Menear c. Miguna (1996) 30 O.R. (3d) 602
Cour de l’Ontario (Division générale)
Le juge B. Wright
Le 7 octobre 1996
Délits – Diffamation écrite et verbale – Moyens de défense – Diffusion de bonne foi – L’imprimeur qui n’a pas publié l’ouvrage a droit à la défense de diffusion de bonne foi.
Le demandeur allègue que certains énoncés figurant dans l’ouvrage dont le défendeur M. est l’auteur sont diffamatoires et qu’il a été diffamé par les défendeurs. L’ouvrage a été imprimé et relié par la défenderesse University of Toronto Press. Celle-ci n’a pas lu le manuscrit, n’a joué aucun rôle rédactionnel et n’était pas au courant des énoncés allégués comme diffamatoires. La défenderesse n’était pas au courant des énoncés diffamatoires parce que les procédés modernes d’impression n’obligent pas les imprimeurs à lire les documents qu’ils doivent imprimer ni à vérifier leur contenu de quelque façon avant le travail d’impression.
Le demandeur poursuit les défendeurs pour diffamation en tant qu’auteurs conjoints du délit. Le défendeur a présenté une motion en vue d’obtenir un jugement sommaire rejetant l’action aux motifs qu’il n’y avait pas de preuve de publication et qu’il a droit à la défense de diffusion de bonne foi.
Arrêt: La motion en vue d’obtenir un jugement sommaire rejetant l’action est accueillie.
La preuve de la publication est un élément essentiel de l’action en diffamation. Il n’y a pas publication par un imprimeur d’un ouvrage contenant des énoncés allégués comme diffamatoires par le seul fait que le rôle de l’imprimeur consiste à imprimer et relier les exemplaires de l’ouvrage et à les remettre à l’auteur. Dans le cas présent, la défenderesse n’a pas publié l’ouvrage et l’action devrait donc être rejetée. De plus, le défendeur avait droit à la défense de diffusion de bonne foi. La défense de diffusion de bonne foi peut être utilisée s’il est prouvé que : a) l’ouvrage a été diffusé dans le cours normal des affaires; b) la défenderesse n’avait aucune connaissance du libelle contenu dans l’ouvrage diffusé par elle; c) rien dans l’ouvrage ou les circonstances dans lesquelles l’ouvrage a été remis au défendeur ou a été diffusé par lui ne laissait supposer que l’ouvrage renfermait un libelle; d) le défendeur a remis les exemplaires de l’ouvrage à son auteur et n’a joué aucun rôle dans la diffusion de l’ouvrage. University of Toronto Press, à titre d’imprimeur et de relieur de l’ouvrage, rien de plus, a satisfait aux critères de la défense de diffusion de bonne foi. Il est approprié pour la cour de tenir compte de l’évolution technologique et de ses conséquences sur les responsabilités et obligations d’un imprimeur à contrat. Il serait excessif dans une affaire comme celle-ci de conclure à la responsabilité de l’imprimeur.
Jurisprudence mentionnée
Eglantine Inn Ltd. c. Smith & Smith (1948), N.I. 29 (R.U.); Emmensc. Pottle (1985), 16 Q.B.D. 354, 55 L.J.Q.B. 51 (C.A.); Maynard c. Port Publications Inc., 297 N.W. 2d 500 (Cour suprême du Wisconsin, 1980); Misut c. Mooney, 475 N.Y.S. 2d 233 (Cour suprême de l’État de New York, 1984); Newton c. Vancouver (City)(1932), 46 B.C.R. 67 (C.S.); Vizetelly c. Mudie’s Select Library Ltd., [1900] 2 Q.B. 170
Lois et règlements mentionnés
Règles de procédure civile, L.R.O. 1990, Règl. 194, règle 20.04(4)
Doctrine mentionnée
Odgers on Libel and Slander, 6e édition, pp. 139-140
MOTION en vue d’obtenir un jugement sommaire.
Michael Smith, pour le défendeur
Stephen Gillies, pour le demandeur
Version française du jugement rendu par
Le juge B. Wright
Les faits
Le défendeur Joshua Miguna est l’auteur de l’ouvrage intitulé « Disgraceful Osgoode and Other Essays ». Miguna, unique propriétaire d’Afrikan Voices, a publié l’ouvrage. Afrikan Voices a retenu les services de la défenderesse University of Toronto PressIncorporated pour l’impression et la reliure de l’ouvrage. Des exemplaires de l’ouvrage ont été imprimés et reliés par University of Toronto Press, puis remis à Miguna.
