Taylor c. Taylor (2002), 60 O.R. (3d) 138 (C.A.)

  • Dossier : C36989
  • Date : 2024

COUR D’APPEL DE L’ONTARIO

 

Les juges d’appel ABELLA, CHARRON et CRONK.

 

 

ENTRE :

 

CHRISTINE MARY TAYLOR

 

Appelante

 

– et –

 

MICHAEL DOUGLAS TAYLOR 

 

Intimé

 

))) Anthony T. Keller, pour l’appelante)) Jarvis W. Postnikoff, pour) Gary L. Petker, ancien avocat de) l’appelante)) Julia Viva, pour le Bureau des) obligations familiales)

Audience : le 11 mars 2002

 

 

 

En appel d’une ordonnance du juge William J. Festeryga datée du 30 août 2001.

 

 

Le juge d’appel Abella :

 

 

[1] Christine Mary Taylor était requérante dans une procédure de divorce. Elle doit un montant substantiel à son avocat pour des années de services juridiques. Après le prononcé du jugement, son avocat a obtenu une ordonnance de sûreté en vertu du paragraphe 34(1) de la Loi sur les procureurs, L.R.O. 1990, chap. S.15. La sûreté obtenue grevait tous les montants qu’elle devait recevoir par suite de ce jugement. Dans le présent appel, nous devons déterminer si une telle ordonnance peut s’appliquer à la pension alimentaire à l’époux.

 

FAITS

[2] Me Gary L. Petker a représenté Mme Taylor dans une instance de divorce longue et acrimonieuse, qui s’est étendue de 1996 à 2001. Durant cette période, il a facturé un total de 145 404,25 $ en honoraires d’avocat. Reconnaissant que l’échec du mariage de Mme Taylor l’avait laissée dans une situation financière précaire, Me Petcker a consenti à continuer à la représenter, à condition qu’elle fasse certains efforts pour payer ses honoraires et débours au fil du litige. Il a avisé Mme Taylor que tous les honoraires d’avocat devraient être payés un jour, quelle que soit l’issue du procès. Au 21 août 2001, date à laquelle Me Petker a cessé d’agir pour Mme Taylor, elle lui devait encore 112 619,21 $.

[3] Dans le jugement de divorce, qui était daté des 7 mars et 12 juin 2001, le juge Whitten a accordé 3 500 $ par mois à Mme Taylor à titre de pension alimentaire à l’époux. Ces versements devaient commencer le 9 octobre 1996. S’y ajoutaient des arrérages, et en étaient soustraites certaines déductions, au titre d’une pension alimentaire aux enfants, se rapportant à des montants dus par Mme Taylor à M. Taylor. Selon un calcul conjoint des avocats des parties, les arrérages de pension alimentaire à l’époux dus à Mme Taylor s’élevaient, au total, à 69 241,77 $ à la date du jugement.

[4] Mme Taylor s’est également vu accorder un paiement d’égalisation de 273 802,79 $; les dépens sur la base procureur-client, plus une prime de 10 pour cent; ainsi que des dépens au montant de 10 348,88 $ pour les honoraires de l’expert-comptable qui avait témoigné durant l’instance de divorce.

[5] Dans son jugement, le juge Whitten a souligné la qualité du travail accompli par Me Petker pendant les 15 jours du procès. Sauf pour ses dispositions sur la pension alimentaire à l’époux et les arriérés de pension alimentaire à l’époux, le jugement de première instance est actuellement porté en appel.

[6] Les arrérages de pension alimentaire à l’époux ont été envoyés au bureau de Me Petker le 25 juin 2001. Me Petker les a déposés dans son compte en fiducie plutôt qu’au Bureau des obligations familiales. S’il a agi ainsi, c’est que, de façon répétée, le Bureau avait échoué à exécuter la disposition judiciaire sur la pension alimentaire à l’époux contre M. Taylor. Me Petker s’est engagé à garder les fonds en fiducie jusqu’à ce que Mme Taylor remette une quittance à l’avocat de M. Taylor relativement aux arrérages de la pension alimentaire.

