[Répertorié : Toronto Taxi Alliance Inc. c. Toronto (Ville)]
Cour d’appel de l’Ontario, les juges Simmons, Lang et Rouleau, J.C.A.
20 décembre 2005
Droit municipal – Règlements – Validité – Le groupe de travail chargé d’examiner le secteur des taxis a procédé à une consultation publique en la matière en 1998 – Un comité du conseil municipal a tenu une réunion publique pour examiner les recommandations du groupe de travail sur la modification des dispositions relatives aux permis de taxi – La municipalité a adopté en 1998 les recommandations du groupe de travail sous réserve qu’elles n’entrent pas en vigueur avant cinq ans –La municipalité a pris en 2003 le règlement portant modification des dispositions relatives aux permis dans le secteur des taxis – La consultation publique de 1998 était conforme au paragraphe 150(4) de la Loi sur les municipalités – Le paragraphe 150(4) ne prévoit pas que le texte même du projet de règlement doit faire l’objet d’une consultation publique – Le passage du temps et les changements dans le secteur des taxis ne donnent pas lieu à l’obligation de tenir un nouveau processus de consultation publique – Le règlement est conforme au paragraphe 150(2) de la Loi puisqu’il a été pris aux fins de santé et de sécurité et pour la protection des usagers – Loi de 2001 sur les municipalités, L.O. 2001, chap. 25, art. 150.
En 1998, le conseil municipal a mis sur pied un groupe de travail pour examiner le secteur des taxis à la suite du mécontentement général du public devant la détérioration de l’état des taxis et du service assuré. Le groupe de travail a procédé à une large consultation auprès des parties intéressées et du public. Son rapport et ses recommandations quant aux modifications à apporter aux dispositions relatives aux permis ont été soumis en 1998 au Comité des mesures d’urgence et de sécurité (le Comité MUS), savoir le comité permanent du conseil municipal qui sert de tribune pour la participation du public et la discussion en profondeur de la prise des décisions municipales en matière de permis. Ces recommandations ont été adoptées par le conseil municipal en 1998 sous réserve qu’elles n’entrent pas en vigueur avant cinq ans. Le règlement no 906-2003, portant mise en application de la décision de 1998, a été présenté en 2003 au conseil municipal, qui l’a adopté. Ce règlement modifie les dispositions relatives aux permis dans le secteur des taxis en prévoyant qu’aucun taxi standard ne peut être transféré à moins que ce ne soit à une personne physique munie d’un permis de chauffeur de taxi. Le paragraphe 150(2) de la Loi de 2001 sur les municipalités prévoit que les pouvoirs en matière de permis ne peuvent être exercés qu’à l’une ou plusieurs des fins suivantes : santé et sécurité, lutte contre les nuisances, protection des consommateurs. Le paragraphe 150(4) de la même loi prévoit qu’avant d’exercer ses pouvoirs en matière de permis, le conseil municipal doit tenir au moins une réunion publique au cours de laquelle toute personne qui y assiste peut présenter des observations au sujet de la question. Sur recours en contrôle judiciaire, le règlement a été invalidé. La juge saisie du recours a conclu que les prescriptions du paragraphe 150(4) n’avaient pas été observées et que ce règlement n’avait pas été adopté aux fins visées au paragraphe 150(2). La municipalité a interjeté appel.
Arrêt : il faut faire droit à l’appel.
La condition, imposée par le paragraphe 150(4) de la Loi, d’une réunion publique sur l’objet du règlement a été remplie. Il y a amplement de preuves établissant que l’objet du règlement était articulé dans les recommandations expresses soumises au comité MUS. Celui-ci a tenu une réunion publique, annoncée à l’avance, pour examiner le rapport et les recommandations du groupe de travail. L’intimée avait présenté ses observations au groupe de travail et participé à la réunion du comité MUS. Le paragraphe 150(4) ne prévoit pas que le texte même du projet de règlement doit être soumis à une consultation publique. Le fait que la consultation publique en l’espèce a eu lieu avant l’adoption du paragraphe 150(4) ne signifie pas qu’elle doit être ignorée et réputée non conforme aux prescriptions de ce dernier. Le passage du temps et les changements dans le secteur des taxis n’ont pas fait naître l’obligation de tenir de nouvelles consultations publiques.
La juge saisie du recours en contrôle judiciaire a conclu que le règlement en cause avait pour objet de transformer le secteur des taxis en vue d’éliminer les intermédiaires et de redistribuer les revenus produits par ce secteur en faveur des participants actifs, lequel objet n’est pas autorisé par le paragraphe 150(2) de la Loi. Elle a commis une erreur par cette conclusion car elle a focalisé son attention sur une seule des nombreuses recommandations du groupe de travail, à l’exclusion des autres. Le groupe de travail a jugé qu’il y avait un lien entre la structure du secteur des taxis de Toronto et la qualité des taxis. Il a constaté un lien entre les taxis conduits par leur propre propriétaire et un niveau plus élevé de service et de sécurité. Il ressort de la lecture du rapport dans son ensemble que la restructuration des participants dans le secteur doit être un moyen de renforcer la protection des usagers et de préserver la santé et la sécurité. Le règlement est conforme au paragraphe 150(2) de la Loi.
