Perron c. Conseil scolaire de district catholique des Aurores boréales
Cour supérieure de justice, l’honorable juge Gauthier
Le 30 juin 2008
Procédure civile — Dépens — Cautionnement pour dépens – Aucune modification de la forme du cautionnement pour dépens prévue à la Règle 56.07 – L’article 98 de la Loi sur les tribunaux judiciaires ne permet pas de redressement contre une ordonnance de cautionnement pour dépens, cette ordonnance n’étant pas visée par la définition de « penalty » ou de « forfeiture » — Motion du défendeur pour une ordonnance rejetant l’instance en vertu de la règle 56.06 accordée dans la mesure où le demandeur avait la capacité de se conformer à l’ordonnance de cautionnement pour dépens quand elle a été rendue, qu’il a ensuite transféré des sommes de son compte bancaire et qu’il n’a fait aucun effort pour se conformer à l’ordonnance — Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O. 1990, ch. C.43, art. 98 — Règles de procédure civile, R.R.O. 1990, Règl. 194, règles 56.06, 56.07.
Procédure civile – Jugement sommaire – Jugement sommaire partiel – Poursuite du demandeur contre le défendeur qui l’a congédié de son emploi comme directeur d’école – Ordonnance de cautionnement pour dépens obtenue par le défendeur – Motion présentée par le demandeur pour un jugement sommaire partiel lui accordant un paiement pour des jours de congé de maladie accumulés pour qu’il puisse se conformer à l’ordonnance de cautionnement — Motion rejetée – Différend véritable relativement au droit du demandeur de recevoir le paiement en question.
Le demandeur a poursuivi le défendeur quand il a été congédié de son emploi comme directeur d’école. Le défendeur a obtenu une ordonnance exigeant que le demandeur consigne un cautionnement pour dépens de 25 000 $. Ce dernier n’a pas interjeté appel de cette ordonnance et ne s’y est pas conformé. Le demandeur a ensuite présenté une motion visant l’annulation de l’ordonnance de cautionnement ou alors sa modification pour lui interdire d’aliéner des biens immeubles au lieu d’avoir à déposer de l’argent ou une lettre de crédit. Le demandeur réclamait « relief against forfeiture » de l’action. Enfin, il demandait un jugement sommaire partiel lui accordant un paiement pour des jours de congé de maladie accumulés. Le défendeur a demandé une ordonnance rejetant l’instance intentée en vertu de la règle 56.06 des Règles de procédure civile.
Décision : Je suis d’avis de rejeter la motion du demandeur; et d’accueillir la motion du défendeur.
Le demandeur n’a pas démontré qu’il y a eu un changement important de situation depuis que l’ordonnance de cautionnement pour dépens a été rendue justifiant son annulation. La règle 56.07 prévoit l’augmentation ou la diminution du montant du cautionnement pour dépens, mais elle ne prévoit pas de changement de la forme du cautionnement. Aucune doctrine n’a été fournie à la Cour qui permettrait un tel changement et plus particulièrement en la forme suggérée par le demandeur. Le redressement à l’encontre de la « forfeiture » en vertu de l’article 98 de la Loi sur les tribunaux judiciaires n’est pas un recours possible pour le demandeur, puisque une ordonnance de cautionnement pour dépens n’est pas visée par la définition de « penalty » ou de « forfeiture ».
Étant donné que le demandeur a affirmé qu’il pourrait se conformer à l’ordonnance de cautionnement pour dépens si le tribunal lui accordait un jugement sommaire partiel, la demande de jugement sommaire partiel du demandeur a été traitée malgré le fait que la règle 56.05 prévoit qu’un demandeur contre qui une ordonnance de cautionnement pour dépens est rendue ne peut prendre d’autres mesures dans l’instance, sauf ordonnance contraire du tribunal. Il existait un différend véritable relativement au droit du demandeur de recevoir un paiement pour des jours de congé de maladie accumulés, cette question étant liée à celle de savoir si le demandeur a été congédié injustement.
Le demandeur n’a fait aucun effort pour se conformer à l’ordonnance de cautionnement pour dépens. Il avait plus qu’assez d’argent dans son compte bancaire pour se conformer à l’ordonnance quand elle a été rendue. Il a ensuite transféré une grosse somme d’argent de son compte bancaire et n’a pas déposé de preuve se rattachant à la destination de cet argent. Il a refusé de fournir la documentation pour prouver la dette de 73 000 $ qu’il disait avoir. Il avait fait quelques demandes de financement, mais n’a pas produit la documentation expliquant le refus des institutions financières. Le défendeur a droit à une ordonnance de rejet de l’instance.
