80 O.R. (3d) 392
Noble et al. c. Carnival Corporation et al.
[Répertorié : Noble c. Carnival Corp.]
Cour supérieure de justice de l’OntarioLe juge SachsLe 12 avril 2006
Droit international privé — Clause d’élection de for — Demanderesse résidant en Ontario blessée dans un accident d’automobile survenu en Russie dans le cadre de son travail — Action intentée contre son employeur et d’autres personnes en Ontario — Contrat de travail incluant une clause d’élection de for prévoyant que les tribunaux britanniques avaient compétence à l’égard des [TRADUCTION]« différends ou réclamations prévus par le présent accord » — Réclamation en responsabilité civile délictuelle non clairement visée par l’accord — Rejet de la demande de suspension d’instance présentée par les défenderesses.
Droit international privé — Forum conveniens — Demanderesse résidant en Ontario blessée dans un accident d’automobile survenu en Russie dans le cadre de son travail — Action intentée contre son employeur et d’autres personnes en Ontario — Les défenderesses sont des sociétés étrangères n’ayant pas de bureau ni d’éléments d’actif en Ontario — Ontario jugée forum conveniens
Droit international privé — Compétence — Lien réel et substantiel — Demanderesse résidant en Ontario blessée dans un accident d’automobile survenu en Russie dans le cadre de son travail — Action intentée contre son employeur et d’autres personnes en Ontario — Les défenderesses sont des sociétés étrangères n’ayant pas de bureau ni d’éléments d’actif en Ontario — Lien réel et substantiel entre la réclamation et l’Ontario — Le tribunal ontarien est compétent.
La demanderesse, une résidente de l’Ontario, était une employée de la défenderesse S. Inc. Elle avait temporairement été affectée à un travail sur un navire exploité par la défenderesse C. Ltd. Pendant que le navire était amarré dans un port russe, elle avait été grièvement blessée dans un accident d’automobile survenu dans le cadre de son travail. La demanderesse et sa mère ont intenté une action en dommages-intérêts en Ontario. Toutes les défenderesses étaient des sociétés étrangères, et aucune d’elles n’avait de bureau ou d’éléments d’actif en Ontario. Trois des défenderesses avaient leur siège social aux États-Unis, et une autre, à Hong Kong. Les défenderesses ont présenté une demande de suspension d’instance fondée sur le fait que la demanderesse avait signé un contrat de travail comportant une clause d’élection de for indiquant expressément que toute réclamation prévue par le contrat devait être déposée devant un tribunal britannique, et qu’il n’y avait aucun lien réel et substantiel entre l’instance et l’Ontario.
Arrêt : La demande de suspension d’instance est rejetée.
Toute ambiguïté dans l’expression [TRADUCTION] « différends ou réclamations prévus par le présent accord » qui figure dans la clause d’élection de for doit être interprétée contre l’employeur. Il n’était pas clair que la clause d’élection de for visait tout différend entre les parties. La clause semblait plutôt limitée aux différends prévus par l’accord. L’accord ne visait pas les réclamations en responsabilité civile délictuelle. La réclamation en question n’était pas prévue par l’accord.
