COUR D’APPEL DE L’ONTARIO
Les juges d’appel DOHERTY, ROSENBERG et BORINS.
ENTRE :
SA MAJESTÉ LA REINE
Appelante
(Intimée en première instance)
– et –
LES TORONTO STAR NEWSPAPERS LIMITED, LA SOCIÉTÉ RADIO-CANADA et LA SUN MÉDIA CORPORATION
Intimés
(Requérants en première instance)
) Scott C. Hutchison) pour l’appelante)))))) Paul B. Schabas et) Tony S.K. Wong) pour les intimés))
)
)
) Audience : le 10 octobre 2003
En appel de la décision, datée du 24 septembre 2003, du juge J.F. McGarry, de la Cour supérieure de justice.
Le juge d’appel Doherty :
I
Vue d’ensemble
[1] Le 20 août 2003, un juge de paix a décerné six mandats de perquisition pour divers emplacements liés à l’entreprise AylmerMeat Packers Inc. (« Aylmer »). Les dénonciations faites sous serment en vue d’obtenir les mandats étaient identiques. Ces mandats ont été obtenus en vertu de la Loi sur les infractions provinciales L.R.O. 1990, ch. P.33. Ils avaient trait à des violations présumées de la législation provinciale qui régit l’abatage des bovins. Les dénonciations ont été faites sous serment par M. Roger Weber, inspecteur en matière agricole, employé du ministère des Ressources naturelles. Les mandats ont été exécutés les 21 et 22 août 2003.
[2] Le 26 août 2003, ou vers cette date, l’enquête menée par le ministère des Ressources naturelles à l’égard des activités d’Aylmer est devenue l’objet d’un important battage médiatique. La question de savoir si la viande provenant d’animaux abattus par Aylmer et traitée par elle était propre à la consommation humaine est devenu un sujet de préoccupation du public.
[3] Le 27 août 2003, ou vers cette date, la Police provinciale de l’Ontario a entrepris une enquête sur les fraudes à l’égard des affaires commerciales d’Aylmer. Les policiers impliqués dans cette enquête ont été informés du fait que l’inspecteur Weber avait demandé et obtenu les mandats de perquisition décrits précédemment.
[4] Le 2 septembre 2003, le ministère public a présenté une requête ex parte en audience publique, devant la Cour de justice de l’Ontario, afin d’obtenir une ordonnance de mise sous scellés des mandats de perquisition, des dénonciations qui ont servi à obtenir ces mandats et des documents afférents. Le ministère public a soutenu que si cette documentation était rendue publique, cela, d’une part, permettrait d’identifier un informateur confidentiel et, d’autre part, pourrait nuire à l’enquête criminelle en cours.
[5] La juge Livingstone a rendu une ordonnance de mise sous scellés des mandats, des dénonciations, de même que de l’affidavit du sergent-détective Andre Clelland, daté du 30 août 2003 et produit au soutien de la requête qui visait à obtenir l’ordonnance de mise sous scellés, et finalement, d’une lettre, datée du 2 septembre 2003 et écrite par Roger Weber, dans laquelle il indique que le ministère des Ressources naturelles ne s’objectait pas à la requête. L’ordonnance de mise sous scellés devait expirer le 2 décembre 2003. Plus tard, sur consentement du ministère public, l’affidavit du détective Clelland et la lettre de l’inspecteur Weber ont été rendus publics.
[6] Les Toronto Star Newspapers Ltds, conjointement avec d’autres médias (les intimés), a présenté une requête en certiorariet en mandamus en Cour supérieure. Cette requête a été entendue par le juge McGarry les 15 et 16 septembre 2003. Le 24 septembre 2003, le juge McGarry a rendu sa décision motivée : il a annulé l’ordonnance de mise sous scellés et ordonné que les documents soient rendus publics à l’exception de ce que contenaient les dénonciations qui était susceptible de révéler l’identité d’un informateur. Le juge McGarry a retranché des dénonciations les références à de l’information susceptible d’identifier l’informateur. Il a informé les avocats que la version modifiée serait mise à la disposition des intimés à moins que le ministère public n’interjette appel de la décision dans les deux jours. Bien que ses motifs soient quelque peu ambigus, les avocats conviennent que son intention était d’interdire que les passages retranchés des dénonciations soient rendus publics à moins et tant et aussi longtemps qu’un tribunal n’ordonne de les rendre publics.