Jurisprudence citée
Leonard c. Prior, [1994] O.J. No. 2045, 118 D.L.R. (4th) 442, 33 C.P.C. (3d) 305, 50 A.C.W.S. (3d) 24 (Gen. Div.);Maracle c. Travellers Indemnity Co. of Canada, [1991] 2 C.S.C. 50, [1991] S.C.J. No. 43, 80 D.L.R. (4th) 652, 125 N.R. 294, J.E. 91-959, 47 O.A.C. 333, 3 C.C.L.I. (2d) 186,50 C.P.C. (2d) 213, [1991] I.L.R. ¶.1-2728 à 1284, 27 A.C.W.S. (3d) 70, 1991 CanLII 58
Lois citées
Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O. 1990, ch. C.43, art. 98
Règles et règlements cités
Règles de procédure civile, R.R.O. 1990, Règl. 194, règles 20, 20.04(2) [mod.], 56.01, a), 56.05, 56.06, 56.07
MOTION du demandeur pour annuler l’ordonnance du 18 septembre 2007 prévoyant la consignation d’un cautionnement pour dépens; MOTION du défendeur demandant le rejet de l’insance.
J. Richard Forget pour le demandeur.
Kevin D. MacNeill pour le défendeur.
[1] JUGE GAUTHIER : — Le défendeur (Conseil) demande une ordonnance rejetant l’instance intentée contre lui en vertu de la règle 56.06 des Règles de procédure civile, R.R.O. 1990, Règl. 194.
[2] Pour sa part, le demandeur (M. Perron) voudrait que la Cour annule l’ordonnance du 18 septembre 2007 prévoyant la consignation au tribunal d’un cautionnement pour dépens de 25 000 $ sous forme de dépôt ou de lettre de crédit irrévocable.
[3] M. Perron demande également une modification de l’ordonnance de cautionnement interdisant au demandeur d’aliéner sa propriété immobilière située à Ignace, dans le district de Kenora, au lieu de fournir le dépôt ou la lettre de crédit.
[4] M. Perron cherche à changer le montant du cautionnement, mais il n’a pas fait de représentations orales à ce sujet.
[5] Le demandeur réclame aussi « relief against forfeiture of this action », ainsi que « the equitable relief of promissory estoppel ».
[6] Enfin, M. Perron demande à la Cour de rendre un jugement sommaire partiel lui accordant un paiement pour des jours de congé de maladie accumulés.
Faits
[7] En 2006, le Conseil a congédié M. Perron de son emploi comme directeur de l’école Immaculée Conception à Ignace.
[8] Le demandeur a intenté un procès en 2006. L’audience portant sur la demande du Conseil pour un cautionnement pour dépens a eu lieu le 15 mai 2007.
[9] Le 18 septembre 2007, le juge Platana a ordonné qu’un cautionnement pour dépens de 25 000 $ soit consigné au tribunal au plus tard le 30 octobre 2007, sous forme de dépôt ou de lettre de crédit irrévocable, faute de quoi le Conseil pouvait demander le rejet de cette instance.
[10] M. Perron n’a pas versé le cautionnement imposé par le juge Platana. Le Conseil désire donc que l’instance soit rejetée conformément à la règle 56.06 et à l’ordonnance du juge Platana.
[11] Par souci de simplicité, je traiterai la demande incidente du demandeur en premier lieu et ensuite la demande de rejet de l’action du demandeur par le défendeur.
A. Annulation de l’ordonnance de cautionnement pour dépens
[12] Pour que sa demande lui soit accordée, le demandeur doit démontrer qu’il y a eu un changement important de situation depuis que l’ordonnance a été rendue de sorte que la raison pour laquelle l’ordonnance de cautionnement pour dépens a été rendue n’est plus un facteur.
[13] M. Perron allègue qu’il est survenu deux changements importants depuis l’ordonnance du 18 septembre 2007, c’est-à-dire : a) il réside maintenant en Ontario, et b) il n’a pas suffisamment de liquidités pour se conformer à l’ordonnance de cautionnement.
[14] La motion visant à obtenir un cautionnement pour dépens contre du demandeur avait comme motif que ce dernier résidait ordinairement en dehors de l’Ontario au sens de la règle 56.01 a) des Règles de procédure civile.