Le lien entre l’Ontario et la réclamation de la demanderesse était très ténu, si tant est qu’il y en eût un, même si la demanderesse avait obtenu la plupart de ses soins médicaux en Ontario et si sa réclamation était fondée, entre autres, sur les douleurs et les souffrances subies en Ontario. Il n’y avait aucun lien entre les défenderesses et l’Ontario, en ce sens qu’aucune de ces sociétés n’avait de bureau ni d’éléments d’actif dans cette province. Aucune injustice grave n’aurait été commise à l’endroit des défenderesses si les tribunaux de l’Ontario s’étaient déclarés compétents pour instruire l’affaire. Il n’y avait pas davantage de liens entre les défenderesses et l’Angleterre – dont les tribunaux étaient selon elles les seuls tribunaux compétents – qu’il n’y en avait entre elles et l’Ontario. Si les tribunaux ontariens devaient refuser de se saisir de l’affaire, la demanderesse serait obligée d’intenter une action en Angleterre, ce qui lui serait difficile. Il n’y a aucune raison pour laquelle les tribunaux ontariens ne reconnaîtraient pas le jugement d’un tribunal étranger qui se serait déclaré compétent si la situation était inversée. L’appropriation de compétence est plus facilement justifiée dans des litiges interprovinciaux que dans des litiges internationaux, et la présente espèce était une affaire internationale. Selon les normes internationales, ce n’est que dans certaines situations limitées que les tribunaux se déclareront compétents au motif que le préjudice a été subi dans leur ressort. Pondérant l’ensemble de ces facteurs, la Cour conclut que la demanderesse a démontré l’existence d’un lien réel et substantiel avec l’Ontario. En outre, l’Ontario était le forum conveniens. Lorsque aucun tribunal particulier ne convient plus que les autres, le tribunal interne l’emporte ipso facto, et toute suspension devrait être refusée.
LE JUGE SACHS : —
Aperçu
[1] La présente demande soulève la question de savoir si les tribunaux de l’Ontario doivent se déclarer compétents pour connaître d’une action intentée contre des défenderesses étrangères par une résidente de l’Ontario qui a subi un préjudice par suite d’un accident survenu en Russie.
[2] La demanderesse, Robin Noble, était une accompagnatrice au service de la défenderesse, Seabourn Cruise Line Limited Inc. En juillet 2004, elle a temporairement été affectée à un travail sur un navire exploité par la société Cunard Cruise Line Limited. Pendant que le navire était amarré à Saint-Pétersbourg, en Russie, MmeNoble a quitté le navire pour examiner les sites touristiques de la ville. Au cours de la visite, le chauffeur qui avait été engagé pour accompagner Mme Noble dans les différents quartiers de la ville a perdu le contrôle du véhicule, qui s’est retrouvé dans la voie des automobiles circulant en sens contraire avant d’aller dans un fossé;Mme Noble a été gravement blessée.
[3] À l’appui de sa réclamation contre les défenderesses, MmeNoble soutient que celles-ci ont manqué à l’obligation de diligence qu’elles avaient envers elle, selon la demanderesse, étant donné sa relation avec les défenderesses, en particulier la relation employeur-employé.
[4] Mme Noble est une résidente de l’Ontario, où l’on a soigné ses blessures. Elle vit avec sa mère, Joan Noble. Toutes les défenderesses sont des sociétés étrangères, et aucune d’elles n’a de bureau ni d’éléments d’actif en Ontario. Trois des défenderesses ont leur siège social aux États-Unis, et l’autre, à Hong Kong.
[5] Mme Noble a intenté son action en Ontario. Les défenderesses demandent à la cour de surseoir à l’action de Mme Noble en invoquant essentiellement deux arguments : [page395]
(1)
Mme Noble a signé un contrat de travail comportant une clause d’élection de for indiquant expressément que toute réclamation prévue par le contrat devait être déposée devant un tribunal britannique.
(2)
Il n’y a aucun lien réel et substantiel entre l’instance et la province d’Ontario.
La clause d’élection de for
[6] Robin Noble était au service de la société Seabourn depuis 2000. En juillet 2004, Seabourn l’avait temporairement affectée au navire Cunard Coronia. Ce navire était exploité par Cunard Cruise Line Limited. Après que Mme Noble se fut embarquée sur le navire, on lui a demandé de signer (ce qu’elle a d’ailleurs fait) un accord faisant état de ses conditions de travail auprès de Cunard CelticHotel Services Limited (l’« accord »). Le paragraphe 12 de l’accord se lit comme suit :
[TRADUCTION]
Les signataires du présent accord conviennent que tout différend ou toute réclamation prévu par le présent accord devra être déposé devant un tribunal britannique et sera assujetti aux lois de l’État du pavillon, indépendamment de tout autre recours judiciaire qu’ils auraient par ailleurs le droit d’exercer.
