COUR D’APPEL DE L’ONTARIO
LES JUGES FELDMAN, MACPHERSON, et SHARPE, J.C.A.
ENTRE :
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
– et –
ALEXANDER GEORGE SWABY
appelant
))) Davis E. Harris pour l’appelant)))))) Brian McNeely pour l`intimée)))) Audience tenue le 8 juin 2001
En appel de la déclaration de culpabilité en date du 17 mars 2000 prononcée par le juge Hugh R. Locke, siégant avec jury, ainsi que de la sentence prononcée par ce même juge et datée de mai 2000.
LE JUGE SHARPE, JUGE D’APPEL
[1] Donnant suite à un indice confidentiel, les policiers ont suivi une voiture qui était conduite par l’appelant et dans laquelle prenait place William Johnson. La voiture s’est arrêtée et Johnson a couru jusqu’à une arrière-cour située à proximité. L’appelant a repris la route. Peu de temps après, les deux hommes ont été appréhendés. Les policiers ont trouvé une arme de poing chargée, non enregistrée et à autorisation restreinte dans l’arrière-cour en question.
[2] Johnson, le principal témoin de la Couronne au procès de l’appelant, a plaidé coupable à une accusation de possession d’une arme de poing. Pour cette infraction, Johnson a reçu une peine, déjà purgée, de 42 jours. Johnson avait un important casier judiciaire et faisait l’objet de procédures des services de l’immigration. L’appelant a subi un procès devant un juge et un jury. Dans l’acte d’accusation, huit chefs étaient portés. L’appelant a été trouvé coupable d’avoir pris place dans un véhicule tout en sachant qu’il s’y trouvait une arme à autorisation restreinte qui n’était pas enregistrée. Par contre, il a été acquitté de tous les autres chefs d’accusation qui pesaient contre lui.
[3] Dans le présent appel, deux questions principales sont soulevées. La première porte sur des questions du jury au juge concernant le moment à partir duquel l’appelant a été au courant de la présence de l’arme. Il s’agit de savoir si le juge du procès a correctement répondu à ces interrogations. La seconde question a trait à l’utilisation que le jury pouvait faire du casier judiciaire de Johnson afin d’évaluer sa crédibilité. Il s’agit de savoir si le juge aurait dû donner des directives au jury à ce sujet.
Les faits
[4] L’appelant faisait face à deux chefs d’accusation.Il était accusé de possession d’une arme à autorisation restreinte non enregistrée; de possession de munitions prohibées; de possession d’une arme dans un dessein dangereux pour la paix publique; d’avoir occupé un véhicule automobile où il savait se trouver une arme à autorisation restreinte pour laquelle aucun des occupants ne détenait de permis autorisant la possession; et de possession d’une arme à feu dont le numéro de série avait été maquillé. La seconde série de chefs d’accusation reposait sur l’allégation que, le jour suivant son arrestation, l’appelant avait proféré des menaces contre Johnson. Il a été accusé d’avoir tenté d’entraver le cours de la justice, d’avoir proféré des menaces de mort et d’avoir proféré des menaces de lésions corporelles.
[5] La preuve à charge de la Couronne résidait en grande partie sur le témoignage de Johnson. Il a témoigné que l’arme appartenait à l’appelant. Johnson a nié avoir connu son existence jusqu’au moment où lui-même et l’appelant se sont trouvés dans la voiture de celui-ci. Il a déclaré sous serment que, pendant le trajet, l’appelant s’était inquiété de l’attention que leur portaient les policiers. L’appelant a informé Johnson qu’il avait une arme. L’appelant a arrêté le véhicule, remis l’arme à Johnson et chargé Johnson d’en disposer dans l’arrière-cour.
[6] L’appelant a déposé qu’il ne connaissait pas l’existence de l’arme. Suivant son témoignage, Johnson était celui qui s’inquiétait de l’attention que portaient les policiers à la voiture. L’appelant croyait que Johnson aurait pu détenir des drogues illicites. Il aurait donc suivi les directives de Johnson quant à l’endroit où il devait se rendre, après quoi il aurait garé le véhicule à sa demande. Lorsque Johnson s’est enfui de la voiture, l’appelant est reparti. L’appelant a déclaré qu’il avait appris l’existence de l’arme après son arrestation, et pas avant.
