COUR D’APPEL DE L’ONTARIO
LES JUGES D’APPEL WEILLER, FELDMAN ET SHARPE
ENTRE :
DEBORAH McINTYRE, EXÉCUTRICE TESTAMENTAIRE DE LA SUCCESSION DE JOSEPHMcINTYRE, DEBORAH McINTYRE, MICHAEL GRANT McINTYRE et DAVID JOHN McINTYRE, mineurs représentés par leur tutrice à l’instance Deborah McInryre, et MARIE CECILIA DONNELL, JOHN MALCOLM DONNELL
Demandeurs
-et-
OWEN SCOTT, ANDREA DENNIS, JEVCO INSURANCE COMPANY et PILOT INSURANCE COMPANY
Défendeurs
(Pilot Insurance Company, appelante)
(Jevco Insurance company, intimée)
))))))))))))))) Rita Bambers
) pour l’appelante
)
) Chris T. Bloom
) pour l’intimée
)
)))) Audience : le 15 septembre 2003
En appel d’une ordonnance du 26 juin 2001 du juge Donald S. Ferguson, de la Cour supérieure de justice.
LE JUGE SHARPE, JUGE D’APPEL :
[1] Le présent appel porte sur un litige entre deux compagnies d’assurances concernant une protection. La question est de savoir si Deborah McIntyre était une « occupant » (« personne transportée »), par rapport à une motocyclette, aux termes du paragraphe 224(1) de la Loi sur les Assurances, L.R.O., chap. I.8, quand elle a été frappée par un conducteur nonassuré.
[2] Le 27 juillet 1997, Deborah McIntyre voyageait sur la Don Valley Parkway, à Toronto, sur une motocyclette conduite par son mari Joseph McIntyre. Quand un orage a éclaté, ils se sont arrêtés et sont descendus de leur motocyclette sous un viaduc pour s’abriter. Tous les deux ont attendu, sur un talus situé à proximité de la motocyclette, que la pluie s’arrête afin de reprendre leur route. Au moment où Deborah McIntyre s’approchait de la motocyclette pour récupérer des vêtements secs d’une des sacoches de selle, un automobiliste non assuré les a frappés tous deux. Joseph McIntyre a été tué et Deborah McIntyre a été gravement blessée. Au moment de l’accident, Deborah McIntyre ne se trouvait pas sur la motocyclette et ne la conduisait pas. On ne sait pas si elle touchait ou non à ce véhicule.
[3] Joseph McIntyre était inscrit comme assuré dans une police contractée sur la motocyclette avec l’intimée, la Jevco Insurance Company (« Jevco »). Il était aussi inscrit comme assuré dans une police contractée avec l’appelante, la Pilot Insurance Company(« Pilot »), sur deux autres véhicules familiaux. Les deux polices comportent la couverture exigée par la loi pour les réclamations contre les propriétaires et les conducteurs de véhicules non assurés.
[4] Dans la Loi sur les assurances, à l’alinéa 265(2)c), il est stipulé que, dans le cas d’une demande relative à des lésions corporelles, la « personne assurée aux termes du contrat » s’entend :
(i) des personnes transportées par l’automobile assurée,
(ii) de l’assuré, de son conjoint ou partenaire de même sexe et de leurs parents à charge :
(A) soit pendant qu’ils sont transportés par une automobile non assurée
(B) soit qu’ils sont heurtés par une automobile non assurée ou non identifiée dans le cas où ils ne sont pas transportés par une automobile ni par du matériel roulant sur rails […]
[5] En vertu du paragraphe 268(5.2), si plus d’une police offre une couverture, la réclamation doit être faite contre l’assureur de l’automobile dans laquelle la personne (soit la personne assurée, soit son conjoint, son partenaire de même sexe ou une personne à sa charge) était une « personne transportée » (« occupant »). En conséquence, si Deborah McIntyre était une « personne transportée » (« occupant »), Jevco est seule responsable pour sa réclamation. Si elle n’était pas une « personne transportée » (« occupant »), la responsabilité pour sa réclamation devrait être partagée entre Jevco et Pilot.
[6] Le paragraphe 224(1) de la Loi sur les assurances définit « personne transportée » (« occupant ») comme suit :
Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie.