Puisque le règlement municipal en cause a été adopté à des fins régulières, le fait qu’il distingue entre personnes physiques et personnes morales et opère dans une certaine mesure ingérence dans la prise de décisions des détenteurs de permis n’a pas pour effet de l’invalider.
Décisions citées
Christy Taxi Ltd. v. Doran (1975), 10 O.R. (2d) 313, 26 C.C.C. (2d) 569 (C.A.); Nanaimo (Ville) c. Rascal Trucking Ltd., [2000] 1 R.C.S. 342, [2000] S.C.J. No. 14, 76 B.C.L.R. (3d) 201, 183 D.L.R. (4th) 1, 251 N.R. 42, [2000] 6 W.W.R. 403, 9 M.P.L.R. (3d) 1; Produits Shell Canada Ltée c. Vancouver (Ville), [1994] 1 R.C.S. 231, [1994] S.C.J. No. 15, 88 B.C.L.R. (2d) 145, 110 D.L.R. (4th) 1, 163 N.R. 81, [1994] 3 W.W.R. 609, 20 M.P.L.R. (2d) 1; United Taxi Drivers’ Fellowship of Southern Alberta c. Calgary (Ville), [2004] 1 R.C.S. 485, [2004] S.C.J. No. 19, 346 A.R. 4, 236 D.L.R. (4th) 385, 318 N.R. 170, 320 W.A.C. 4, [2004] 7 W.W.R. 603, 46 M.P.L.R. (3d) 1, 2004 SCC 19, 50 M.V.R. (4th) 1, 26 Alta. L.R. (4th) 1, 18 R.P.R. (4th) 1
Lois
Loi de 2001 sur les municipalités, L.O. 2001, chap. 25, art. 10, 150, 210
Règles et règlements
Règles de procédure civile, R.R.O. 1990, règl. 194
APPEL formé contre un jugement de la juge Low (2005), 75 O.R. (3d) 447, [2005] O.J. No. 320 (C.S.J.) portant annulation du règlement
George H. Rust-D’Eye, pour l’intimée
Kalli Y. Chapman et Theresa Leitch, pour l’appelante
Le juge ROULEAU, J.C.A. :
Aperçu général
[1] L’appel en instance porte sur la légalité du règlement no 906-2003 de la ville de Toronto, lequel a modifié les dispositions relatives aux permis dans le secteur des taxis en prévoyant qu’aucun taxi standard ne peut être transféré à moins que ce ne soit à une personne physique munie d’un permis de chauffeur de taxi. Ce règlement signifie que les propriétaires actuels de taxis standard ne peuvent plus les vendre à moins que l’acheteur ne soit une personne physique munie d’un permis de chauffeur de taxi et qui n’est propriétaire d’aucun autre taxi. Avant cette modification, une personne physique ou morale pouvait être, et était dans bien des cas, propriétaire de plusieurs taxis standard.
[2] Les recommandations de modification des dispositions relatives aux permis avaient été adoptées par le conseil municipal de Toronto en novembre 1998, sous réserve qu’elles n’entrent pas en vigueur avant cinq ans. Le règlement no 906-2003, qui mettait en œuvre cette décision de 1998, a été soumis au conseil municipal et adopté en septembre 2003. Il est entré en vigueur le 1er janvier 2004.
[3] La Loi de 2001 sur les municipalités, L.O. 2001, chap. 25, adoptée en 2001, régit tous les règlements municipaux promulgués à compter du 1er janvier 2003. Son article 150 définit les pouvoirs des municipalités en matière de permis et en prescrit les conditions d’exercice. En particulier, le paragraphe 150(2) limite l’exercice de ces pouvoirs à l’une ou plusieurs des fins suivantes :
[4] En outre, le paragraphe 150(4) de la même loi prévoit qu’avant d’exercer ses pouvoirs en matière de permis, le conseil municipal doit tenir au moins une réunion publique au cours de laquelle toute personne qui y assiste « a l’occasion de présenter des observations au sujet de la question ». Enfin, le paragraphe 150(3) prévoit que le règlement qui impose un permis doit contenir une explication des motifs sous-jacents et de la manière dont ceux-ci se rapportent aux objets visés au paragraphe 150(2).
[5] Le 1er février 2005, la juge saisie du recours en contrôle judiciaire a annulé le règlement en cause, par ce motif que la condition prévue au paragraphe 150(4) de la Loi sur les municipalités n’a pas été respectée et que le règlement n’a pas été pris à l’une des fins visées au paragraphe 150(2).
[6] La municipalité a interjeté appel. Par les motifs qui suivent, je me prononce pour l’accueil de l’appel.
Les faits de la cause
[7] Le règlement no 906-2003 met en œuvre l’une des recommandations adoptées en novembre 1998 par le conseil municipal à la suite du rapport d’octobre 1998 du Groupe de travail chargé de l’examen du secteur des taxis. Le processus observé par ce dernier, créé le 16 avril 1998 par le conseil municipal, et son rapport d’octobre 1998 constituent autant de facteurs importants à prendre en compte dans cet appel.