Le navire en question était enregistré en Angleterre. Ainsi, le navire arborait le pavillon de l’Angleterre.
[7] La première question sur laquelle je dois me pencher est celle de savoir si la clause 12 de l’accord visait la réclamation en responsabilité civile délictuelle présentée par les demanderesses. À cet égard, l’avocat des défenderesses a admis que l’accord ne mentionnait pas expressément de telles réclamations, si ce n’est qu’il prévoyait le remboursement de certains frais médicaux. L’avocat a plutôt soutenu que le libellé de la clause 12 de l’accord était semblable à celui que l’on trouve dans d’autres clauses d’élection de for qui, selon les tribunaux, visaient les réclamations en responsabilité civile délictuelle.
[8] Dans l’affaire Sarabia v. Oceanic Mindoro (The), [1996] B.C.J. No. 2154, [1997] 2 W.W.R. 116 (C.A.), la Cour d’appel de la Colombie Britannique a examiné une clause d’élection de for figurant dans un contrat de travail et a jugé que la clause visait bel et bien les réclamations en responsabilité civile délictuelle. Toutefois, dans cette affaire, la clause indiquait que l’organisme étranger avait [TRADUCTION] « la compétence initiale et exclusive sur tout différend ou toute controverse découlant du présent contrat ou relatif à celui-ci [au par. 3]. La Cour a conclu que les [TRADUCTION] « mots “découlant du présent contrat ou relatif à celui-ci” avaient été interprétés libéralement de manière à viser les réclamations non contractuelles mentionnées dans une clause d’élection de for figurant dans un contrat international » [par. 25]. En l’espèce, la clause 12 ne comporte pas ce passage. Elle mentionne plutôt expressément les différends [TRADUCTION] « prévus par le présent accord ». En outre, contrairement à l’affaire Sarabia, l’accord ne contient pas de clause prévoyant un régime d’indemnisation en cas d’incapacité résultant de blessures ou de[page396] maladies survenues pendant la durée de l’emploi. En d’autres termes, l’accord en question ne visait pas les réclamations en responsabilité civile délictuelle, de sorte que ces réclamations n’étaient pas « prévues par l’accord ».
[9] Dans l’arrêt Scalas Fashions Ltd. v. Yorkton Securities Inc., [2003] B.C.J. No. 1428, 2003 BCCA 366, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a jugé que la clause d’élection de for figurant dans un contrat s’appliquait aux actions en responsabilité civile délictuelle. Dans cette affaire, le contrat était une formule type de contrat d’investissement qui comportait la clause d’élection de for suivante [au par. 5] :
[TRADUCTION]
Tout différend survenant entre Yorkton et le client relèvera de la compétence exclusive des tribunaux de la province dans laquelle Yorkton conclut le présent accord.
[10] La Cour a conclu que, selon son sens ordinaire, la clause signifiait que « tout différend » survenant entre les parties relèverait de la compétence exclusive des tribunaux de la province dans laquelle Yorkton avait signé le contrat. Elle a également conclu qu’il n’y avait aucune raison de ne pas retenir ce sens ordinaire, étant donné que l’obligation de diligence envers la demanderesse en matière délictuelle résultait du lien contractuel entre les parties, qui avait été créé aux termes de l’accord contenant la clause d’élection de for.
[11] Dans l’affaire dont je suis saisi, il n’est pas clair, selon le sens ordinaire des mots, que la clause d’élection de for s’applique à tout différend entre les parties. Il semble plutôt que la clause vise uniquement les différends « prévus par l’accord ».
[12] À cet égard, le fait que l’accord comportant la clause d’élection de for ait été rédigé par Cunard et présenté à Mme Noble après qu’elle se fut embarqué sur le navire pour assumer ses fonctions revêt une certaine importance. Les relations employeurs-employés sont caractérisées par une inégalité inhérente en ce qui a trait au pouvoir de négociation et, en l’espèce, rien ne permet de croire qu’on avait donné à Mme Noble la possibilité d’examiner ou de négocier la clause d’élection de for. Compte tenu de ces réalités, toute ambiguïté de la clause devrait être interprétée contre l’employeur.