[7] Le 26 juin 2001, Me Petker a téléphoné à Mme Taylor pour l’informer de l’arrivée du chèque et pour organiser une rencontre. Il voulait qu’elle y signe la quittance et qu’ils discutent de la portion des fonds versés qui serait affectée à ses honoraires d’avocat. Au cours de cette conversation, Mme Taylor a indiqué qu’elle souhaitait également acquitter les honoraires du comptable sur cette somme.

[8] Le 13 juillet 2001, Mme Taylor a envoyé une lettre à MePetker. Dans cette lettre, elle affirmait ce qui suit :

[TRADUCTION]

Comme vous l’avez suggéré, il serait opportun que nous nous rencontrions et que nous signions les documents à signer, y compris ceux qui se rapportent au paiement de vos honoraires et de ceux de Mike Johnson [l’expert-comptable]. À ce point-ci, je ne connais pas le montant exact du chèque remis à votre bureau; mais j’ai fait mes calculs en estimant ce chèque à 69 000 $. Toutefois, je crois être au courant du montant de mes dettes. J’ai l’intention d’acquitter la facture de Mike Johnson ainsi que les intérêts qui s’y rapportent […]

[…]

J’ai peut-être mal estimé ma dette envers vous et je m’en excuse. En lisant les documents, j’avais compris que Mike Taylor allait devoir payer tous les honoraires d’avocat à partir de 1999. (En raison du temps excessif consacré à Mike Taylor) je disposerai du temps voulu pour examiner mes relevés de comptes durant les vacances.

[…]

Gary, je souhaite régler cette situation et en arriver à un montant qui soit satisfaisant pour vous comme pour moi. Sachez également que j’apprécie tout effort de votre part pour clore ce dossier aussitôt que possible.

 

[9] Le 18 juillet 2001, Me Petker a envoyé une lettre à Mme Taylor. Il y confirmait qu’il avait payé le comptable. De plus, il y suggérait que sur le solde du compte en fiducie soit prélevé un montant de 30 000 $, qui lui soit versé en paiement partiel de sa créance. Il a transféré 10 000 $ dans son compte général. S’il croyait avoir le droit de se transférer ces fonds, c’était que, d’une part, il avait présenté des comptes intermédiaires à Mme Taylor et que, d’autre part, il avait reçu une autorisation signée – perdue depuis – de Mme Taylor à cet égard.

[10] Le 26 juillet 2001, Mme Taylor a rencontré Me Petker. Elle voulait que le reste de l’argent (après la déduction des 10 000 $ déjà transférés) lui soit payé à elle. Selon Mme Taylor, ce n’était pas à elle mais à M. Taylor de payer la totalité de ses honoraires d’avocat et de ses débours. Le jugement sur le partage des biens que Me Petker avait obtenu pour Mme Taylor était alors suspendu en attendant l’issue de l’appel de M. Taylor sur le paiement d’égalisation ordonné. Me Petker avait déployé des efforts considérables pour le compte de Mme Taylor, et il a considéré que, à la lumière de cette suspension, il était fort inquiétant que Mme Taylor refuse de le payer. Me Petker a estimé la situation suffisamment préoccupante pour suggérer à Mme Taylor de consulter un autre avocat sur la question.

[11] En dépit de leur différend sur la question des honoraires, MePetker a continué à représenter Mme Taylor. Lors de la rencontre du 26 juillet 2001, Mme Taylor a informé Me Petker qu’elle avait des raisons de croire que M. Taylor avait mis sa maison en vente. MePetker lui a demandé d’en obtenir la preuve, puis il a prévu une date pour régler la question relative au jugement de divorce. Le jour suivant, il a quitté le bureau pour prendre des vacances.