[7] Le ministère public a interjeté appel de l’ordonnance du jugeMcGarry. En conséquence, les intimés n’ont pas pris connaissance de la dénonciation telle que modifiée par le jugeMcGarry. Il va de soi qu’il n’ont pas pris connaissance des dénonciations originales non modifiées. Lors de l’audience présidée par le juge McGarry, les avocats des intimés ont reçu un résumé des contenus des dénonciations après qu’ils se soient engagés à ne pas permettre à qui que ce soit d’en prendre connaissance, pas même leurs clients.
[8] La documentation mise sous scellés, produite par l’appelant devant la présente cour, incluait la version modifiée de la dénonciation préparée par le juge McGarry. La cour a également reçu les documents originaux que lui ont expédiés tant la Cour de justice de l’Ontario que la Cour supérieure et elle a lu une des dénonciations non modifiées.
[9] À l’issue des plaidoiries orales entendues par la présente cour le 10 octobre, celle-ci a annoncé que l’appel du ministère public serait accueilli uniquement à l’égard de quelques éléments mineurs. La présente cour a confirmé l’ordonnance du jugeMcGarry qui annulait l’ordonnance de mise sous scellés. Elle a également confirmé son ordonnance selon laquelle les dénonciations devraient être rendues publiques seulement après les avoir modifiées de façon à empêcher que ne soit divulguée quelque information que ce soit qui pourrait identifier l’informateur. La présente cour a conclu que deux des paragraphes des dénonciations que n’avait pas retranchés le juge McGarrydevraient être supprimés avant que les dénonciations ne soient rendues publiques. La cour a informé les avocats que les motifs de sa décision seraient rendus à l’intérieur d’un délai de sept jours. Voici ces motifs.
II
[10] Six mandats pour six différents emplacements sont l’objet de la présente procédure. À l’exception des emplacements auxquels ils réfèrent, les mandats sont identiques. Tel qu’il a été mentionné précédemment, les dénonciations en vue d’obtenir ces mandats sont identiques. Chaque dénonciation tient sur une page et inclue plusieurs annexes. L’annexe « C », intitulée [TRADUCTION] « Motifs à l’appui de la conviction » contient la dénonciation qui, selon le ministère public, ne devrait pas faire partie du domaine public. L’annexe « D », intitulée [TRADUCTION] « Liste des sources » contient une référence à l’informateur qui, selon le ministère public, ne devrait pas faire partie du domaine public. Chaque mandat tient également sur une seule page et incorpore plusieurs annexes dont certaines sont les mêmes que certaines des annexes auxquelles réfèrent les dénonciations. Les mandats n’incluent par référence ni l’annexe « C », ni l’annexe « D ».
[11] Lorsqu’il a fait valoir ses arguments qui se sont avérés utiles, Me Hutchison, procureur de la Couronne, a informé la cour que le ministère public ne s’opposerait pas à la diffusion des mandats de perquisition. Il a également indiqué qu’à deux petites exceptions près, le ministère public ne s’opposerait pas à la diffusion des paragraphes 1 à 22 de l’annexe « C » de la dénonciation. En revanche, il a soutenu que les autres paragraphes de l’annexe « C », à savoir les paragraphes 23 à 45 de même que l’annexe « D » devraient restés sous scellés. Nous souscrivons aux concessions faites par Me Hutchinson.