Le demandeur Menear a engagé la présente action en prétendant que certains énoncés figurant dans l’ouvrage sont diffamatoires et qu’il a été diffamé par les défendeurs.
University of Toronto Press n’a pas lu le manuscrit, n’a joué aucun rôle rédactionnel et n’était pas au courant des prétendus énoncés diffamatoires. Son seul rôle a été d’imprimer et de relier les exemplaires de l’ouvrage et de les remettre à l’auteur, Miguna.
La question en litige
University of Toronto Press a présenté une motion en vue d’obtenir un jugement sommaire. Le point en litige est le suivant: la défenderesse University of Toronto Press a‑t‑elle publié les prétendus énoncés diffamatoires et, dans l’affirmative, la défense de diffusion de bonne foi s’applique-t-elle? Puisque les faits ne sont pas contestés et puisque, par application de la règle 20.04(4) des Règles de procédure civile, je suis convaincu que la seule question litigieuse porte sur une question de droit, je me propose de trancher cette question et de rendre un jugement en conséquence.
La publication
La preuve de la publication est un élément essentiel de l’action en diffamation. L’avocat du demandeur affirme que University of Toronto Press a commis une diffamation en tant que coauteur de ce délit, parce qu’il y a publication conjointe lorsque l’imprimeur remet le document imprimé à l’auteur. À l’appui de sa position, il invoque l’arrêt Eglantine Inn Ltd. c. Smith & Smith (1948), N.I. 29 (R.U.).
Dans l’arrêt Eglantine, la demanderesse, propriétaire d’une auberge, était engagée dans un différend commercial avec un syndicat. Au cours du différend, un représentant du syndicat avait préparé un dépliant qui contenait des remarques diffamatoires visant la demanderesse. Le dépliant fut imprimé par les défendeurs dans le cours normal des affaires, et les défendeurs remirent les copies imprimées à l’auteur. Le tribunal avait jugé les défendeurs solidairement responsables.
Cependant, un examen de la décision révèle que le juge Andrew n’a pas conclu à la responsabilité des défendeurs du seul fait qu’ils avaient remis le document à l’auteur. Le juge a conclu qu’il n’existait aucune preuve attestant que les défendeurs avaient communiqué les écrits diffamatoires à l’un quelconque de leurs employés. Il s’est exprimé ainsi, à la p. 33 :
[TRADUCTION] … Je n’ai aucune hésitation à conclure que les défendeurs n’ont pas publié le libelle simplement en remettant le dépliant imprimé dans un colis à Keheely, qui, à titre d’auteur, était déjà plus informé du contenu qu’eux-mêmes ne l’étaient ou qu’ils auraient pu raisonnablement l’être. Si la loi était autre, un commis ou une dactylo à qui son employeur a remis un écrit diffamatoire pour qu’il le recopie pourrait alors être condamné à des dommages-intérêts dans une action en diffamation dès lors que ce commis ou cette dactylo remettrait le document à l’employeur, et cela pour le motif qu’il aurait diffusé «à une personne autre que le demandeur» le passage jugé diffamatoire. On ne m’a renvoyé à aucun précédent, et je n’en connais aucun, où l’on soit jamais arrivé à une conclusion aussi injuste et, me semble-t-il, aussi absurde.
Le juge Andrew a estimé que les imprimeurs étaient solidairement responsables parce qu’ils bénéficiaient de l’immunité du syndicat. Voici sa conclusion, à la p. 35 :
[TRADUCTION] Vu les faits de la présente affaire, cependant, je considère la remise des dépliants par les défendeurs à leur auteur, M. Keheely, non pas, ainsi que je l’ai déjà mentionné, comme une communication à M. Keheely d’un texte publié, mais plutôt comme une preuve importante d’une production et d’une publication conjointes. Je suis d’ailleurs conforté dans l’idée qu’il s’agit là d’une action conjointe ou coopérative, par le fait que, outre la non-publication, l’argument principal des défendeurs est l’immunité – une immunité (sur laquelle je m’attarderai un peu plus loin) qui ne leur appartenait pas en propre, puisque, en tant qu’imprimeurs, ils n’avaient aucun intérêt à communiquer, ni aucune obligation de communiquer, le contenu du dépliant à d’éventuels clients des demandeurs ni à personne d’autre, mais une immunité qui, a-t-on affirmé au nom des défendeurs, était celle du syndicat. Ils se sont d’ailleurs identifiés au syndicat dans la conclusion du moyen de défense – « Que l’impression desdits mots sous la forme d’une circulaire était une étape raisonnable et nécessaire dans la préparation de ladite communication que devait faire ledit syndicat aux dites personnes concernées ». En s’arrogeant ainsi l’avantage de l’immunité du syndicat, les défendeurs me semblent reconnaître pleinement la nature de leur action conjointe et concertée dans la production et la publication des dépliants.