Lien réel et substantiel
[13] Le paragraphe 17.06(1) des Règles de procédure civile, R.R.O. 1990, Règl. 194, autorise une partie à demander au tribunal de rendre une ordonnance annulant la signification en dehors de l’Ontario et une ordonnance de sursis d’instance si la signification n’est pas autorisée par la règle 17.02. L’alinéa 21.01(3)a) autorise le défendeur à demander à un juge, par voie de motion, de surseoir à l’action ou de la rejeter au motif que le tribunal n’a pas compétence pour connaître de l’objet de l’action.
[14] Dans un certain nombre de décisions qu’elle a rendues en 2002, la Cour d’appel de l’Ontario a apporté des éclaircissements en ce qui concerne les exigences de la règle 17.02. Elle a conclu[page397] que : [TRADUCTION] a) pour qu’il puisse être satisfait aux exigences de la règle 17.02, les faits doivent justifier la signification à l’extérieur de l’Ontario suivant l’un des motifs énumérés; b) les motifs de signification énumérés dans les Règles de procédure civile ne fournissent toutefois qu’une indication préliminaire de la compétence; c) un tribunal ontarien peut se déclarer compétent pour entendre une demande visée par la règle 17.02 uniquement s’il est convaincu qu’il existe un lien réel et substantiel entre l’Ontario et la demande, compte tenu des principes de l’ordre, de l’équité et de la retenue dans l’exercice de la compétence. (Muscutt v. Courcelles (2002), 60 O.R. (3d) 20, [2002] O.J. No. 2128 (C.A.); Lemmex v. Bernard (2002), 60 O.R. (3d) 54, [2002] O.J. No. 2131 (C.A.); Sinclair v. Cracker Barrel Old County Store, Inc. (2002), 60 O.R. (3d) 76, [2002] O.J. No. 2127 (C.A.);Leufkens v. Alba Tours International Inc. (2002), O.R. (3d) 84, [2002] O.J. No. 2129 (C.A.))
[15] L’analyse de la question de la compétence est un processus à deux étapes : le tribunal doit d’abord décider si l’action suffit pour établir la simple reconnaissance de sa compétence et, le cas échéant, s’il devrait refuser d’exercer sa compétence compte tenu de la doctrine du forum non conveniens (Muscutt, précité, au par. 44). Dans l’arrêt Muscutt, la Cour d’appel a souligné l’importance d’établir une distinction entre le critère du lien réel et substantiel (c.-à-d. la simple reconnaissance de compétence) et la doctrine discrétionnaire du forum non conveniens. La Cour s’est ainsi exprimée au par. 43 :
[TRADUCTION]
Le critère du lien réel et substantiel implique un examen des faits propres à l’affaire, mais le critère est en dernière analyse fondé sur des principes juridiques d’application générale. La question est de savoir si le tribunal peut se déclarer compétent pour instruire les actions intentées par les demandeurs en général contre les défendeurs en général, compte tenu du type de lien existant entre la cause, les parties et le tribunal. Par opposition, l’application du critère du forum nonconveniens est laissée à l’appréciation du tribunal, et ce critère est axé sur les faits particuliers de l’affaire et la situation des parties. La question est de savoir si le tribunal devrait se déclarer compétent pour instruire l’instance engagée par ce demandeur en particulier contre ce défendeur en particulier.
[16] Pour déterminer s’il existe un lien réel et substantiel entre la demande et l’Ontario, il faut examiner les huit facteurs suivants, lesquels doivent être pris en considération ensemble, étant donné qu’aucun facteur particulier n’est déterminant :
a)
le lien entre le ressort et l’action du demandeur;
b)
le lien entre le ressort et le défendeur;
c)
L’injustice subie par le défendeur si le tribunal se déclare compétent;
d)
L’injustice subie par le demandeur si le tribunal ne se déclare pas compétent;
e)
les autres parties en cause; [page398]
f)
la question de savoir si l’affaire est de nature interprovinciale ou internationale;
g)
la volonté du tribunal de reconnaître et d’exécuter un jugement extraprovincial reposant sur le même fondement juridictionnel;
h)
la courtoisie et les normes de compétence, de reconnaissance et d’exécution applicables ailleurs.