III
La norme de contrôle judiciaire
[12] Habituellement, il est fait droit à une requête en certiorariuniquement dans les cas où il est établi qu’une erreur de compétence a été commise. Dans Dagenais c. La Société Radio-Canada (1994), 94 C.C.C. (3d) 289, à la page 307; [1994] 3 R.C.S. 835, la cour a admis que lorsqu’une partie à un litige fait appel aucertiorari pour contester une ordonnance de non-publication, la Cour supérieure peut intervenir si l’ordonnance en question limite les droits protégés par la Charte d’une manière qui n’est ni justifiée ni autorisée. Les avocats conviennent que l’arrêt Dagenaiss’applique dans la présente affaire où il est question d’une ordonnance de mise sous scellés plutôt que d’une ordonnance de non-publication. Les avocats conviennent également que l’arrêtDagenais autorise l’intervention d’une cour au moyen d’un bref de prérogative à l’égard d’erreurs qui ne sont pas des erreurs de compétence au sens strict. En revanche, les avocats disconviennent de la distance qu’autorise Dagenais par rapport à l’erreur de compétence comme condition préalable à l’intervention par voie de certiorari. Le ministère public soutient que la norme établie dans Dagenais est respectée uniquement si aucun officier de justice agissant raisonnablement n’avait pu rendre la décision contestée. Me Schabas, au nom des intimés, soutient queDagenais introduit une norme de contrôle judiciaire qui est fonction du bien-fondé de la décision.
[13] Il n’est pas nécessaire que je tente de résoudre ce différend. La juge Livingston a clairement commis une erreur de compétence lorsqu’elle a refusé d’accorder un bref ajournement à un représentant des médias pour permettre que leur avocat soit présent et fasse des représentations quant à la requête en vue d’obtenir une ordonnance de mise sous scellés. Le ministère public avait présenté cette requête ex parte, mais en audience publique. Au terme de la plaidoirie de l’avocat du ministère public, la juge Livingston a ajourné l’audience pour examiner la requête. Dans l’intervalle, un journaliste qui travaille pour la London FreePress a eu vent de la demande du ministère public visant l’obtention d’une ordonnance de mise sous scellés et il était présent à la reprise de l’audience. Il a demandé un ajournement afin de permettre à l’avocat des médias d’être présent. La jugelivingston a refusé sa demande en affirmant :
[TRADUCTION]
Avec tout le respect dû à M. Sher (le reporteur de journal), que je remercie de sa présence cette après-midi, et je connais l’arrêt Dagenais auquel il a fait allusion, qui a d’ailleurs été fourni dans la documentation produite par le bureau du procureur de la Couronne, j’estime que la décision devrait être rendue maintenant. Bien entendu, si la London Free Press souhaite faire appel de quelque ordonnance que ce soit de la présente Cour, elle est libre de le faire devant le forum qu’elle voudra bien choisir.
[14] La London Free Press, à titre de représentante des médias, avait un intérêt manifeste dans ce qui faisait l’objet des procédures. Il aurait été possible d’autoriser un bref ajournement de façon à permettre à l’avocat de présenter des arguments au nom de la London Free Press sans compromettre de quelque façon que ce soit le secret entourant les documents. Les médias ont un rôle important à jouer dans le cadre de demandes présentées en vue d’interdire l’accès du public aux dossiers de cour ou pour interdire la publication des procédures judiciaires :Dagenais, supra, aux pages 309 à 311. Le rôle potentiellement positif des médias est manifeste dans la présente cause. L’ordonnance de mise sous scellés accordée par la Cour de justice de l’Ontario allait même au-delà de ce que le ministère public demande maintenant. Si l’avocat des médias avait eu l’occasion de présenter des arguments, il aurait peut-être au moins convaincu la cour que l’ordonnance de mise sous scellés proposée était trop vaste.
[15] Il n’y avait aucune bonne raison pour refuser à la London Free Press une occasion de faire valoir des arguments. Le seul motif invoqué par la juge Livingston, soit la possibilité d’interjeter appel, n’est pas pertinent pour déterminer si la London Free Pressaurait dû avoir l’occasion d’être entendue. Cette décision est également erronée en droit, puisque dans les faits, la London FreePress n’avait pas le droit d’en appeler.
