Ordre des pharmaciens de l’Ontario c. Katzman (2002), 223 D.L.R. (4th) 371 (C.A.)

  • Dossier : C36484
  • Date : 2024

COUR D’APPEL DE L’ONTARIO

Les juges CARTHY, LABROSSE et GOUDGE

 

 

ENTRE :

 

L’ORDRE DES PHARMACIENS DE L’ONTARIO

 

Intimé

 

-et-

 

NEIL KATZMAN et MORE FOR LESS VARIETY INC.,

exerçant ses activités sous le nom de NEIL THE CHEMIST

 

Appelants

 

)

)

) Michael C. Birley

) pour l’intimé

)

)

)

)

)

) Jack Louis Pinkofsky

) et Richard J. Posner

) pour les appelants

)

)

)

) Audience tenue le 4 octobre 2002

 

En appel d’une ordonnance de la Cour divisionnaire (les juges James B.S. Southey, John R.R. Jennings et Eileen E. Gillese), en date du 7 mars 2001, qui rejetait l’appel de l’appelant d’une décision d’un sous-comité du comité de discipline de l’Ordre des pharmaciens de l’Ontario, en date du 30 avril 1998.

 

Les juges d’appel LABROSSE et GOUDGE :

[1] Les appelants Neil Katzman et More For Less Variety Inc., exerçant ses activités sous le nom de Neil The Chemist (« la pharmacie »), interjettent appel, avec autorisation, du rejet d’un appel qu’ils avaient interjeté devant la Cour divisionnaire et qui visait à faire annuler les déclarations de culpabilité à différentes accusations de faute professionnelle, prononcées à leur égard en vertu des lois réglementant la profession de pharmacien.

 

APERÇU

 

[2] L’autorisation d’interjeter appel devant nous a été octroyée uniquement en ce qui concerne la question suivante : Le comité des plaintes est-il compétent pour renvoyer une allégation de faute professionnelle devant le comité de discipline de l’Ordre des pharmaciens de l’Ontario (« l’Ordre »)? Pour les motifs exposés ci-après, nous sommes arrivés à la conclusion que le comité des plaintes n’a pas agi dans les limites de sa compétence en renvoyant les allégations devant le comité de discipline. Par conséquent, nous accueillerions l’appel.

 

LES FAITS

 

[3] En l’espèce, l’obligation de remplir un cahier d’appel a été écartée, au motif que les documents pertinents étaient censés figurer dans le recueil de documents des appelants. Malheureusement, celui-ci est incomplet; de nombreux documents auxquels les mémoires font référence ne s’y retrouvent pas. Les faits qui vont suivre proviennent du recueil et, en partie, de déclarations consignées dans le mémoire des appelants et reconnues dans l’ensemble comme exactes par l’intimé.

 

[4] En 1993 et 1994, deux plaintes relatives à des erreurs de préparation de médicaments, visant deux personnes (les plaintes Cole et Yellen), ont été déposées contre les appelants auprès de l’Ordre. Les documents dont nous disposons ne contiennent aucun renseignement au sujet de la plainte déposée par Mme Cole. Au cours son examen des plaintes en question, le comité des plaintes de l’Ordre a demandé que Kim Ruthig, un enquêteur de l’Ordre, conduise une enquête concernant ces plaintes.

 

[5] Le 7 juillet 1995, M. Ruthig a informé Tina Langlois, directrice des programmes de relations avec les patients de l’Ordre des pharmaciens de l’Ontario, qu’il avait procédé à l’inspection de la pharmacie de l’appelant. Au cours de cette inspection, M. Ruthig a établi que les appelants n’avaient pas tenu à jour les dossiers de certains patients.

 

[6] Le 11 juillet 1995, M. Katzman s’est présenté devant le comité des plaintes, sur convocation de celui-ci, pour s’expliquer au sujet de la plainte Yellen; ce qu’il avait déjà fait en mai 1993 pour la plainte Cole.

