McColgan Re (1969), 2 O.R. 152 (H.C.J.)

  • Dossier :
  • Date : 2024

Re McColgan [1969], 2 O.R. 152, 4 D.L.R. (3d) 572

Haute Cour de l’Ontario

Le juge KeithLe 19 février 1969

Testaments – Interprétation – Testateur ordonnant à son fiduciaire de détenir une propriété comme domicile pour une bénéficiaire jusqu’à ce que celle-ci décède ou cesse d’y résider personnellement – Nature du domaine ou de l’intérêt transmis – Domaine viager résoluble ou sous condition résolutoire – La condition résolutoire est-elle ambiguë et nulle pour cause d’incertitude?

Le testateur est décédé en 1967. Léguant ses biens à son fiduciaire, il lui ordonne de détenir une propriété comme domicile pour une bénéficiaire jusqu’à ce que celle-ci décède ou cesse d’y résider personnellement. La propriété doit alors tomber dans le reliquat de la succession. La requérante, l’exécutrice testamentaire et fiduciaire de la succession, demande au tribunal d’interpréter le testament afin de déterminer quel domaine ou intérêt a été transmis à la bénéficiaire et si cet intérêt constitue une simple permission d’utiliser et d’occuper personnellement la propriété. Dans la négative, le droit transmis est-il un domaine viager résoluble ou un domaine viager sous condition résolutoire. Dans le cas où il s’agit d’un domaine viager sous condition résolutoire, la condition est-elle nulle pour cause d’incertitude?

Décision : Le droit transmis est un domaine viager avec condition résolutoire. Ce domaine est libre et quitte de toute condition, la condition résolutoire stipulée étant nulle pour cause d’incertitude.

Le libellé du testament crée plus qu’une simple permission d’utiliser et d’occuper personnellement la propriété. Le fiduciaire doit détenir la propriété comme domicile pour la bénéficiaire jusqu’au décès de celle-ci et il doit constituer un fonds suffisant pour acquitter les frais et les charges prévus par le testament. Compte tenu du contexte, ces stipulations indiquent une intention de créer un intérêt sur la propriété plutôt qu’une simple permission. L’intérêt créé constitue un intérêt viager. S’agit-il d’un domaine viager résoluble ou d’un domaine viager sous condition résolutoire? Les mots « jusqu’à son décès » expriment l’intention que le domaine subsiste durant toute la vie de la bénéficiaire. Ces mots sont suivis de la disposition « ou jusqu’à ce qu’elle n’y réside plus personnellement, selon celui de ces deux événements qui survient le premier ». Cette disposition est extérieure à la délimitation et constitue une clause distincte de l’octroi. Il en résulte un intérêt sous condition. La condition créée est toutefois nulle pour cause d’incertitude. La détermination du moment où la condition est effectivement respectée ne pose aucun problème. Il en va tout autrement, toutefois, lorsqu’il s’agit de déterminer quand elle a été violée. Ainsi, on ne peut envisager que le testateur ait eu l’intention de voir l’intimée déchue de ses droits advenant le cas où elle prendrait des vacances prolongées ou qu’elle devrait être hospitalisée pour subir des traitements et ce, même s’il est clair, dans ces cas, qu’elle ne résiderait pas alors personnellement à la maison. Par conséquent, la condition imposée s’écarte complètement du critère selon lequel la « condition doit être telle que le tribunal puisse savoir dès le début et ce, précisément et distinctement, quel est l’événement dont la survenance emportera la résolution du domaine dévolu ».