[7] L’appelant a été acquitté de tous les chefs d’accusation qui pesaient contre lui, à une exception près : le fait d’avoir pris place dans un véhicule automobile tout en sachant qu’il s’y trouvait une arme à autorisation restreinte non enregistrée et qu’aucun des occupants ne détenait de permis qui en autorisât la possession. Déclaré coupable sous ce chef, l’appelant a été condamné à six mois de prison. Il interjette appel à la fois de la déclaration de culpabilité et de la sentence.
Les questions en litige
L’appelant soulève plusieurs motifs d’appel. À mon sens, nous n’avons à traiter que de deux de ces motifs :
(1)Le juge du procès a-t-il commis une erreur dans sa réponse aux questions du jury concernant l’accusation portée contre l’occupant du véhicule automobile ?
(2)Le juge du procès a-t-il commis une erreur en n’informant pas le jury que le casier judiciaire de Johnson pouvait être utilisé pour attaquer sa crédibilité ?
Analyse
Question 1: Le juge du procès a-t-il commis une erreur de fait dans sa réponse aux questions du jury concernant l’accusation portée contre l’occupant du véhicule automobile ?
[8] Le chef d’accusation dont l’appelant a été déclaré coupable repose sur le par. 91(3) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46 :
Est coupable :
a) soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans;
b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire,
quiconque occupe un véhicule automobile qu’il sait renfermer une arme à autorisation restreinte, à moins qu’un occupant du véhicule automobile ne soit titulaire d’un permis en vertu duquel il peut légalement avoir cette arme en sa possession dans ce véhicule ou qu’il n’établisse qu’il avait de bonnes raisons de croire qu’un occupant du véhicule était titulaire d’un tel permis.
[9] Le paragraphe qui précède a été abrogé peu de temps après l’incident visé par les chefs d’accusation en l’espèce. Les dispositions qui l’ont remplacé figurent à présent à l’article 94 duCode criminel (S.C. 1995, ch. 39, art.139). Le nouveau texte élimine la disposition du paragraphe 91(3) inversant le fardeau de la preuve, tout en édictant un nouveau moyen de défense. Voici le libellé de cette dernière disposition :
94(3) Le paragraphe (1) ne s’applique pas à l’occupant du véhicule automobile qui, se rendant compte de la présence de l’arme à feu, de l’arme prohibée, de l’arme à autorisation restreinte, du dispositif prohibé ou des munitions prohibées dans le véhicule automobile, quitte le véhicule ou tente de le faire dès que les circonstances le permettent.
[10] Dans ses directives au jury, le juge du procès n’a traité que très brièvement du chef d’accusation en question.Il a lu le texte du paragraphe 91(3) au jury et lui a dit que le chef [TRADUCTION] « prétend que M. Swaby était en possession de la même arme alors qu’il occupait un véhicule automobile ». Les parties s’entendent pour dire que cette directive était incorrecte et que, en réalité, elle a joué en faveur de l’appelant, la possession n’étant pas un élément nécessaire de l’infraction prévue au paragraphe 91(3).
[11] Après plusieurs heures de délibérations, le jury a posé la question suivante : [TRADUCTION] « En ce qui concerne le chef d’accusation numéro 3 [l’infraction prévue au paragraphe 91(3)], pourriez-vous nous expliquer les paramètres temporels qui régissent la conscience qu’il y a une arme ». Le juge du procès ayant lu la question en présence du jury, le président du jury lui a donné les explications suivantes à son sujet : [TRADUCTION] « C’est vrai, notre formulation est maladroite; mais, fondamentalement, nous cherchons à connaître le temps durant lequel une personne doit détenir une chose pour être considérée comme l’ayant en sa possession ou pour être consciente de son existence ».