 

[7] Le 17 août 1995, Tina Langlois a envoyé une note de service à A.J. Dunsdon, le registrateur de l’Ordre, l’avisant que l’enquête relative aux plaintes avait mis au jour plusieurs questions qui, d’après le comité des plaintes, devaient être examinées de manière plus approfondie, à savoir : a) des erreurs de préparation, b) un non-pharmacien se faisant passer pour un pharmacien — ce qui constitue un manque de surveillance de la pharmacie, c) la substitution de médicaments non couverts par des médicament couverts sans l’accord du médecin et d) l’éventualité d’une fraude envers le Régime de médicaments gratuits de l’Ontario (RMGO). Mme Langlois a demandé au registrateur de nommer M. Ruthig, conformément à l’art. 75 duCode des professions de la santé, pour qu’il enquête sur les activités des appelants en fonction des questions qui précèdent. Le registrateur a nommé M. Ruthig le jour même, mais uniquement pour traiter des questions b), c) et d).

 

[8] Le 13 novembre 1995, le comité des plaintes a présenté un rapport au registrateur concernant son examen de la plainte de M. Yellen. Dans ce rapport, le comité indique que la question du manque de surveillance de la pharmacie a été renvoyée au registrateur pour enquête et que la question de la destruction de dossiers d’ordonnances a été renvoyée au bureau. Le comité des plaintes a estimé qu’il ne pouvait se prononcer au sujet de la plainte Yellen. Et il a conclu son rapport en ces mots : [traduction] « L’affaire est close ».

 

[9] Toujours le 13 novembre 1995, M. Ruthig a fait parvenir un rapport au registrateur. Dans ce document, qu’il relie à sa nomination du 17 août 1995, M. Ruthing décrit le manque de coopération de l’appelant et son attitude changeante; des erreurs de préparation apparentes commises à l’égard d’autres personnes que Mme Cole et M. Yellen; ainsi que la mauvaise tenue de dossiers.

 

[10] Le 23 novembre 1995, le registrateur a écrit aux appelants pour les informer que le comité des plaintes avait rendu une décision au sujet de la plainte relative à l’ordonnance de M. Yellen. L’envoi comprenait une copie de la décision ainsi que des motifs écrits du comité. La lettre informait également les appelants de leur droit de demander une révision de la décision s’ils n’en étaient pas satisfaits.

 

[11] Le 29 février 1996, le comité des plaintes a envoyé un nouveau rapport au registrateur. Le rapport confirmait que le comité s’était réuni en janvier 1996, pour examiner les plaintes déposées contre le pharmacien et la pharmacie. Il y était indiqué que M. Ruthig avait été nommé pour enquêter sur les activités du pharmacien par rapport à des erreurs de préparation, à un défaut de surveillance de la pharmacie, à la substitution irrégulière des médicaments et à la facturation d’ordonnances au RMGO.

 

[12] Le rapport indiquait qu’à l’issue de son enquête menée en vertu de l’article 75 du Code, M. Ruthig avait soumis son rapport au comité, qui l’avait étudié avec soin. En se fondant sur les renseignements contenus dans ce rapport, le comité des plaintes a tiré les conclusions suivantes :

[Traduction]

…Il existe des éléments de preuve suffisants pour conclure que des erreurs de préparation ont été commises, et pour soupçonner qu’il y a eu fraude, substitution irrégulière de médicaments, et manque de surveillance de la pharmacie de M. Katzman. Nous renvoyons donc l’affaire devant le comité de discipline de l’Ordre, afin qu’une audience soit tenue pour déterminer si les actions de M. Katzman, dans les circonstances exposées dans les plaintes et par l’enquête, étaient telles qu’elles peuvent constituer une faute professionnelle.

 

[13] Le 1er avril 1996, le registrateur a écrit à M. Katzman et lui a remis une copie de la décision et des motifs écrits du comité, en date du 29 février 1996.