[Perrin v. Morgan, [1943] A.C. 399; Moore et al. c. Royal Trust Co. et al., [1956] R.S.C. 880, 5 D.L.R. (2d) 152; Re McLean, [1940] 3 D.L.R. 307, 14 M.P.R. 475; infirmé [1941] 1 D.L.R. 722, 15 M.P.R. 338 sous le nom de Re McLean and Royal Trust Co.; Re Tilbury West Public School Board and Hastie, [1966] 2 O.R. 20, 55 D.L.R. (2d) 407; Fillingham v. Bromley (1823), Turn. & R. 530, 37 E.R. 1204;Clavering v. Ellison (1859), 7 H.L.C. 707, 11 E.R. 282; Re Sifton, [1938] O.R. 529, [1938] 3 D.L.R. 577, [1938] A.C. 656, [1938] 3 W.W.R. 465 sous le nom de Sifton v. Sifton; Re Down, [1968] 2 O.R. 16, 68 D.L.R. (2d) 30, mentionnés]

REQUÊTE en vue d’obtenir des conseils et des directives concernant l’interprétation d’un testament.

J. W. Morden, pour la requérante.

S. M. McBride, c.r., pour le Tuteur public qui représente l’enfant.

Rodney Hull, pour l’intimée.

Version française du jugement de la Cour rendu par

Le juge Keith : Le docteur McColgan est décédé à Toronto le 26 juin 1967. (…)

Toutes les questions posées au tribunal se rapportent aux dispositions de la clause III f) du testament, qui se lit comme suit :

III JE LÈGUE à mon fiduciaire tous les biens, où qu’ils se trouvent, que je possède au moment de mon décès ou sur lesquels je peux avoir un pouvoir de désignation, avec le mandat suivant :

. . . . .

f) Détenir ma propriété sise au 69, Arjay Crescent, à Willowdale, comme domicile pour MARY KOVALCHICK, de Sagamore, en Pennsylvanie, jusqu’à son décès ou jusqu’à ce qu’elle n’y réside plus personnellement, selon celui de ces événements qui survient le premier. Puis détenir cette propriété comme domicile pour CARRIE LEFTDAHL, de Plumville, en Pennsylvanie, jusqu’à son décès ou jusqu’à ce qu’elle n’y réside plus personnellement, selon celui de ces événements qui survient le premier. La propriété tombera alors dans le reliquat de ma succession et en fera partie. Pendant qu’il détient la propriété au profit de l’une ou de l’autre des personnes susnommées, le fiduciaire acquittera les taxes, assurances, réparations et autres frais ou charges nécessaires à l’entretien normal de la propriété, par prélèvement sur le fonds que je lui demande de constituer à mon décès en l’alimentant de façon suffisante selon lui, pour remplir ces fins. Le solde du fonds tombera dans le reliquat de ma succession et en fera partie dès la fin de la détention au profit de l’une ou de l’autre des personnes susnommées;

L’alinéa g) de cette clause III renferme les dispositions qui traitent du reliquat résiduaire existant lors de la résolution de tout intérêt de Mary Kovalchick et de Carrie Leftdahl, visé à l’alinéa f). (…)

Les questions suivantes sont posées au tribunal :

1. Quel domaine ou intérêt, le cas échéant, sur la propriété sise au 39, Arjay Crescent (ci-après appelée « la propriété ») a été transmis à Mary Kovalchick aux termes du testament?

2. Les faits produits en preuve à l’appui de la présente requête, et notamment l’absence de Mary Kovalchick de la propriété, que révèle David Ernest Morrow dans son affidavit, ont-il emporté la résolution du domaine ou de l’intérêt sur la propriété, le cas échéant, qui a été transmis à Mary Kovalchick?

3. Advenant le cas où le tribunal déciderait que Mary Kovalchick a encore un domaine ou un intérêt sur la propriété, quelle conduite de sa part à l’égard de la propriété entraînerait la déchéance ou la résolution de son domaine ou de son intérêt? (…)

Évidemment, la réponse apportée à la question 1 aura une incidence directe sur la solution des autres questions.

