COUR D’APPEL DE L’ONTARIO
Les juges LABROSSE, WEILER et SHARPE, J.C.A.
ENTRE
SA MAJESTÉ LA REINE
ex rel. Steeds
(appelante)
– et –
DAVID VENN
(intimé)
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Miclael D. Lipton, c.r., et
Kevin J. Weber, pour l’appelante
David E. Wires et Lori Mattis, pour
l’intimé
Appel entendu le 6 septembre 2000
Appel formé contre le jugement du juge William F. Fitzgerald en date du 27 janvier 2000.
Le juge WEILER, J.C.A.
Introduction
[1] L’appel en instance porte au premier chef sur la question de savoir si DavidVenn, comptable général certifié (CGA), a exercé sans permis la profession de comptable public, en contravention à la Loi sur la comptabilité publique, L.R.O. 1990, chap. P.37 (la Loi).[1] Par les motifs qui suivent, je me prononce pour l’accueil de l’appel, l’infirmation de l’acquittement de M. Venn et le rétablissement du verdict de culpabilité rendu à son encontre.
Les faits de la cause
a) La législation applicable
[2] Aux termes de l’article premier de la Loi, comptable public s’entend de lapersonne qui rend au public, contre rémunération, des services qui consistent notamment à faire dresser des états financiers ou comptables, sur lesquels il est indiqué qu’elle agit à titre de comptable indépendant ou de personne qui a des connaissances spécialisées en comptabilité ou en vérification.
[3] L’article 34 de la même loi spécifie que celle-ci n’a pas pour effet d’interdire à qui que ce soit d’exercer la profession de comptable industriel ou de comptable en matière de prix de revient, ou « de dresser des états, rapports ou certificats et de donner des avis dans le cadre de l’exercice de cette profession ». Comptables industriels et comptables de coûts de revient sont souvent appelés aussi comptables en management.
[4] Il y a trois titres de comptable conférés par les corporations reconnues par la loi ontarienne : comptable agréé (CA), comptable en management accrédité (CMA) [2], et comptable général certifié (CGA). Les conditions de certification du CGA sont moins strictes que celles prévues par la Loi pour le permis de CA; voir R. ex rel.Steeds v. Lewis (1997), 36 O.R. (3d) 688 (C.A. Ont.), pages 693 et 694. Cette loi a pour effet de créer un monopole professionnel en faveur des comptables agréés. Les lois portant création de monopoles professionnels doivent être interprétées de façon restrictive; v. Pauze v. Gauvin, [1954] S.C.R. 15. L’exemption prévue à l’article 34 permet au CGA de se charger des tâches spécifiées, à condition qu’elles ne sortent pas des limites de cette exemption. La limitation du travail que peut faire le CGA a pour objet de protéger le public. Bien que les permis de comptable susmentionnés peuvent assurer un avantage pécuniaire à leurs titulaires, cet avantage n’était pas la raison pour laquelle le législateur a conféré aux diverses corporations professionnelles le pouvoir de délivrer des permis. N’empêche que la délivrance d’un permis investit le titulaire du droit exclusif d’exercer dans le domaine spécifié, et ce afin de protéger le public qui ne serait pas en mesure de juger de la qualité des services requis dans un cas donné. Voir le Report of the Profession OrganizationsCommittee, (Toronto : Ministère du Procureur général, 1980), page 133; Legislature of Ontario Debates, 3e session, 32e Parlement, 32 Eliz II, 1983; M.J. Trebilook, CriticalIssues in Design of Governance Regimes, (1989) 23 L. Soc. Gaz.
(b) Les précédents Manuel et Rayner
[5] Pour examiner si l’appelant a exercé sans permis la profession de comptable public, il faut se guider sur la décision R. ex rel. Doughty v. Manuel (1982), 38 O.R. (2d) 321 (C.A.) et sur une décision parallèle, rendue publique à la même date, R. exrel. Bucknam v. Rayner (1982), 38 O.R. (2d) 336 (C.A.). Dans l’affaire Manuel, un CGA tenait les livres et établissait les états financiers pour plusieurs entreprises. Il n’y avait aucune preuve établissant qu’il assurait ou entendait assurer ces services à qui que ce fût à l’extérieur de ces entreprises. Le juge Blair, J.C.A., a conclu que l’exception visant les comptables en matière de prix de revient à l’article 34 de la Loi s’appliquait aux « comptables en management », c’est-à-dire aux personnes dont le travail se limitait à l’établissement des états financiers exclusivement destinés à l’usage de la direction de l’entreprise, et non à l’usage d’autres personnes. En conséquence, il a fait droit à l’appel de l’intéressé qui avait été jugé coupable d’exercice sans permis de la profession de comptable public, et l’a acquitté.
