Pollastro c. Pollastro (1999), 43 O.R. (3d) 497 (C.A.)

  • Dossier :
  • Date : 2024

Pollastro c. Pollastro(1)

 

Cour d’appel de l’Ontario, les juges Catzman, Abella et Feldman, J.C.A.

 

Le 31 mars 1999

Droit de la famille — Enfants — Le père a présenté une demande en vertu de la Convention de La Haye sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants en vue d’obtenir une ordonnance obligeant la mère à retourner l’enfant en Californie — La mère a plaidé l’exception prévue par l’al. 13b) de la Convention, au motif que le retour de l’enfant le placerait dans une situation intolérable — La mère a soutenu avoir fui la Californie avec son enfant, en raison de la violence que le père exerçait envers elle — Père toxicomane, instable et infligeant des mauvais traitements à la mère — Le juge qui a entendu la motion a commis une erreur en décidant que la preuve relative au danger n’était pas pertinente à l’analyse de l’al. 13b) — Le retour de l’enfant peut être empêché aux termes de l’al. 13b), lorsque la violence familiale est principalement dirigée contre le père ou la mère qui a déplacé l’enfant — L’appel de l’ordonnance enjoignant à la mère de retourner l’enfant est accueilli — Convention sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, R.T. Can. 1983, no 35, al. 13b).

 

Le père requérant a présenté une demande en vertu de la Convention de La Haye sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants en vue d’obtenir une ordonnance obligeant la mère intimée à retourner l’enfant en Californie. La mère a plaidé l’al. 13b) de la Convention qui prévoit une exception au retour exigé de l’enfant lorsqu’il existe un risque grave que ce retour n’expose l’enfant à un danger physique ou psychique, ou de toute autre manière ne le place dans une situation intolérable. La mère a soutenu avoir fui la Californie pour se rendre au Canada avec son enfant, en raison de la violence exercée par le père envers elle. La preuve produite a démontré que le père n’était pas fiable, qu’il faisait usage de drogues, ne maîtrisait pas sa colère et était violent envers la mère. Le juge saisi de la motion a conclu que la preuve relative au danger ressortit habituellement au fond d’une audience sur le droit de garde et non d’une demande présentée en vertu de la Convention de La Haye. Il a refusé d’examiner la preuve relative au danger et a accordé l’ordonnance recherchée. La mère a porté cette ordonnance en appel.

 

Arrêt : L’appel devrait être accueilli.

L’intérêt de l’enfant qui se trouve devant le tribunal n’est pas sans pertinence aux fins de la Convention de La Haye, notamment l’al. 13b). Le juge qui a été saisi de la motion a commis une erreur lorsqu’il a omis de tenir compte de la preuve relative à l’enfant. En agissant de la sorte, il n’a pas pris en compte la preuve pertinente à l’évaluation qu’il était tenu de faire aux termes de l’al. 13b). Puisque cette disposition renvoie expressément au risque de danger, la preuve d’un tel danger est tout à fait pertinente lorsqu’il s’agit d’évaluer si le retour de l’enfant à sa résidence habituelle l’exposerait vraisemblablement à un danger grave ou, de toute autre manière, le placerait dans une situation intolérable. Une personne ne peut démontrer qu’un enfant ne doit pas être retourné en raison de l’existence d’un risque grave de danger physique ou psychique, à moins que la preuve de ce danger ne soit produite et qu’elle ne soit examinée par le tribunal chargé de décider s’il a été satisfait au critère prévu par l’al. 13b).

Le fait de retourner un enfant dans un milieu violent place celui-ci dans une situation fondamentalement intolérable et l’expose à un risque grave de danger physique et psychique. Le père a démontré une incapacité permanente à maîtriser son humeur ou son hostilité. Cela signifie que la mère, qui accompagnerait forcément l’enfant si une ordonnance enjoignait à celui-ci de retourner en Californie, retournerait à une situation dangereuse. Puisque la mère est la seule des deux parents à avoir démontré qu’elle était sérieuse et capable d’élever son enfant de façon responsable, l’intérêt de l’enfant est inextricablement lié à la sécurité physique et psychologique de sa mère. Il était donc pertinent d’examiner si le retour de l’enfant en Californie le plaçait dans une situation intolérable, de prendre en compte la sérieuse possibilité de danger physique ou psychique que pourrait subir le père ou la mère dont l’enfant dépend totalement. Il ressort également de la preuve que le retour de l’enfant en Californie représentait un risque grave qu’il soit exposé personnellement à un danger sérieux. La mère avait satisfait au fardeau de la preuve prévu par l’al. 13b). L’enfant ne devrait pas être retourné en Californie.