[15] Dans sa décision, le juge Platana a conclu que le demandeur résidait au Québec. Aux paragraphes 31 et 32, il a dit ce qui suit :
En vertu de la règle 56.01 (1) des Règles de procédure civile, il incombe d’abord au défendeur d’établir que le demandeur réside en dehors de l’Ontario. Une fois cela établi, le demandeur doit prouver qu’il possède suffisamment de biens en Ontario pour payer éventuellement les dépens du défendeur. Il n’est pas nécessaire d’établir de façon concluante que le demandeur n’habite pas en Ontario, mais uniquement qu’il « semble » résider ordinairement en dehors de l’Ontario. [Hallum v. Canadian Memorial ChiropracticCollege (1989), 70 O.R. (2d) 119 (H.C.J.)].
Comme le tribunal l’a établi dans Martin v. Goldfarb [1993] O.J. No. 1942, une « résidence ordinaire » n’est pas l’endroit où une personne passe le plus de temps au cours de l’année. Cette expression peut être définie comme étant l’endroit où une personne réside à moins que les circonstances ne l’amènent à se déplacer. La résidence ordinaire d’une personne ne repose pas sur la seule intention de celle-ci.
J’ai tenu compte du fait que M. Perron possède toujours des biens et des comptes bancaires à Ignace, qu’il est titulaire d’un permis de conduire de l’Ontario et qu’il est admissible à l’Assurance-santé de l’Ontario. Le fait le plus important, cependant, est qu’il n’y a pas de doute qu’il réside actuellement au Québec. En l’espèce, je suis convaincu qu’il doit être considéré comme « résidant ordinairement » au Québec. Les facteurs sur lesquels s’appuie M. Forget ne suffisent pas pour reconnaître une double résidence aux fins de cette motion, comme il l’a demandé.
[16] Est-ce que la preuve déposée relativement à cette motion démontre un changement de résidence du demandeur? En d’autres mots, a-t-il prouvé qu’il n’est plus ordinairement résident du Québec, et qu’il habite maintenant à Ignace, de sorte à déplacer la raison d’être de l’ordonnance du juge Platana?
(a) Résidence de M. Perron
[17] M. Perron a cité certains facteurs pour appuyer sa position selon laquelle il réside ordinairement en Ontario, entre autres, son bien immeuble à Ignace, ses comptes de services publics pour cette propriété, son permis de conduire de l’Ontario, sa couverture en vertu du Régime d’assurance-maladie de l’Ontario.
[18] Le juge Platana avait pris en considération plusieurs de ces facteurs et jugé qu’ils ne contredisaient pas l’assertion que M. Perron était ordinairement résident du Québec. Vu que ces facteurs ont déjà été considérés lors de la motion visant à obtenir un cautionnement pour dépens, ils ont peu ou pas de poids dans le contexte de la présente motion en extinction de l’ordonnance de cautionnement pour dépens où le critère applicable est un changement de situation.
[19] Le juge Platana a commenté qu’il n’existait aucune preuve convaincante au dossier que M. Perron devait rester au Québec pour des raisons médicales, malgré ce que laissait entendre le 2e paragraphe de son affidavit fait sous serment le 18 décembre.
[20] De plus, le juge Platana a pris en considération les sentiments de M. Perron envers les gens de la communauté d’Ignace. Au paragraphe 13, le juge Platana a dit ceci :
Perron fait part de sa propre perception qu’il n’a plus d’avenir à Ignace ainsi que de son intention de quitter Ignace. Il indique qu’il éprouve de l’insécurité face aux réactions des parents, des anciens élèves, des élèves actuels et des gens de la communauté suite à la révélation de son orientation sexuelle. Lors de son contre-interrogatoire le 23 février 2007, Perron a affirmé effectivement qu’il ressent encore de l’insécurité face aux gens d’Ignace et qu’il pense encore à une relocalisation et à la vente de sa maison.
[21] M. Perron a déposé au dossier des relevés de ses appels téléphoniques, ainsi que de la documentation se rattachant à des services médicaux qu’il aurait reçus depuis son retour en Ontario.
[22] En premier lieu, les versements pour les services d’internet ne démontrent pas que M. Perron était en Ontario à l’époque en cause et qu’il n’était plus résident ordinairement au Québec.
[23] Les relevés du téléphone cellulaire et du téléphone conventionnel situé dans la maison appartenant à M. Perron, indiquent que tous les appels faits à partir du téléphone cellulaire entre le 12 novembre et le 17 décembre 2007 provenaient de la province du Québec. Les appels téléphoniques provenant d’Ignace du 20 novembre au 18 décembre doivent nécessairement avoir été faits par une personne autre que M. Perron.