 

[14] Le 4 juillet 1997, les appelants ont été mis en accusation par voie d’avis d’audience. M. Katzman était accusé d’avoir manqué de conserver les dossiers d’ordonnances pendant les deux années précédant novembre 1995. Quatre accusations de manquement aux règles de la profession étaient également portées, qui faisaient état de préparation de médicaments différents de ceux prescrits par le médecin. Conformément au rapport de M. Ruthig, aucune de ces dernières accusations n’a de lien avec Mme Cole ou M.Yellen; elles concernent d’autres patients, dont les noms sont mentionnés. Une autre accusation, voulant que M. Katzman ait autorisé un non-pharmacien à exécuter une ordonnance (ce qui constitue le défaut de surveillance), a été retirée au début de la procédure devant le comité de discipline.

 

[15] La pharmacie a été accusée de sept infractions liées à l’entretien de la pharmacie. L’on ne nous a pas dit si ces accusations faisaient suite à un renvoi, dont l’auteur serait le comité des plaintes. En fait, rien dans le rapport n’indique comment ces questions sont parvenues devant le comité de discipline. Nous ne pouvons que présumer que c’était de manière régulière. Considérant les conditions de l’octroi de l’autorisation d’interjeter appel, nous n’en dirons pas davantage sur ces accusations.

 

[16] Le 30 avril 1998, le comité de discipline a reconnu M. Katzman coupable pour chaque chef d’accusation. Pour ce qui est de la sanction imposée à M. Katzman : son certificat d’inscription a été suspendu pour deux mois, avec obligation (pour en obtenir le rétablissement) de suivre, à ses frais, un cours de procédure et d’en réussir l’examen; il devait également se soumettre, toujours à ses frais, à une inspection professionnelle sur l’assurance de la qualité. Sept chefs d’accusation avaient été portés contre la pharmacie, et celle-ci a été jugée non coupable de deux des infractions reprochées, mais coupable des cinq autres. Une amende de 2000 $ lui a été infligée, et il lui a été ordonné de faire, par trois fois, inspecter les lieux, et ce aux frais de M. Katzman. Une suspension supplémentaire de deux mois a par la suite été imposée pour défaut de paiement de l’amende.

 

[17] Les appelants ont fait appel de la décision du comité de discipline devant la Cour divisionnaire. Plusieurs motifs étaient invoqués par eux aux fins de cet appel. L’appel a été rejeté le 20 février 2001. Le 7 juin 2001, une autorisation d’interjeter appel a été accordée par la présente cour, mais uniquement pour savoir si le comité des plaintes avait compétence pour renvoyer, devant le comité de discipline, les questions qu’il lui avait renvoyées.

 

ANALYSE 

 

[18] Même si le dossier qui nous a été soumis est (comme nous l’avons déjà mentionné) hélas incomplet, nous avons réexaminé la chronologie des événements de notre mieux, car certains des éléments qu’on y retrouve suscitent chez nous des inquiétudes. Si leur objet n’est pas pertinent à la question particulière visée en l’espèce, les commentaires suivants pourraient se révéler utiles ultérieurement.

 

[19] Premièrement : l’Ordre et ses représentants semblent souvent considérer le pharmacien et la pharmacie comme une seule et unique « personne » dans les procédures. Ils sont parfois traités séparément, mais la distinction entre les deux est souvent floue; ce qui pourrait aisément entraîner une injustice à l’égard de l’un ou de l’autre.

 

[20] Deuxièmement : en ordonnant l’enquête, le registrateur a omis la question des « erreurs de préparation », et ce, même si elle figurait sur la liste transmise par le comité des plaintes. Cela laisse pour le moins persister un doute indésirable quant à la légitimité des mesures d’enquête relatives à des erreurs de préparation, erreurs qui, pourtant, étaient bien réelles. 