[…]
« personne transportée » À l’égard d’une automobile, s’entend :
a) du conducteur;
b) du passager transporté dans ou sur l’automobile;
b) d’une personne qui monte ou qui descend de l’automobile.
(In this part,
[…]
“occupant”, in respect of an automobile, means,
(a) the driver,
(b) a passenger, whether being carried in or on the automobile,
(c) a person getting into or on or getting out of or off the automobile;)
[7] La question soulevée a été soumise au juge Ferguson sous forme de motion pour trancher une question de droit sous le régime de la règle 21.01. Il a jugé que Deborah McIntyre n’était pas une « personne transportée » (« occupant ») et que, par conséquent, elle était couverte par les deux polices. Pilot interjette appel de cette décision devant notre Cour.
QUESTION
[8] Quand elle a été frappée et blessée par le conducteur non assuré, Deborah McIntyre était-elle une « personne transportée » (« occupant »), par rapport à la motocyclette, au sens du paragraphe 224(1)?
ANALYSE
[9] Le juge de la motion a tranché cette question en se fondant sur le sens ordinaire des termes du paragraphe 224(1) et sur la décision de notre cour dans Axa Insurance v. MarkelInsurance Co. of Canada, (2001), 140 O.A.C. 109. Selon le juge, Mme McIntyre ne pouvait pas être considérée comme une personne transportée car elle n’était pas physiquement « dans ou sur » (« in or on ») la motocyclette au moment de l’accident. Le juge a interprété les mots « wether being carried in or on the automobile » (« transporté dans ou sur une automobile ») d’une façon qui restreint le mot « passenger » (« passager ») à une personne qui se trouve physiquement dans ou sur la motocyclette au moment de l’accident. Pour les motifs qui suivent, en toute déférence, je suis en désaccord avec l’interprétation du juge de la motion et je conclus que, au moment de l’accident, Mme McIntyre était une « personne transportée » (« occupant »), par rapport à la motocyclette, au sens du paragraphe 224(1).
[10] Deux décisions de notre Cour sont à prendre en considération. Dans Kyriazis v. RoyalInsurance Co. of Canada et al. (1991), 82 D.L.R. (4th) 691 (C. de l’Ont. (Div. gén.)), confirmé par (1993), 107 D.L.R. (4th) 288 (Ont. C.A.), la Cour a interprété les termes de la police standard d’assurance-automobile alors en cours. Dans cette police, le terme « occupant » ([TRADUCTION] « personne transportée ») était défini comme [TRADUCTION] « toute personne conduisant une automobile, transportée dans ou sur une automobile ou entrant dans une automobile, montant sur une automobile ou quittant une automobile ». DansKyriazis, Le tribunal a conclu que le demandeur, qui était sorti du véhicule automobile qu’il conduisait pour enlever de la neige des vitres au moment de l’accident, n’était pas un « occupant » ([TRADUCTION] « personne transportée ») parce qu’il n’exerçait pas physiquement l’activité de conduire. Le tribunal a rejeté l’argument voulant qu’il adopte un critère fondé sur [TRADUCTION] « la zone où il existe un lien » entre la personne concernée et le véhicule. Selon ce critère, le tribunal aurait examiné un certain nombre de facteurs reliés à l’intention du demandeur. Parmi ces facteurs : si le demandeur occupait le véhicule immédiatement avant l’accident; s’il était sorti du véhicule temporairement avec l’intention de reprendre la route; et si ses gestes au moment de l’accident étaient d’une certaine façon reliés à l’utilisation continue du véhicule.