[16] Le refus d’accorder à une partie intéressée l’occasion d’être entendue constitue un déni de justice naturelle et il en découle une perte de compétence : Forsythe c. La Reine (1980), 53 C.C.C. (2d) 225 aux pages 228 et 229, [1980] 2 R.C.S. 268.
[17] En règle générale, lorsqu’une partie se voit refuser le droit d’être entendue, le redressement approprié dans le cadre d’uncertiorari consiste à infirmer la décision contestée et à renvoyer l’affaire devant le tribunal inférieur pour qu’elle y soit entendue adéquatement. Or, tel que cela a été souligné dans Dagenais, supra, à la page 308, le pouvoir réparateur de la Cour supérieure dans le cadre d’une requête en certiorari qui a trait à des contestations d’ordonnances de non-publication et d’ordonnances du même type où les droits protégés par la Charte sont en question devrait être étendu, de façon à ce qu’il coïncide avec le pouvoir réparateur conféré par le paragraphe 24(1) de la Charte. Il ne fait aucun doute que cette disposition permet au juge de la Cour supérieure de décider du bien-fondé de la requête en vue d’obtenir une ordonnance de mise sous scellés et de rendre l’ordonnance qui, selon la Cour, aurait dû être rendue initialement. Je ne comprends pas que Me Hutchison ait suggéré qu’advenant le cas où la présente cour constate l’existence d’une erreur de compétence, elle ne devrait pas se pencher sur le bien-fondé de la requête en vue d’obtenir une ordonnance de mise sous scellés.
IV
Le bien-fondé de la requête en vue d’obtenir une ordonnance de mise sous scellés
[18] Une fois qu’un mandat de perquisition a été exécuté et que quelque chose a été saisi en vertu de ce mandat, ce dernier, de même que la dénonciation sur laquelle s’est fondé le juge de paix pour le décerner sont rendus publics, à moins qu’une partie qui souhaite obtenir une ordonnance de mise sous scellés ne puisse démontrer que l’accès au public serait contraire aux fins de la justice : Nova Scotia (Attorney General) c. McIntyre (1982),65 C.C.C. (2d) 129 à 149 (C.S.C.), [1982] 1 R.C.S. 175. Les motifs limités qui donnent ouverture à une ordonnance de mise sous scellés et l’obligation que cette dernière soit conçue minutieusement afin de minimiser la restriction de l’accès au public sont bien illustrés à l’art. 487.3 du Code criminel. Cette disposition traite des ordonnances de mise sous scellés eu égard aux mandats de perquisition décernés en vertu du Code criminel. Bien qu’elle ne s’applique pas aux mandats de perquisition en cause en l’espèce, qui ont été décernés en vertu de la Loi sur les infractions provinciales, les principes directeurs en common lawsont identiques à ceux énoncés dans l’art. 487.3.
[19] L’importance de la liberté d’expression, incluant la liberté de la presse, est évidente. Il n’est pas possible de minimiser le fait que des ordonnances de mise sous scellés, comme celle qui nous occupe, constituent une entrave considérable à cette liberté. C’est l’importance de la liberté à laquelle cette ordonnance de mise sous scellés porte atteinte combinée à l’importance de la perte envisagée qui entraîne l’obligation que toute requête en vue d’obtenir la mise sous scellés de documents qui figurent au dossier de la cour soit soumise à un examen minutieux et respecte des normes rigoureuses. Dans R. c. Mentuck, [2001] 3 R.C.S. 442, le juge Iacobucci a défini une approche analytique en deux temps pour traiter des causes où il est question de requêtes qui visent l’interdiction de publication ou qui visent à limiter autrement l’accès public aux procédures judiciaires. Il a affirmé au par. 32 :
Une ordonnance de non-publication ne doit être rendue que si :
a) elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour la bonne administration de la justice, vu l’absence d’autres mesures raisonnables pouvant écarter ce risque;
b) ses effets bénéfiques sont plus importants que ses effets préjudiciables sur les droits et les intérêts des parties et du public, notamment ses effets sur le droit à la libre expression, sur le droit de l’accusé à un procès public et équitable, et sur l’efficacité de l’administration de la justice.