[12] Me Petker est revenu de vacances le 13 août 2001. À son retour, il a pris connaissance d’une lettre d’avocat datée du 2 août 2001. Signée par Me Anthony T. Keller, cette lettre faisait état d’allégations de violation de fiducie formulées par Mme Taylor à son endroit. La lettre exigeait que Me Petker remette les fonds de son compte en fiducie au Bureau des obligations familiales et qu’il entreprenne de faire liquider ses dépens contre M. Taylor. Me Keller affirmait également que Mme Taylor souhaitait que Me Petker continue à la représenter.

[13] Dans sa réponse à la lettre, Me Petker a entrepris d’en corriger des éléments qu’il jugeait inexacts – il y en avait plusieurs. MePetker a aussi posé des conditions pour continuer à représenter Mme Taylor. Parmi celles-ci : une reconnaissance de Mme Taylor que ses honoraires étaient payables au moment où les comptes lui ont été remis; l’affectation de 35 000 $ à son compte d’honoraires; et une confirmation écrite qu’elle avait autorisé le paiement du comptable. Le reste de l’argent devait être payé à Mme Taylor.

[14] Le 14 août 2001, Me Petker a comparu devant le tribunal pour régler les questions relatives au procès et au jugement de divorce. Le 16 août 2001, Me Keller a informé Me Petker qu’il lui ferait parvenir un avis de constitution d’un nouvel avocat et qu’il représenterait ensuite Mme Taylor. Mme Taylor n’a pas fourni à MePetker la reconnaissance et l’autorisation demandées.

[15] Dans sa correspondance avec Me Keller, le nouvel avocat de Mme Taylor, Me Petker a mis de côté son différend avec son ancienne cliente et a prodigué des conseils sur la manière de faire valoir les intérêts de Mme Taylor.

[16] Le 23 août 2001, Mme Taylor a déposé une motion contre MePetker. Dans cette motion, Mme Taylor demandait que les arrérages de pension alimentaire à l’époux lui soient payés ou, subsidiairement, soient payés au Bureau des obligations familiales; que Me Petker remette son dossier à Me Keller; et qu’il soit ordonné à Me Petker de préparer une évaluation des dépens procureur-client et de la faire signifier à M. Taylor.

[17] Me Petker a déposé une motion incidente. Me Petker y réclamait un privilège sur les fonds qu’il détenait en fiducie et une autre ordonnance lui accordant une sûreté quant à toutes les créances qui devaient être payées en vertu du jugement du divorce. M. Taylor a également déposé une motion incidente en vue d’obtenir une ordonnance déclaratoire. L’ordonnance demandée devait porter que, en remettant le chèque de 69 241,77 $, Me Petker s’était acquitté de son obligation relative aux arrérages de pension alimentaire à l’époux.

[18] Le 23 août 2001, le juge Festeryga a ordonné que tous les arrérages de pension alimentaire à l’époux soient payés au Bureau des obligations familiales et que Me Petker remette son dossier à Me Keller. Le juge Festeryga a également accueilli la motion incidente de M. Taylor.

[19] Dans une ordonnance en date du 30 août 2001, le juge Festeryga a accordé une sûreté à Me Petker. Cette sûreté grevaittous les montants recevables par Mme Taylor en vertu du jugement de divorce, y compris les montants détenus par le Bureau des obligations familiales et toutes autres créances. Cette sûreté aurait cours jusqu’à l’acquittement du compte d’honoraires pour services rendus. Le juge a statué que le terme « property » (« biens ») de l’art. 34 de la Loi sur les procureurs devait être interprété de la façon la plus large possible. Ce terme devait inclure tout élément – quelle qu’en soit la forme – pouvant être recouvré au profit d’un client dans le cadre d’une action en justice ou d’une instance.