 

Arrêt examiné :Thomson c. Thomson, [1994] 3 R.C.S. 551, 92 Man. R. (2d) 161, 107 D.L.R. (4th) 695n, 163 N.R. 69, 79 W.A.C. 81, [1994] 5 W.W.R. 153, 50 R.F.L. (3d) 145n., 6 R.F.L. (4th) 290.

 

Autres arrêts mentionnés

A. (A Minor) (Abduction) (Re), [1988] 1 F.L.R. 365 (Eng. C.A.); Young c. Young, [1993] 4 R.C.S. 3, 84 B.C.L.R. (2d) 1, 108 D.L.R. (4th) 193, 160 N.R. 1, [1993] W.W.R. 513, 18 C.R.R. (2d) 41, 49 R.F.L. (3d) 117.

 

Lois mentionnées

Loi portant réforme du droit de l’enfance, L.R.O. 1990, chap. C.12.

 

Traités et conventions mentionnés

Convention de La Haye sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, R.T. Can. 1983, no 35, art. 12 et 13.

Convention de Vienne sur le droit des traités, R.T. Can. 1980, no 37, art. 31.

Appel interjeté par une mère à l’encontre d’une ordonnance lui enjoignant de retourner son enfant en Californie.

Phyllis Brodkin, pour l’appelante.

Roselyn Zisman, pour l’intimé.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE ABELLA : Le présent appel porte sur une ordonnance enjoignant à Reesa Pollastro de retourner son enfant, Tyler Pollastro, en Californie. Cette ordonnance a été rendue par suite d’une demande adressée par le père de l’enfant, John Pollastro, conformément à la Convention de La Haye sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, R.T. Can. 1983, no 35, qui exige le retour des enfants qui ont été déplacés illicitement de leur résidence habituelle. Dans sa défense, la mère a fait valoir qu’elle avait fui la Californie pour se rendre au Canada avec leur enfant âgé de six mois en raison de la violence exercée par le père envers elle, et que le retour de l’enfant en Californie exposerait celui-ci à une situation intolérable, justifiant ainsi l’application de l’exception au retour de l’enfant prévue par l’al. 13b) de la Convention de La Haye.

Les art. 12 et 13 sont les deux dispositions de la Convention de La Haye qui s’appliquent de façon générale au présent appel. La disposition particulière qui est au centre du litige est l’al. 13b).

 

Article 12

Lorsqu’un enfant a été déplacé ou retenu illicitement au sens de l’article 3 et qu’une période de moins d’un an s’est écoulée à partir du déplacement ou du non-retour au moment de l’introduction de la demande devant l’autorité judiciaire ou administrative de l’État contractant où se trouve l’enfant, l’autorité saisie ordonne son retour immédiat.

L’autorité judiciaire ou administrative, même saisie après l’expiration de la période d’un an prévue à l’alinéa précédent, doit aussi ordonner le retour de l’enfant, à moins qu’il ne soit établi que l’enfant s’est intégré dans son nouveau milieu.

Lorsque l’autorité judiciaire ou administrative de l’État requis a des raisons de croire que l’enfant a été emmené dans un autre État, elle peut suspendre la procédure ou rejeter la demande de retour de l’enfant.

Article 13

Nonobstant les dispositions de l’article précédent, l’autorité judiciaire ou administrative de l’État requis n’est pas tenue d’ordonner le retour de l’enfant, lorsque la personne, l’institution ou l’organisme qui s’oppose à son retour établit :

que la personne, l’institution ou l’organisme qui avait le soin de la personne de l’enfant n’exerçait pas effectivement le droit de garde à l’époque du déplacement ou du non-retour, ou avait consenti ou a acquiescé postérieurement à ce déplacement ou à ce non-retour; ouqu’il existe un risque grave que le retour de l’enfant ne l’expose à un danger physique ou psychique, ou de toute autre manière ne le place dans une situation intolérable.

L’autorité judiciaire ou administrative peut aussi refuser d’ordonner le retour de l’enfant si elle constate que celui-ci s’oppose à son retour et qu’il a atteint un âge et une maturité où il se révèle approprié de tenir compte de cette opinion.

Dans l’appréciation des circonstances visées dans cet article, les autorités judiciaires ou administratives doivent tenir compte des informations fournies par l’Autorité centrale ou toute autre autorité compétente de l’État de la résidence habituelle de l’enfant sur sa situation sociale.

[Je souligne.]

Selon l’art. 12, l’enfant qui a été déplacé illicitement doit être retourné immédiatement. Toutefois, aux termes de l’al. 13b), l’enfant ne doit pas être retourné si la preuve établit qu’il existe un « risque grave » que son retour ne l’expose à un danger sérieux, ou de toute autre manière ne le place dans une situation intolérable. Il s’agit de savoir en l’espèce si l’al. 13b) permet d’empêcher le retour d’un enfant qui a été enlevé en raison de la violence familiale, laquelle est principalement dirigée contre la mère qui a enlevé l’enfant.