[8] Ce groupe de travail a été mis sur pied par la municipalité à la suite de plaintes exprimées par le public et par les diverses parties intéressées au sujet du secteur des taxis de Toronto. L’année 1998 a été témoin d’un sentiment de frustration général et grandissant devant la détérioration de l’état des taxis et du service assuré. Des articles ont paru dans les journaux qui relevaient le triste état de ce secteur d’activité.
[9] Le groupe de travail s’était vu confier la tâche [TRADUCTION] « de faire des recommandations et de proposer un plan de mise en œuvre et une politique de communications visant à ce que le secteur des taxis de Toronto :
— assure un service sécuritaire au public;
— offre un service de haute qualité à la clientèle, à bord de taxis propres et confortables;
— emploie des chauffeurs courtois, compétents et expérimentés; et
— permet aux personnes qui travaillent dans ce secteur d’en partager équitablement les coûts et les bénéfices ».
[10] Les travaux du groupe de travail sont passés par trois stades : documentation et consultations; analyse; rapport et recommandations. Les recherches effectuées portaient sur les meilleures pratiques et expériences d’autres ressorts dans leur effort de réformer le secteur, assailli de problèmes, des taxis. En outre, le groupe de travail a recueilli une quantité considérable de données statistiques de la Commission des permis de Toronto ainsi que des divers mémoires présentés. Il a également procédé à une large consultation auprès des parties intéressées et du public.
[11] Les recommandations du groupe de travail sont contenues dans la partie V de son rapport d’octobre 1998. Selon le paragraphe introductif de cette partie V, les recommandations combinaient [TRADUCTION] « les mesures de régulation avec le service à la clientèle et les principes économiques pour atteindre les objectifs du groupe de travail » et étaient « organisées en cinq points visant le service à la clientèle :
1. Adopter une déclaration des droits des usagers
. . . . .
(iv) Créer une catégorie de taxis Ambassador
3. Améliorer la formation
4. Améliorer les taxis
5. Renforcer l’application des règlements. »
[12] La recommandation mise en application par le règlement no 906-2003 est contenue dans une série de recommandations tendant à la création d’une nouvelle catégorie de taxis, celle des “taxis Ambassador”. En bref, un taxi Ambassador est un taxi conduit par le propriétaire lui-même. Personne d’autre que le propriétaire n’a le droit de conduire un taxi Ambassador et la vente d’un permis de taxi Ambassadeur est interdite. La création de cette nouvelle catégorie de taxis représentait une partie importante des recommandations du rapport du groupe de travail, étant donné qu’« il ressort des statistiques que les propriétaires-chauffeurs, de par leur fierté d’être propriétaires, offrent normalement le niveau le plus élevé de service à la clientèle ». Les statistiques présentées au groupe de travail indiquaient que les véhicules conduits par leur propre propriétaire avaient considérablement moins de pannes et étaient entretenus conformément aux normes plus élevées de qualité que les véhicules appartenant à un parc.
[13] Tout en recommandant la création de cette nouvelle catégorie de permis, le groupe de travail a recommandé que les permis existants soient maintenus à titre de droit acquis, qu’ils soient classés permis de taxi « standard », que a) leur transférabilité demeure inchangée pendant deux ans, et b) qu’après deux ans, un permis de ce genre ne puisse être transféré qu’à une personne munie d’un permis de chauffeur de taxi valide et qui ne soit pas propriétaire d’un autre taxi. Le but avoué de cette recommandation était [TRADUCTION] « d’éliminer les investisseurs passifs, de s’assurer que toutes les parties intéressées sont des participants actifs, de permettre que les permis continuent à être transférés ou donnés à bail, et d’encourager la tendance à l’augmentation du nombre des propriétaires-chauffeurs ».
[14] Le rapport d’octobre 1998 du groupe de travail a été soumis au Comité des mesures d’urgence et de sécurité (le Comité MUS), savoir le comité permanent du conseil municipal qui sert de tribune pour la participation du public et la discussion en profondeur de la prise des décisions municipales en matière de permis. Celui-ci a tenu une séance publique, annoncée à l’avance, pour examiner le rapport et les recommandations du groupe de travail. L’intimée, Toronto Taxi Alliance Inc., avait présenté ses observations au groupe de travail et participé à la réunion du comité MUS. Après examen de la question, celui-ci a fait son rapport au conseil municipal.
[15] Lors de sa réunion des 25, 26 et 27 novembre 1998, le conseil municipal a adopté, après amendements, les diverses recommandations du comité MUS. La grande majorité des recommandations adoptées a été mise en application presque aussitôt. La recommandation de maintenir les droits acquis pour les permis de taxi standard existants et de restreindre la transférabilité des nouveaux permis a été adoptée mais n’a pas été mise en application à l’époque. Le rapport du groupe de travail suggérait que la restriction de la transférabilité ne soit mise en application qu’après deux ans mais le conseil municipal, sur recommandation du comité MUS, a étendu ce délai à cinq ans.
[16] Cinq ans après, un projet de règlement a été présenté au conseil municipal pour mettre en application sa décision de novembre 1998, et le règlement no 906-2003 a été pris lors de sa réunion des 22, 23 et 24 septembre 2003. Ce règlement est entré en vigueur le 1er janvier 2004.