La question 1 soulève elle-même les quatre sous-questions suivantes :

a) L’intérêt de Mary Kovalchick et, à plus forte raison, l’intérêt subséquent de Carrie Leftdahl sur résolution de l’intérêt de Mary Kovalchick, constitue-t-il une simple permission à titre personnel d’utiliser et d’occuper la propriété sise au 39, Arjay Crescent, et d’en jouir?

b) Si l’intérêt constitue plus qu’une simple permission à titre personnel, le libellé du testament a-t-il pour effet de créer un domaine viager résoluble ou un domaine viager sous condition résolutoire?

c) Si l’intention est de créer un domaine viager résoluble, est-ce que le libellé utilisé pour préciser un tel domaine viager est clair et dénué de toute ambiguïté ou est-ce plutôt le contraire, ce qui rendrait le legs nul pour cause d’incertitude?

d) S’il s’agit plutôt d’un domaine viager sous condition résolutoire qui est créé, la condition est-elle nulle pour cause d’incertitude, ce qui rendrait ainsi le domaine viager libre et quitte de toute condition?

Dans l’affaire Perrin c. Morgan, [1943] A.C. 399, le Grand Chancelier Viscount Simon s’exprima ainsi à la p. 406 :

Mes lords, la règle fondamentale en matière d’interprétation des testaments consiste à accoler aux mots employés le sens que, compte tenu des clauses du testament, le testateur avait l’intention de leur conférer. Évidemment, il ne s’agit pas de savoir ce que le testateur avait l’intention de faire en testant, mais plutôt ce que les mots employés signifiaient en l’espèce — bref, ce qu’est l’« intention exprimée » du testateur.

Et à la p. 408 :

Je vais maintenant examiner quelques arrêts publiés en disant simplement, qu’il me semble un peu malheureux que tant d’arrêts du genre aient été publiés étant donné que dans la plupart des cas le juge qui est appelé à interpréter un testament écrit dans un anglais ordinaire n’est pas tenu de considérer les décisions antérieures comme faisant partie d’une sorte de dictionnaire juridique à consulter et à appliquer implacablement quelle que soit l’intention du testateur, mais plutôt d’interpréter le document qu’il a en main en vue de capter le sens réel que le testateur voulait lui donner compte tenu du libellé utilisé et des circonstances particulières de ce dernier… Dans Abbott c. Middleton (1858), 7 H. L. C. 68, 119, une décision de notre Chambre dans laquelle le lord chancelier Chelmsford et les lords Cranworth, St. Leonards et Wensleydale ont tous saisi l’occasion pour expliquer la règle régissant l’interprétation des testaments, le lord Wensleydale a affirmé : « Beaucoup d’arrêts ont été cités à la barre, comme ils le sont toujours lorsqu’il est question d’interpréter un testament. Règle générale, ces citations comptent peu. Nous sommes sans aucun doute liés par la jurisprudence, mais lorsqu’il n’est pas question d’une règle ou d’un principe de droit particulier, mais plutôt du sens que peuvent revêtir les mots d’un instrument qui diffère beaucoup des autres compte tenu de son contexte et des circonstances particulières du testateur, il arrive rarement que les mots d’un instrument particulier servent de guide sûr dans l’interprétation d’un autre. »

L’arrêt Moore et al. c. Royal Trust Co. et al., [1956] R.C.S. 880, 5 D.L.R. (2d) 152, illustre bien les difficultés que pose l’interprétation des termes employés par le testateur dans des causes comme celle qui nous intéresse.

Dans cette affaire, une des clauses du testament soumis à l’interprétation du tribunal se lisait comme suit [p. 881 dans les R.C.S., p. 156 dans les D.L.R.] :

« 6. J’ordonne que mes fiduciaires permettent à mon fils George Moore Junior et à son épouse Frances, tant que l’un ou l’autre occupera ma propriété connue comme [mots la décrivant], de l’utiliser et d’en jouir sans devoir acquitter de loyer ni de taxes. Je leur ordonne en outre de prélever sur mon fonds en fiducie les frais d’entretien des bâtiments qui s’y trouvent, ainsi que les coûts de l’assurance-incendie à cet égard.