 

LES FAITS

Reesa Obrant a rencontré son futur mari, John Pollastro, à Montréal en juin 1995. Au mois d’octobre de la même année, elle s’est installée à Syracuse pour vivre avec lui. Au mois d’avril 1996, il ont déménagé en Californie où les parents de John vivaient et ils s’y sont mariés en août 1996. John est citoyen américain. Reesa a les deux citoyennetés, canadienne et américaine.

Leur enfant, Tyler Benjamin, est né le 27 février 1997. La preuve établit clairement que même si Reesa occupait un emploi à temps plein comme cogérante d’un magasin GAP, c’était surtout elle qui prenait soin de leur fils. Elle était également le principal soutien de la famille, car, durant le mariage, John ne travaillait que de façon intermittente comme conducteur de dépanneuse.

La preuve produite concernant le manque de fiabilité de John a été abondante : il s’absentait pendant des jours sans dire à Reesa où il se trouvait; il n’allait pas chercher son fils à la garderie comme cela avait été prévu; il lui arrivait régulièrement de ne pas être disponible pour s’occuper de Tyler et de ne pas en informer d’avance Reesa qui était occupée et devait alors quitter son travail tôt ou demander, à la dernière minute, à la mère d’une collègue de travail, Diana Poe, de garder l’enfant; il faisait usage de drogues et a été déclaré coupable de possession de méthamphétamines le 6 février 1998. Même si ce contexte factuel peut être plus approprié pour décider finalement lequel des deux parents devrait avoir la garde de l’enfant, il est néanmoins pertinent pour évaluer s’il existe un « risque grave » que le retour de Tyler en Californie l’expose à « une situation intolérable » au sens de l’al. 13b) de la Convention de La Haye.

L’allégation de Reesa Pollastro selon laquelle elle a le droit de plaider l’exception prévue par l’al. 13b) pour s’opposer à l’exigence fondée sur la présomption concernant le retour de l’enfant, repose sur la preuve des mauvais traitements physiques que lui infligeait de plus en plus fréquemment son mari. On a également prouvé qu’il lui tenait des propos humiliants en privé et en public. Des collègues de travail ont témoigné que John téléphonait au magasin et criait si fort après Reesa qu’on pouvait entendre ses épithètes à une distance de plusieurs pieds. Non seulement il téléphonait sans cesse, mais ses propos étaient continuellement injurieux. À l’occasion, et notamment au cours de la dernière fin de semaine qu’ils ont passée ensemble, il mettait l’automobile de Reesa hors d’usage, de sorte qu’elle ne puisse aller nulle part.

La manifestation la plus évidente de ses emportements insensés était la violence physique qu’il exerçait envers sa femme. John mesure 5’9′ et pèse 175 livres; Reesa mesure 5’5′ et pèse 105 livres. Des amis ont témoigné de leur propre peur et de celle de Reesa à l’égard du comportement de John. Ses collègues ont témoigné avoir vu des ecchymoses sur le cou et les bras de Reesa. Diana Poe, qui a finalement conduit Reesa et son fils à l’aéroport pour qu’ils retournent au Canada, a aperçu Reesa lorsqu’elle est sortie de la douche le matin de son départ. Ses propos ont été les suivants :

[traduction] Je suis certaine que mon visage a trahi l’horreur que m’a causée ce que j’ai vu, une femme adulte dont le devant et l’arrière du corps décharné étaient couverts d’ecchymoses.

Les épisodes de violence se sont multipliés le 4 septembre 1997. Ce jour-là, John a attaqué Reesa lorsqu’elle est rentrée du travail, déchirant son tee-shirt et faisant en sorte qu’elle se frappe la tête sur le plancher. Il l’a ensuite enfermée à clef dans la chambre à coucher. Le matin du 6 septembre 1997, Reesa devait travailler durant trois heures. John a eu au autre accès de colère, a refusé de s’occuper de Tyler et a mis hors d’usage l’automobile de Reesa. Tout en transportant le bébé, elle a dû parcourir un mille à pied pour se rendre au travail, effrayée par John qui l’a suivie pendant presque tout le trajet. Au travail, elle a décidé qu’elle devait quitter John pour sa propre sécurité et celle de son enfant. Après le travail, Diana Poe a conduit Reesa et Tyler à la maison pour que Reesa puisse prendre des vêtements pour elle-même et son enfant. Son mari a commencé à l’attaquer, mais elle s’est échappée par la fenêtre de la chambre à coucher qui n’était qu’à deux pieds au dessus du sol. Elle a couru jusqu’à la voiture qui l’attendait et s’est rendue à la résidence de Diana Poe. Lorsque Reesa a téléphoné à son père pour lui raconter ce qui s’était passé, il lui a dit de prendre le prochain avion pour rentrer au Canada. Le 7 septembre, elle est retournée avec Tyler au Canada.