[6] Dans l’affaire Rayner, jugée parallèlement à Manuel, un CGA dressait des états financiers non seulement pour la direction du club, qui l’a engagé, mais aussi à l’intention des membres de ce club, auxquels il les a distribués lors d’une assemblée. Le juge Blair, J.C.A., a conclu que ce CGA ne faisait pas un travail de comptable en management, mais de comptable public, contrevenant ainsi à la Loi.
[7] Dans Manuel, en page 331, le juge Blair, J.C.A., a prévu l’éventualité de la question qui se pose dans l’appel en instance, en ces termes :
[TRADUCTION] La preuve relative à l’usage effectif ou prévu des états dressés par le comptable est claire et simple en l’espèce comme dans l’affaire Rayner. Il n’est cependant pas difficile de concevoir des cas où elle ne le serait pas. Une interrogation plus serrée des clients pourrait révéler qu’ils ont utilisé ou avaient l’intention d’utiliser pareils états financiers, dans le cours normal des affaires et dans leurs transactions avec les banques, les créanciers, etc. Lorsque pareil usage est possible, il serait difficile pour le comptable de prouver qu’il ne savait pas ou n’aurait pu savoir que ses états financiers seraient utilisés par des tiers. [c’est moi qui souligne.]
Et en page 332:
[TRADUCTION] Il faut noter que le fait pour un tiers d’utiliser tels ou tels états financiers ne signifie pas qu’il s’y fie entièrement, la dernière condition étant, selon l’appelant, le trait distinctif de la comptabilité publique. La confiance du tiers tient à la fonction du vérificateur qui, en toute impartialité, examine et certifie les comptes. Mais l’usage qu’on fait des états est un concept plus restreint et ne recouvre pas l’impératif de certification qui justifie la confiance. Le comptable établissant les états financiers à l’usage de la direction est exempté de la condition du permis, mais la divulgation ou la perspective raisonnable de divulgation aux tiers qui pourront s’en servir dans leurs transactions avec la direction peut le disqualifier de cette exemption. J’ai employé à dessein les mots « peut disqualifier » afin de ne pas exclure l’examen à fond de la question à l’avenir. J’estime cependant que si un comptable général certifié débordait le rôle strictement défini de comptable en management, il empiéterait dans le domaine de la comptabilité publique, pour lequel il n’a pas de permis. [c’est moi qui souligne.]
Les faits de la cause
[8] M. Venn, qui est CGA, a préparé pour une compagnie appelée The Coach House, des déclarations d’impôt sur le revenu, auxquelles étaient joints les états financiers, pour les années 1992, 1993 et 1994. Après avoir dressé l’état financier de 1992, il a été poursuivi et jugé coupable d’exercice sans permis de la profession, à l’issue d’un procès en septembre 1993. Lors de ce procès, le banquier de la compagnie a témoigné que l’état financier établi par M. Venn pour la compagnie avait été communiqué à la banque pour qu’elle pût suivre les progrès de cette dernière. Elle s’en est aussi servie pour décider s’il fallait accorder certaines concessions à la compagnie dans le remboursement d’un prêt hypothécaire consenti par la banque.
[9] M. Venn a établi les états financiers de 1993 et 1994, mais ces états ainsi que le compte rendu de mission avec examen, qui y était joint, portaient des mentions qui ne figuraient pas dans l’état de 1992. À la différence de celui-ci, les états de 1993 et 1994 étaient expressément destinés à la direction. Le compte rendu de mission avec examen, qui y était joint, s’ouvrait sur cette mention « En tant que votre comptable en management » et spécifiait que l’état financier en question était « pour l’usage interne de la compagnie » et que l’examen de ce dernier « … ne constitue pas une vérification et ne fait pas l’objet d’un commentaire d’expert-comptable ».