(C’est nous qui soulignons)
[20] Selon cette approche en deux temps, il faut d’abord que la partie qui présente la requête en vue d’obtenir la mise sous scellés fasse la preuve de la nécessité de l’ordonnance, puis, il faut établir un équilibre entre les effets bénéfiques et les effets préjudiciables qui découlent de l’ordonnance recherchée. Dans son exposé sur la composante de l’analyse relative à la nécessité, le juge Iacobucci a affirmé aux par. 34 à 36 :
L’un des éléments requis veut que le risque en question soit sérieux ou, pour reprendre l’expression du juge en chef Lamer dans Dagenais, p. 878, « réel et important ». Il doit donc s’agir d’un risque dont l’existence est bien appuyée par la preuve. Il doit également s’agir d’un risque qui constitue une menace sérieuse pour la bonne administration de la justice. En d’autres termes, il faut que ce soit un danger grave que l’on cherche à éviter, et non un important bénéfice ou avantage pour l’administration de la justice que l’on cherche à obtenir…
Cet aspect du critère applicable aux interdictions de publication en common law exige non seulement que le juge détermine s’il existe des mesures de rechange raisonnables, mais aussi qu’il limite l’ordonnance autant que possible sans pour autant sacrifier la prévention du risque.
(C’est nous qui soulignons)
[21] L’affidavit du sergent-détective Clelland est le seul élément de preuve porté à la connaissance de la cour au soutien de la requête en vue d’obtenir la mise sous scellés. Dans cet affidavit, il a soutenu que l’ordonnance de mise sous scellés était nécessaire pour ne pas nuire à l’enquête criminelle en cours et pour protéger l’anonymat d’un informateur confidentiel. Au par. 13, il a affirmé :
[TRADUCTION]
En me fondant sur mon implication dans cette enquête, je crois que la diffusion des mandats, des dénonciations en vue d’obtenir ces derniers, et d’autres documents nuirait à l’intégrité de l’enquête policière en cours. En outre, je crois que l’accès public aux mandats en question de même qu’aux dénonciations en vue de les obtenir pourrait révéler l’identité d’un informateur.
[22] Me Hutchinson soutient que les deux motifs invoqués par le sergent-détective Clelland justifient de ne pas divulguer divers passages des dénonciations et que combinés l’un à l’autre, ils justifient de ne pas divulguer les par. 23 à 45 des dénonciations.
[23] En faisant valoir que l’ordonnance de mise sous scellés était nécessaire pour préserver l’intégrité de l’enquête criminelle en cours, le sergent-détective Clelland a expliqué que les déclarations d’un témoin devraient être fondées sur sa connaissance personnelle et qu’elles ne devraient pas être viciées par de l’information dont le témoin a pris connaissance grâce à des sources externes tels les médias. Le sergent-détective Clelland s’est dit préoccupé du fait que si le contenu des dénonciations devenait public, l’exactitude de déclarations fournies par des témoins potentiels pourrait être viciées en raison du fait qu’ils disposeraient d’informations provenant de sources autres que leur connaissance personnelle. Au par. 16 de son affidavit, il a affirmé :
[TRADUCTION]
Je crois que la divulgation des détails qui figurent dans les dénonciations risque de compliquer le travail de la Police provinciale de l’Ontario pour recueillir la meilleure preuve possible dans le cadre de son enquête.
[24] En plaidoirie, Me Hutchison a fait valoir le même argument, peut-être un peu plus directement. Il a suggéré qu’il y a possiblement des individus, à qui la police voudra parler au cours de l’enquête criminelle, qui auront plus de sympathie pour les accusés potentiels que pour la police. Il a suggéré que cette dernière serait nettement désavantagée lorsqu’elle questionnerait ces individus, s’ils étaient au courant, avant que la police n’ait l’occasion de les interroger, du contenu des dénonciations qui ont servi à obtenir les mandats de perquisition. Me Hutchison s’est dit préoccupé du fait que certains témoins potentiels tenteront de se cacher plutôt que de dire la vérité. Il soutient que si des individus ont accès aux faits détaillés qui figurent dans les dénonciations en vue d’obtenir les mandats, leurs efforts pour cacher la vérité en seront facilités.