Ce précédent ne vient pas en aide au demandeur, qui affirme que l’impression d’exemplaires de l’ouvrage et leur remise à l’auteur rendent l’imprimeur responsable à titre de coauteur du délit.
Je suis d’avis que la défenderesse University of Toronto Press n’a pas publié l’ouvrage et qu’elle ne peut donc être tenue pour responsable des prétendus énoncés diffamatoires. Cependant, je me propose également d’examiner si University of Toronto Presspourrait opposer la défense de diffusion de bonne foi pour se dégager de sa responsabilité.
La diffusion de bonne foi
La défense de diffusion de bonne foi a été expliquée dans l’arrêtVizetelly c. Mudie’s Select Library Ltd., [1900] 2 Q.B. 170, à la p. 180, 69 L.J.Q.B. (C.A.), par le juge Romer. Essentiellement, une personne peut se dégager de sa responsabilité si elle parvient à prouver que l’ouvrage a été diffusé dans le cours normal des affaires et:
[TRADUCTION] …(1) qu’elle n’avait aucune connaissance du libelle contenu dans l’ouvrage diffusé par elle, (2) que rien dans l’ouvrage ou les circonstances dans lesquelles l’ouvrage lui a été remis ou a été diffusé par elle ne laissait supposer que l’ouvrage renfermait un libelle et (3) que, lorsque l’ouvrage a été diffusé par elle, ce n’est pas par négligence de sa part qu’elle ne savait pas qu’il renfermait le libelle, et alors, même si la diffusion de l’ouvrage par cette personne constitue à première vue une publication de l’ouvrage, on peut néanmoins considérer, une fois établis tous ces faits, qu’elle n’a pas publié l’ouvrage.
L’essentiel de l’argument de la défenderesse, auteur de la motion, est que, s’il existe des précédents où l’on a conclu à la responsabilité de l’imprimeur quant au contenu de l’ouvrage qu’il imprimait, c’est qu’autrefois les imprimeurs avaient nécessairement connaissance du sujet des ouvrages. University of Toronto Presssoutient qu’aujourd’hui les procédés modernes d’impression n’obligent pas les imprimeurs à lire les documents qu’ils doivent imprimer ni à vérifier leur contenu de quelque façon avant le travail d’impression. Selon University of Toronto Press, le tribunal devrait tenir compte de cette évolution technologique et des conséquences sur les responsabilités et obligations d’un imprimeur à contrat. À l’appui de sa position, l’avocat invoque deux précédents américains: Maynard c. Port Publications Inc., 297 N.W.2d 500 (Cour suprême du Wisconsin, 1980) (ci-après Maynard), et Misut c.Mooney, 475 N.Y.S. 2d 233 (Cour suprême de l’État de New-York, 1984) (ci-après Misut).
Dans l’affaire Maynard, le demandeur avait engagé une action en diffamation écrite et verbale contre la défenderesse Port Publications Inc. (ci-après Port), à la fois à titre d’éditrice et d’imprimeur de photos de nus et d’articles diffamatoires. La défenderesse, en sa qualité d’imprimeur, présenta par la suite une motion en vue d’obtenir un jugement sommaire.