 

[21] Troisièmement : par la décision du 13 novembre 1995 du comité des plaintes, le membre, M. Katzman, a été avisé que la question du manque de surveillance de la pharmacie avait été renvoyée devant le registrateur pour enquête. Il est inexplicable qu’il n’ait pas été avisé en même temps que d’autres questions avaient également fait l’objet d’un renvoi pour la même enquête. Il est sûr que cela aurait été préférable.

 

[22] Enfin, parmi les éléments dont nous disposons, aucun ne nous indique comment la question de la destruction des dossiers est passée du comité exécutif au comité de discipline. Nous ne pouvons que présumer que c’était de manière régulière.

 

[23] Cependant, la seule question qui nous a été soumise est celle de la compétence du comité des plaintes pour renvoyer devant le comité de discipline les questions qu’il lui a renvoyées.

 

[24] Le rapport du 29 février 1996, cité précédemment, faisait mention d’erreurs de préparation, de suspicion de fraude, de substitution de médicaments et de manque de surveillance de la pharmacie. Pour ce qui est du soupçon de fraude et de la substitution de médicaments, ils n’ont abouti à aucune accusation devant le comité de discipline. Le manque de surveillance a donné lieu à une mise en accusation, qui a été retirée. La seule question qui a donné lieu à une mise en accusation et à une décision du comité de discipline était la première de la liste, c’est-à-dire celle des erreurs de préparation. Elle a débouché sur quatre accusations, pour chacune desquelles M. Katzman a été reconnu coupable. Ces accusations ne concernaient ni Mme Cole ni M. Yellen, mais d’autres personnes.

 

[25] Par conséquent, la présente affaire présente une seule question qui mette en cause la compétence d’un organisme décisionnel. Il s’agit de savoir si, dans les circonstances de l’espèce, il était du ressort du comité des plaintes de renvoyer, devant le comité de discipline, les questions d’erreurs de préparation visant d’autres personnes que Mme Cole ou M. Yellen. Si ce n’est pas le cas, les conclusions de la culpabilité de M. Katzman doivent être annulées, car sa mise en accusation devant le comité de discipline était irrégulière.

 

[26] Les règles et les mécanismes de procédure qui gouvernent le processus disciplinaire contre un pharmacien ou contre tout autre membre d’une profession de la santé sont prévues dans leCode des professions de la santé, qui est l’annexe 2 de la Loi sur les professions de la santé réglementées, L.O. 1991, chap.18. Les passages suivants de ce Code sont pertinents au présent appel :

 PLAINTES

 

Sous-comité chargé de faire enquête sur les plaintes 

 

25. (1) Toute plainte relative à la conduite ou aux actes d’un membre qui est déposée auprès du registrateur fait l’objet d’une enquête par un sous-comité dont les membres sont choisis par le président du comité des plaintes parmi les membres du comité.

 

Composition 

(2) Le sous-comité se compose d’au moins trois personnes, dont au moins une est une personne nommée au conseil par le lieutenant-gouverneur en conseil.

 

Quorum 

(3) Trois membres constituent le quorum d’un sous-comité.

 

Rédaction ou enregistrement obligatoire de la plainte 

(4) Un sous-comité ne peut être constitué que si la plainte est présentée par écrit ou enregistrée sur une bande, un film, un disque ou un autre support.

 

Avis adressé au membre 

(5) Le registrateur avise de la plainte et des dispositions du paragraphe

26 (1) le membre qui fait l’objet de la plainte. 1991, chap. 18, annexe 2, art. 25.

 

Examen par le sous-comité 

26. (1) Le membre qui fait l’objet d’une plainte peut présenter des observations par écrit au sous-comité dans les trente jours suivant la réception de l’avis visé au paragraphe 25 (5).

 

Pouvoirs du sous-comité 

(2) Après avoir fait enquête sur une plainte relative à la conduite ou aux actes d’un membre, avoir étudié les observations du membre et avoir examiné ou avoir fait des efforts raisonnables pour examiner tous les documents et éléments d’information qui, selon lui, se rapportent à la plainte, le sous-comité peut prendre l’une ou l’autre, ou plusieurs, des mesures suivantes :

 

1. Renvoyer toute allégation précisée de faute professionnelle ou d’incompétence du membre au comité de discipline, si elle se rapporte à la plainte.