[24] Les relevés du téléphone cellulaire sembleraient indiquer que M. Perron était physiquement présent en Ontario à compter de décembre 2007.
[25] Je note que le numéro de téléphone cellulaire de M. Perron porte un code indicatif du Québec, c’est-à-dire le 819.
[26] Cette nouvelle documentation ne réussit pas à me convaincre que M. Perron n’est plus ordinairement résident en dehors de l’Ontario, aux termes de la règle 56.01. Sa présence en Ontario et le fait qu’il a reçu des traitements médicaux ici ne déplacent pas les faits sur lesquels le juge Platana a basé son ordonnance du 18 septembre 2007.
[27] M. Perron continue d’avoir un attachement continu et important au Québec, sans avoir d’attachement continu et important en Ontario au-delà de ceux qui furent considérés par le juge Platana.
[28] Il est fort possible que M. Perron soit revenu à Ignace. C’est ce qu’il dit. Mais comme il n’existait pas de preuve convaincante au dossier que M. Perron devait rester au Québec pour des traitements médicaux lors de l’audience pour cautionnement, il n’existe pas de preuve que la présence de M. Perron en Ontario signale que celui-ci n’est plus résident ordinaire du Québec.
[29] Il n’y a aucune preuve qui puisse déplacer les sentiments de M. Perron envers les gens et la communauté d’Ignace, tel que l’avait souligné le juge Platana. Il n’y a aucune preuve de nouveaux plans ou attachements en Ontario.
[30] Le Conseil suggère que M. Perron est revenu à Ignace dans le but de contourner l’ordonnance du juge Platana.
[31] Ce serait une circonstance qui l’a amené à se déplacer du Québec. Cela ne changerait pas le fait que M. Perron continue à être une personne qui réside ordinairement en dehors de l’Ontario.
[32] Selon l’ensemble de la preuve, M. Perron continue à être une personne qui réside ordinairement en dehors de l’Ontario, au sens de la règle 56.01 a).
(b) Manque de liquidités pour se conformer à l’ordonnance de cautionnement
[33] Dans son affidavit fait sous serment le 8 mars 2008, M. Perron affirme qu’il n’a pas réussi à obtenir de financement pour se conformer à l’ordonnance de cautionnement pour dépens en raison de son manque de liquidités. Autrement dit, il n’a pas les moyens financiers pour se conformer à l’ordonnance du juge Platana.
[34] Tout d’abord, je note que la motion visant à obtenir un cautionnement pour dépens a été plaidée en mai 2007, soit il y a plus d’un an. L’ordonnance de paiement ou de lettre de crédit au montant de 25 000 $ a été rendue en septembre 2007. La date limite pour se conformer à cette ordonnance était le 30 octobre 2007.
[35] M. Perron n’a pas fait appel de l’ordonnance du juge Platana. Il n’a pas non plus pris de mesures pour traiter de l’ordonnance de quelque façon que ce soit jusqu’à presque six mois après que l’ordonnance a été rendue et plus de quatre mois après la date d’échéance pour le paiement.
[36] Cependant il a pris certaines mesures qui ont eu une incidence sur ses liquidités et sur sa capacité de se conformer à l’ordonnance de cautionnement pour dépens.
[37] Au moment de l’audition de la motion, Mr. Perron avait un solde important dans son compte bancaire. Au paragraphe 26 de la décision du juge Platana, il a noté ce qui suit :
En outre, le demandeur possède des comptes bancaires à la Banque Canadienne Impériale de Commerce à Ignace, et au moment du contre-interrogatoire [le 23 février 2007] concernant son affidavit, ses soldes totalisaient environ 40 000 $.
[38] Selon la preuve, le 11 juin 2007, soit moins d’un mois après l’audition de la motion, il a transféré des sommes importantes d’argent de son compte bancaire. Le montant total transféré s’élève à 37 000 $, bien au-delà du montant ordonné en fin de compte à titre de cautionnement pour dépens. Aucune preuve n’a été fournie indiquant où cet argent a été acheminé et le demandeur n’a pas rempli son engagement selon lequel il devait fournir des documents supplémentaires démontrant que cet argent avait servi à payer des dettes.