Selon la Cour suprême, les activités de Port se répartissaient en deux fonctions distinctes. En tant qu’éditrice, Port rédigeait, corrigeait, imprimait et diffusait certaines publications. En tant qu’imprimeur à contrat, elle recevait les documents sous une forme organisée et, moyennant une rétribution, elle les reproduisait sur son équipement d’impression en offset. Le tribunal estima que, pour que l’imprimerie défenderesse engage sa responsabilité, il fallait d’abord qu’elle ait eu connaissance du libelle ou qu’elle ait eu des motifs d’en avoir connaissance. Les affidavits produits dans cette affaire révélaient que Port n’avait vraiment aucune connaissance des prétendus écrits diffamatoires. Le demandeur n’avait pas fait la preuve que Port savait effectivement que le contenu du journal était faux. Selon le tribunal, si une telle preuve avait été fournie, alors un jugement sommaire n’aurait pas été indiqué. Le tribunal fit une distinction entre l’affaire dont il était saisi et divers précédents où des imprimeurs avaient été jugés responsables parce que l’on avait estimé qu’ils avaient eu connaissance des écrits diffamatoires. Voici les propos du tribunal, à la p. 507:
[TRADUCTION] Il convient de noter que, dans le passé, avant le développement du procédé d’impression en offset que Port utilise, un imprimeur avait, au moment de préparer son équipement, un contact avec la teneur de ce qu’il allait imprimer. Port imprime à partir de négatifs photographiques qui ont déjà été composés et mis en page. Pour l’exécution de ses opérations, Port n’a pas besoin de lire le document ou de vérifier son contenu de quelque façon avant de l’imprimer. Son contact avec le contenu du journal qu’elle imprime est négligeable. Il est opportun que le tribunal tienne compte dans sa décision aujourd’hui de cette évolution technologique et de son effet sur les responsabilités et obligations d’un imprimeur à contrat.
La proposition, selon laquelle les procédés d’impression ont évolué au point qu’aujourd’hui les imprimeurs n’ont aucun contact avec les écrits diffamatoires qu’ils impriment, a été adoptée dans l’affaireMisut, précitée.
Dans l’affaire Misut, le demandeur avait engagé une action en diffamation contre l’imprimeur à contrat, contre les éditeurs et contre les auteurs, à la suite de la publication d’une série d’articles dans un journal. L’imprimeur, Merlin Printing Inc., avait par la suite présenté une motion pour que soit rejetée l’action engagée contre lui. La Cour suprême de l’État de New-York fit droit à la motion. Dans ses motifs, le juge Luciano s’exprime ainsi, à la p. 233:
[TRADUCTION] La défenderesse Merlin…ne s’était pas engagée à confirmer les faits ou à vérifier les sources. Elle n’a exprimé aucune opinion de nature rédactionnelle ni cherché à établir la véracité des écrits qu’elle imprimait. Elle offre simplement un service à ceux qui veulent diffuser leurs idées par écrit.
Selon le tribunal, la fonction de l’imprimeur n’était pas de fournir des services rédactionnels, mais simplement de reproduire des documents.
Il est manifeste que les précédents américains s’attachent à la mission ou à la fonction de l’imprimeur à contrat d’aujourd’hui. Les propos du juge Callow dans l’affaire Maynard, à la p. 507, le confirment:
[TRADUCTION] Port, comme les autres imprimeurs à contrat, offre un service d’impression rapide et bon marché qui, en raison de son faible coût, permet à des groupes qui, ne le pourraient pas autrement, de tirer parti de la presse écrite. Si l’on devait imposer à des imprimeurs comme Port l’obligation d’exercer un droit de regard sur ce qu’ils impriment, alors ils deviendraient des censeurs et leurs services deviendraient plus coûteux. L’accroissement de leurs coûts pourrait empêcher la publication de petits journaux à petit budget. Une telle obligation pourrait également dissuader les imprimeurs travaillant à contrat de s’engager à imprimer des documents dès lors qu’ils les jugeraient discutables. Tout cela aurait un effet nuisible sur la libre circulation de l’information, une valeur fondamentale de notre société.
L’avocat de l’intimé (le demandeur) soutient qu’un imprimeur ne peut opposer une défense de diffusion de bonne foi pour se dégager de sa responsabilité dans une action en diffamation. À l’appui de sa position, il invoque le jugement Newton c. Vancouver (City) (1932), 46 B.C.R. 67 (C.S.). Dans cette affaire, le demandeur avait engagé une action en diffamation contre trois défendeurs (« les commissaires »), l’Hôpital général de Vancouver (l’« Hôpital ») et la Ville de Vancouver, en raison d’affirmations qui figuraient dans un rapport préparé par les commissaires. Les commissaires avaient été mandatés par le gouvernement provincial, l’Hôpital et le conseil municipal de Vancouver pour examiner l’ensemble des services hospitaliers dans l’agglomération de Vancouver. Le rapport renfermait prétendument des énoncés qui diffamaient le demandeur. Sur réception du rapport des commissaires, la Ville avait demandé qu’il soit imprimé et l’avait par la suite fait circuler. Après avoir reçu les exemplaires du rapport imprimé, l’Hôpital en avait fait la distribution. L’Hôpital et la Ville avaient opposé la défense de diffusion de bonne foi.