[17] Comme noté supra, l’article 150 de la Loi de 2001 sur les municipalités, L.O. 2001, chap. 25, s’applique aux règlements municipaux adoptés à compter du 1er janvier 2003. Ses paragraphes 150(1) à (4) portent :
General licensing powers
150. (1) Subject to the Theatres Act and the Retail Business Holidays Act, a local municipality may license, regulate and govern any business wholly or partly carried on within the municipality even if the business is being carried on from a location outside the municipality. Purposes (2) Except as otherwise provided, a municipality may only exercise its licensing powers under this section, including imposing conditions, for one or more of the following purposes: 1. Health and safety. 2. Nuisance control. 3. Consumer protection. Explanation (3) A by-law licensing or imposing any condition on any business or class of business passed after this section comes into force shall include an explanation as to the reason why the municipality is licensing it or imposing the conditions and how that reason relates to the purposes under subsection (2). Notice (4) Before passing a by-law under this section, the council of the municipality shall, except in the case of emergency, (a) hold at least one public meeting at which any person who attends has an opportunity to make representation with respect to the matter; and (b) ensure that notice of the public meeting is given. |
Pouvoirs généraux en matière de permis
150 (1) Sous réserve de la Loi sur les cinémas et de la Loi sur les jours fériés dans le commerce de détail, une municipalité locale peut exiger un permis pour une entreprise exploitée entièrement ou en partie dans la municipalité, même si elle l’est à partir d’un endroit situé à l’extérieur de la municipalité, et réglementer et régir cette entreprise. Objets (2) Sauf disposition contraire, une municipalité ne peut exercer les pouvoirs en matière de permis que lui confère le présent article, y compris l’imposition de conditions, qu’à l’une ou plusieurs des fins suivantes : 1. La santé et la sécurité 2. La lutte contre les nuisances. 3. La protection des consommateurs. Explication (3) Le règlement municipal exigeant un permis pour une entreprise ou une catégorie d’entreprises ou Imposant des conditions à une telle entreprise ou catégorie qui est adopté après l’entrée en vigueur du présent article contient une explication des motifs pour lesquels la municipalité exige un permis à leur égard ou leur impose des conditions et de la manière dont ceux-ci ont trait aux objets visés au paragraphe (2). Avis (4) Avant d’adopter un règlement en vertu du présent article, le conseil de la municipalité fait ce qui suit, sauf dans une situation d’urgence : a) il tient au moins une réunion publique au cours de laquelle toute personne qui y assiste a l’occasion de présenter des observations au sujet de la question; b) il veille à ce qu’un avis de la réunion soit donné. |
Les motifs de la décision de contrôle judiciaire
[18] La juge saisie du recours en contrôle judiciaire a invalidé le règlement no 906-2003 par deux motifs. En premier lieu, elle a conclu qu’en l’adoptant, le conseil municipal ne s’était pas conformé au paragraphe 150(4) de la Loi de 2001 sur les municipalités, selon lequel le conseil municipal doit, avant d’adopter un règlement en matière de permis, tenir une réunion publique, annoncée à l’avance et au cours de laquelle toute personne qui y assiste peut présenter des observations sur la question.
[19] En particulier, elle a rejeté l’argument proposé par la municipalité que les réunions du groupe de travail ainsi que celle, subséquente, du comité MUS, valaient essentiellement observation du paragraphe 150(4) de la Loi de 2001 sur les municipalités. Elle a conclu en ces termes :
[TRADUCTION] À mon avis, le fait de donner au public, y compris la demanderesse, la possibilité de présenter des observations au sujet du mandat du groupe de travail ne vaut pas observation suffisante de cette loi.
Un rapport n’est pas un projet de règlement. Le conseil municipal peut l’adopter ou non. Même s’il est adopté, il se peut que certaines ou l’ensemble des recommandations contenues dans un rapport ne se traduisent pas nécessairement en mesures concrètes par voie de règlement municipal dans un avenir prévisible, ou même jamais. Le public ne saurait examiner utilement un projet de règlement si le contenu ou texte proposé n’en est pas divulgué.
La procédure prévue au paragraphe 150(4) était obligatoire au moment où la municipalité adopta le règlement 905-2003, mais elle n’était pas en vigueur en 1998. Il s’ensuit que dans la mesure où il y avait des actes accomplis par la municipalité ou un de ses comités, qui ressemblaient à des actes accomplis en conformité avec le paragraphe 150(4) de la Loi de 2001 sur les municipalités, pareille ressemblance aurait été tout simplement fortuite. Cette loi prévoit une exception pour les cas d’urgence, mais cette exception n’a pas application en l’espèce. À mon avis, le paragraphe 150(4) de la Loi de 2001 sur les municipalités n’a pas été respecté, c’est pourquoi le règlement doit être invalidé.
[20] En second lieu, elle a conclu que le règlement no 9062003 n’a pas été pris à l’une des fins visées au paragraphe 150(2) et, plus spécifiquement, qu’il n’a pas été adopté à des fins de santé ou de sécurité publique ou pour la protection de l’usager. Elle a analysé le préambule du règlement, les délibérations du conseil municipal, les données que celui-ci avait à sa disposition ainsi que les effets du règlement, pour conclure que celui-ci a été pris pour transformer la structure économique du secteur des taxis.