[10] Le 19 octobre 1993, IPCF Properties Limited (« IPCF ») a conclu un accord pour acheter les actions de The Coach House à la date du 31 octobre 1994. Selon un accord supplémentaire en date du 14 octobre 1994, IPCF s’est engagée à acheter « toutes les actions émises et en circulation de Coach House Motor Inn Inc. et certains comptes de personnes apparentées ». Dans l’un et l’autre accords, les actionnaires vendeurs s’engageaient à « faire établir par les comptables [de The Coach House] un état des affaires de l’entreprise à la date de signature, y compris un état financier et un bilan… ». L’impôt sur le revenu à payer par The Coach House à la date de signature devait aussi être calculé aux fins d’ajustement du prix de vente à la même date. IPCF s’engageait à rembourser à The Coach House la moitié des frais de comptable occasionnés par l’établissement des états financiers.
[11] M. Dunlop, le contrôleur de IPCF, était chargé de veiller à ce qu’il y eût diligence raisonnable dans l’achat de The Coach House. En octobre 1994, il a rencontré M. Kim, l’un des deux principaux actionnaires de cette dernière compagnie, pour examiner les livres et registres de l’entreprise, y compris les déclarations d’impôt sur le revenu et les états financiers. Il manquait cependant certains renseignements d’ordre fiscal ainsi qu’un état financier pour la période tampon allant du 1er juillet 1994 au 31 octobre 1994 (cette dernière date étant la date de signature de la vente). M. Kim et son associé ont dit à M. Dunlop que la personne qu’il devait voir à ce sujet était M. Venn. Le 24 octobre 1994, M. Dunlop a appelé M. Venn, pour l’informer qu’il était le contrôleur de la compagnie qui achetait The Coach House et lui demander où se trouvaient la déclaration d’impôt sur le revenu et l’état financier afférents à la période tampon. M. Venn a répondu qu’il était en train de les préparer. M.Dunlop lui a fait savoir que ces documents étaient prévus dans la promesse de vente. Après deux conversations subséquentes, M. Venn a envoyé par télécopieur copie des états aux avocats de IPCF. Après avoir reçu ces documents, M. Dunlop l’a appelé de nouveau pour demander des éclaircissements sur un point, et M. Venn les lui a donnés. IPCF s’en est remise à l’état financier du 31 octobre 1994, ainsi qu’à la déclaration d’impôt fédéral de 1994 et à la déclaration d’impôt provincial pour 1994. IPCF ne retenait pas les services de M. Venn après l’achat.
[12] M. Venn a été de nouveau poursuivi sous un seul chef d’inculpation portant sur trois actes d’exercice sans permis de la profession de comptable public, en contravention à l’alinéa s.24(1)b) de la Loi. Il a été déclaré coupable par le juge de paix P. Leclerc et condamné à une amende de 5 000 $. Sur appel, le juge W.F. Fitzgerald a infirmé le verdict de culpabilité. Le ministère public ex rel. Steeds a demandé l’autorisation spéciale de former appel contre cette dernière décision, en application de l’article131 de la Loi sur les infractions provinciales, L.R.O. 1990, chap. P. 33, modifiée par 1993, chap. 31, et le juge Rosenberg, J.C.A., a fait droit à la requête.
Les décisions des premiers juges
[13] Le juge de première instance a conclu que « M. Venn aurait dû raisonnablement prévoir que Revenu Canada, M. Bruce Munro (le représentant de la banque TD) et M. Steven Dunlop de la compagnie IPCF s’en remettraient aux états financiers et aux déclarations d’impôt qu’il avait préparés ». M. Venn connaissait l’identité de ces trois parties et il avait directement affaire avec M. Dunlop. Bien que les états financiers qu’il avait dressés fussent clairement destinés à la direction selon les comptes rendus de mission avec examen, qui y étaient joints :
[TRADUCTION] ils étaient destinés à des usages autres que le contrôle de la gestion de la compagnie (savoir : faciliter la vente de The Coach House à IPCF, permettre à la banque d’apprécier les progrès de The Coach House, permettre à la banque de décider s’il y avait lieu de consentir des concessions, documenter les déclarations d’impôt auprès de Revenu Canada; il y a encore le fait qu’il s’est présenté comme « le représentant désigné » de The Coach House « pour toutes questions concernant la Loi de l’impôt sur le revenu ».