[25] Le second motif qu’a fait valoir le sergent-détective Clellandau soutien de la requête en vue d’obtenir la mise sous scellés a trait aux passages des dénonciations qui réfèrent à la documentation fournie par un informateur. Le sergent-détectiveClelland indique que la personne a requis l’anonymat lorsqu’elle a remis l’information et qu’elle est traitée comme un témoin confidentiel par les autorités. Me Hutchinson soutient que ces faits justifient que quelque information que ce soit qui risque de révéler l’identité de l’informateur ne soit pas divulguée. Me Schabas ne conteste pas la prétention selon laquelle l’identité d’un informateur doit être protégée. Il n’a pas vu les dénonciations non modifiées. En conséquence, il ne peut pas aider la cour à déterminer quels passages des dénonciations devraient être retranchés afin d’éviter de révéler l’identité de l’informateur. Me Schabas est disposé à se fier aux modifications apportées par le juge McGarry.
[26] Je réfute le premier argument avancé au soutien de l’ordonnance de mise sous scellés. La norme de nécessité décrite dans Mentuck est rigoureuse. Le ministère public doit démontrer, en se fondant sur la preuve et vu sous le prisme de l’expérience judiciaire, qu’à défaut d’une ordonnance de mise sous scellés, la bonne administration de la justice encourt un risque sérieux. Il ne fait aucun doute que dans un cas précis, la divulgation hâtive de l’information contenue dans une divulgation en vue d’obtenir un mandat de perquisition peut nuire énormément à la capacité de la police d’obtenir des déclarations exactes de témoins potentiels. Encore une fois, dans un cas précis, le handicap peut être tel qu’il en résulte un risque sérieux pour la bonne administration de la justice. En revanche, le ministère public doit faire la preuve du risque dans un cas en particulier. Il ne suffit pas de se fier à l’affirmation générale selon laquelle une diffusion avant le procès des détails d’une enquête policière risque de vicier les déclarations de témoins potentiels. S’il suffisait de faire une telle déclaration pour obtenir une ordonnance de mise sous scellés, la règle présomptive favoriserait le secret avant le procès plutôt que la transparence. Une affirmation générale selon laquelle la divulgation au public peut nuire à la capacité de la police de connaître la vérité en viciant la déclaration d’un témoin potentiel n’est pas plus valide que l’affirmation aussi générale et à l’effet contraire selon laquelle la divulgation au public augmente la capacité de la police d’obtenir la vérité en faisant en sorte que des citoyens préoccupés fournissent de l’information de valeur.
[27] Le sergent-détective Clelland ne fournit pas de motif spécifique pour justifier sa crainte que les déclarations de témoins potentiels soient viciées si le contenu de la dénonciation est divulgué. Il n’attire l’attention sur aucune information en particulier ni sur aucun individu en particulier. Il reconnaît très candidement que la divulgation n’aurait que comme conséquence de [TRADUCTION] « compliquer le travail de la Police provinciale de l’Ontario pour recueillir la meilleure preuve possible dans le cadre de son enquête ». Je peux reconnaître que la police risque de détenir un avantage lorsqu’elle questionne certains individus, si ces derniers ne sont pas au courant des détails de l’enquête policière. Les libertés fondamentales, telles la liberté d’expression et la liberté de la presse, ne peuvent cependant pas être sacrifiées pour donner un « coup de pouce » à la police dans une enquête. Comme l’a noté le juge Iacobucci dans R. c. Mentuck, supra, au par. 34, l’accès aux dossiers judiciaires ne peut pas être refusé uniquement parce que le fait de garder le secret quant à ces procédures donnerait un avantage à la police dans la conduite de son enquête.
