COUR D’APPEL DE L’ONTARIO
Les juges d’appel CARTHY, GOUDGE et O’CONNOR.
ENTRE :
TREESANN MANAGEMENT INC. Et 593288 ONTARIO LTD.
Appelantes
– et –
THE CORPORATION OF THE TOWN OF RICHMOND HILL
Intimée
))) Noel D. Gerry) pour l’appelante)))))) George H. Rust-D’Eye) et Barnet H. Kussner) pour l’intimée))) Audience : le 22 décembre 1999
En appel d’un jugement de la juge Klowak, daté du 23 septembre 1998.
Le juge Carthy :
[1] Les appelants interjettent appel de deux jugements de la juge Klowak en date du 23 septembre 1998. Un de ces jugements a rejeté une requête sollicitant l’annulation du règlement 321-96 de l’intimée et le prononcé de mesures de redressement accessoires; l’autre jugement a accordé une injonction permanente interdisant aux appelantes d’utiliser un certain local, situé sur la rue Yonge, à Richmond Hill, comme local de divertissement pour adultes.
[2] Depuis plusieurs années, la ville et Treesann se querellent et s’intentent des procédures. Leur litige porte sur l’exploitation, par Treesann, d’un local de divertissement pour adultes (que le règlement appelle « adult entertainment parlour »). C’est dans ce contexte que se sont déroulées les procédures qui ont donné lieu au présent appel. Le local visé est connu sous le nom de Major Mack Hotel. Selon mon appréciation de la preuve, plus le divertissement s’érotisait, plus l’opposition politique était déterminée. Finalement, en 1996, la ville a adopté le règlement 321-96, qui modifiait son règlement relatif à la délivrance de permis à l’égard du divertissement pour adultes. Ce nouveau règlement n’incluait plus la devanture de la rue Yonge, là où l’Hotel Major Mack était situé, parmi les endroits où pouvaient être exploités de tels locaux. Le règlement crée un nouveau secteur, appelé le secteur Enford Road Industrial, pour l’exploitation de locaux de divertissement pour adultes.
[3] Treesann, qui exploitait l’entreprise, et 593288 Ontario Ltd., qui en était propriétaire, ont intenté des poursuites alléguant partialité, mauvaise foi et illégalité. La ville a répliqué en formulant une demande d’injonction permanente qui visait à faire interdire l’exploitation future du commerce. La juge Klowak a maintenu le règlement et a accordé l’injonction.
[4] À la suite de ce jugement, Tresann a cessé ses opérations et a interjeté le présent appel. Selon les propos de son avocat, cet appel vise à établir les droits du propriétaire de l’immeuble à l’utilisation de sa propriété. En outre, les questions portées en appel ont été affinées et portent désormais exclusivement sur la légalité du règlement. La mauvaise foi n’a été invoquée qu’en lien avec l’abus de pouvoir qui aurait mené à l’adoption du règlement. En fait, le présent tribunal n’a qu’une question à trancher : la municipalité était-elle habilitée à édicter le règlement ?
[5] Les motifs de la juge Klowak se trouvent répertoriés sous l’intitulé et les coordonnées suivants : Treesann Management Inc. v. Richmond Hill (Town)(1998), 41 O.R. (3d) 625 (Div. gén.). Avant de procéder à l’analyse de ces motifs, je vais citer les dispositions législatives pertinentes. L’article 225 de laLoi sur les municipalités, L.R.O. 1990, chap. M-45 prévoit en partie ce qui suit :
225(1) Assujettissement à l’obtention de permis et réglementation de locaux de divertissement pour adultes. – Les conseils des municipalités locales peuvent adopter des règlements municipaux pour assujettir à l’obtention de permis, réglementer, régir, classer et inspecter les locaux de divertissement pour adultes ou une ou plusieurs catégories de ceux-ci ainsi que pour révoquer ou suspendre les permis et pour limiter le nombre de permis accordés conformément au paragraphe (3).
(3) Secteur défini, restriction au nombre de permis. ─ Malgré le paragraphe 257.2(4), le règlement municipal adopté en vertu du présent article peut définir un ou plusieurs secteurs de la municipalité dans lesquels l’exploitation de locaux de divertissement pour adultes ou d’une ou plusieurs catégories de ceux-ci est interdite ou permise, et peut restreindre le nombre de permis accordés pour des locaux de divertissement pour adultes ou d’une ou plusieurs catégories de ceux-ci dans le ou les secteurs où leur exploitation est permise.