Selon l’avocat de l’intimé, le juge MacDonald a rejeté dans cette affaire la défense de diffusion de bonne foi en citant l’arrêt Emmensc. Pottle (1885), 16 Q.B.D. 354, 55 L.J.Q.B. 51 (C.A.), où l’on avait jugé que cette défense n’est pas offerte à un imprimeur ou au premier ou principal éditeur d’un ouvrage qui renferme un libelle. Il convient aussi de noter que le juge MacDonald s’est également référé à Odgers on Libel and Slander, 6e édition, aux pp. 139 et 140, où l’on peut lire que «cette défense n’est pas offerte à l’auteur, aux imprimeurs et à l’éditeur original du libelle (Morrison c. Ritchie & Co. (1902), 4 F.645 (Ct. of Seas)» (j’ai mis le mot en italique).
Une lecture attentive du jugement Newton révèle que le tribunal a jugé la Ville responsable non pas parce qu’elle était l’imprimeur, mais parce qu’elle avait eu connaissance des énoncés diffamatoires qu’elle imprimait (à la p. 77):
[TRADUCTION] Il ne fait aucun doute que, après avoir reçu des commissaires le rapport dactylographié, la Ville, au lieu de se contenter de le classer en vue d’un examen ultérieur pour éventuellement donner suite à ses recommandations ou l’utiliser de quelque autre façon, a plutôt demandé qu’on le fasse imprimer. Eu égard aux circonstances, je pense que l’impression elle-même équivaut à publication, bien que la justesse d’une décision antérieure sur ce point ait été mise en doute. La raison pour laquelle j’estime que l’impression à elle seule équivaut à «publication», c’est parce que, même si le travail mécanique a été effectué par les imprimeurs, engagés à cette fin par la Ville, il demeure que la lecture des épreuves a été effectuée par certains des employés du bureau du secrétaire municipal. Un contrôle et une supervision ont été exercés. L’impression ne constituait pas à elle seule une publication, mais la Ville a par la suite fait circuler le rapport, ce qui équivalait à une publication. (J’ai mis le passage en italique)
Il semble que, si la Ville n’a pu opposer la défense de diffusion de bonne foi, c’est parce qu’elle avait connaissance des passages diffamatoires et qu’elle avait participé à la circulation du rapport imprimé. À mon avis, ce précédent n’appuie pas l’affirmation de l’intimé selon laquelle la défense de diffusion de bonne foi ne s’applique pas aux imprimeurs. Je ne vois aucune contradiction entre ce précédent et la position de la requérante pour qui un libelle ne saurait être imputé à l’imprimeur lorsque celui n’a aucun contact avec le prétendu libelle.
À mon avis, University of Toronto Press, à titre d’imprimeur et de relieur de l’ouvrage, rien de plus, a satisfait aux critères de la défense de diffusion de bonne foi tels qu’ils sont énoncés dans l’arrêt Vizetelly. University of Toronto Press, qui n’était que l’imprimeur et non l’éditeur, n’avait aucune connaissance du prétendu libelle contenu dans l’ouvrage; les circonstances ne l’obligeaient nullement à supposer que l’ouvrage renfermait un tel libelle; enfin, elle a remis les exemplaires de l’ouvrage à son auteur et n’a joué aucun rôle dans la diffusion de l’ouvrage.
On ne saurait imputer un libelle diffamatoire à un imprimeur simplement parce qu’il est l’imprimeur. Eu égard à l’évolution technologique des procédés d’impression, il serait excessif dans une affaire comme celle-ci de conclure à la responsabilité de l’imprimeur.
Par conséquent, je suis d’avis que University of Toronto Press n’a pas publié l’ouvrage en question et que, même si elle l’avait publié, elle peut opposer la défense de diffusion de bonne foi pour se dégager de sa responsabilité. La motion de University of TorontoPress en vue d’obtenir un jugement sommaire est donc accordée, avec dépens. Si les avocats ne peuvent s’entendre sur le montant des dépens, je suis à leur disposition pour les établir.
Jugement est rendu en conséquence.