[21] Voici ce qu’on peut lire au préambule du règlement municipal en cause :
[TRADUCTION] CONSIDÉRANT que l’article 150 de la Loi de 2001 sur les municipalités habilite les municipalités à assujettir à un permis, à réglementer et à réguler toute entreprise exploitée entièrement ou partiellement sur son territoire, et ce à des fins de santé et de sécurité, de protection du consommateur ou de lutte contre les nuisances;
CONSIDÉRANT que le conseil municipal de la Ville de Toronto considère que la limitation de la transférabilité des permis de propriétaire de taxi standard aux personnes munies d’un permis de chauffeur de taxi valide se traduira par une participation plus directe et plus active des propriétaires de taxi dans ce secteur d’activité;
CONSIDÉRANT que le conseil municipal de la Ville de Toronto considère que la participation directe et active des propriétaires au secteur des taxis est souhaitable pour la protection de l’usager ainsi que pour la santé et la sécurité des résidents de la municipalité;
[22] La juge saisie du recours conclut que l’emploi du terme « considère » dans le préambule est ambigu par le motif suivant :
[TRADUCTION] . . . on ne sait pas si le conseil municipal veut dire par ces considérants qu’il a été convaincu par les études et données en sa possession que le règlement aura vraiment pour effet le renforcement de la protection de l’usager ainsi que de la santé et de la sécurité, ou s’il a fondé sa décision, non pas sur les données recueillies, mais sur la présomption que le résultat découlerait de la prémisse.
[23] Elle juge en outre que [TRADUCTION] « ces considérants ne sont d’aucun secours, parce qu’ils sont ambigus et ne seraient pas concluants de toute façon ».
[24] En ce qui concerne les délibérations du conseil municipal, elle note que le procès-verbal de la réunion de septembre 2003 n’apporte aucune lumière puisque les délibérations consignées au procès-verbal de novembre 1998 portaient sur la transformation du secteur des taxis en un secteur avec moins d’investisseurs passifs. À son avis, les sujets de préoccupation débattus au cours de la réunion de 1998 étaient principalement de nature économique.
[25] En ce qui concerne les données à la disposition du conseil municipal en 2003, elle se réfère au rapport d’octobre 1998 du groupe de travail, au rapport final de celui-ci tel qu’il a été adopté lors de la réunion du 25 novembre 1998 du conseil municipal, et au rapport soumis à celui-ci le 11 avril 2003 par son avocat. Elle en a conclu que « les rapports du groupe de travail constituent . . . la preuve la plus concluante des fins poursuivies par le conseil municipal par l’adoption du règlement ». Elle relève le passage suivant dans le préambule du rapport d’octobre 1998 :
[TRADUCTION] Cet examen porte sur les aspects financiers et juridiques de ce secteur, tels qu’ils ressortent des divers rapports et mémoires soumis au groupe de travail, et a pour objet de produire des recommandations propres à la réalisation de ses objectifs.
[26] Et de conclure en ces termes :
[TRADUCTION] Il y a indéniablement un motif qui sous-tend l’une et l’autre versions du rapport, savoir qu’il est dans l’intérêt général d’avoir un secteur des taxis vigoureux et efficace, dans lequel les participants actifs sont à même de gagner un revenu raisonnable, mais ni l’étude ni les recommandations ne visent directement à améliorer la santé, la sécurité ou la protection de l’usager.
[27] Et :
[TRADUCTION] Ce qui manque à ces documents, c’est une étude comparative de l’incidence du préjudice (physique, monétaire ou autre) causé au public par des chauffeurs de taxi conduisant un véhicule dont ils ne sont pas propriétaires, par opposition à ceux qui conduisent un véhicule qui leur appartient en propre.
[28] En ce qui concerne les effets du règlement municipal en cause :
[TRADUCTION] Enfin, quel est l’effet direct du règlement? Bien que le règlement no 906-2003 puisse avoir une multitude d’effets, dont certains directs, d’autres indirects, certains immédiats, d’autres lointains, il est évident que les effets directs sont (1) de dénier aux nouveaux propriétaires de taxi la limitation de responsabilité dont jouissent les personnes morales propriétaires; (2) de dissoudre les parcs, et (3) d’éliminer, du moins dans certains cas, un ou plusieurs échelons d’intermédiaires dans la chaîne entre le propriétaire du matériel et la main-d’œuvre qui conduit les taxis.
Ce qui n’est pas évident, c’est le lien rationnel entre la protection de l’usager, la santé et la sécurité publique d’une part, et d’autre part (1) la forme de la propriété des taxis, et (2) la restriction du droit de propriété à un seul taxi par propriétaire.