 

2. Adresser le membre au bureau aux fins de procédures pour incapacité.

 

3. Exiger du membre qu’il se présente devant le sous-comité ou un autre sous-comité du comité des plaintes pour recevoir un avertissement.

 

4. Prendre toute mesure qu’il estime opportune et qui n’est pas 

incompatible avec la loi sur une profession de la santé, le présent code, les règlements ou les règlements administratifs. 1991, chap. 18,

 annexe 2, art. 26.

 

 

Plainte relative à des mauvais traitements d’ordre sexuel

(3) Lorsqu’il exerce ses pouvoirs en vertu de la disposition 4 du paragraphe (2), le sous-comité ne peut renvoyer l’affaire au comité d’assurance de la qualité si la plainte porte sur des mauvais traitements d’ordre sexuel au sens de l’alinéa 1 (3) a) ou b).

 

Plainte faite de mauvaise foi 

(4) Si le sous-comité estime qu’une plainte est frivole, vexatoire ou faite de mauvaise foi, ou qu’elle constitue par ailleurs un usage abusif de la procédure, il avise le plaignant et le membre de son intention de ne prendre aucune mesure à l’égard de la plainte, et du droit qu’ont ces derniers de présenter des observations par écrit dans les 30 jours suivant la réception de l’avis.

 

Idem 

 

(5) Si le sous-comité est convaincu, après examen des observations écrites du plaignant et du membre, qu’une plainte est frivole, vexatoire ou faite de mauvaise foi, ou qu’elle constitue par ailleurs un usage abusif de la procédure, il ne prend aucune mesure à l’égard de la plainte.

 

Avis de décision

 

27. Le sous-comité donne au plaignant et au membre qui fait l’objet de la plainte les documents suivants :

 

a) une copie de sa décision;

 

b) une copie du texte des motifs, si le sous-comité a décidé de ne prendre aucune mesure à l’égard de la plainte ou de prendre la mesure prévue à la disposition 3 ou 4 du paragraphe 26 (2);

 

c) un avis informant le membre et le plaignant de tout droit de demander un réexamen qui peut leur être conféré en vertu du paragraphe 29 (2). 1991, chap. 18, annexe 2, art. 27.

 

 

 

***

 

Réexamen par la Commission 

 

29. (1) Sous réserve de l’article 30, la Commission réexamine la décision d’un sous-comité du comité des plaintes si elle reçoit une demande aux termes du paragraphe (2).

 

Demande de réexamen 

(2) Le plaignant ou le membre qui fait l’objet de la plainte peut demander à la Commission de réexaminer la décision d’un sous-comité du comité des plaintes, sauf si la décision :

 

a) soit renvoyait une allégation de faute professionnelle ou d’incompétence au comité de discipline;

b) soit adressait le membre au bureau aux fins de procédures pour incapacité.

 

Délai

(3) La demande de réexamen ne peut être présentée que dans les trente jours suivant la réception de l’avis relatif au droit de demander un réexamen donné aux termes de l’alinéa 27 c).

 

Parties

(4) Sont parties à un réexamen le plaignant et le membre qui fait l’objet de la plainte. 1991, chap. 18, annexe 2, art. 29.

 

 

DISCIPLINE

 

Renvoi des allégations par le bureau 

36. (1) Le bureau peut renvoyer au comité de discipline toute allégation précisée de faute professionnelle ou d’incompétence d’un membre. 1991, chap. 18, annexe 2, art. 36.