Le tribunal de première instance [[1954] 3 D.L.R. 407, 13 W.W.R. (N.S.) 113] statua que ces mots avaient pour but de créer un domaine viager résoluble, mais comme ils étaient ambigus et incertains quant à l’événement devant entraîner la résolution du domaine, le legs tomba en entier pour cause d’incertitude.

Pour sa part, la Cour d’appel [[1955] 4 D.L.R. 313, 16 W.W.R. 204] (C.-B.) statua, dans une décision unanime, que ces mots avaient effectivement créé un intérêt viager résoluble et non un domaine viager sous condition résolutoire, mais comme les mots utilisés ne renfermaient ni ambiguïté, ni incertitude, le legs était valide.

Toutefois, la Cour suprême du Canada décida, également dans une décision unanime, que tous les juges des tribunaux inférieurs avaient erré et que, en définitive, ce n’était pas un domaine ni un intérêt foncier qui avait été créé mais bien plutôt une simple permission à titre personnel d’utiliser et d’occuper la propriété, et d’en jouir. (…)

Si j’examine maintenant le premier point soulevé par la question 1, je constate que le libellé du testament va bien au-delà de ce qu’on pourrait juger propre à créer une simple permission à titre personnel. En effet, les obligations imposées aux fiduciaires de « détenir ma propriété sise au (sic) 39, Arjay Crescent, à Willowdale, comme domicile pour MARY KOVALCHICK, de Sagamore, en Pennsylvanie, jusqu’à son décès », et de constituer un fonds suffisant pour acquitter les frais et charges visés par le testament, sont nettement plus compatibles avec l’intention de créer un intérêt sur la propriété plutôt qu’une simple permission, compte tenu des détails particuliers du testament et des personnes visées. La propriété doit être détenue comme « domicile » et non détenue conformément à une simple autorisation d’occuper. L’intérêt créé constitue, par conséquent, un intérêt viager.

Compte tenu de l’opinion que je viens d’exprimer sur le premier point, examinons maintenant si l’intérêt créé est un domaine viager résoluble ou un domaine viager sous condition résolutoire.

Dans l’affaire Re Tilbury West Public School Board and Hastie, [1966] 2 O.R. 20, à la p. 21, 55 D.L.R. (2d) 407, à la p. 408, le juge Grant devait étudier un acte formaliste comportant la clause d’octroi suivante :

Je donne à ces parties de troisième part et à leurs … successeurs à titre de fiduciaires tant que cela sera utilisé et nécessaire à des fins scolaires, mais pas plus longtemps.

La clause de délimitation était compatible avec la clause d’octroi mais comportait en outre des termes permettant d’identifier le propriétaire de l’intérêt réversif.

À la p. 23 des O.R. et à la p. 410 des D.L.R., le juge Grant s’exprima ainsi :

On doit d’abord décider si la cession en question était un fief simple résoluble assorti d’un droit de retour ou un fief simple sous condition résolutoire… C’est difficile de définir la différence entre un fief résoluble et un fief simple sous condition résolutoire, et il arrive souvent qu’on ne puisse pas les placer dans la catégorie appropriée. La principale distinction semble être le fait que dans le cas d’un fief résoluble, c’est l’événement qui entraîne la résolution, qui fixe les limites du droit de propriété cédé en premier lieu. Par contre, une condition résolutoire est une clause indépendante ajoutée à la cession d’un fief simple absolu et complet, qui en opère l’annulation.

Le juge Grant conclut finalement que les mots cités avaient créé un fief simple résoluble.

L’auteur de Cheshire’s The Modern Law of Real Property, 9e éd., présente bien, à la p. 284, l’importance de la distinction qu’il convient d’établir aux fins de la présente affaire :

On ne tient pas compte d’une condition résolutoire qui est nulle aux termes des règles énoncées ci-après ou qu’il devient impossible de réaliser par effet de la loi; le legs produit alors ses effets comme si la condition n’avait pas été imposée. Par contre, un intérêt résoluble tombe complètement si l’événement résolutoire est nul aux termes des règles en question, puisque le considérer comme absolu modifierait sa valeur telle qu’elle est fixée par la délimitation.