Le lien entre le ressort et l’action des demanderesses
[17] En l’espèce, les défenderesses soutiennent que le lien entre l’Ontario et la réclamation de la demanderesse est très ténu, si tant est qu’il y en ait un. Les seuls liens tiennent au fait que lesdemanderesses sont des résidentes de l’Ontario et que Mme Noble a obtenu la plupart de ses soins médicaux en Ontario. Sa réclamation est fondée, entre autres, sur les douleurs et les souffrances subies en Ontario. Au par. 81 du jugement Muscutt, précité, la Cour a conclu que ce type de dommage [TRADUCTION] « créait un lien significatif avec l’Ontario ». Toutefois, comme le tribunal l’a fait remarquer dans les quatre jugements, [TRADUCTION] « ce n’est qu’un des facteurs qui doivent être pris en considération ». (Muscutt, précité, au par. 80; Lemmex, précité, au par. 31).
Le lien entre le ressort et les défenderesses
[18] Les défenderesses n’ont aucun lien avec l’Ontario, en ce sens qu’aucune d’elles n’a de bureau ni d’éléments d’actif dans cette province.
[19] Il faut alors déterminer si les défenderesses ont fait quelque chose qui leur permettait raisonnablement de savoir qu’elles causeraient des blessures dans le ressort dans lequel lesdemanderesses présentent leur réclamation. Dans l’arrêt Muscutt, précité, la Cour a déclaré ceci au par. 83 : [TRADUCTION] « On doit établir une distinction entre cette prévisibilité et une situation dans laquelle l’acte fautif et les blessures surviennent à l’extérieur du ressort et le demandeur retourne chez lui et y subit des dommages indirects ». En l’espèce, l’acte fautif et les blessures sont survenus en Russie.
[20] Les demanderesses soutiennent que les défenderesses exerçaient de fait des activités commerciales en Ontario, par l’intermédiaire de diverses agences de voyages de la province. À mon avis, même si ces activités se poursuivaient, cela ne suffirait pas à [TRADUCTION] « entraîner l’assujettissement ou l’acquiescement personnel à la compétence des tribunaux de l’Ontario » (Muscutt, précité, au par. 84).
L’injustice subie par les défenderesses si le tribunal se déclare compétent
[21] En l’espèce, aucune injustice grave ne serait commise à l’endroit des défenderesses si les tribunaux de l’Ontario se déclaraient compétents pour instruire l’affaire. Il n’y a pas davantage de liens entre les défenderesses et l’Angleterre[page399] – dont les tribunaux sont selon elles les seuls tribunaux compétents – qu’il n’y en a entre elles et l’Ontario. La présente espèce ne peut être assimilée à l’affaire Leufkens, précitée, dans laquelle les défenderesses exerçaient toutes leurs activités à un seul endroit, tandis qu’ici, les défenderesses fournissent leurs services aux quatre coins de monde.
L’injustice subie par les demanderesses si le tribunal ne se déclare pas compétent
[22] En l’espèce, si le tribunal devait ne pas se déclarer compétent, les demanderesses seraient obligées d’intenter une action en Angleterre. Ce qui serait assurément difficile pourMme Noble, compte tenu des blessures qu’elle a subies. En l’espèce, tout comme dans l’affaire Muscutt, [TRADUCTION] « tout compte fait, le facteur de l’ “injustice” est favorable au demandeur » (par. 90).
Les autres parties en cause
[23] En l’espèce, la participation d’autres parties à l’instance n’est pas un facteur.