[29] Et de conclure :
[TRADUCTION] Il appert que le règlement a pour principal objet de réformer le secteur des taxis afin d’éliminer les intermédiaires et de redistribuer les revenus produits par ce secteur en faveur des participants actifs. Bien que le conseil municipal ait pu être animé de bonnes intentions en cherchant à trouver le juste milieu entre les intérêts opposés des participants de même que l’intérêt général, le tout dans le contexte d’un monopole où certains agents ont des droits acquis et d’autres cherchent à entrer, l’objet du règlement en cause n’est pas, à mon avis, l’une des fins visées au paragraphe 150(2) de la Loi de 2001 sur les municipalités.
Le règlement en cause est-il conforme au paragraphe 150(4)de la Loi sur la municipalité?
[30] L’intimée soutient que la juge saisie du recours en contrôle judiciaire a bien jugé et que la consultation et la réunion publiques tenues cinq ans avant l’adoption du règlement ne satisfont pas aux conditions fixées par le paragraphe 150(4). Plus spécifiquement, que la consultation de 1998 n’était pas conforme aux prescriptions du paragraphe 150(4) pour les raisons suivantes :
(i) la consultation était trop générale pour permettre un ou des apports utiles;
(ii) elle n’était que fortuite et ne pouvait constituer l’observation de l’impératif légal de consultation, subséquemment adopté et expressément défini;
(ìii) le contexte dans lequel a eu lieu la consultation de 1998 était différent de celui qui existait en 2003. Entre-temps, la Loi sur les municipalités a été adoptée et des changements importants s’étaient produits dans le secteur des taxis, à cause surtout de la mise en application de nombre des recommandations du groupe de travail.
[31] À mon avis, la juge saisie du recours en contrôle judiciaire s’est trompée dans son interprétation et son application du paragraphe 150(4) de la Loi sur les municipalités. La condition imposée par celui-ci d’une réunion publique sur l’objet du règlement no 906-2003 a été remplie. En particulier, les preuves produites en l’espèce établissent que l’objet de ce règlement était articulé dans les recommandations expresses au comité MUS du conseil municipal. Comme noté supra, ce comité était en 1998 le comité permanent du conseil municipal, chargé d’assurer une tribune pour la consultation publique. Le public était convenablement informé à l’avance de la réunion du comité ainsi que des modifications envisagées pour le règlement sur les permis, et avait la possibilité de lui présenter ses observations lors de la réunion publique tenue à cette fin.
[32] L’intimée soutient que le texte du règlement ne serait valide que s’il était soumis à une consultation publique. Je ne suis pas de cet avis. Si les rédacteurs du paragraphe 150(4) avaient entendu poser que le texte du projet de règlement doit être soumis à une consultation publique, ils auraient employé des termes similaires à ceux de l’article 201 de la Loi de 2001 sur les municipalités relatif aux règlements sur les secteurs d’aménagement, où est prescrit l’envoi d’un « avis du projet de règlement ». Le paragraphe 150(4) n’emploie pas les mêmes termes, mais prévoit une réunion publique pour permettre la présentation des « observations au sujet de la question ».
[33] Qui plus est, d’interpréter le paragraphe 150(4) comme posant que le texte même du projet de règlement doit faire l’objet d’une consultation publique reviendrait à restreindre indûment l’aptitude du conseil municipal à décider, le cas échéant, quel serait le règlement à adopter au sujet d’une question après avoir reçu et examiné les observations y afférentes. Pareille interprétation littérale obligerait le conseil municipal à tenir d’autres réunions pour donner avis du nouveau texte proposé chaque fois qu’il adopte une modification à la suite du processus de consultation antérieur.
[34] Je rejette l’argument proposé que, la consultation publique en l’espèce ayant eu lieu avant l’adoption du paragraphe 150(4), elle doit être ignorée et réputée non conforme aux prescriptions de ce dernier. La consultation publique réalisée en l’espèce était précisément le type de consultation prescrit par le paragraphe 150(4).
[35] Le délai et les changements dans la loi applicable entre le moment de la consultation publique qui eut lieu en 1998 en l’espèce et l’adoption du règlement en 2003, de même que les changements dans le secteur des taxis entre-temps sont des facteurs importants à prendre en considération.
[36] Bien qu’il y eût des changements dans le secteur des taxis entre 1998 et 2003, les changements d’importance découlaient directement de la mise en œuvre des recommandations du groupe de travail. Il était clair dès les débuts que la recommandation subséquemment mise en œuvre par le règlement no 906-2003 n’était qu’une partie d’un ensemble de réformes de régulation envisagées par le groupe de travail. Ainsi qu’il l’a fait remarquer dans son rapport, « la solution proposée est un ensemble complet de recommandations » et « prises dans leur ensemble, les recommandations traduisent les intentions générales, les principes directeurs et les objectifs du groupe de travail. À ce titre, chaque recommandation est intimement liée aux autres . . . »
[37] Le délai a été envisagé dès les débuts. Il était prévu dans les recommandations qui ont fait l’objet de la consultation publique et était un élément du rapport adopté par le conseil municipal. En ce qui concerne les changements dans la loi, j’ai déjà conclu que la consultation publique conduite en l’espèce était conforme aux prescriptions de la nouvelle loi.
[38] En conséquence, je ne considère pas, eu égard aux faits de la cause, que le passage du temps et les changements dans le secteur des taxis ont fait naître l’obligation de tenir de nouvelles consultations publiques.