[20] Le Bureau des obligations familiales a payé 69 241,77 $ à Mme Taylor. Le 29 août 2001, Mme Taylor a également reçu une part de 150 000 $ du paiement d’égalisation, dont le total s’élevait à 273 802,79 $. Ce versement a été fait en application d’une ordonnance rendue en son cabinet par le juge Simmons, de la Cour d’appel. Cette ordonnance levait, en partie, le sursis d’exécution du jugement de divorce pendant l’appel.

[21] Mme Taylor gagne un revenu d’emploi annuel de 26 000 $. De plus, elle reçoit régulièrement des paiements de pension alimentaire à l’époux, conformément au jugement de divorce.

[22] Me Petker n’a reçu aucun autre paiement de Mme Taylor. Lui sont encore dus les honoraires de l’expert-comptable, payés sur son compte général, ainsi que les quelque 112 000 $ que lui doit encore Mme Taylor. 

[23] Mme Taylor refuse de reconnaître qu’elle doit payer ses honoraires d’avocat. Dans sa motion, infructueuse, du 23 août 2001, elle suggérait plutôt que Me Petker devait collecter ces honoraires auprès de M. Taylor. Mme Taylor n’ayant pas appelé de cette conclusion, je considère qu’il est inapproprié de réexaminer, ainsi qu’elle nous le demande, cette question dans le cadre du présent appel.

 

ANALYSE

[24] J’imagine bien la frustration que doit éprouver Me Petker. Pour accommoder sa cliente financièrement, il a reporté le paiement de ses honoraires en attendant l’issue d’une instance de divorce pénible; avec pour résultat de voir sa cliente retenir déraisonnablement tout paiement qu’elle lui doit, et ce, en dépit des avantages que sa cliente a récoltés grâce à ses services – d’ailleurs qualifiés d’exemplaires par le juge du procès.

[25] Sur le plan professionnel, Me Petker a agi au mieux des intérêts de Mme Taylor pendant cinq ans. Il a financé un litige acrimonieux, prolongé principalement par la conduite de M. Taylor. Et Me Petker n’a reçu qu’une compensation relativement faible de sa cliente, même si le juge Whitten avait souligné la valeur de ses services en lui accordant une prime sur les dépens procureur-client. Me Petker n’a pas reçu de paiement de Mme Taylor depuis plus d’un an.

[26] Si Me Petker suscite ma sympathie, il n’a pas celle de la loi. Considérant la loi comme la politique gouvernementale, je suis d’avis que les tribunaux ne devraient pas prononcer de disposition grevant d’une sûreté des paiements de pension alimentaire.

[27] Le pouvoir de rendre une ordonnance accordant une sûreté découle de l’art. 34 de la Loi sur les procureurs, qui prévoit ce qui suit :

34(1) Lorsque les services d’un procureur ont été retenus à titre de poursuivant ou de défendeur dans une instance devant la Cour de l’Ontario (Division générale), la Cour peut, sur motion, déclarer le procureur titulaire d’une sûreté sur les biens recouvrés ou conservés par l’entremise du procureur, en garantie de ses honoraires, dépens, frais et débours dans l’instance.

(2) À moins qu’elle ne soit consentie à la personne qui a acheté les biens contre valeur, de bonne foi, et qui n’a pas connaissance de la sûreté, la cession faite pour repousser la sûreté visée au paragraphe (1) ou pouvant avoir cet effet est nulle à l’égard de la sûreté.

(3) La Cour peut ordonner la liquidation conformément à la présente loi du mémoire du procureur pour les services rendus et le prélèvement de la somme à payer sur les biens grevés d’une sûreté.