Le 10 septembre, Reesa s’est rendue avec Tyler chez le docteur Alan Kassel qui non seulement a confirmé la nature et l’étendue des ecchymoses sur son cou, ses bras, son dos, ses épaules et ses cuisses, mais a aussi remarqué l’état d’agitation de l’enfant. Exerçant sa profession depuis près de 30 ans, le docteur Kassel a, dans un affidavit daté du 10 août 1998, fait les observations suivantes au sujet de l’évolution de l’état de Tyler au cours des sept mois qui ont suivi :

[traduction] Lorsque j’ai examiné Tyler pour la première fois le 10 septembre 1997, j’ai constaté qu’il tressautait facilement et qu’il était quelque peu agité. Depuis ce rendez-vous, j’ai remarqué diverses améliorations significatives en ce qui concerne son caractère. Tyler semble s’être apaisé et ne se comporte plus comme un enfant effrayé.

D’autres personnes ayant vu Reesa au moment de son retour au Canada ont, dans leur témoignage, confirmé l’existence de ses ecchymoses, sa peur pour sa propre sécurité et celle de son enfant, et les menaces proférées sans relâche par John au moyen d’appels téléphoniques caractérisés et répétés. De plus, ses ex-collègues de travail chez GAP en Californie ont porté plainte à la police au sujet des appels de menaces persistants de John à leur lieu de travail ou de résidence.

Les appels de menaces que John faisait au Canada étaient adressés à Reesa, à sa mère avec laquelle elle vivait, à son père et à sa cousine, Cheryl Primerano. Bon nombre de ces appels étaient injurieux et insensés, et reflétaient le tempérament violent de John :

A) Voici le témoignage de Cheryl Primerano :

[traduction] John a été la personne à qui j’ai le plus parlé pendant une période d’environ six à huit semaines. Je me réveillais avec ses appels et je me couchais avec ses appels. J’ai tout fait ce que je pouvais pour le calmer et essayer d’établir une certaine paix entre lui et Reesa. La plupart du temps, il se montrait coopératif et disposé à écouter ce que j’avais à dire. Il y avait toutefois l’envers de la médaille. À de nombreuses occasions, il m’a fait des menaces et m’a transmis des messages terrifiants pour Reesa.

Voici les mots exacts qu’il a prononcés lors d’un appel :

« Ne laisse pas Reesa revenir à la maison. Je ne peux pas promettre qu’elle sera en sécurité. »

Au cours des quelques semaines qui ont suivi, son humeur changeait chaque fois que nous nous parlions. À un moment, il voulait que je lui témoigne de la sympathie et que je lui offre mon soutien et me disait que j’étais la seule personne qui se souciait de lui, qu’il m’aimait et qu’il avait besoin de mon aide, puis, la conversation suivante, il proférait des menaces à mon endroit, à l’endroit de Reesa, de Tyler et de toute notre famille. Il m’a dit que s’il ne pouvait pas avoir Tyler, personne ne pourrait l’avoir.

Il m’a également déclaré qu’il se foutait pas mal de Tyler, qu’il voulait seulement se venger de Reesa qui l’avait humilié. Il pouvait toujours avoir un autre bébé, a-t-il dit, mais il voulait punir Reesa et il n’existait pas de meilleure punition que de lui enlever l’être qu’elle aimait le plus au monde.

Il a fait des menaces de mort à l’endroit de Reesa et a déclaré qu’il ne serait tranquille que lorsqu’elle serait en prison et ne verrait plus jamais son fils. Il a promis d’envoyer les vêtements et les jouets de Tyler qui l’attendaient en Californie, puis a indiqué que son fils ne méritait pas ces belles choses et qu’il allait tout vendre et se soûler avec l’argent de la vente.

À un moment où nous avons réussi à nous entendre, il m’a complètement avoué son problème de toxicomanie. Lors de la plupart de nos conversations il avait une gueule de bois et de la difficulté à articuler.

B) Voici les transcriptions de messages téléphoniques qu’il a laissés aux parents de Reesa :

[traduction] Je ne vous fais pas de harcèlement.

Je vous fais seulement savoir ce qui m’arrive, parce qu’ il y a une personne qui me fait de très mauvaises choses qui m’atteignent mentalement. Je vais chez un médecin tous les jours, en réalité pas tous les jours, je vois un thérapeute tous les deux autres jours et je vois un médecin tous les trois jours et je pense que je suis fatigué de jouer le jeu et qu’il est temps d’aller jusqu’au bout de toutes les choses que j’ai planifié de faire parce que personne ne m’a envoyé de lettre de confirmation.

On m’a menti.

On m’a trahi.

On a abusé de moi.