Le règlement en cause a-t-il été pris pour la préservation de la santé et de la sécurité ou la protection de l’usager?
[39] La juge saisie du recours a conclu que le règlement municipal en question a été adopté à des fins autres que celles visées au paragraphe 150(4) et l’a annulé pour cause d’illégalité.
[40] Elle s’est fondée sur l’objectif indiqué au préambule, sur l’effet du règlement et sur les délibérations consignées au procès-verbal du conseil municipal. Il appert que son interprétation de ces documents et sa conclusion finale découlaient de son interprétation du rapport du groupe de travail. Elle a pris acte de ce que celui-ci faisait état de la détérioration du service et de l’état des taxis, ainsi que de la faible incidence des rejets après inspection des taxis conduits par leur propriétaire. Posant pour postulat que ce rapport faisait le lien entre la propriété des taxis réservée aux chauffeurs et la sécurité accrue, elle a tiré les conclusions suivantes :
[41] Ce qui l’a amenée à conclure que ce règlement avait pour objet « de transformer le secteur des taxis en vue d’éliminer les intermédiaires et de redistribuer les revenus produits par ce secteur en faveur des participants actifs » , lequel objet n’est pas autorisé par le paragraphe 150(2).
[42] À mon avis, cette conclusion constitue une erreur manifeste et dirimante. La juge saisie du recours en contrôle judiciaire a focalisé son attention sur une seule des nombreuses recommandations du groupe de travail. L’approche qu’elle a adoptée et qui consistait à faire le lien entre une seule recommandation et l’un des objectifs poursuivis par le groupe de travail n’était pas fondée en l’occurrence.
[43] La municipalité avait identifié un problème confrontant ce secteur et s’est fixé plusieurs objectifs. Le groupe de travail a été mis sur pied pour proposer une solution. Il a jugé qu’il y avait un lien entre la structure du secteur des taxis de Toronto et la qualité des taxis. Il a constaté un lien entre les taxis conduits par leur propre propriétaire et un niveau plus élevé de service et de sécurité. La solution qu’il proposait consistait en un ensemble complet de recommandations. Dans les circonstances de la cause, le rapport et les recommandations qu’il contient doivent être pris comme un tout, c’est-à-dire à titre d’approche intégrée à la solution du problème. Chaque recommandation ne saurait être considérée abstraction faite des autres.
[44] Bien que le rapport du groupe de travail parle de favoriser les participants actifs tels les propriétaires- chauffeurs, il ressort de la lecture du rapport dans son ensemble que la restructuration des participants dans le secteur doit être un moyen de renforcer la protection des usagers et de préserver la santé et la sécurité. Ce rapport présente les faits qui démontrent un lien rationnel entre le moyen choisi, savoir la propriété réservée aux chauffeurs titulaires de permis, et les objectifs visés, savoir la préservation de la santé et de la sécurité, et la protection de l’usager. Bien que ni le groupe de travail ni le conseil municipal ne puisse faire état d’aucune étude statistique faisant expressément ressortir un lien direct entre le moyen adopté et les objectifs visés, les autres preuves produites devant le groupe de travail forcent à conclure que pareille étude n’était pas nécessaire pour fonder la compétence en la matière.
[45] Qui plus est, le groupe de travail a reconnu que les nouvelles restrictions sur la transférabilité des permis de taxi standard n’étaient pas la solution idéale, car il n’a pas imposé aux permis de taxi standard la condition du propriétaire-chauffeur qui s’applique à la catégorie des taxis Ambassador. Cependant, pour limiter l’effet défavorable sur les détenteurs de permis de taxi standard existants, il a adopté ce compromis et, en outre, a prévu un délai pour la mise en œuvre des changements recommandés. En conséquence, bien que les changements ne posent pas pour condition que le taxi soit conduit par le propriétaire lui-même, le groupe de travail a conclu qu’ils [TRADUCTION] « encourageront la tendance à un accroissement du nombre des propriétaires-chauffeurs » et, par conséquent, amèneraient un plus grand nombre de chauffeurs titulaires de permis à devenir les propriétaires-exploitants de leurs véhicules. Ce qui se traduirait à son tour par des taxis plus sécuritaires offrant un meilleur service aux usagers.
[46] La juridiction saisie du recours en contrôle judiciaire ne doit pas se mettre à la place de la municipalité pour spéculer si le règlement serait plus ou moins efficace pour atteindre l’objectif ou les objectifs visés. Ainsi qu’il a été jugé dans Nanaimo (Ville) c. The Rascal Trucking Ltd., [2000] 1 R.C.S. 342, p. 358 (adoptant les conclusions tirées dans Produits Shell Canada Ltée c. Vancouver (Ville), [1994] 1 R.C.S. 231) :
. . . les tribunaux doivent respecter la responsabilité qu’ont les conseils municipaux élus de servir leurs électeurs et de prendre garde de substituer à l’opinion de ces conseils leur propre avis quant à ce qui est dans le meilleur intérêt des citoyens. À moins qu’il ne soit clairement démontré qu’une municipalité a excédé ses pouvoirs en prenant une décision donnée, les tribunaux ne devraient pas conclure qu’il en est ainsi. Dans les cas où il n’y a pas d’attribution expresse de pouvoirs, mais où ceux-ci peuvent être implicites, les tribunaux doivent se montrer prêts à adopter l’interprétation «bienveillante» . . . . et à conférer les pouvoirs par déduction raisonnable. Quelles que soient les règles d’interprétation appliquées, elles ne doivent pas servir à usurper le rôle légitime de représentants de la collectivité que jouent les conseils municipaux.