[39] Un affidavit supplémentaire de M. Perron en date du 6 mai 2008 fut déposé au dossier. Le paragraphe 3 de ce document traite des comptes bancaires de M. Perron :
3.1 Attached as Exhibit “b” is a copy of my chequeing [sic] and saving account:
3.1.1 Chequeing [sic] : My checqueing [sic] account failed to show that I had $25,000 after September 17, 2007.
3.1.2 Saving: Likewise my saving account also failed to show that I had $25,000.00 after September 17, 2007.
[40] Chose intéressante, malgré les renseignements précités concernant la disponibilité de fonds vers le moment où l’ordonnance de cautionnement pour dépens a été rendue, il n’y a aucune preuve que M. Perron a fait un effort quelconque pour se conformer à l’ordonnance.
[41] Lors du contre-interrogatoire de M. Perron qui a eu lieu le 23 mai 2008, il a indiqué qu’il devait quelque 73 000 $ relativement à des cartes de crédit, mais il a refusé de présenter des factures de cartes de crédit pour justifier la dette.
[42] De plus, le demandeur a présenté des éléments de preuve de ses tentatives pour obtenir du financement dans le but d’observer l’ordonnance de cautionnement pour dépens.
[43] Plus particulièrement, M. Perron a produit une lettre de la CIBC en date du 2 octobre 2007, indiquant le refus de la demande de crédit. La lettre dit ceci :
Notre décision a été basée sur les détails contenus dans votre demande de prêt et/ou sur les renseignements reçus de l’agence de crédit.
[44] Il a aussi déposé en preuve une copie d’une lettre datée du 23 mai 2008 de Superior Credit Union Limited. Cette lettre indique que M. Perron aurait demandé une lettre de crédit au montant de 25 000 $ le 26 octobre 2007, mais que sa demande fut refusée.
[45] M. Perron a présenté en preuve le fait qu’il a soumis une demande de carte VISA Desjardins ; celle-ci fut refusée. Une copie de la lettre de la Caisse Desjardins en date du 10 mai 2008 a été déposée en preuve :
… nous avons le regret de vous informer qu’à la suite de l’analyse des informations financières obtenues et des vérifications de crédit que nous avons effectuées, il nous est malheureusement impossible de donner suite à votre demande pour les raisons suivantes : — certaines informations apparaissent à votre fiche de crédit sont défavorables.
[46] Et enfin, la Banque Laurentienne du Canada a refusé la demande de M. Perron pour la carte Visa Banque Laurentienne. La lettre de refus en date du 9 mai 2008 indique ce qui suit :
… suite aux renseignements que vous nous avez fournis, nous ne pouvons pour le moment donner une suite favorable à votre requête pour la raison suivante : Suffisamment engagé.
[47] La preuve précitée démontre deux tentatives de la part de M. Perron de se conformer à l’ordonnance de cautionnement pour dépens en octobre 2007. Les autres tentatives semblent avoir été faites beaucoup plus tard, et après la date limite du 30 octobre 2007.
[48] De surcroît, M. Perron n’a pas présenté de documentation qui aurait été soumise aux institutions financières à l’appui de ses demandes d’aide. Et de plus, le demandeur a refusé de permettre au défendeur d’obtenir directement des institutions financières les renseignements ou les documents sur lesquels ils ont basé leurs refus.
[49] Pour que le demandeur ait gain de cause pour modifier ou même mettre fin à l’ordonnance de cautionnement pour dépens, il lui incombe de démontrer le changement de situation qu’il invoque. Il s’agit en l’espèce de l’incapacité de se conformer à l’ordonnance en raison d’une mauvaise situation financière qui est survenue depuis que l’ordonnance a été rendue.
[50] Je conclus que le demandeur ne s’est pas acquitté de son fardeau de la preuve. Le défaut de fournir de la preuve pour justifier la raison alléguée pour le transfert des sommes importantes d’argent en juin 2007, ainsi que le défaut de fournir des renseignements ou des documents à l’égard de la prétendue dette de 73 000 $ et l’incapacité d’obtenir du financement pour exécuter l’ordonnance sont fatals à la position du demandeur. La façon dont M. Perron s’est occupé de ses finances personnelles et la façon dont il a répondu aux demandes de documentation supplémentaire concernant ses finances suggèrent une tentative de contourner l’ordonnance de cautionnement pour dépens, plutôt que des tentatives de bonne foi visant à se conformer à l’ordonnance.
B. La demande du demandeur visant à modifier l’ordonnance du juge Platana
[51] La demande vise expressément une modification « to provide for a court order preventing the Plaintiff from disposing of his real property in the District of Kenora until the conclusion of this action in lieu of providing a cash security or letter of credit ».