Si vous décidez de porter des accusations de harcèlement contre moi, allez-y parce que votre fille ira en prison pour kidnapping et enlèvement d’enfant.

. . . . .

Tu iras en prison, puis après je vais porter des accusations contre toi encore une fois pour avoir caché un enfant; alors si tu veux jouer à ce jeu chérie, vas-y car j’ai obtenu tous les conseils juridiques nécessaires pour faire ce que j’ai besoin de faire pour te faire souffrir et l’État te prendra le petit merdeux, me le prendra, le prendra à ton père, à ta mère, personne ne l’aura parce que jusqu’au jour de ma mort je serai avec toi et mon fils ou j’aurai mon fils.

Je t’aurai Rees. Crois-moi.

Je te ferai mal.

Je ferai du mal à ta famille.

Je vais démolir ton papa parce que je l’ai enregistré. O.K.

Je t’aime.

Je ne veux rien faire de cela mais tu m’y forces.

C’est toi qui te fais cela. N’oublie pas ça.

Renvoie Tyler Benjamin Pollastro à son père ou Satan et le diable seront dans ta famille pour le reste de ta vie.

Ta religion juive c’est de la crotte de chien dans l’univers de Satan.

Je souhaite que le diable soit présent à ton lit de mort.

Tu agis comme il faut et tu ramènes Tyler Benjamin Pollastro à la maison ou le diable sera à ton chevet au moment de ta mort.

Passe une bonne soirée et va te faire foutre.

 

Reesa, je sais que de toute façon ta maudite conne de mère ne te donnera pas le foutu message.

Quant à toi, espèce de sale chienne.

Reesa, je t’aime.

Merde.

Reesa, s’il-te-plaît, appelle-moi.

Il y a autre chose dont nous devons discuter, comme les taxes.

C’est très important que tu communiques avec moi, mais ta maudite conne de mère ne te fera pas le message de toute façon, alors ça ne sert à rien.

Devine quoi, je m’en fous complètement.

Mais j’aurai mon fils.

Il sera à moi et vous autres, bande d’enfoirés, vous ne le verrez plus jamais.

Reesa, amuse-toi bien bébé pendant tes 30 années en prison.

 

Vous savez quoi, votre fille est une maudite folle.

Elle a besoin d’un hôpital psychiatrique O.K., parce que je suis déjà allé jusqu’au bout des poursuites judiciaires.

Je suis allé au bout de tout.

Je fais juste attendre O.K.

Ce petit bout de papier va être télécopié demain ou en réalité lundi matin et tout sera terminé.

Tout est fait O.K.

J’ai attendu.

J’ai joué à ton maudit jeu et je suis fatigué de jouer le jeu O.K.

Je t’aime mais tu es une conne et tu sais Reesa, qu’en ce qui te concerne, les chiens aboient et la caravane passe.

Tu sais que je me fais traiter de crétin, d’enfoiré et de con.

Je me fais injurier aussi.

Tu as de gros ennuis Reesa.

Est-ce que tu le savais?

Je suis soûl et j’aime ça.

Tu sais quoi? Je suis ivre, alors vas-y et apporte cet enregistrement au tribunal et ils sauront que je bois aussi maintenant.

Tu sais.

La belle affaire.

Tu sais quoi? Je m’en fous complètement maintenant.

Je me fous de toi.

Je ne veux pas que tu reviennes.

 

C’est tellement amusant d’être soûl.

Tu sais quoi Reesa? Va te faire foutre.

Je te poursuis maintenant pour 2 000 $ par mois, étant donné que je suis sans emploi depuis que tu m’as quitté.

Je ne lui fais pas confiance.

Je ne te fais pas confiance.

Je ne fais plus confiance à personne.

N’essaie même pas de me joindre parce que je demeure à l’hôtel. Tu sais quoi Rees? Si tu étais futée et que tu réfléchissais réellement à ce que tu as fait comme l’adultère que tu commets maintenant O.K.

Nous sommes encore mariés.

Tu as un ami et tu sais quoi Rees? En ce qui me concerne, tu peux prendre sa sale queue et te la foutre dans le cul, parce que je n’irai plus jamais près , jamais parce que tu n’auras plus jamais Tyler.

Comprends-tu ça?

Moi et Tyler allons grandir et nous allons lui enseigner les bonnes choses qu’il doit savoir sur la vie.

 

Par voie de requête, Reesa Pollastro a demandé la garde provisoire de Tyler au juge O’Connell de la Cour de l’Ontario (Division générale) le 12 septembre 1997 et le juge Benotto de cette même cour a fait droit à sa demande le 23 septembre suivant, puis a rendu une ordonnance définitive le 28 octobre 1997. John Pollastro a reçu avis de cette procédure, mais n’a pas répondu, croyant qu’il n’avait aucunement l’obligation de le faire.