À la p. 281, le même éminent auteur définit la distinction en ces termes :

En résumé, si l’événement résolutoire est une partie intégrante et nécessaire de la formule qui servira à déterminer l’importance du droit de propriété, il en résulte la création d’un droit de propriété résoluble; mais si l’événement résolutoire est extérieur à la délimitation et s’il forme une clause distincte de l’octroi, le droit cédé est un droit sous condition.

Les auteurs de Megarry et Wade, The Law of Real Property, 3e éd., pp. 77 et 78, établissent ainsi cette distinction :

On verra que la différence se situe vraiment sur le plan des mots. L’événement résolutoire peut être intégré à la délimitation de façon à créer soit un fief résoluble, soit un fief simple sous condition résolutoire, selon le voeu du concédant. Il s’agit donc de savoir si les mots limitent la durée maximale du domaine, ou s’ils marquent un événement qui, s’il survient au cours de cette période, annulera le domaine déjà concédé. Les mots constituent, dans le premier cas, une délimitation et, dans le second cas, une condition. Une délimitation marque les limites ou l’étendue du domaine, tandis qu’une condition annule le domaine avant qu’il n’atteigne sa limite.

Comme je l’ai mentionné plus haut, j’en suis arrivé à la conclusion que l’intérêt concédé à Mary Kovalchick était un domaine viager puisque les mots « jusqu’à son décès » sont tout simplement une autre façon d’exprimer l’intention que le domaine créé devait subsister durant toute sa vie. Par ailleurs, les mots « ou jusqu’à ce qu’elle n’y réside plus personnellement, selon celui de ces événements qui survient le premier » sont, à mon avis, « extérieurs à la délimitation » — « une clause distincte de l’octroi », ce qui crée ainsi un intérêt sous condition, au sens où l’entend, avec les adaptations nécessaires, le passage cité de Cheshire. Et les mots « ils marquent un événement qui, s’il survient … annulera un domaine déjà concédé » constituent une condition, comme les auteurs de Megarry et Wade l’ont bien souligné.

Il reste maintenant à vérifier si la condition à laquelle est subordonné le domaine viager est valide ou nulle elle-même pour cause d’incertitude.

Dans l’ancien arrêt Fillingham c. Bromley (1823), Turn. & R. 530, 37 E.R. 1204, le Grand Chancelier Eldon devait examiner la condition imposée au bénéficiaire de vivre et de résider sur la propriété. Or, il conclut que ces mots constituaient une condition résolutoire nulle pour cause d’incertitude. Il s’exprima d’ailleurs ainsi, à la p. 536 :

Puis il faut s’interroger sur le sens des mots « vivre » et « résider » : « occuper » n’est pas vivre ni résider : il y a de nombreuses fins pour lesquelles on a considéré que le mot habitant comprenait le mot personnes, comme habitants de lieux où ils n’avaient jamais été. Les questions qu’il convient alors de se poser sont donc les suivantes : quelle était l’intention du testateur et, à moins que le testament puisse recevoir une interprétation claire, le tribunal peut-il prendre sur lui de conclure à la déchéance?

Dans l’arrêt Clavering c. Ellison (1859), 7 H.L.C. 707, 11 E.R. 282, Lord Cranworth dit, aux pp. 725 et 726 :

Depuis les temps les plus reculés, l’une des règles fondamentales en la matière s’énonce comme suit : si un domaine dévolu doit être annulé en raison d’une condition fondée sur une éventualité qui se réalisera plus tard, la condition doit être telle que le tribunal puisse savoir dès le début et ce, précisément et distinctement, quel est l’événement dont la survenance emportera la résolution du domaine dévolu.