[28] Cet article codifie une compétence reconnue par l’equity. Le tribunal est habilité à grever le produit d’un jugement d’une sûreté s’il semble y avoir de bonnes raisons de croire que, en l’absence d’une sûreté, le procureur serait privé de ses dépens (Siskind, Cromarty, Ivey and Dowler v. Ross, Bennett & Lake, [1994] O.J. No 1807). L’ordonnance est discrétionnaire et peut être rendue à l’égard du [TRADUCTION] « produit d’une procédure judiciaire » lorsque des biens meubles ou immeubles ont été recouvrés ou préservés grâce aux efforts d’un procureur dans le cadre d’une procédure judiciaire. (Voir Foley v. Davis (1996), 49 C.P.C. (3d) 201 (C.A. Ont.), à la page 202; Lysak et Sossin ed., Barristers and Solicitors in Practice (Butterworths : 1998, mis à jour en 2002); et Orkin, The Law of Costs (Canada Law Book : 1987, mis à jour en 2002).)

[29] Historiquement, les tribunaux ont exercé leur pouvoir discrétionnaire de façon libérale. Suivant cette école, les ordonnances constitutives de sûreté bénéficient tant au procureur qu’au client. La raison : elles encouragent les procureurs à représenter des clients qui ne sont pas en mesure de payer pendant le déroulement de la cause. Tel que l’ont noté Lysak et Sossin dans Barristers and Solicitors in Practice, au par. 13.39, l’exercice de ce pouvoir peut revêtir une importance toute particulière pour les femmes :

[TRADUCTION]

Les femmes, dans les causes familiales, font souvent partie de cette catégorie. Si les avocats ne peuvent prévoir que les dispositions judiciaires sur le partage des biens familiaux constitueront certains fonds, ils seront – cela se comprend – réticents à s’engager pour des causes autres que des causes simples. Dès lors, les hommes qui disposent de ressources pourraient les utiliser à leur avantage.

[30] Il est toutefois une allégation à laquelle je ne souscris pas. Selon celle-ci, le terme « property » (« biens ») devrait être défini de la façon la plus large possible, pour lui faire inclure la pension alimentaire versée à un époux. Même si le terme « property » (« biens ») n’est pas défini dans la Loi sur les procureurs, la manière dont il est utilisé dans la Loi sur le droit de la famille, L.R.O. 1990, chap. F.3, démontre que la notion de biens se distingue de la notion de pension alimentaire et que, par voie de conséquence, elle ne la recouvre pas. La pension alimentaire et les biens font l’objet de deux parties distinctes de la Loi sur le droit de la famille; et les paiements de pension alimentaire ne sont pas inclus dans les calculs, prévus à la loi, sur les biens familiaux nets. Comme la présente Cour l’a noté dans Moog v. Moog (1985), 44 R.F.L. (2d) 301, le partage des biens et les paiements de pension alimentaire impliquent la prise en considération de questions et d’intérêts distincts et différents.

[31] Parmi les jugements publiés, aucun n’impose de sûreté relativement à une pension alimentaire à l’époux ou à des arrérages d’une telle pension. Dans l’affaire Lang v. Ball, [1988] O.J. No 1388 (C. sup. de l’Ont.), un avocat a tenté d’obtenir la constitution d’une sûreté à l’égard de sommes qui étaient dues à sa cliente, l’épouse dans une instance de divorce. La cliente avait obtenu une pension alimentaire à l’enfant de même qu’un montant déterminé d’arrérages. Le juge Vannini a refusé de grever les paiements alimentaires d’une sûreté. Si la cause traite d’une pension alimentaire à l’enfant, sa conclusion n’en est pas moins pertinente aux pensions alimentaires à l’époux, lorsqu’il détermine que l’al. 4(1)a) de la Loi sur le désintéressement des créanciers, L.R.O. 1990, chap. C. 45, [TRADUCTION] « indique clairement l’intention de la législature de protéger les ordonnances alimentaires des saisies-arrêts ou de tout autre processus d’exécution » (les italiques sont de nous). Cet article prévoit maintenant ce qui suit :

(1) Une ordonnance alimentaire a priorité sur d’autres créances constatées par jugement, quel que soit le moment où le bref d’exécution a été délivré ou signifié :

 a) pour la totalité du montant de l’arriéré exigible aux termes de l’ordonnance au moment de la saisie ou de la saisie-arrêt, si l’ordonnance prévoit des paiements périodiques ;

b) pour la totalité du montant global, si l’ordonnance prévoit le paiement d’un montant global.