[47] En conséquence, je conclus que les fins poursuivies par le règlement municipal en cause sont la santé, la sécurité et la protection de l’usager. Telle est la volonté exprimée dans son préambule, et le rapport du groupe de travail, pris dans son ensemble, le confirme amplement.
Le règlement en cause est-il conforme au paragraphe 150(3) de la Loi sur les municipalités?
[48] L’intimée soutient que la juge saisie du recours en contrôle judiciaire a invalidé à juste titre le règlement no 906-2003 par un troisième motif, savoir que celui-ci n’est pas conforme au paragraphe 150(3) de la Loi sur les municipalités, en ce que le préambule n’en explique pas les motifs ni ne dit pas comment pareils motifs se rapporteraient à l’une des trois fins autorisées.
[49] Je rejette l’un et l’autre volets de cette conclusion de l’intimée. Il ressort d’une lecture objective des motifs de décision de la juge saisie du recours qu’elle trouvait l’explication du préambule ambiguë et non de nature à permettre de juger de la conformité avec le paragraphe 150(2). Elle n’a pas entendu invalider le règlement pour cause de non-conformité avec le paragraphe 150(3).
[50] En outre, comme noté supra, elle a commis une erreur en focalisant son attention sur l’une des recommandations du groupe de travail à l’exclusion des autres et sur l’absence d’une étude confirmant le lien entre les objectifs et le moyen employé par le conseil municipal pour y parvenir. Contrairement à la conclusion par elle tirée que le préambule du règlement no 906-2003 est ambigu, celui-ci présente de façon concise l’essentiel de la conclusion du groupe de travail. De plus, pris dans son ensemble, il satisfait aux prescriptions du paragraphe 150(3) de la Loi sur les municipalités parce qu’il explique les raisons du changement et fait le lien entre ces raisons et la protection de l’usager et la santé et la sécurité.
Autres motifs d’illégalité soulevés par l’intimée
[51] L’intimée soutient qu’en limitant l’acquisition du permis de taxi aux personnes munies du permis de chauffeur, le règlement no 906-2003 opère discrimination contre les personnes morales. Et que, en interdisant aux personnes morales de participer au secteur des taxis et en imposant des restrictions arbitraires sur la transférabilité des permis, ce règlement vaut ingérence illégale dans les rapports et arrangements contractuels et financiers entre titulaires de permis.
[52] L’appelante fait observer que le régime des taxis Ambassador en place depuis 1998 ne permet pas aux personnes morales d’être propriétaires de permis. Les modifications opérées par le règlement no 906-2003 alignent la catégorie des permis de taxi standard sur la catégorie Ambassador. Elle soutient encore que la restriction de l’acquisition du permis de taxi aux personnes munies du permis de chauffeur de taxi à l’exclusion des personnes morales et des personnes qui ne sont pas chauffeurs de taxi, a un lien rationnel avec les objectifs de santé et de sécurité et de protection du consommateur. Le règlement municipal en cause prévoit que la personne qui cherche à acquérir un permis de taxi doit être titulaire du permis de chauffeur de taxi, ayant suivi avec succès un cours de formation et rempli plusieurs autres conditions imposées par le règlement sur le permis. Cette prescription tendra aussi à un accroissement du nombre de propriétaires-chauffeurs dans ce secteur. La discrimination contre les personnes morales et l’ingérence dans les décisions contractuelles et financières des détenteurs de permis en sont un effet indirect et incident de la réalisation de l’objectif proprement dit du règlement.
[53] Je partage l’avis de l’appelante. Puisque le règlement municipal en cause a été adopté à des fins régulières, le fait qu’il distingue entre personnes physiques et personnes morales et opère dans une certaine mesure ingérence dans la prise de décisions des détenteurs de permis n’a pas pour effet de l’invalider (voir la Loi de 2001 sur les municipalités, art. 10; Re Christy Taxi Ltd. and Doran (1975), 10 O.R. (2d) 313 (C.A.), page 320; et United Taxi Drivers’ Fellowship of Southern Alberta c. Calgary (Ville), [2004] 1 R.C.S. 485, paragr. 16).
Décision
[54] Par ces motifs, je me prononce pour l’accueil de l’appel et l’annulation de l’ordonnance de la juge saisie du recours en contrôle judiciaire.
[55] Je me prononce pour l’allocation à l’appelante des dépens de l’appel, fixés à 10 000 $, ainsi que des dépens du recours en contrôle judiciaire, fixés à 20 000 $, TPS et débours y compris.
Signé : Paul Rouleau, J.C.A.
“Je souscris aux motifs ci-dessus, J. M. Simmon, J.C.A.”
“ Je souscris aux motifs ci-dessus, S.E. Lang, J.C.A.”
Appel accueilli.