 

 

POUVOIRS D’ENQUÊTE DU REGISTRATEUR

Enquêteurs 

75. Le registrateur peut nommer un ou plusieurs enquêteurs chargés d’établir si un membre a commis une faute professionnelle ou est incompétent, dans les cas suivants :

a) le registrateur croit, en se fondant sur des motifs raisonnables et probables, que le membre a commis une faute professionnelle ou est incompétent, et le bureau approuve la nomination;

b) le bureau a reçu un rapport du comité d’assurance de la qualité concernant le membre et a demandé au registrateur de mener une enquête;

c) le comité des plaintes a reçu une plainte par écrit au sujet du membre et a demandé au registrateur de mener une enquête. 1991, chap. 18, annexe 2, art. 75.

 

[27] En bref, la position des appelants est que le paragraphe 26 (2) du Code habilite le comité des plaintes à renvoyer une allégation au comité de discipline. En l’espèce, le comité n’a pas respecté les exigences de la disposition 1 de ce paragraphe, puisque aucune des accusations pour lesquelles les appelants ont finalement été jugés ne « se rapporte » aux plaintes Cole ou Yellen. Les appelants soutiennent également que le comité des plaintes a omis d’exercer sa compétence, en ce qu’il n’a jamais correctement précisé les allégations énoncées contre les appelants.

 

[28] À l’opposé, l’intimé soutient que la compétence du comité des plaintes est bien plus étendue que ne le suggère l’appelant. La disposition 1 du paragraphe 26 (2) a été respectée, et la disposition 4 indique de toutes façons que le comité peut prendre toute mesure qu’il estime opportune et qui n’est pas incompatible avec la loi, les règlements et les règlements administratifs pertinents.

 

[29] Pour peser ces arguments, il est important de ne pas perdre de vue qu’une procédure disciplinaire contre un professionnel de la santé peut avoir d’importantes répercussions sur ses revenus, sa réputation et sa carrière. Voir la décision du juge Laskin dans l’arrêt Howe v. Institute of Chartered Accountants (1994), 19 O.R. (3d) 483 à 495. Il en est ainsi autant pour la pharmacie que pour les autres professions auto-réglementées. En conséquence, le processus disciplinaire mené contre un professionnel de la santé doit certes accorder l’importance voulue à l’intérêt public qui est en jeu; mais il faut tout autant veiller à faire bénéficier ce professionnel de la procédure équitable que la législation disciplinaire est censée garantir.

 

[30] Les dispositions législatives en matière disciplinaire, on les retrouve ici dans le Code des professions de la santé. Il indique les procédures pour entamer et mener une poursuite disciplinaire contre les professionnels de la santé, dont les pharmaciens. Tel qu’indiqué dans les passages cités précédemment, le processus conduisant à une audience devant le comité de discipline commence par le dépôt d’une plainte contre le pharmacien. La plainte est ensuite examinée par le comité des plaintes, qui peut alors, en application de la disposition 1 du paragraphe 26 (1), « renvoyer toute allégation précisée de faute professionnelle ou d’incompétence du membre au comité de discipline, si elle se rapporte à la plainte. » [Je souligne.] 

 

[31] La première – et principale – question à résoudre vise la portée du membre de phrase souligné. Est-ce qu’il autorise le renvoi, par le comité des plaintes, de toute allégation résultant de l’examen de la plainte, comme le prétend l’intimé? Ou l’allégation doit-elle nécessairement être liée à la plainte initiale, ce qu’avance l’appelant?

 

[32] À notre avis, plusieurs éléments du Code permettent d’affirmer que cette dernière interprétation doit prévaloir.

 

[33] Premièrement, à l’examen de l’éventail des éléments que le comité des plaintes doit prendre en considération avant de décider du renvoi d’une allégation devant le comité de discipline, nous sommes portés à penser que c’est le sens le plus étroit de l’expression « se rapporte à » qui était voulu par le législateur. Le paragraphe 26 (2) exige que le comité des plaintes examine (ou fasse des efforts raisonnables pour examiner) tous les documents et éléments d’information qui selon lui, se rapportent à la plainte. Rien ne l’oblige à examiner des documents et éléments d’information qui, non pertinents à la plainte initiale, sont pertinents à d’autres allégations de fautes professionnelles, découvertes lors de l’enquête relative à cette plainte. Si une interprétation plus vaste de « se rapporte à » avait été souhaitée, le législateur aurait sûrement obligé le comité des plaintes à examiner tous les documents et éléments d’information pertinents aux allégations portées, et non pas uniquement ceux qui sont liés à la plainte initiale.