[52] La règle 56.07 prévoit l’augmentation ou la diminution du montant du cautionnement pour dépens imposé par l’ordonnance.
[53] La règle ne prévoit pas de changement de la forme du cautionnement pour dépens. Je ne connais aucune doctrine et aucune doctrine ne m’a été fournie qui permettrait un changement de la forme du cautionnement et plus particulièrement la forme suggérée par le demandeur.
[54] Par conséquent, je conclus que ce chef de redressement doit être refusé au demandeur.
C. La demande d’exonération d’une déchéance, aux termes de l’article 98 de la Loi sur les tribunaux judiciaires [L.R.O. 1990, ch. C.43]
[55] L’article 98 se lit comme suit :
98. Le tribunal peut accorder l’exonération d’une sanction d’une confiscation ou d’une déchéance, aux conditions qu’il estime justes, notamment quant à l’indemnisation.
[56] Bien que le sens clair de l’article 98 révèle une grande discrétion pour accorder le redressement identifié, il faut déterminer les termes « sanction » (« penalty ») et « confiscation » et « déchéance » (« forfeiture ») pour apprécier la portée de l’article.
[57] Le Dictionary of Canadian Law définit « forfeiture » comme suit :
The surrender of goods or chattels to punish someone for a crime, for failure to comply with terms of recognizance or pay duty or fulfill some obligation and to compensate the person to whom they are forfeited.
[58] « Penalty » est défini comme suit :
1. a sum of money to be paid as punishment or an equivalent for some injury.
2. (a) a fine; or (b) a term of imprisonment including a term of imprisonment in default of payment or satisfaction of a fine.
3. Includes any forfeiture or pecuniary penalty imposed or authorized to be imposed by way of Act of Parliament for any contravention of the laws relating to the collection of the revenue, or to the management of any public work producing tolls or revenue, notwithstanding that part of such forfeiture or penalty is payable to the informer or prosecutor, or to any other person.
4. All sums of money, including fines, in default of payment of which a term of imprisonment is imposed and includes the costs and charges of committing the defaulter and of conveying him to prison.
5. A sum, fixed in advance, to be forfeited or paid in the event a contract is not performed or misperformed in some way.
[59] Je suis d’avis qu’une ordonnance en paiement ou en garantie du cautionnement pour dépens n’est pas visée par la définition de « penalty » ou de « forfeiture ». Le cautionnement pour dépens n’est pas payé à titre de punition et il ne constitue pas une amende ou un paiement découlant d’un défaut non plus. Il n’est pas payé à la suite d’une inexécution ou d’une rupture de contrat et il n’est pas payé à titre d’indemnisation pour des préjudices découlant d’un manquement à une obligation.
[60] L’article n’est pas assez général pour permettre d’accorder un redressement contre une ordonnance judiciaire de cautionnement pour dépens. Par conséquent, il s’ensuit qu’il ne peut y avoir de « relief from forfeiture » comme le souhaite le demandeur.
D. Redressement en equity de l’irrecevabilité fondée sur une promesse
[61] Le demandeur se fonde sur une lettre de la part du procureur du défendeur, qui a été envoyée après la délivrance de la déclaration, pour suggérer que le défendeur est « estoppel from preventing Mr. Perron to [sic] have access to the court to resolve the dispute because the Defendant promised/assured Mr. Perron that they will permit a legal action so he voice [sic] his concerns … »(mémoire du demandeur déposé le 10 mars 2008, au paragraphe 3.3).
[62] En d’autres mots, en raison de certains passages dans la lettre rédigée par le procureur du défendeur, ce dernier est maintenant préclus de s’opposer à la demande de modification (une annulation) de l’ordonnance du juge Platana et de plus, il est empêché de demander le rejet de la demande du demandeur conformément à la règle 56.06.
[63] Les parties pertinentes de la lettre précitée se lisent comme suit :
Si vous le jugez opportun et le cas échéant, vous pourrez avancer ces arguments devant les tribunaux judiciaires et administratifs compétents pour en décider .
[64] Le passage suivant est également invoqué :
Évidemment, il vous sera loisible d’avancer, en temps opportun et devant les instances compétentes, tout argument que vous jugerez pertinent quant au processus suivi par le Conseil pour en arriver à une décision dans ces dossiers. »
[65] Maracle c. Travellers Indemnity Co. of Canada, [1991] 2 C.S.C. 50, [1991] S.C.J. No. 43, 1991 CanLII 58, expose à la page 5 les principes bien établis de l’irrecevabilité fondée sur une promesse.