[28] Je souscris au second argument du ministère public. La divulgation de certains passages de la dénonciation en vue d’obtenir le mandat de perquisition pourrait révéler l’identité d’une personne qui est adéquatement classifiée sur la documentation comme un [TRADUCTION] « informateur confidentiel ». L’information qui pourrait identifier cet informateur est exclue à bon droit du domaine public. Lorsque la cour retranche des passages du contenu de la divulgation, afin d’éviter de révéler l’identité de l’informateur, elle doit le faire avec prudence. S’il existe le moindre doute que la divulgation révèlerait cette identité, il ne faut pas y procéder. Dans certains cas, il est nécessaire de ne rien divulguer, puisque dans ces cas-là, il n’est pas possible d’affirmer avec certitude qu’une divulgation aussi minime soit elle ne ferait courir aucun risque de révéler l’identité de l’informateur : R. c.Leipert (1997), 112 C.C.C. (3d) 385 (C.S.C.); [1997] 1 R.C.S. 281. Comme le juge McGarry, la cour est convaincue que la dénonciation en cause en l’espèce peut être modifiée de façon à en retrancher toute information qui pourrait révéler l’identité de l’informateur. Nous avons retranché davantage de passages que le juge McGarry ne l’avait fait. Ce qui figure dans la liste qui suit doit être retranché avant que quelque dénonciation que ce soit ne soit rendue publique :
Le nombre auquel réfère la fin du paragraphe 32 doit être supprimé (Le juge McGarry l’avait déjà supprimé.)Le paragraphe 33 en entier doit être supprimé (Le juge Mc Garry ne l’avait pas supprimé.)Le paragraphe 34 doit être supprimé (Le juge McGarry a supprimé ce paragraphe.)Le paragraphe 35 doit être supprimé (Le juge McGarry n’a pas supprimé ce paragraphe.)La référence aux heures spécifiques qui figure au paragraphe 38 doit être supprimée (Le juge McGarry l’avait déjà supprimée.)La référence qui figure sous le titre [TRADUCTION] « Informateur confidentiel » dans le paragraphe 45 doit être supprimée (Le juge McGarry l’avait déjà supprimé.)
[29] Je note qu’il est possible de trouver dans l’affidavit du sergent-détective Clelland un résumé générique des contenus des paragraphes retranchés. Cet affidavit fait partie du domaine public.
[30] Une copie d’une des dénonciations modifiées de la façon décrite précédemment sera remise à Me Hutchinson avec les présents motifs. Il disposera de sept jours pour déterminer quelles démarches, le cas échéant, le ministère public se propose d’entreprendre. Si, au terme des sept jours, ni la présente cour, ni la Cour suprême du Canada n’ont rendu d’ordonnance pour proroger l’ordonnance de mise sous scellés, une copie de la dénonciation telle qu’elle a été modifiée par la présente cour sera remise aux avocats des intimés et fera dès lors partie du domaine public.
[31] Les dénonciations et mandats originaux devront être retournés à la Cour de justice de l’Ontario. Des exemplaires des mandats devront être mis à la disposition de ceux qui en font la demande. Les dénonciations originales doivent être gardées sous scellés à la Cour de justice de l’Ontario. Dès lors que la présente cour aura remis aux avocats des intimés la dénonciation telle qu’elle a été modifiée, des exemplaires de cette version pourront être rendus publics par la Cour de justice de l’Ontario. L’exemplaire de la dénonciation telle qu’elle avait été modifiée par le juge McGarry et que la présente cour avait reçue sous scellés, devra être retourné à la Cour supérieure et être gardé sous scellés.
JUGEMENT RENDU LE : 17 OCTOBRE 2003
Le juge Doherty, de la Cour d’appel
« Je souscris aux motifs du juge Doherty. »
Le juge M. Rosenberg, de la Cour d’appel
« Je souscris aux motifs du juge Doherty. »
Le juge S. Borins, de la Cour d’appel