 

[34] Deuxièmement, le droit à une procédure équitable, qui est reconnu au membre aux fins de ses rapports avec le comité des plaintes, milite également en faveur de l’interprétation la plus stricte. En vertu du paragraphe 25 (5), le membre doit être avisé de la plainte et de son droit de présenter des observations par écrit au comité des plaintes. Quant au paragraphe 26 (2), il impose au comité des plaintes d’étudier ces observations avant de décider du renvoi d’une allégation auprès du comité de discipline. L’importance du droit à une procédure équitable est démontrée en l’espèce. C’est ce droit qui a conduit le comité des plaintes à clore le dossier de la plainte Yellen. L’interprétation plus large, quant à elle, exposerait le membre à une poursuite disciplinaire non seulement quant aux plaintes pour lesquelles il ou elle aurait bénéficié d’une procédure équitable, mais également concernant les allégations concernant lesquelles il n’aurait pas eu, jusque-là, le droit de soumettre des observations. Rien ne pourrait justifier une telle différence de traitement. Ce facteur, ainsi que l’importance évidente que le législateur attache au droit du membre de soumettre ses observations sur la plainte avant qu’elle ne soit renvoyée devant le comité de discipline, militent également en faveur de l’interprétation stricte prônée par l’appelant.

 

[35] Troisièmement, les droits garantis par le Code au plaignant tendent aussi à étayer la thèse de l’interprétation la plus étroite. L’alinéa 27 a) exige que le plaignant reçoive une copie de la décision du comité des plaintes. Et, en vertu du paragraphe 29 (2), le plaignant peut demander, auprès de la Commission d’appel et de révision des professions de la santé, que soit révisée la décision du comité des plaintes de ne pas renvoyer une allégation devant le comité de discipline. Si une telle allégation se rapporte au contenu de la plainte, le droit de révision a sa raison d’être. Par ailleurs, suivant une interprétation plus large, le plaignant pourrait demander une révision dans un cas où, durant l’enquête sur la plainte : le comité des plaintes découvre une allégation d’autre faute professionnelle et envisage de renvoyer cette question devant le comité de discipline, sans toutefois rendre une décision dans ce sens. Ce droit existerait même si le plaignant ni ne connaissait l’existence de cette autre faute ni n’était concerné par celle-ci d’aucune manière. Ici encore, la logique du Code veut que l’on retienne l’interprétation la plus étroite.

 

[36] Pour terminer, comme le souligne l’appelant : l’interprétation étroite permet le renvoi au comité de discipline d’autres fautes découvertes lors de l’enquête de la plainte; mais en même temps, elle garantit aux membres la protection d’une procédure équitable, de sorte qu’elle tient compte autant de l’intérêt public que de l’intérêt du membre. Aux termes de la disposition 4 du paragraphe 26 (2), le comité des plaintes peut décider de soumettre une telle allégation au bureau, pour que ce dernier examine la possibilité d’un renvoi au comité de discipline, en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés par le paragraphe 36 (1). De la sorte, il est donné accès au comité de discipline et l’intérêt public est sauvegardé. Le droit du membre à une procédure équitable est également protégé. Aux termes du paragraphe 29 (2), le membre peut, dans un tel cas, demander le réexamen de la décision du comité des plaintes par la Commission d’appel et de révision des professions de la santé, puis être partie à la révision.

 

[37] Somme toute, si l’on considère l’objectif du Code, la compétence conférée au comité des plaintes par la disposition 1 du paragraphe 26 (2) est la compétence de renvoyer au comité de discipline une allégation précisée ayant un lien avec le contenu de la plainte. La disposition 1 du paragraphe 26 (2) n’habilite pas le comité des plaintes à saisir le comité de discipline les allégations d’autres fautes découvertes durant l’enquête sur la plainte.