Le paragraphe 257.2(4) (auquel renvoie le paragraphe 225(3)) prévoit ce qui suit :
257.2(4) Restriction – Nul conseil ne doit refuser d’accorder un permis afin d’exercer une activité commerciale en raison seulement de l’emplacement de l’activité commerciale si celle-ci était exercée sur cet emplacement au moment de l’entrée en vigueur du règlement municipal exigeant l’obtention du permis.
[6] Le règlement 321-96 a effectivement modifié des dispositions réglementaires édictées en vertu de l’art. 225. La devanture de la rue Yonge a perdu sa désignation, le nouveau règlement y substituant le secteur Enford Road Industrial. Le règlement et ses modifications énoncent par le détail le reste du régime de délivrance de permis, ainsi que l’autorise la loi et conformément aux attentes que peut susciter un règlement sur la délivrance de permis.
[7] Dans un premier temps, la juge Klowak a statué que la ville était habilitée à modifier le règlement pour révoquer des droits qui en étaient issus. Cette conclusion s’appuie sur des décisions dont l’autorité est bien établie, et elle n’est pas contestée en appel. Dans un deuxième temps, la juge des motions a traité de l’allégation de partialité des membres du conseil et de l’allégation que la modification ne s’inscrivait pas dans une logique de planification. Elle a tranché en faveur de la municipalité et cette conclusion n’a pas été contestée en appel.
[8] Dans le présent appel, le tribunal était appelé à déterminer si la modification était illégale au motif que, à toutes fins pratiques, elle interdisait l’exploitation de locaux de divertissement pour adultes sur le territoire de la ville. La catégorie de zonage « places of entertainment » ([TRADUCTION] « lieux de divertissement ») n’était pas comprise dans les catégories de la zone industrielle du district remplaçant.
[9] Selon la ville, le divertissement pour adultes est accessoire à l’exploitation de restaurants, un usage qui est permis dans la zone industrielle. En outre, la ville soutient s’être engagée à maintenir cette position. À cet égard, elle allègue les rapports de planification ayant précédé l’adoption du règlement 321-96. La ville soutient également qu’elle a fait la preuve de sa bonne foi en permettant le rezonage d’un Hall de la Légion dans le district industriel, afin que l’exploitation de tavernes et de lieux de divertissement y deviennent des usages autorisés.
[10] La juge Klowak s’est appuyée sur les motifs du juge Craig dans Toronto v. Merit Corp. (1983), 23 M.P.L.R. 125 (H.C.J. Ont.) pour conclure que le divertissement pour adultes ne pouvait être considéré comme un usage accessoire à l’exploitation d’un restaurant. Elle a ensuite conclu ce qui suit :
[TRADUCTION]
Pour me convaincre qu’elle autorisait l’exploitation de locaux de divertissement pour adultes dans la nouvelle zone industrielle, la ville ne s’est pas limitée à plaider que, selon son interprétation, le terme restaurant englobe la notion de locaux de divertissement pour adultes. Si elle l’avait fait, je n’aurais pas conclu que la nouvelle désignation réglementaire avait été faite de bonne foi. Une telle interprétation pourrait facilement être contestée et il faudrait conclure que le règlement est prohibitif à toutes fins pratiques.
En l’espèce, cependant, un autre requérant a réussi à obtenir un permis pour exploiter ce type de locaux dans le nouveau secteur industriel. Dans son cas, la ville a modifié le zonage de la propriété concernée. Le zonage existant permettait expressément l’exploitation d’un Hall de la Légion, et le nouveau zonage autorisait l’exploitation d’une taverne et d’un lieu de divertissement. Cette action accrédite la prétention que la ville est disposée à permettre l’exploitation d’un local de divertissement pour adultes dans le secteur nouvellement désigné. Elle démontre également que la ville modifiera le zonage si nécessaire, bien que, à ce jour, elle ait soutenu qu’il n’est pas nécessaire de le faire.