La volonté du tribunal de reconnaître et d’exécuter un jugementextraprovincial reposant sur le même fondement juridictionnel
[24] La question essentielle est la suivante : les tribunaux de l’Ontario reconnaîtraient-ils le jugement d’un tribunal étranger qui se serait déclaré compétent si la situation était inversée? Je ne vois aucune raison pour laquelle ils ne le feraient pas. À mon avis, la présente espèce diffère des affaires Lemmex et Sinclair. Premièrement, les défenderesses exercent leurs activités partout dans le monde. Deuxièmement, la relation entre Mme Noble et les défenderesses était bien plus étroite que dans le cas d’une touriste choisissant délibérément de se prévaloir de services touristiques ou d’une cliente mangeant dans un restaurant. Elle était une employée qui agissait dans le cadre de ses fonctions au moment où elle avait été blessée.
La question de savoir si l’affaire est de nature interprovinciale ou internationale
[25] L’appropriation de compétence est plus facilement justifiée dans des litiges interprovinciaux que dans des litiges internationaux. En l’espèce, il s’agit d’une affaire internationale.
La courtoisie et les normes de compétence, de reconnaissance et d’exécution applicables ailleurs
[26] Comme on l’a expliqué dans l’arrêt Muscutt, selon les normes internationales, ce n’est que dans certaines situations limitées que les tribunaux se déclareront compétents au motif que le préjudice a été subi dans leur ressort. Ce facteur joue contre une conclusion portant qu’il existe un lien réel et substantiel.
[27] En ce qui a trait à ce facteur, les demanderesses ont soutenu que l’Ontario et l’Angleterre (l’autre ressort suggéré par les défenderesses) ont adopté des lois prévoyant l’exécution réciproque des jugements. C’est exact. [page400] Toutefois, selon la décision Muscutt, il est clair qu’il faut également examiner [TRADUCTION] « les normes internationales régissant l’appropriation de compétence et la reconnaissance et l’exécution des jugements rendus dans le ressort dans lequel le défendeur se trouve » (par. 102).
Conclusion
[28] Je suis d’avis, après avoir pondéré tous ces facteurs, que lesdemanderesses ont démontré l’existence d’un lien réel et substantiel avec l’Ontario. J’affirme cela en raison du fait qu’on n’a proposé aucun autre ressort ayant un lien réel et substantiel plus solide avec l’action. Aucune des parties n’a laissé entendre que cette affaire devait être instruite en Russie, pays dans lequel l’accident est survenu.
Forum Non Conveniens
[29] Ayant conclu qu’il existait un lien réel et substantiel entre l’Ontario et la revendication des demanderesses, je dois poursuivre cette analyse en examinant la doctrine du forum non conveniens. En l’espèce, la plupart des facteurs qui pourraient être pris en considération en application de cette doctrine étayent la conclusion selon laquelle l’Ontario est le ressort le plus approprié au regard de l’action. Les demanderesses subiraient un plus grave inconvénient si elles étaient obligées d’intenter leur action ailleurs que celui que subiraient les défenderesses si elles devaient se défendre en Ontario. Pour être en mesure d’intenter leur action à l’extérieur de l’Ontario, les demanderesses seraient obligées de déployer des efforts considérables et d’engager d’importantes dépenses. Lesdemanderesses sont des résidentes de l’Ontario et la plupart de leurs témoins, y compris les témoins experts médicaux de MmeNoble, résident dans cette province.
[30] Dans l’arrêt Amchem Products Inc. c. Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Board), [1993] 1 R.C.S. 897, [1993] S.C.J. No. 34, au par. 53, la Cour suprême du Canada a jugé que, lorsque aucun tribunal particulier ne convient plus que les autres, le tribunal interne l’emporte ipso facto, et toute suspension devrait être refusée.
Conclusion
[31] Pour ces motifs, la motion des défenderesses est rejetée. Les parties peuvent me présenter par écrit, dans les dix jours suivant le prononcé des présents motifs, des observations relativement à la question des dépens.
@WMotion rejetée.