Le 1er octobre 1997, il a présenté une demande en Californie afin que soit ordonné le retour de son fils et qu’il en obtienne la garde sans droit de visite. À la lecture de l’ordonnance que le tribunal de la Californie a rendue le 14 octobre 1997 et qui accorde le redressement recherché, il est clair que lorsqu’il a témoigné de vive voix, John Pollastro, qui n’était pas représenté, n’a pas informé le tribunal de l’existence d’ordonnances rendues par un tribunal de l’Ontario et accordant à sa femme la garde provisoire de l’enfant. Il a témoigné devant le tribunal de Californie que Tyler était en danger parce que sa mère prenait des amphétamines. Reesa a reçu un avis de l’instance introduite en Californie, mais on ne sait pas si la lettre envoyée par son avocate au tribunal de la Californie et établissant la chronologie des poursuites judiciaires en Ontario s’est rendue au juge présidant l’instance.

Le 1er décembre 1997, John Pollastro a présenté une demande en Californie afin que soit ordonné le retour de l’enfant conformément à laConvention de La Haye. Plusieurs mois se sont écoulés avant que John se rende compte qu’il devait retenir les services d’un avocat au Canada, et ce n’est que le 6 mars 1998 que l’Autorité centrale du Bureau des accords de réciprocité du ministère du Procureur général a fait parvenir au greffier local de la Cour de l’Ontario (Division générale) l’avis de la demande présentée en vertu de la Convention de La Haye. La Convention de La Haye dont les dispositions sont énoncées à l’annexe de l’art. 46 de la Loi portant réforme du droit de l’enfance, L.R.O. 1990, chap. C.12 est en vigueur en Ontario depuis le 1er décembre 1983. Ce n’est que le 2 juillet 1998 que John Pollastro a présenté sa demande en Ontario en vue d’obtenir le retour de Tyler en Californie conformément à la Convention de La Haye.

La demande a été entendue par le juge Beaulieu le 15 septembre 1998. Le 16 octobre 1998, le juge Beaulieu a ordonné à Reesa Pollastro de retourner Tyler Pollastro à sa résidence habituelle en Californie, avec droit de garde pendant 30 jours si elle l’accompagnait en Californie.

Le fondement de la décision du juge Beaulieu d’ordonner le retour de l’enfant est énoncé dans les motifs qui suivent :

[traduction] La requérante allègue toutefois que la menace de mauvais traitements physiques à l’endroit d’une mère peut causer un préjudice psychique à l’enfant. Elle affirme qu’il s’agit de l’une de ces situations exceptionnelles qui permet au tribunal de ne pas être lié par l’exigence selon laquelle l’enfant doit être retourné immédiatement à sa résidence habituelle. La requérante a fait une excellente plaidoirie concernant les risques, tant physiques que psychiques, que court un enfant dont la mère vit une situation de violence. Les documents déposés et la thèse de l’avocate de la requérante étaient très solides et éclairés. Toutefois, malgré la connaissance d’office du danger psychique auquel sont exposés les enfants des femmes victimes de mauvais traitements, le droit établit que la preuve du danger ressortit habituellement au fond d’une audience sur la garde et non d’une demande présentée sous le régime de la Convention de La Haye

[…]

Compte tenu de la relation orageuse présumée entre les parties, et du tableau peu flatteur qu’elle peint du père, ses inquiétudes relatives à l’hostilité et au danger potentiels pour elle et son enfant peuvent être réalistes ou non. Toutefois, en règle générale, cette question doit être traitée et envisagée du point de vue et dans le contexte de la nature même de la présente instance. Le tribunal du ressort où l’enfant résidait habituellement avant son enlèvement est celui qui peut le mieux se prononcer sur ces inquiétudes.

[Je souligne.]

 

ANALYSE

Le préambule de la Convention de La Haye énonce ses objectifs sous-jacents de la façon suivante :

Les États signataires de la présente Convention,

Profondément convaincus que l’intérêt de l’enfant est d’une importance primordiale pour toute question relative à sa garde,

Désirant protéger l’enfant, sur le plan international, contre les effets nuisibles d’un déplacement ou d’un non-retour illicites et établir des procédures en vue de garantir le retour immédiat de l’enfant dans l’État de sa résidence habituelle, ainsi que d’assurer la protection du droit de visite,

Ont résolu de conclure une Convention à cet effet

Comme il a été dit plus haut, l’al. 13b) établit une exception à l’exigence selon laquelle l’enfant qui est déplacé illicitement de sa résidence habituelle doit être retourné immédiatement. Il établit qu’on peut refuser de rendre une ordonnance prévoyant le retour de l’enfant si :

[…] il existe un risque grave que le retour de l’enfant ne l’expose à un danger physique ou psychique, ou de toute autre manière ne le place dans une situation intolérable.