[11] Dans Axa, citée plus haut, le tribunal a distingué l’espèce de l’affaire Kyriasis et a élaboré une autre approche d’interprétation relativement au terme « occupant » (« personne transportée ») qui est défini au paragraphe 224(1) de la Loi sur les assurances. Dans cette affaire, le demandeur avait conduit son camion à une aire de chargement. Pendant qu’il se tenait à 30 pieds de son camion et qu’il attendait son tour pour décharger, le demandeur a été accidentellement frappé et tué par un morceau de bois qui s’était envolé d’un autre camion. Même si, à ce moment-là, le demandeur n’était pas en train de conduire, le juge d’appel Goudge a conclu qu’il était un « driver » (« conducteur ») aux termes du paragraphe 224(1). Contrairement à la décision dans Kyriasis, qui avait interprété le terme « occupant » (« personne transportée ») en fonction de différentes activités physiques, le juge d’appel Goudge a mis l’accent sur l’importance qui est accordée au statut de la personne concernée dans la loi actuelle :
[TRADUCTION]
Dans la loi, l’accent est mis sur la description de la personne réclamant des prestations. Les éléments déterminants ne sont pas l’activité en cours ni la position exacte de la personne. Dans la définition édictée, rien n’exige que la personne concernée soit en train de conduire le véhicule ou se trouve dans le véhicule au moment de l’incident. Tout ce qui est exigé, c’est que cette personne soit le conducteur du véhicule. (paragraphe 14)
[12] De plus, dans Axa, il a été conclu que le mot « driver » (« conducteur ») devait être interprété à la lumière des définitions de « passenger » (« passager ») et de « person » (« personne »). Selon le juge d’appel Goudge, les termes apposés aux termes « passenger » (« passager ») et « person » (« personne ») et les précisant suggèrent que « driver » (« conducteur ») fasse l’objet de la restriction suivante :
[TRADUCTION]
[…] le paragraphe 224(1) n’exige pas qu’une personne soit dans le véhicule pour qu’elle puisse en être le « driver » (« conducteur »); par contre, le fait que l’alinéa 224(1)a) y côtoie les définitions des alinéas 224(1)b) et c) suggère qu’une personne doit avoir une certaine mesure de lien physique avec le véhicule pour pouvoir en être le conducteur. (paragraphe 18)
[13] En plus d’exiger une mesure de lien physique entre la personne et le véhicule, a estimé le juge Goudge, le statut de « conducteur » (« driver ») ne s’applique pas à la personne de façon permanente, mais dépend des circonstances du moment (paragraphe 19). En conséquence, pour déterminer si une personne est un « conducteur » (« driver ») au sens du paragraphe 224(1), la question à se poser est la suivante : un observateur objectif répondrait-il par l’affirmative si on lui demandait si la personne était un conducteur du véhicule? (Paragraphe 21)
[14] À mon avis, il existe quatre raisons pour adopter l’approche de l'[TRADUCTION] « observateur objectif » établi dans Axa.
[15] Premièrement, le paragraphe 224(1) devrait être interprété de manière cohérente et constante. Le mot « passenger » (« passager »), tout comme le mot « driver » (« conducteur »), identifie un statut plutôt qu’une activité physique. Si le critère de l’observateur objectif doit être utilisé pour interpréter le terme « driver » (« conducteur »), il doit l’être aussi pour interpréter le terme « passenger » (« passager »).
[16] Deuxièmement, je ne suis pas d’avis que le [TRADUCTION] « sens courant » des termes de la loi impose une manière différente d’aborder la question. Contrairement à une prétention de l’intimée, je ne considère pas que les mots ajoutés à la définition de « passenger » (« passager ») et précisant ce terme — « wether being carried in or on the automobile » (« transporté dans ou sur l’automobile ») — indiquent que la personne concernée doit se trouver « dans ou sur l’automobile » (« in or on the automobile ») pour être un passager. Le terme « whether » élargit, plutôt que de restreindre, la catégorie de personnes qui sont considérées des passagers. Au paragraphe 224(1), le mot « automobile » (« automobile ») est défini et est dit comprendre tout « véhicule automobile qui doit, en vertu d’une loi quelconque, être assuré aux termes d’une police de responsabilité automobile »; par conséquent, les termes qui précisent le sens du mot « passenger » (« passager ») ne font qu’assurer que, peu importe le mode de transport qui est visé, la personne transportée est considérée un passager. Il ne s’ensuit pas que la personne sera considérée un passager seulement au moment où elle sera effectivementtransportée. Si le législateur avait voulu imposer le sens restreint que nous venons d’évoquer, il aurait prévu qu’une personne est un [TRADUCTION] « passager pendantqu’elle est transportée dans ou sur l’automobile » (« passenger while being carried in or on the automobile »).
