le propriétaire avait donné le terrain à bail mais ni les locataires ni lui-même n’utilisaient le parking. Mme le juge Van Camp a jugé que le propriétaire du restaurant avait acquis un titre possessoire parce que son usage s’opposerait à l’usage que le propriétaire entendait faire du terrain à l’avenir. Elle a conclu en page 372 :
[TRADUCTION] En l’espèce, les deux usages ne sont pas compatibles. Le demandeur utilise le terrain comme parking, qui exclurait tout autre usage à l’avenir par les défendeurs pour construction et aussi pour parking. Il est difficile de concevoir tout autre usage envisagé par les défendeurs même à titre de zone tampon, ce qu’ils ne prétendent pas, qui ne serait pas incompatible avec celui du demandeur et à l’égard duquel l’usage par celui-ci ne serait pas adversatif.
(C’est moi qui souligne.)
À mon avis, le juge Carruthers avait raison de ne prendre en compte que l’usage par le propriétaire durant la période de possession par l’intrus, abstraction faite de tout usage futur. En cela il a suivi les décisions citées supra, dans lesquelles il est clair que l’analyse était centrée sur l’usage par le propriétaire durant la période de possession par l’intrus.
La confusion entre l’usage durant la période d’intrusion et l’usage futur peut s’expliquer facilement. Dans les cas où, comme en l’espèce, le propriétaire ne fait absolument rien du terrain, son usage ne peut se définir en fonction de ce qui se fait effectivement sur le fonds, mais en fonction des fins pour lesquelles il le détient. Dans nombre de décisions et dans certains passages cités ci-dessus, le but poursuivi dans la détention du fonds est son “usage envisagé”. Les mots “usage envisagé” dans ces précédents donnent lieu à la confusion avec l’usage futur, par opposition à l’usage effectif durant le délai de prescription légale. La difficulté ne tient pas à la doctrine juridique mais aux termes employés. À mon avis, il conviendrait dans ces cas de parler toujours de l’usage que le propriétaire a fait ou entend faire du terrain contesté pendant que l’intrus l’occupait.
Le résultat évident de ce précédent et d’autres précédents cités plus haut a été noté dansA Manual of The Law of Real Property, 4e éd. (1969), sous la direction de P. V. Baker, en ces termes en page 529 :
[TRADUCTION] Si le propriétaire ne fait guère usage du fonds à présent, d’autres pourraient y faire beaucoup de choses sans pour autant faire valoir la possession incompatible avec son titre de propriété…
On pourrait se demander pourquoi plus l’usage que fait le propriétaire du fonds est limité, plus grande est la protection manifeste contre les prétentions au titre possessoire. La raison en est bien simple. Que la possession soit adversative ou non dépend toujours des circonstances de la cause et en particulier de l’usage que fait le propriétaire du fonds. Ainsi que l’a fait observer le lord juge Ormrod dans l’arrêt Wallis susmentionné, en page 590 :
[TRADUCTION] Le ou les mêmes actes d’intrusion peuvent revêtir une grosse importance pour le propriétaire d’une maison avec jardin, mais sont dénués d’importance pour un promoteur immobilier ou un industriel qui n’a aucun usage immédiat pour son fonds.
La conclusion qu’il tire en la même page est parfaitement logique :
[TRADUCTION] Ce me semble raisonnable puisqu’il n’est pas conforme à la justice d’encourager le recours en justice contre des agissements inoffensifs, juste pour protéger des droits, dont la jouissance est différée pour une bonne raison.
Le juge Carruthers s’est prononcé sur une question d’ordre public en ces termes en pages 552 et 553 :
[TRADUCTION] L’avocat représentant Ham se plaint que … ceci signifie pratiquement que le titre possessoire ne peut être acquis sur les fonds en attente de mise en valeur. Il se peut fort bien qu’il en soit ainsi.
Il suffit de dire en l’espèce que l’appelant n’a pas fait la preuve d’actes d’utilisation qui soient incompatible avec l’usage par les intimés. Il est inutile, voire imprudent, de conjecturer sur la question de savoir quels actes de l’appelant auraient pu déposséder les intimés en l’espèce.