Dans l’arrêt Thomson c. Thomson, [1994] 3 R.C.S. 551, 163, N.R. 69, la Cour suprême du Canada a établi le cadre d’interprétation suivant lequel les causes sont tranchées aux termes de la Convention de La Haye en général et de l’al. 13b) en particulier.

Dans cette affaire, c’est la mère qui avait déplacé l’enfant de son lieu de résidence. Elle avait quitté l’Écosse avec son fils âgé de neuf mois pour rendre visite à ses parents sur leur ferme au Manitoba. Au cours de cette visite, elle a décidé de rester avec sa famille au Manitoba. Pour s’opposer à la demande du père présentée en vertu de la Convention de La Haye et visant à obtenir le retour de son enfant en Écosse, la mère a plaidé l’exception prévue par l’al. 13b), affirmant que puisqu’elle avait été la principale gardienne de l’enfant au cours de son séjour de 13 mois au Manitoba, sa séparation d’avec l’enfant risquait gravement d’exposer celui-ci à un danger physique ou psychique.

Le juge La Forest a conclu à la page 596 que les faits ne satisfaisaient pas au degré de préjudice prévu par l’al. 13b), c’est-à-dire la nécessité que le préjudice soit « tel qu’il devient également une situation intolérable ».

Il doit s’agir d’un risque « grave » qui cause un préjudice psychique « sérieux », « plus grand que ce dont on s’attendrait normalement du fait de prendre un enfant d’un parent et de le remettre à l’autre » (p. 597, citant Re A. (A Minor) (Abduction), [1988] 1 F.L.R. 365 (Eng. C.A.). Tant le risque que le préjudice doivent être sérieux.

Le juge La Forest a également déclaré que la source du préjudice n’était pas importante, c’est-à-dire qu’il n’importe pas que le risque découle du retrait de l’enfant du parent qui en prend soin ou du retour de l’enfant à l’autre parent. Comme le juge La Forest l’a déclaré en citant Young c. Young, [1993] 4 R.C.S. 3, 108, D.L.R. (4th) 193, du point de vue de l’enfant, « un préjudice est un préjudice ».

Selon l’arrêt Thomson, la règle déterminante est que la Convention de La Haye doit être interprétée suivant le sens ordinaire des termes du traité dans leur contexte et à la lumière de l’objet et du but du traité, préambule inclus : voir l’art. 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, R.T. Can. 1980, no 37; dans l’arrêt Thomson, à la page 577. Utilisant cette approche, le juge La Forest a tiré sa première conclusion en déclarant que la partie du préambule qui énonce que « l’intérêt de l’enfant est d’une importance primordiale pour toute question relative à sa garde » signifie « l’intérêt de l’enfant » en général, et non l’intérêt de l’enfant qui est devant le tribunal.

Cette observation, ajoutée à l’exigence prévue par l’art. 16 de la Convention de La Haye et portant que l’État qui est requis de retourner un enfant ne pourra « statuer sur le fond du droit de garde » que lorsqu’il sera établi que l’enfant ne devrait pas être retourné, a amené le juge La Forest à conclure que lorsqu’il décide si un enfant doit être retourné, le tribunal ne devrait pas considérer l’« intérêt » de l’enfant de la même manière que dans le cadre d’une audience sur la garde.

À mon avis, les commentaires du juge La Forest signifient que la décision concernant le retour de l’enfant aux termes de l’art. 12 ne devrait pas tenir compte de la question du droit de garde. Cela explique pourquoi le critère de l’« intérêt » ne s’applique pas à la présente étape. L’intérêt présumé qui s’applique effectivement à la décision concernant le retour immédiat de l’enfant est celui qui est énoncé dans le préambule, à savoir l’intérêt de l’enfant en général de ne pas être déplacé illicitement de sa résidence habituelle.

Cependant, le juge La Forest ne dit pas que l’intérêt de l’enfant qui se trouve devant le tribunal n’est pas pertinent à toute fin prévue par la Convention de La Haye, y compris l’al. 13b). En effet, il est difficile de concevoir comment, aux termes de l’al. 13b), l’évaluation requise du risque, du danger ou du caractère intolérable d’une situation peut se faire sans tenir compte de l’intérêt et de la situation de l’enfant qui est visé par la procédure.