Il incombe à la partie qui invoque cette exception d’établir que l’autre partie a, par ses paroles ou sa conduite, fait une promesse ou donné une assurance destinées à modifier leurs rapports juridiques et à inciter à l’accomplissement de certains actes. De plus, le destinataire des déclarations doit prouver que, sur la foi de celles-ci, il a pris une mesure quelconque ou a de quelque manière changé sa position.
[66] La théorie de l’irrecevabilité fondée sur une promesse n’a pas sa place en l’espèce. La lettre en question répondait à une lettre du procureur du demandeur et faisait simplement part d’un désaccord sur l’interprétation du procureur du demandeur de l’applicabilité des règles d’equity et de justice naturelle. Essentiellement, la lettre était un refus de continuer de débattre ces règles. La lettre ne peut d’aucune façon être qualifiée de promesse ou d’assurance destinée à modifier les rapports juridiques des parties.
E. La demande de jugement sommaire partiel
[67] M. Perron demande un jugement sommaire pour une partie de la demande formulée dans sa déclaration, c’est-à-dire le versement d’une allocation pour les jours de congé de maladie accumulés au fil des années.
[68] La Règle 20 permet un jugement sur une partie de la demande formulée dans la déclaration; par contre, en vertu de la règle 56.05, un demandeur contre qui une ordonnance de cautionnement pour dépens est rendue ne peut prendre d’autres mesures dans l’instance, sauf ordonnance contraire du tribunal.
[69] Selon M. Perron, si le tribunal lui accordait un jugement partiel pour les jours de congé de maladie, il pourrait se conformer à l’ordonnance de cautionnement pour dépens.
[70] Malgré l’effet de la règle 56.05, je vais traiter de la motion en vue d’obtenir un jugement partiel sommaire.
[71] M. Perron allègue qu’en vertu de son contrat d’emploi, il a droit à une gratification ou un versement calculé selon les jours de congé de maladie accumulés, se chiffrant à 291 jours, ou encore, au moins à un chiffre au-delà des 25 000 $ ordonné par le juge Platana.
[72] Pour sa part, le défendeur dit que le contrat d’emploi, de par ses termes exprès, ne prévoit pas que M. Perron aurait droit à une gratification dans le contexte d’un congédiement pour motifs valables.
[73] Les clauses suivantes du contrat d’emploi sont importantes :
3.01 Le traitement salarial et les bénéfices marginaux sont rattachés à l’entente dans l’annexe A du contrat de façon à ce que ceux-ci puissent être révisés annuellement et modifiés au besoin sans affecter les clauses de l’entente originale.
5. Les autres congés prévus dans l’entente collective du personnel enseignant en date du 1er avril 1998 s’appliquent au Directeur tel qu’énuméré à l’annexe A du contrat.
6. Cessation d’emploi
La relation d’emploi entre le Conseil et le Directeur est maintenue après le début de l’année scolaire 1998-99, à moins qu’elle ne soit rompue d’une des façons suivantes :
6.04 par le Conseil, selon des motifs valables, le Directeur peut être suspendu de ses fonctions avec ou sans rémunération ou peut être congédié pour négligence dans ses fonctions, inconduite ou incompétence tel que confirmé par l’agent de supervision du Conseil.
7. Cette entente constitue la seule entente entre les deux parties et il n’existe aucune autre condition ou garantie ou promesse excepté ce qui est contenu dans la présente entente.
Annexe A :
Les bénéfices marginaux auxquels le Directeur aura accès sont décrits dans la convention collective des enseignants en vigueur le 1er avril 1998 et se rapportent aux bénéfices suivants :
2.02 les congés de maladie.
[74] L’article 19.04 de la convention collective stipule que :
19.04
a) En vertu de l’article 157 de la Loi sur l’éducation, et de toute modification de cet article, une allocation de retraite sera versé à un enseignant à temps plein ou à temps partiel qui a dix ans ou plus de service continu auprès du Conseil et prend sa retraite ou qui décède. Le montant sera déterminé comme suit :
(i) la moitié (1/2) des jours de congés de maladie accumulés jusqu’à la date du décès ou de la retraite, multiplié par la moyenne du salaire journalier de l’enseignant selon les trois meilleures années de salaire :
Jours de maladie accumulés x moyenne de salaire
2
[75] Selon la règle 20.04 (2), le tribunal rend un jugement sommaire s’il est convaincu que la demande ou la défense ne soulève pas de question litigieuse.