La législature souhaitait donner aux municipalités le choix et la flexibilité que confère un régime de permis en ce qui a trait aux locaux de divertissement pour adultes. Elle traitait ainsi le divertissement pour adultes comme une activité plutôt que comme un usage du territoire qui nécessite des modifications au zonage. En dépit de ce fait, il est possible que, en l’espèce, la ville se soit placée dans une position l’obligeant à modifier le zonage. Elle s’y trouverait forcée par le zonage en vigueur dans le nouveau secteur désigné qu’elle a choisi. En revanche, le seul fait que des modifications de zonage puissent être requises ne rend pas le règlement prohibitif : voir à cet égard Soo Mill & Lumber Co. c. Sault Ste. Marie (Ville), [1975] 2 R.C.S. 78, 47 D.L.R. (3d)1.
La question de la bonne foi a été soulevée devant nous. Passons-y à présent. Pour trancher cette question, je tiendrai compte de l’ensemble des actes de la ville, y compris ceux ayant précédé ou entouré l’adoption du règlement et ceux ayant été posés par la suite pour permettre et faciliter l’établissement d’un autre local de divertissement pour adultes dans la nouvelle zone industrielle. Examinant l’ensemble de ces éléments, je considère qu’ils appuient tous la conclusion que la ville a agi de bonne foi en édictant le règlement qui modifie la désignation de l’emplacement des locaux de divertissement pour adultes de Richmond Hill.
[11] Je traiterai d’abord de l’argument que le divertissement pour adultes constitue un usage accessoire à l’exploitation d’un restaurant. Pour qu’un usage puisse être un « accessory use » ([TRADUCTION] « usage accessoire »), au sens donné à ce terme par le règlement de zonage de la ville, il lui faut être [TRADUCTION] « naturellement et habituellement accessoire, subordonné et voué exclusivement à un usage principal ». Je souscris à la conclusion de la juge Klovak à cet égard. Un sourire condescendant suffit à répondre à l’argument que des activités telles que la danse érotique, des attouchements aux seins et la masturbation sont naturelles et normalement accessoires à une sortie au restaurant. Il n’en demeure pas moins que, lorsqu’il a recommandé la désignation du secteur, le service de planification a justifié essentiellement cette mesure par le fait qu’il s’agirait d’un usage accessoire autorisé. Voir également sur le même sujet,Bayfield (Village) v. MacDonald (1997), 39 M.P.L.R. (2d) 63, et 1121472Ontario Inc. v. Toronto (City) (1998), 39 O.R. (3d) 535.
[12] Poursuivons. En toute déférence, je ne souscris pas aux autres conclusions de la juge Klowak. La possibilité de modifier le zonage ou le rezonage d’une autre propriété n’a rien à voir avec le caractère prohibitif ou non du zonage existant. Ces éléments peuvent être indicatifs d’un sens de l’équité, mais une telle équité est au mieux une équité ad hoc. Les meilleures intentions de membres de conseils sont tributaires des processus de planification futurs et de la prise de décisions appropriées. De plus, même si le conseil choisissait d’ignorer son zonage actuel et de délivrer un permis, n’importe quel contribuable serait en droit d’intenter une action pour faire respecter le zonage industriel actuel. Voir l’art. 328 de la Loi sur les municipalités, L.R.O. 1990, chap. M-45, qui se lit comme suit :
En plus des recours et des sanctions prévus dans le règlement municipal adopté par une municipalité ou un de ses conseils locaux en vertu de la présente loi ou de toute autre loi générale ou spéciale, un contribuable, la municipalité ou le conseil peuvent, par voie d’action, faire cesser la contravention au règlement municipal. L.R.O. 1990, chap. M-45, art. 328.
[13] La comparaison de deux décisions judiciaires démontrera ce que nous avançons.
[14] Dans Pro Catering Ltd. et al. v. Town of Vaughan (1986), 17 O.A.C. 238 (C. div. Ont.), la Cour divisionnaire a statué, à la page 238, qu’un tel règlement est invalide, pour, à la page 239, affirmer ce qui suit :
[TRADUCTION]
[3] Dans le règlement de zonage général actuellement en vigueur, soit le no 2523, comme dans le règlement 2961, qui traite spécifiquement de la réglementation de terrains et d’édifices à vocation industrielle dans la municipalité de Vaughan, un tel usage n’est pas compris dans les usages autorisés. Considérant son libellé, et l’interprétation qui en est faite par la ville, le règlement de zonage interdit l’exploitation de tels locaux de divertissement pour adultes dans les secteurs zonés industriels en question. En conséquence, le règlement est prohibitif et invalide.