[32] Le juge Vannini a également cité l’affaire Cairns v. St. Amour(1913), 5 W.W.R. 115, où on avait tenté de pratiquer une saisie-arrêt relativement à des paiements de pension alimentaire. À la page 116 de cette décision, le tribunal a observé ce qui suit :

[TRADUCTION]

Après étude minutieuse des divers éléments de la présente affaire, je considère que, à la lumière des principes de la loi, les paiements effectués en vertu d’une ordonnance de la Cour à titre de pension alimentaire à l’épouse ne sont pas saisissables.

[33] Supposons que j’aie tort d’interpréter le mot « property » (« biens »), de l’art. 34 de la Loi sur les procureurs, comme excluant la pension alimentaire. Dans une telle hypothèse, je demeure d’avis que les pensions alimentaires doivent être considérées à l’abri des dispositions judiciaires établissant des sûretés. Si je conclus dans ce sens, c’est que, en raison du rôle unique de la pension alimentaire, et des justifications qui le sous-tendent, je suis amené à considérer que sa protection est commandée par la politique de l’État en la matière. La politique de l’État est reflétée tant dans la législation que dans la jurisprudence.

[34] Le prononcé d’une disposition constitutive de sûreté est clairement discrétionnaire. Aucun droit ne commande un tel prononcé, et le tribunal ne prononce une telle disposition que si, selon la preuve, l’obtention du jugement s’est faite par l’entremise du procureur; et que, sans constitution de sûreté, le procureur ne sera vraisemblablement pas payé. En outre, les tribunaux ont l’obligation de trouver un équilibre qui tienne compte des circonstances et des ressources particulières à chaque affaire et à chaque client.

[35] Par définition, l’octroi d’une pension alimentaire à l’époux se fonde sur des besoins démontrables. Cet objectif d’amélioration a été reconnu de façon constante par la Cour suprême du Canada au cours des années récentes. (Voir Moge c. Moge, [1992] 3 R.C.S. 813; Willick c. Willick, [1994] 3 R.C.S. 670; L.G. c. G.B., [1995] 3 R.C.S. 370; Bracklow c. Bracklow, [1999] 1 R.C.S. 420; M. c. H., [1999] 2 R.C.S. 3 et Boston c. Boston, [2001] 2 R.C.S. 413.)

[36] La professeure Carole Rogerson a souligné l’importance du caractère réparateur de la pension alimentaire et sa signification particulière pour les femmes dans « Spousal Support After Moge », (1997) 14 C.F.L.Q. 281, à la page 290 :

[TRADUCTION]

L’objectif premier de la pension alimentaire à l’époux est de […] dédommager les femmes qui, en vertu des arrangements sociaux en vigueur, continuent à sacrifier des perspectives d’emploi parce qu’elles assument des responsabilités familiales; tandis que leurs maris peuvent saisir leurs possibilités de carrière sans subir (ou en subissant moins) l’entrave de responsabilités familiales.

[37] Comme il a été souligné précédemment, l’art. 4 de la Loi sur le désintéressement des créanciers, L.R.O. 1990, chap. C.45, prévoit que les ordonnances alimentaires sont prioritaires par rapport à d’autres dettes découlant de jugements. En outre, les paragraphes 7(2) et 7(3) de la Loi sur les salaires, L.R.O. 1990, chap. W.1, permettent que 50 pour cent du salaire soit saisi pour l’exécution d’ordonnances prévoyant des aliments, alors que le taux autorisé de façon générale est de 20 pour cent. Les paragraphes 7(2) et 7(3) prévoient ce qui suit :

Partie insaisissable du salaire

(2) Sous réserve du paragraphe (3), 80 pour cent du salaire d’une personne est insaisissable.