À mon avis, même si je n’avais pu m’appuyer sur aucun précédent direct, j’en serais tout de même arrivé à la même conclusion. Quoi qu’il en soit, j’ai étudié la jurisprudence, et notamment l’arrêt Fillingham c. Bromley (Turner and Russ, 530) rendu par Lord Eldon. Or, j’estime que le libellé dont il est ici question est beaucoup trop vague et incertain pour permettre au tribunal de saisir l’intention du testateur quant à l’événement dont dépendait la résolution du domaine. Celui-ci devait passer à quelqu’un d’autre dans le cas où un ou plusieurs enfants seraient éduqués à l’étranger. Qu’est-ce que cela signifie? Il est impossible de trouver deux personnes s’entendant sur le moment où l’éducation commence vraiment. Prenons l’exemple d’un enfant né à l’étranger et ramené en Angleterre avant même qu’il ait appris à parler. Bien sûr, vous ne pourriez conclure, dans ce cas, qu’il a été éduqué à l’étranger. Et pourtant, on dit que plus d’idées sont reçues au cours des deux premières années d’une vie qu’au cours de toutes les années subséquentes, fût-elle la vie la plus longue. Si cela n’avait pas constitué une violation de condition, qu’en aurait-il été si l’enfant était revenu au pays à l’âge de sept ans ou même à l’âge de dix ans? Et s’il était demeuré à l’étranger jusqu’à ce qu’il atteigne la majorité, vous auriez alors certainement conclu qu’il avait été éduqué à l’étranger. La question qui se pose en l’espèce n’est pas tant de savoir s’il a été éduqué à l’étranger, mais bien plutôt si vous pouvez induire, à la simple lecture du testament, ce qui devait entraîner l’annulation du domaine dévolu. Je partage l’opinion de Lord Eldon concernant l’annulation d’un domaine du fait d’une personne ne vivant ni ne résidant dans une certaine maison, situation qu’il considérait comme trop éloignée. Or, j’estime que le cas qui nous intéresse présente une situation beaucoup plus éloignée.

C’est d’ailleurs là la position expressément adoptée dans les arrêts Re Sifton, [1938] O.R. 529, à la p. 535, [1938] 3 D.L.R. 577, aux pp. 583 et 584, [1938] A.C. 656 sub nom. Sifton c. Sifton, et aussi dans l’arrêt Re Down, [1968] 2 O.R. 16, à la p. 22, 68 D.L.R. (2d) 30, à la p. 36 (C.A.).

Le fait, déjà amené en preuve, que Mary Kovalchick soit allée à Sagamore en novembre 1967 et qu’elle soit retournée à Toronto en mai 1968 suffit en soi pour démontrer le caractère incertain et ambigu de la condition « jusqu’à ce qu’elle n’y réside plus personnellement ». La détermination du moment où la condition est effectivement respectée ne pose aucun problème. Il en va tout autrement, toutefois, lorsqu’il s’agit de déterminer quand elle a été violée. Ainsi, on ne peut envisager que le testateur ait eu l’intention de voir l’intimée déchue de ses droits advenant le cas où elle prendrait des vacances prolongées ou qu’elle devrait être hospitalisée pour subir des traitements et ce, même s’il est clair, dans ces cas, qu’elle ne résiderait pas alors personnellement à la maison. Par conséquent, la condition imposée s’écarte complètement du critère énoncé par Lord Cranworth, soit que la « condition doit être telle que le tribunal puisse savoir dès le début et ce, précisément et distinctement, quel est l’événement dont la survenance emportera la résolution du domaine dévolu ».

Je dois donc répondre à la question 1 de la façon suivante : un domaine viager visant le 39, Arjay Cres. a été transmis à Mary Kovalchick, libre et quitte de toute condition, la prétendue condition résolutoire étant nulle pour cause d’incertitude.

Il s’ensuit que la question 2 doit recevoir une réponse négative. Quant à la question 3, il suffit de répondre simplement que sa conduite ne peut entraîner la déchéance de son domaine viager. (…)