[12] Pour répondre à la question du jury, le juge du procès lui a lu le chef de l’acte d’accusation qui était visé, pour ensuite lui relire le par. 91(3). Le juge a ensuite formulé la directive suivante : [TRADUCTION] « À la lumière de la preuve présentée, et en appliquant la norme que je vous ai mentionnée, vous devez être convaincus que M. Swaby était au courant de l’existence de l’arme alors que lui et M. Johnson occupaient le véhicule en question ».
[13] Le président du jury a poursuivi son propos, déclarant ce qui suit : [TRADUCTION] « Toute autre explication que vous pouvez nous fournir sera très utile. » Le juge du procès a répondu qu’aucune autre explication ne lui venait à l’esprit, mais il a indiqué que, s’il était besoin d’une clarification additionnelle, le jury pourrait poser une autre question après s’être retiré.
[14] Le président a poussé encore plus avant son interrogation : [TRADUCTION]« Alors, le facteur temps n’est pas nécessairement à ce point crucial ? » Le juge du procès a répondu à cette interrogation de la façon suivante : [TRADUCTION]« Il doit être au courant de l’existence de l’arme. Vous devez acquérir la conviction voulue à partir de l’ensemble de la preuve que vous avez entendue tout au long du procès. Cela dit, en ce qui a trait plus précisément à la question que vous avez posée, la Couronne doit être en mesure de prouver que M. Swaby était au courant de l’existence de cette arme alors que lui et M. Johnson occupaient ce véhicule. »
[15] Le jury s’est retiré et l’avocat de l’appelant a formulé une objection à l’encontre de la réponse du juge du procès. Selon cet avocat, le jury [TRADUCTION] « doit aussi être informé que, si M. Swaby s’est rendu compte de l’existence de l’arme après être monté à bord du véhicule avec M. Johnson, le jury peut seulement conclure à sa possession d’une arme si M. Swaby a accepté ou consenti à la présence de l’arme dans le véhicule ». Le juge du procès a indiqué qu’il n’était pas en désaccord avec cette affirmation mais qu’il avait l’habitude [TRADUCTION] « de répondre aux questions des jurés et d’éviter de leur mettre en tête d’autres questions auxquelles ils n’avaient jamais pensé ». Le juge a refusé de fournir d’autres directives. Peu de temps après, le jury est revenu avec son verdict.
[16] À mon sens, le juge du procès a commis une erreur en ne répondant pas plus complètement qu’il ne l’a fait aux questions du jury. À la lumière des questions posées, le jury était préoccupé par le moment où l’appelant s’était rendu compte de l’existence de l’arme. Selon le témoignage de l’appelant, l’appelant a seulement appris la présence de l’arme après son arrestation. Par contre, les éléments de preuve dont disposait le jury donnaient certainement ouverture à une autre conclusion. En se fondant sur ceux-ci, l’on pouvait conclure que l’appelant s’était rendu compte de l’existence de l’arme quelque temps après que lui et Johnson eurent entrepris leur trajet dans le véhicule de l’appelant.
[17] Pour établir la culpabilité sous ce chef, la Couronne devait démontrer la coïncidence des deux éléments essentiels de l’infraction définie par le paragraphe 91(3). L’appelant devait à la fois avoir été un occupant du véhicule et avoir connu l’existence de l’arme. À mon avis, une autre preuve était implicitement exigée de la Couronne. Si elle devait prouver une coïncidence entre la présence de l’appelant dans le véhicule et sa conscience qu’il s’y trouvait une arme, elle devait aussi établir que cette coïncidence était attribuable à une conduite volontaire, ou à l’équivalent d’une conduite volontaire, de la part de celui-ci. Même si le texte législatif en vertu duquel l’appelant a été accusé ne prévoyait pas de défense explicite comme en prévoit le par. 94(3) actuel, ce texte doit être interprété de façon à exclure la possibilité d’une déclaration de culpabilité pour un acte, à toutes fins pratiques, involontaire.