[17] Troisièmement, à mon sens, rien dans la décision Axa n’exige que nous donnions au terme « passenger » (« passager ») une interprétation plus restreinte. Le juge d’appelGoudge a bien suggéré que les définitions de « passenger » (« passager ») et de « persongetting into or on or getting out of or off the automobile » (« personne qui monte ou qui descend de l’automobile ») indiquent la nécessité d’une certaine mesure de lien physique avec le véhicule; par contre, à aucun moment n’a-t-il déclaré que la mesure du lien exigé du passager implique le fait de se trouver effectivement dans ou sur le véhicule. Dans Axa, le tribunal a conclu le demandeur était un « conducteur » sans imposer un lien physique aussi astreignant entre la personne et son véhicule. Même si la décision Axa impose l’exigence d’une certaine mesure de lien physique, le résultat auquel elle parvient indique que la personne peut être un conducteur alors qu’elle se tient à côté du véhicule. Comme aucune disposition législative pertinente ne commande, de par son libellé, une interprétation différente, nous devons viser la constance dans notre interprétation de la définition législative concernée.
[18] Finalement, en considérant Deborah McIntyre comme une « occupant » (« personne transportée »), nous respectons un principe général qui s’applique à la législation en matière d’assurances. Selon ce principe, les dispositions législatives qui définissent la couverture doivent habituellement recevoir une interprétation libérale, qui soit favorable à l’assuré. Dans l’arrêt Amos c. Insurance Corp. of British Columbia, [1995] 3 R.C.S. 405, le juge Major note, au paragraphe 16, que « [t]raditionnellement, les dispositions qui prévoient une protection dans les polices d’assurance privées ont été interprétées de façon libérale en faveur de l’assuré, et les exclusions ont été interprétées de façon stricte et étroite contre l’assureur. » En tant que conjointe, Deborah McIntyre sera protégée par la police d’assurance-automobile de son mari même si elle n’est pas une personne transportée. Malheureusement, d’autres personnes blessées dans des circonstances similaires ne bénéficieront pas de cette couverture destinée au conjoint et se trouveront privées de la protection offerte par une police d’assurance. À ces personnes, il ne restera que les indemnités prévues par la Loi sur l’indemnisation des victimes d’accidents de véhicules automobiles, L.R.O. 1990, chap. M.41. Or nous devrons tenir compte de considérations de ce type pour juger le présent appel. À ce point-ci, je me permets de souligner que, lorsque le paragraphe 224(1) a été ajouté — dans le cadre d’une série de modifications — à la Loi sur les assurances en 1990, le Ministre qui a présenté le projet de loi a indiqué que le but des modifications était de donner [TRADUCTION] « à toute personne qui est blessée dans un accident d’automobile la compensation nécessaire pour retourner à une vie normale aussitôt que possible » (Ontario,Legislative Assembly, Official Report of Debates (Hansard), 4 (23 Octobre 1989), à 3176 (Hon. Murray J. Elston). Nous ferions fi de cette intention du législateur et du principe général de l’interprétation libérale si, en adoptant une interprétation étroite ou littérale, nous restreignions le terme « passenger » (« passager ») aux personnes qui se trouvent physiquement transportées au moment de l’accident.
[19] J’appliquerais le critère de l'[TRADUCTION]« observateur objectif » établi dans Axa. À mon avis, si un observateur objectif de l’accident était amené à décrire Deborah McIntyre au moment où elle a été frappée par un conducteur non assuré, il la qualifierait de passager de la motocyclette. Sa présence sur la scène de l’accident s’explique entièrement par le fait qu’elle était un passager de la motocyclette. Elle et son mari s’étaient arrêtés sur le côté de la route pour se protéger de la pluie. Elle avait l’intention de reprendre la route dès qu’il arrêterait de pleuvoir. Elle est restée à proximité de la motocyclette et ne l’a quittée pour aucune autre raison. Finalement, sa seule activité consistait à attendre que la pluie cesse.
[20] En conséquence, j’accueillerais l’appel, j’annulerais l’ordonnance portée en appel et je la remplacerais par une ordonnance selon laquelle Deborah McIntyre était une personne transportée, par rapport à la motocyclette, au moment de l’accident. L’appelante a droit à ses dépens de l’appel, et le tribunal fixe ces dépens au montant convenu par les parties, soit 7 500 $.
« Le juge Robert J. Sharpe »
« Je souscris aux motifs du juge Sharpe. » Le juge d’appel K.M. Weiler
« Je souscris aux motifs du juge Sharpe. » Le juge d’appel K. Feldman
Publié : le 17 octobre 2003