Pareil résultat n’est cependant pas étonnant puisqu’il n’y a aucune raison d’ordre public de s’inquiéter des droits de l’appelant en l’espèce ou d’un intrus quelconque qui cherche à acquérir un titre possessoire sur un fonds détenu en attente de mise en valeur. L’appelant s’est délibérément engagé sur une voie qui devait conduire à l’intention de déposséder les intimés de leur bien. À mon avis, le juge Carruthers était fondé à conclure que la loiLimitations Act n’avait pas pour objet de « promouvoir l’acquisition du titre possessoire » par une personne se trouvant dans le cas de l’appelant. Le principe sous-tendant cette loi a été exposé par le juge Burton, J.C.A., dans Harris v. Mudie (1882), 7 O.A.R. 414, en ces termes en page 421 :
[TRADUCTION] La règle, telle que je la comprends, a toujours imposé d’interpréter très restrictivement la Limitations Act lorsqu’il s’avère que celui qui l’invoque est un intrus sans plus … et cette interprétation s’impose à notre sens de la justice. Elle n’a jamais été conçue pour servir de moyen d’acquisition du titre, ni pour encourager les gens malhonnêtes à faire intrusion dans la propriété d’autrui dans l’intention de l’en déposséder.
Le juge Robins, J.C.A., prononçant le jugement de la Cour de céans dans la causeGiouroukos susmentionnée, a réitéré ce principe en ces termes en pages 187 et 188 :
[TRADUCTION] En fin de compte, ce qui se passe en l’espèce, c’est qu’un homme d’affaires cherche à élargir de façon considérable ses biens-fondscommerciaux en s’arrogeant une importante partie du terrain vague de son voisin. C’est bien le cas d’appliquer cette conclusion tirée par le juge Middleton qui a rejeté les prétentions d’un possesseur adversatif sur une propriété clôturée, dans Campeau v. May (1911), 19 O.W.R. 751, page 752 :
« On peut dire que la règle restreint très rigoureusement l’acquisition du titre possessoire. Je pense qu’elle serait bien différente si la loi était invoquée pour défendre un titre défectueux, mais je ne vois rien dans le principe sous-jacent qui facilite l’appropriation malhonnête de biens immobiliers; je ne vois non plus aucun préjudice tel qu’il justifie une exception à la règle générale qui impose à l’intrus une charge de preuve rigoureuse. »
2. L’appelant justifie-t-il de l’intention requise de déposséder le véritable propriétaire? La question de l’animus possidendi
Le juge Carruthers a catégoriquement conclu que l’appelant n’avait l’intention de déposséder les intimés que vers la fin du délai de prescription légale (pages 547 et 548) :
[TRADUCTION] Le témoignage de Ham ne me permet pas de conclure qu’à quelque moment que ce fût après le 26 septembre 1967, il a conçu le dessein d’acquérir le titre possessoire sur le terrain en cause. Je n’accepte pas son témoignage qu’il l’a fait le moment où il était être réputé être un intrus, savoir la date d’enregistrement de l’ordonnance définitive de forclusion. Je pense qu’il l’a fait vers la toute fin de la période de 10 ans.
(C’est moi qui souligne.)
Il s’agit là d’une conclusion sur les faits, fondée sur les preuves et témoignages produits, dont la plupart est citée plus haut. Ces preuves et témoignages justifient aussi sa conclusion que la possession par l’appelant n’a pas effectivement exclu celle des intimés.
Les deux questions sont intimement liées. La conclusion que l’appelant n’a pas effectivement dépossédé les intimés fait qu’il est inutile d’examiner s’il en avait l’intention et lui impose d’en faire la preuve très rigoureuse. Dans la plupart des cas, l’intention de déposséder le véritable propriétaire doit être prouvée par des actes qui le dépossèdent dans les faits. Aucune conclusion en ce sens ne peut être tirée en l’espèce.
L’occupation du terrain par l’appelant n’était justifiée par aucune apparence de droit ou d’erreur à l’égard du titre ou de la limite. L’occupation en raison d’une apparence de droit ou d’erreur pourrait justifier de conclure que l’intrus a occupé le terrain dans l’intention d’en exclure toute autre personne, ce qui s’entend également, bien entendu, des véritables propriétaires. Tel n’était pas le cas en l’espèce.
Les actes de possession et l’intention de posséder ne se renforcent pas mutuellement en l’espèce : le distingué juge de première instance a tiré des conclusions catégoriques contre l’appelant sur les deux points. Attendu qu’il y a amplement de preuves qui justifient ses conclusions et qu’il n’a commis aucune erreur dans son application des principes de droit en la matière, notre Cour ne peut remettre en question ses conclusions; voir Lewis c. Todd et al.; et la Compagnie d’assurance canadienne provinciale (Tiers appelé), [1980] 2 R.C.S. 694, 115 D.L.R. (3d) 257, 14 C.C.L.T. 294.
Par ces motifs, je me prononce pour le rejet de l’appel avec dépens.
Appel rejeté.