[18] La conduite volontaire est un élément essentiel de la responsabilité pénale: voir A.W. Mewett & M. Manning, Mewett & Manning on Criminal Law, 3e éd. (Butterworths: Toronto, 1994), pages 129 à 132; Glanville Williams, Textbook on Criminal Law, 2eéd. (Stevens & Sons: London, 1983), pages 146 à 154. L’exigence de la conduite volontaire s’applique même si la disposition créant l’infraction ne la pose pas expressément : voir Stuart, CanadianCriminal Law: A Treatise, 3e éd. (Carswell: Toronto, 1995) à la page 94 : [TRADUCTION] « Dans le Code,il n’y a pas de stipulation générale portant que l’acte coupable doit être volontaire. Cette exigence est le fruit de la réflexion judiciaire […] ». Tel que l’a expliqué le juge McLachlin dans l’affaire R. c. Théroux, (1993), 79 C.C.C. (3d) 449, à la page 458, 1993 CanLII 134 (S.C.C.), [1993] 2 R.C.S. 5 : « […] pour qu’il y ait actus reus, l’acte de l’accusé doit être volontaire. »
[19] Si une personne se rend compte de la présence d’une arme illégale pendant qu’elle se trouve dans un véhicule en mouvement, la loi ne peut certainement pas lui imputer une responsabilité criminelle sur-le-champ. Après qu’elle a pris connaissance de cette situation, une certaine période de temps, si courte soit-elle, doit lui être allouée pour y faire face. Si un passager informe le conducteur qu’il a une arme dans le véhicule, le conducteur ne saurait devenir immédiatement coupable. Si le conducteur décide d’arrêter le véhicule sur-le-champ et d’ordonner au passager de descendre, le conducteur a connu l’existence de l’arme tout en occupant le véhicule, mais il a fait tout ce que la loi exige de lui. Dans un tel cas, la présence du conducteur dans le véhicule a coïncidé avec sa conscience qu’il s’y trouve une arme; par contre, la coïncidence entre cette conscience et cette occupation ne saurait constituer une conduite volontaire de la part du conducteur. Ce qui compte, c’est le comportement du conducteur après la coïncidence entre son occupation et sa prise de connaissance. S’il exerce la diligence voulue soit pour sortir du véhicule, soit pour en sortir l’arme, il n’y a aucun acte volontaire qui, en vertu du droit criminel, puisse donner lieu à punition.
[20] Ainsi, à mon sens, si l’appelant a appris la présence de l’arme alors que le véhicule était en mouvement, il doit bénéficier d’une possibilité raisonnable, soit de sortir du véhicule, soit de voir à ce que l’arme en soit retirée. Et si l’appelant a seulement appris la présence de l’arme au moment où Johnson est descendu du véhicule, il a droit à un acquittement.
[21] La Couronne nie une « apparence de vraisemblance » à une défense sur ce point. Je rejette cet argument. Passons à un autre argument de la Couronne. Selon la Couronne, l’appelant ayant nié avoir eu connaissance de l’existence de l’arme, il n’avait pas le droit d’insister pour que le jury reçoive des réponses complètes à ses questions. Je rejette également cet argument.L’appelant a effectivement donné ouverture à un questionnement sur sa connaissance de la présence de l’arme. Le jury pouvait certainement, d’une part, rejeter la déclaration de l’appelant selon laquelle il n’était pas au courant de la présence de l’arme, et, d’autre part, conclure qu’il s’était seulement rendu compte de sa présence dans le véhicule quelque temps après avoir entrepris le trajet avec Johnson. À l’examen du verdict du jury concernant les autres chefs d’accusation, l’on constate que le jury n’a pas cru Johnson lorsqu’il a déclaré que l’arme appartenait à l’appelant. Si l’on suppose que le jury ne pouvait prononcer un acquittement qu’en se fondant précisément sur le témoignage de l’appelant, l’on doit aussi considérer que le jury ne pouvait prononcer un verdict de culpabilité qu’en se fondant précisément sur le témoignage de Johnson. Or, ce n’est simplement pas le cas. Le jury, comme il était en droit de le faire, n’a cru ni Johnson ni l’appelant. Même si le jury ne l’a pas cru, l’appelant avait droit à une réponse complète aux questions très précises du jury quant au moment où il a appris l’existence de l’arme. Après s’être fait dire que, [TRADUCTION] « [à] la lumière de la preuve présentée, […] vous devez être convaincus que M. Swaby était au courant de l’existence de l’arme alors que lui et M. Johnson occupaient le véhicule en question […] »,le président du jury a insisté pour obtenir des éléments qui l’aident davantage. Le jury s’est montré précis et persistant dans ses questions sur le moment où l’appelant a appris la présence de l’arme. Ces questions indiquent que le jury voulait des directives sur les principes de droit à appliquer s’il concluait que l’appelant avait appris l’existence de l’arme après avoir pris place dans le véhicule avec Johnson. De plus, même si elles étaient exprimées en des termes profanes, les questions du jury démontrent que, instinctivement, le jury était sensibilisé au problème du caractère volontaire dont je viens de discuter. Le jury avait besoin d’aide sur ce point et il en a demandé, mais ses questions n’ont pas reçu des réponses complètes de la part du juge du procès.