 

[38] En l’espèce, il n’est pas nécessaire de vérifier les limites de ce qui peut légitimement faire l’objet d’un renvoi en application de la disposition 1 du paragraphe 26 (2). Dans la présente affaire, des allégations d’erreurs de préparation ne concernant ni Mme Cole ni M. Yellen, mais d’autres personnes, ont été mises en lumière lors de l’enquête sur la plainte Yellen. Ces allégations n’ont aucun lien avec les plaintes Cole et Yellen. Comme elles n’avaient pas elles-mêmes fait l’objet d’une plainte devant le comité des plaintes, celui-ci ne pouvait pas les renvoyer au comité de discipline en vertu de la disposition 1 du paragraphe 26 (2).

 

[39] Vu la conclusion qui précède, il est inutile que nous examinions l’argument subsidiaire que l’appelant a fait valoir relativement à la disposition 1 du paragraphe 26 (2), et selon lequel, de toutes façons, les allégations d’erreurs de préparation n’étaient pas « précisées » comme l’exige la disposition. Nous nous contenterons de dire qu’à notre avis, une allégation renvoyée au comité de discipline sous le régime de cette disposition doit, à tout le moins, être suffisamment précisée pour que l’accusation à laquelle elle donne lieu devant le comité de discipline soit perçue comme régulièrement fondée sur un renvoi du comité des plaintes.

 

[40] L’argument subsidiaire de l’intimé est que, de toutes façons, le comité des plaintes pourrait renvoyer ces allégations d’autres fautes professionnelles au comité de discipline en vertu de la disposition 4 du paragraphe 26 (2).

 

[41] Il est une réplique bien simple à cet argument : dans la disposition 1 du paragraphe 26 (2), le législateur a expressément défini la compétence du comité des plaintes à renvoyer des allégations devant le comité de discipline; on ne peut donc pas considérer qu’il a traité de cette question à nouveau dans la disposition 4, en des mots qui ne désignent pas expressément cette compétence et qui, si on en fait la même lecture que l’intimé, rendraient la disposition 1 inutile. Nous en concluons donc que le comité des plaintes n’a pas compétence pour renvoyer directement une question au comité de discipline sous le régime de la disposition 4 du paragraphe 26 (2). Si cette disposition confère indubitablement une compétence très étendue au comité de discipline, elle ne saurait s’interpréter comme élargissant les pouvoirs expressément définis dans la disposition 1.

 

[42] En conclusion, nous concluons que le comité des plaintes n’avait pas compétence pour renvoyer devant le comité de discipline les allégations d’erreurs de préparation étrangères aux plaintes Cole et Yellen. Le renvoi de ces allégations devant le comité de discipline était donc irrégulier, et les conclusions de fautes professionnelles qui en ont découlé doivent être annulées. .

 

[43] Par conséquent, nous accueillerions l’appel, annulerions l’ordonnance de la cour d’instance inférieure et y substituerions une ordonnance annulant les conclusions de fautes professionnelles contre M. Katzman fondées sur les accusations d’erreurs de préparation. Si la question d’une sanction contre M. Katzman n’est pas théorique, nous renverrions l’affaire devant le comité de discipline, la conclusion de faute professionnelle fondée sur la destruction des dossiers demeurant valide.

 

[44] En raison du caractère incomplet du dossier d’appel, nous ne nous prononcerions pas au sujet des dépens, qu’il s’agisse des dépens en l’espèce ou de ceux qui concernent l’instance conduite devant la cour d’instance inférieure.

 

Décision rendue le 19 décembre 2002

 

Le juge J.M. Labrosse, juge d’appel

 

Le juge S.T. Goudge, juge d’appel

 

« Je souscris. » Le juge J.J.Carthy, juge d’appel