Idem, ordonnance alimentaire

(3) Cinquante pour cent du salaire d’une personne est insaisissable pour l’exécution d’une ordonnance alimentaire exécutoire en Ontario.

 

[38] Dans l’affaire Lang Michener Lawrence & Shaw c. Ballard, 1992, no de greffe 341/91, qui n’est pas publiée, la Cour divisionnaire de l’Ontario a statué que, dans le cadre d’une procédure de faillite, les paiements de pension alimentaire à l’époux : ne constituaient pas des dettes traditionnelles; ne pouvaient être considérés comme une « debt » (« dette ») au sens de la règle 60.08(16); et ne pouvaient pas, en conséquence, être saisis-arrêtés par un créancier de la faillite.

[39] De plus, la Cour suprême du Canada a reconnu la priorité des dispositions judiciaires portant pension alimentaire à l’époux dans le cadre de procédures de faillite. Dans Marzetti c. Marzetti, [1994] 2 R.C.S. 765, le juge Iacobucci a statué que le retour d’impôt sur le revenu d’un époux ne pouvait pas être cédé à son syndic de faillite lorsqu’il y avait une ordonnance alimentaire impayée en faveur de son épouse. Concluant que le remboursement était inclus dans la définition de « salaire » de la Loi sur la faillite, L.R.C. (1985), ch. B-3, le juge Iacobucci a jugé que le Directeur de l’application des ordonnances, qui tentait d’exécuter une ordonnance de pension alimentaire à l’enfant et au conjoint à l’encontre d’un époux ayant fait faillite, avait priorité par rapport au syndic de faillite à qui le mari avait censément assigné son remboursement d’impôt subséquent à la déclaration de faillite. À la page 801, le juge a noté que, sous le régime de l’art. 68 de la Loi, les responsabilités familiales et la situation personnelle du failli doivent être prises en considération en interprétant le terme « salaire », et que :

 

En outre, il faut prendre en considération des objectifs connexes d’ordre public. Comme l’a reconnu récemment le juge L’Heureux-Dubé dans l’arrêt Moge c. Moge, [1992] 3 R.C.S. 813, « [i]l n’y a pas de doute […] que le divorce et ses répercussions économiques » (p. 854) jouent un rôle dans la « féminisation de la pauvreté » (p. 853). Une interprétation de la loi susceptible de contribuer à faire disparaître ce rôle est préférable à une interprétation qui ne l’est pas. [Les italiques sont ajoutés.]

 

[1] Étant donnée cette reconnaissance législative et jurisprudentielle du besoin d’isoler les ordonnances portant pension alimentaire, je ne vois pas comment un tribunal puisse justifier un exercice de son pouvoir discrétionnaire qui contredise si radicalement une politique expresse de l’État.

[2] Je suis cependant d’accord pour dire que la disposition constitutive de sûreté du juge Festeryga est applicable à tout paiement d’égalisation reçu ou à recevoir par Mme Taylor, y compris toute somme reçue par suite de l’ordonnance de la juge Simmons, de la Cour d’appel (voir Kleinman v. Zaldin & Zaldin, [1999] O.J. No 2830).

[3] En conséquence, l’appel doit être accueilli, et l’ordonnance en date du 30 août 2001 du juge Festeryga, modifiée, pour exclure expressément la pension alimentaire, y compris les arrérages, du champ d’application de la disposition constitutive de sûreté.

[4] Dans les circonstances de l’espèce, je n’ordonnerais pas que Me Petker paie les dépens.

 

Le juge R. S. Abella, de la Cour d’appel

 

 « Je souscris aux motifs du juge Abella. »

 

La juge Louise Charron, de la Cour d’appel

 

« Je souscris aux motifs du juge Abella. »

 

Le juge E. A. Cronk, de la Cour d’appel

 

Jugement rendu le 13 juin 2002 «RSA»