[22] Dans la situation en l’espèce, je suis d’avis que l’appelant avait droit à ce que le juge du procès explique les éléments nécessaires de l’infraction plus amplement qu’il ne l’a fait et expose de façon plus complète les circonstances qui entraîneraient une déclaration de culpabilité dans le cas où l’appelant n’aurait appris la présence de l’arme qu’après la mise en route du véhicule. Selon le juge du procès, une telle explication aurait débordé les questions du jury. En toute déférence, je ne partage pas cette opinion. Au contraire, en examinant la formulation de la question posée par le jury ainsi que les maintes tentatives de son président pour obtenir de plus amples explications, l’on note que le jury avait besoin d’aide sur ce point. L’importance qui doit être accordée aux questions du jury et la nécessité de répondre de façon correcte et complète à ses questions sont bien établies. Le passage suivant des motifs du juge Cory dans R. c. S (W.D.), 1994 CanLII 76 (S.C.C.), (1994), 93 C.C.C. (3d) 1, à la page 8, 1994 CanLII 76 (S.C.C.), [1994] 3 R.C.S. 521, à la page 530, s’applique en l’espèce :
Il n’y a pas de doute possible quant à l’importance qu’il faut accorder aux questions posées par le jury et à l’importance fondamentale de répondre de façon correcte et complète à ces questions. Par sa question, le jury a indiqué les points sur lesquels il a besoin de directives. C’est sur ce point-là qu’il s’est concentré. Quelque exemplaire qu’ait pu être l’exposé original, il est essentiel que l’exposé supplémentaire sur le point soulevé par la question soit correct et complet. Rien de moins ne suffira. Le jury a dit en fait qu’il existe une certaine confusion sur ce point et qu’il a besoin d’aide. Il faut fournir cette aide.
[23] À mon avis, cette erreur est fatale à la déclaration de culpabilité, et celle-ci doit être annulée.
Question 2:Le juge du procès a-t-il commis une erreur en n’informant pas le jury que le casier judiciaire de Johnson pouvait être utilisé pour attaquer sa crédibilité?
[24] Le casier judiciaire existant de Johnson comportait des déclarations de culpabilité pour avoir omis de respecter les termes d’un engagement, pour entrave à la justice et pour voies de fait. L’avocat de la Couronne a introduit le casier judiciaire de Johnson lors de l’interrogatoire principal. Lorsqu’il a été contre-interrogé, Johnson a fait valoir des excuses pour chaque condamnation.
[25] D’autres facteurs étaient pertinents à la crédibilité de Johnson. Au nombre de ceux-ci figuraient les allégations suivantes : son statut auprès des services d’immigration était irrégulier et serait encore davantage mis en péril par son implication avec des armes illégales; il jetait le blâme de l’arme sur l’appelant après que son plaidoyer de culpabilité lui eut valu une sentence exceptionnellement clémente. Lorsqu’il a donné ses directives au jury, le juge du procès n’a pas fait la mise en garde prescrite dansVetrovec. De plus, il n’a pas mentionné l’utilisation qui pouvait être faite du casier judiciaire de Johnson.L’avocat de l’appelant a formulé une objection relativement à cette omission. Le juge du procès lui a répondu à la fois qu’il avait délibérément omis de formuler la directive en question et qu’il n’énoncerait aucune autre directive sur ce point.