[15] La présente Cour a maintenu un tel règlement municipal dans 538745 Ont. Inc. v. Windsor (city) (1988), 64 O.R. (2d) 38 (C.A.). Dans cette affaire, la municipalité avait adopté des règlements de zonage afin de permettre le divertissement pour adultes dans les zones nouvellement désignées.
[16] À mon sens, la juge des requêtes a mal interprété la décision Soo Mill & Lumber Co. c. La ville de Sault Ste. Marie, [1975] 2 R.C.S. 78. Dans cette affaire, certaines utilisations de terrains, qui en apparence étaient autorisées par le règlement de zonage, faisaient partie d’une catégorie « réservée ». Cette mention signifiait qu’il s’agissait d’utilisations futures, qui étaient projetées dans le cadre de la planification à long terme envisagée dans le Plan officiel. Une partie au litige a plaidé que cette « catégorie réservée » constituait une interdiction qui rendait le règlement illégal. Le juge Laskin a conclu ce qui suit à la page 84 :
Le fait de geler l’aménagement, conformément aux préceptes du Plan officiel mis à exécution par le règlement de zonage, n’équivaut pas à une violation du par. (1) de l’art. 35 lorsque des utilisations agricoles et connexes (et des utilisations préexistantes) sont permises. L’appelante ne peut pas non plus se plaindre de discrimination simplement parce que la conséquence du gel est la stérilité de son terrain du point de vue aménagement, lorsque cela intervient dans le contexte d’un Plan d’ensemble officiel et d’un règlement général de zonage adopté pour le mettre en oeuvre. Il n’y a pas eu d’allégation de mauvaise foi de la part de l’intimée lorsqu’elle a mis le terrain de l’appelante dans la « catégorie réservée ». La municipalité avait discrétion pour ce faire en vertu du plan de zonage.
[17] La Cour devait déterminer si les utilisations de terrains étaient interdites et elle a statué que non : certaines étaient autorisées et d’autres étaient reportées jusqu’à ce qu’elles soient examinées en lien avec le Plan officiel. Dans la présente affaire, nous devons déterminer si les utilisations axées sur le divertissement pour adultes sont interdites. Et tel est clairement le cas. Dans Soo Mills, si toutes les utilisations de terrains avaient requis une demande de changement de zonage, l’issue du litige aurait, à mon avis, été très différente.
[18] Ainsi, je conclus que le règlement 321-96 de la ville de Richmond Hill était illégal dans la mesure suivante : par la manière dont il modifiait les désignations de secteurs pour lesquels des permis d’exploitation de locaux de divertissement pour adultes pouvaient être délivrés, le règlement interdisait le divertissement pour adultes. Ainsi, l’injonction devrait être annulée et le jugement d’instance inférieure modifié pour faire droit à la requête des appelantes et pour accorder un jugement déclaratoire qui reprenne les dispositions des présents motifs.
[19] Tout en annulant l’injonction, je suis conscient que l’exploitant Treesann ne dispose plus des locaux visés et qu’il ne semble y avoir aucun risque immédiat de reprise des activités sans permis. Passons aux dépens. À cet égard, je note que l’entreprise est restée en affaire sans permis de 1992 à 1998, l’année où une injonction a été accordée. La municipalité a patiemment attendu l’issue de diverses démarches judiciaires avant de demander une ordonnance restrictive. Dans l’intervalle, il semble que l’entreprise ait été florissante. Je crois qu’il est juste de dire que l’appelante Treesann a joué le jeu des procédures judiciaires tant que son commerce a généré des profits et qu’elle a perdu tout intérêt pour l’issue des procédures à partir du moment où il n’était plus possible d’exploiter l’entreprise. L’appelante propriétaire a été victorieuse, mais il ne s’agit probablement que d’une victoire morale. Elle risque toujours que, pour atteindre son objectif initial – bannir le divertissement pour adultes de l’allée Young –, la ville adopte des règlements adéquats, selon un processus régulier. Compte tenu de toutes ces circonstances, je n’accorderais de dépens ni pour l’appel devant la présente Cour, ni pour la procédure tenue devant le tribunal d’instance inférieure.
Jugement rendu le 22 février 2000 « JJC » Le juge J.J. Carthy, de la Cour d’appel
Je souscris aux motifs du juge Carthy.
Le juge T.S. Goudge, de la Cour d’appel
Je souscris à l’opinion du juge Carthy.
Le juge D.R. O’Connor, de la Cour d’appel