En l’espèce, le juge Beaulieu n’a pas tenu compte de la preuve relative à l’enfant qui se trouvait devant lui et, en agissant ainsi, il a commis une erreur. En déclarant que [traduction] « la preuve relative au danger ressortit habituellement au fond d’une audience sur la garde », le juge Beaulieu semble dire que la preuve relative au danger n’est pas pertinente lorsqu’il s’agit de décider si les critères de l’al. 13b) ont été satisfaits. Avec égards, je suis d’avis que cette conclusion est une mauvaise interprétation de l’arrêtThomson. Le juge La Forest a affirmé que le tribunal ne devrait pas se prononcer sur « le fond du droit de garde » avant qu’il soit décidé que l’enfant ne doit pas être retourné; il n’a pas dit que la preuve relative au danger n’était pas pertinente à l’analyse fondée sur l’al. 13b). En ne se préoccupant pas de la preuve relative au danger, le juge Beaulieu n’a pas pris en compte la preuve pertinente à l’évaluation qu’il était tenu de faire aux termes de l’al. 13b).

Puisque cette disposition renvoie expressément au risque de danger, la preuve d’un tel danger est tout à fait pertinente lorsqu’il s’agit d’évaluer si le retour de l’enfant à sa résidence habituelle l’exposerait vraisemblablement à un danger grave ou, de toute autre manière ne le placerait dans une situation intolérable. Une personne ne peut démontrer qu’un enfant ne doit pas être retourné en raison de l’existence d’un risque grave de danger physique ou psychique, à moins que la preuve de ce danger ne soit produite et qu’elle ne soit examinée par le tribunal chargé de décider si le critère prévu par l’al. 13b) a été satisfait

Évidemment, la preuve doit être digne de foi et doit en outre satisfaire au degré élevé de « risque grave » établi dans l’arrêt Thomson. Voilà qui est bien différent de la conclusion du juge Beaulieu selon laquelle la preuve relative au danger n’est admissible que dans le cadre d’une audience sur le droit de garde. Une telle interprétation a essentiellement pour conséquence de priver l’al. 13b) de son contenu.

Bien qu’un grand nombre de faits et d’allégations soient contestés dans la présente affaire, les faits qui suivent à l’appui des allégations de Reesa Pollastro au sujet de son mari ont été établis :

a) il a été violent verbalement et a fait des menaces à sa femme de même qu’à la famille et aux amis de celle-ci;

b) il a été violent envers elle, lui causant des blessures physiques;

c) il s’est comporté de façon insensée et irresponsable, durant et après leur cohabitation;

d) il a un problème de toxicomanie;

e) lorsqu’il devait prendre soin de Tyler, il a été imprévisible et irresponsable;

f) il a de la difficulté à maîtriser son humeur;

g) son hostilité envers sa femme est palpable.

Même si chaque affaire doit être jugée selon ses propres faits et que le fardeau de la preuve appartient à la personne qui s’oppose au retour de l’enfant, il me semble logique que le fait de retourner un enfant dans un milieu violent le place dans une situation fondamentalement intolérable et l’expose à un risque grave de danger physique et psychique.

Selon les faits de la présente affaire, les appels de menace traduisent une incapacité permanente de la part du père à maîtriser son humeur ou son hostilité. Cela signifie que la mère, qui accompagnerait forcément l’enfant si une ordonnance enjoignait le retour de celui-ci en Californie, retournerait à une situation dangereuse. Puisque la mère est la seule des deux parents à avoir démontré qu’elle était sérieuse et capable d’élever son enfant de façon responsable, l’intérêt de Tyler est inextricablement lié à la sécurité physique et psychologique de sa mère. Il est donc pertinent d’examiner si le retour de l’enfant en Californie le place dans une situation intolérable, de prendre en compte la sérieuse possibilité de danger physique et psychique auquel serait exposée la mère dont l’enfant dépend totalement.

La preuve a également démontré que le retour de Tyler en Californie représente un risque grave de l’exposer personnellement à un danger sérieux. L’hostilité, l’irresponsabilité et le comportement irrationnel du père sont constants. Même si John Pollastro n’a pas manifesté de violence physique envers son fils, il a été violent et a eu des accès de colère lorsque sa femme était avec l’enfant. À une occasion, par exemple, il a lancé du café chaud à sa femme, manquant de près leur enfant de sept mois qu’elle tenait dans ses bras.

Tyler est âgé d’à peine deux ans. Sa sécurité sera sérieusement menacée s’il est obligé de retourner à la situation explosive qui a amené sa mère à s’enfuir avec lui à la première occasion. Lui et sa mère seraient retirés de leur refuge familial au Canada et forcés de retourner en Californie ou il y a un risque de violence extrême. L’enfant serait exposé à une possibilité sérieuse de danger physique et psychique et, de plus, il existerait un risque grave de le placer dans une situation intolérable.

Je suis convaincu que Reesa Pollastro a satisfait au fardeau de la preuve prévu par l’al. 13b) et que l’enfant ne devrait donc pas être retourné en Californie.

Je suis d’avis d’accueillir l’appel, d’annuler la décision du juge Beaulieu et de rejeter la demande de John Pollastro avec dépens.

1. Version française réalisée par le Centre de traduction et de documentation juridiques (CTDJ) à l’Université d’Ottawa.