[26] Les tribunaux ont décidé que les juges de procès ont un pouvoir discrétionnaire considérable pour déterminer si et, dans l’affirmative, comment des directives doivent être communiquées aux jurés en cette matière. Cependant, le pouvoir discrétionnaire n’est pas absolu et, dans certains cas, son exercice peut être porté en appel : R. c. Bevan, 1993 CanLII 101 (S.C.C.), (1993), 82 C.C.C. (3d) 310, [1993] 2 R.C.S. 599; R. c. Brooks, 2000 SCC 11 (CanLII), (2000), 141 C.C.C. (3d) 321, [2000] 1 R.C.S. 237.
[27] À mon avis, le juge du procès a commis une erreur en omettant de fournir des directives au jury sur l’utilisation qui aurait pu être faite du casier judiciaire de Johnson. Johnson constituait un témoin crucial pour la Couronne. L’appelant a contesté la version que Johnson a donnée de l’incident. De plus, la crédibilité de Johnson a été non seulement vigoureusement attaquée, mais encore affaiblie par les facteurs que j’ai mentionnés plus tôt. Il est difficile de justifier que les directives habituelles sur ce point n’aient pas été formulées.
[28] Dans le but de justifier son refus de donner les directives habituelles, l’intimée a fait valoir que Johnson avait effectivement expliqué ses condamnations et leur portée dans un contre-interrogatoire. Je n’adhère pas à cette affirmation. Selon moi, il n’est pas du tout évident que ses explications auraient convaincu le jury. En fait, il est très probable que le jury aurait douté encore plus de la véracité de sa version des faits à la suite de ses affirmations concernant son casier judiciaire. Le jury avait droit aux directives habituelles selon lesquelles les condamnations de Johnson pouvaient être prises en considération dans l’évaluation de sa crédibilité.
[29] En conséquence, j’accueillerais aussi ce moyen d’appel.
Autres motifs d’appel
[30] L’appelant soulève plusieurs autres motifs d’appel. Compte tenu de la conclusion à laquelle je suis déjà parvenu, il est inutile que j’en traite. Ceci dit, l’appelant fait notamment valoir que la disposition selon laquelle il a été accusé a été déclarée contraire à la Charte des droits et libertés plusieurs mois avant son procès dans R. v. Phillips and Williams, (1996), 108 C.C.C. (3d) 514, 138 D.L.R. (4th) 121 (C. Ont., Div. gén.). L’appelant n’a pas soulevé cette question au procès. Quoi qu’il en soit, je ne formule pas d’opinion quant à la constitutionnalité de l’ancien par. 91(3). Je suis d’avis d’ordonner la tenue d’un nouveau procès, et l’appelant pourra y soulever la question s’il le juge indiqué.
Conclusion
[31] Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis d’accueillir l’appel, d’annuler la déclaration de culpabilité et d’ordonner la tenue d’un nouveau procès.
« Robert J. Sharpe,J.C.A.»
« Je souscris aux motifs ci-dessus. K. Feldman,J.C.A. »
Motifs prononcés le 21 juin 2001
LE JUGE MACPHERSON, J.C.A. (dissident) :
[32] J’ai eu le bénéfice de lire l’ébauche des motifs de mon collègue le juge d’appel Sharpe. Selon le juge Sharpe, l’appel devrait être accueilli et un nouveau procès devrait être ordonné. La décision proposée par le juge Sharpe est établie sur deux fondements : (1) le juge du procès a répondu erronément aux questions du jury visant la seule infraction de l’acte d’accusation ― comportant huit chefs ― pour laquelle il a été condamné; (2) le juge du procès a commis une erreur en omettant de déclarer au jury, comme directive, que le casier judiciaire du témoin principal de la Couronne pouvait être utilisé pour mettre en doute sa crédibilité.
[33] En toute déférence, je ne suis pas d’avis que le juge du procès ait commis une erreur sur aucun de ces points. Mon collègue ayant fourni une description complète et précise des faits pertinents, je peux exposer avec brièveté les motifs pour lesquels je suis en désaccord avec lui.