[76] À mon avis, le demandeur ne s’est pas déchargé de son fardeau à cet égard. Selon moi, il y a bel et bien une question litigieuse dans la présente espèce.
[77] Le Conseil avait le droit, selon le contrat d’emploi, de congédier M. Perron pour des motifs valables. Le Conseil allègue qu’il a à bon droit congédié M. Perron pour des motifs valables.
[78] La position prise par le défendeur portant que le contrat d’emploi de M. Perron, de par ses termes exprès, ne prévoit pas que le demandeur aurait droit à un versement calculé selon les jours de congé de maladie accumulés, notamment au cas où le demandeur est congédié pour des motifs valables, est correcte.
[79] Les mots précis employés dans la clause 19.04 précitée se rapportent à la retraite ou au décès. La clause n’inclut pas, d’après son sens clair, le congédiement motivé.
[80] La question à savoir si M. Perron a été congédié injustement de son emploi constitue une question litigieuse. Cette question a une incidence sur la question de l’admissibilité à la gratification des congés de maladie.
[81] Sur l’ensemble de la preuve, on ne peut pas dire qu’il n’y a pas de véritable question litigieuse en l’espèce. Il existe bien un différend véritable en ce qui a trait à l’admissibilité, ainsi qu’au nombre exact de jours de maladie accumulés par M. Perron.
[82] Cela étant le cas, un jugement sommaire partiel n’est pas un redressement à la disposition du demandeur et sa motion pour ce redressement est rejetée.
La motion du conseil pour rejeter l’instance intentée contre le conseil
[83] La règle 56.06 des Règles de Procédure civile prévoit que :
56.06 Si le demandeur ou le requérant ne verse pas le cautionnement imposé par l’ordonnance, le tribunal peut, sur motion, rejeter l’instance intentée contre le défendeur ou l’intimé qui a obtenu l’ordonnance, auquel cas le sursis imposé par la règle 56.05 est levé, à moins qu’un autre défendeur ou un autre intimé n’ait obtenu une ordonnance de cautionnement pour dépens.
[84] Afin de trancher la question du rejet de l’instance dans ce contexte, le tribunal doit analyser les efforts du demandeur vis-à-vis de l’ordonnance. Qu’a fait le demandeur pour se conformer à l’ordonnance ?
[85] Tel que l’a dit le juge E. MacDonald dans la cause de Leonard c. Prior, [1994] O.J. No. 2045, 118 D.L.R. (4th) 442 (Gen. Div.), au paragraphe 22 :
[TRADUCTION]
Il incombe aux demandeurs de présenter des éléments de preuve convaincants pour inciter le tribunal à accorder un redressement à l’égard d’une inobservation de l’ordonnance … Les demandeurs doivent « faire de leur mieux ».
[86] De toute évidence, selon la preuve déposée dans le cadre de la présente motion, M. Perron a fait très peu de démarches pour tenter de se conformer à l’ordonnance du 18 septembre 2007.
[87] Quelques semaines après l’audition de la motion, il a transféré une grosse somme d’argent de son compte de banque.
[88] Il n’a pas déposé de preuve se rattachant à la destination de cet argent.
[89] Il a fait quelques demandes de financement, mais n’a pas produit la documentation qui pourrait expliquer, de façon satisfaisante, le refus des institutions financières.
[90] M. Perron, selon son affidavit du 8 mai 2008, avait en banque les 25 000 $ nécessaires pour se conformer à l’ordonnance. Il ne l’a pas consigné au tribunal, et l’ordonnance n’a jamais été satisfaite.
[91] M. Perron n’a pas interjeté appel de la décision du juge Platana, et n’a pris aucune autre mesure dans l’instance pendant plusieurs mois après que l’ordonnance a été rendue.
[92] M. Perron a refusé de fournir de la documentation pour prouver la dette de 73 000 $ qu’il disait avoir.
[93] Je conclus par conséquent que M. Perron ne s’est pas déchargé de son fardeau de la preuve relativement aux efforts faits pour se conformer à l’ordonnance de cautionnement.
[94] Ceci dit, la motion du Conseil est accordée et l’instance intentée contre le défendeur est rejetée, sans trancher sur le fond.
[95] Si les avocats ne peuvent s’accorder sur les dépens, ils devront communiquer avec la coordonnatrice des procès d’ici 15 jours afin de fixer une audience, qui pourra se dérouler par conférence téléphonique.
Motion du demandeur rejetée;
Motion du défendeur accordée.