(1) Les questions du jury
[34] Johnson, le principal témoin de la Couronne, a témoigné que l’arme appartenait à l’appelant. Il est clair que le jury ne l’a pas cru ou qu’il avait une raison de douter de son témoignage. À preuve, il a acquitté l’appelant de plusieurs chefs d’accusation relatifs à lapossession de l’arme et de munitions.
[35] Suivant le témoignage de l’appelant, en aucun temps avant le dépôt des chefs d’accusation il n’avait su qu’une arme se trouvait dans sa voiture. Malgré cette assertion, l’appelant prétend maintenant que le juge du procès aurait dû donner une réponse développée aux questions posées par le jury. Selon l’appelant, cette réponse aurait dû inclure une directive concernant un certain scénario pour lequel il n’existait pas d’éléments de preuve. Ce scénario voudrait que, à un moment donné pendant qu’ils étaient dans la voiture, l’appelant se soit rendu compte que Johnson détenait une arme. Le juge du procès a répondu aux questions du jury en fonction des éléments de preuve que celui-ci avait entendus. Dans un tel contexte, je ne considère pas que le juge du procès ait commis une erreur :
[TRADUCTION]
Il doit être au courant de l’existence de l’arme. Vous devez acquérir la conviction voulue à partir de l’ensemble de la preuve que vous avez entendue tout au long du procès. Ceci dit, en ce qui a trait plus précisément à la question que vous avez posée, la Couronne doit être en mesure de prouver que M. Swaby était au courant de l’existence de cette arme alors que lui et M. Johnson occupaient ce véhicule.
À mon avis, la réponse qui précède était, d’une part, précise, et, d’autre part, appropriée compte tenu des éléments de preuve ― particulièrement, la position de l’appelant lors du procès ― dont le jury disposait.
(2) L’omission de fournir les directives nécessaires sur le casier judiciaire du témoin principal de la Couronne
[36] Le juge du procès n’a offert aucune directive sur l’utilisation possible du casier judiciaire existant Johnson. Lorsque l’avocat de la Couronne a formulé une objection à ce sujet, le juge du procès a affirmé que cette omission était intentionnelle. Comme l’a énoncé mon collègue, des tribunaux d’appel ont jugé que les juges de procès détiennent un pouvoir discrétionnaire considérable lorsqu’il s’agit de déterminer s’ils doivent fournir des directives aux jurys et de déterminer la teneur de telles directives.
[37] Je ne suis pas prêt à interférer avec l’exercice d’un tel pouvoir discrétionnaire par le juge du procès dans la présente affaire. Si je refuse d’intervenir, c’est principalement en raison des verdicts mêmes prononcés par le jury. Les jurés ont acquitté l’accusé de sept infractions importantes, infractions qui avaient trait à la possession d’armes à autorisation restreinte et à la formulation de menaces de mort contre Johnson. Ces acquittements résultent forcément d’un rejet catégorique du témoignage de Johnson ou du fait que les jurés entretenaient des doutes raisonnables concernant celui-ci. En résumé, les sept acquittements démontrent que le jury a conclu à la non-crédibilité de Johnson en tant que témoin. Conséquemment, l’appelant n’a subi aucun préjudice à la suite de l’omission d’instruire le jury sur la façon dont il aurait pu utiliser le casier judiciaire de Johnson pour évaluer sa crédibilité. Si l’appelant a été déclaré coupable relativement au huitième chef d’accusation ― le moins important de tous ―, c’est probablement parce que le jury a rejeté son témoignage (selon lequel il n’était pas au courant de la présence de l’arme dans la voiture) et parce que, indépendamment du témoignage de Johnson, le jury a accepté des éléments de preuve le portant à une telle conclusion.
DÉCISION
[38] Par souci d’exhaustivité, j’indiquerais que je considère sans fondement les six autres motifs d’appel soulevés par l’appelant relativement à sa condamnation. De plus, je n’accueillerais pas l’appel relatif à la sentence. En conséquence, je suis d’avis de rejeter l’appel.
« J. C. MacPherson,J.C.A. »