[14] Le juge de première instance a encore conclu que M. Venn aurait dû être plus attentif qu’il ne l’a été, et que le travail qu’il faisait était du genre pour lequel un permis était requis. Ou bien il savait ou bien il ignorait délibérément que les états financiers en question serviraient à d’autres fins que celles qui y étaient mentionnées, c’est-à-dire l’usage interne de la direction. En conséquence, il ne pouvait se réclamer de l’exemption prévue à l’article 34 de la Loi. Le juge l’a en conséquence déclaré coupable d’exercice sans permis de la profession de comptable public.
[15] En appel, le juge Fitzgerald a fait observer qu’il ne remettait pas en question les conclusions sur les faits du juge de première instance et qu’à son avis, dans l’affaireManuel susmentionnée, les états financiers étaient exclusivement destinés à l’usage de la direction et, par suite, M. Manuel a été acquitté du chef d’exercice illégal de la profession de comptable public. Dans Rayner, les états financiers ont été établis, non seulement à l’usage de la direction, mais aussi à l’intention des membres d’un club. C’est pourquoi le comptable ne pouvait revendiquer l’exemption prévue à l’article 34 de la Loi. Appliquant les règles de droit dégagées dans Manuel et Rayner, il a relevé le témoignage d’un représentant de Revenu Canada selon lequel le fisc interprète la certification dans une déclaration d’impôt sur le revenu comme émanant de la direction de la compagnie. À son avis, le dépôt d’une déclaration d’impôt sur le revenu n’a rien à voir avec l’exercice de la profession de comptable public. En ce qui concerne les états financiers communiqués à la banque TD, il a conclu que « rien ne prouve que ces états avaient été établis à l’intention de la banque, ou même qu’ils avaient été établis à son usage ». De même, en ce qui concerne l’usage fait de ces états financiers par IPCF, il a conclu en ces termes :
[TRADUCTION] Là encore, rien ne prouve que ces états financiers avaient été préparés à l’intention de qui que ce fût à part The Coach House. Ils n’ont été établis que pour l’usage interne. L’utilisation des états financiers de The Coach House par l’acheteur était conforme à la promesse de vente conclue par les parties. Toute utilisation par l’acheteur, ou par M. Dunlop pour son compte, était une décision d’affaires prise par l’acheteur.
Et d’ajouter :
[TRADUCTION] … quand bien même M. Venn aurait su que les états financiers qu’il avait préparés ou était en train de préparer pour The Coach House, seraient portés à l’attention de la banque ou de l’acheteur, la nature de ces états n’en avait pas changé, et ses rapports avec The Coach House n’en avaient pas changé non plus.
[16] Le juge Fitzgerald a conclu que M. Venn ne prétendait pas faire un travail de « comptable ou de vérificateur indépendant ». Le fait, dit-il, pour M. Venn de savoir que d’autres personnes que la direction utiliseraient les états financiers en question « n’en change pas la nature ni ne change la nature de la profession qu’il exerce. ». En conséquence, il a infirmé le verdict rendu par le juge de première instance et a acquitté M. Venn.
Analyse
[17] L’appelante soutient que, dans la mesure où M. Venn savait que les états qu’il établissait ne seraient pas à l’usage exclusif de la direction, le juge Fitzgerald n’a pas correctement appliqué les décisions Manuel et Rayner, susmentionnées, du siège. M.Venn, l’intimé, réplique que la Cour d’appel a expressément laissé la question ouverte et que, eu égard à toutes les circonstances de la cause, le juge Fitzgerald n’a pas commis d’erreur dans la conclusion qu’il a tirée comme suit :
… quand bien même M. Venn aurait su que les états financiers qu’il avait préparés ou était en train de préparer pour Coach House, seraient portés à l’attention de la banque ou de l’acheteur, la nature de ces états n’en avait pas changé, et ses rapports avec The Coach House n’en avaient pas changé non plus.
[18] Selon le juge Fitzgerald, M. Venn ne prétendait pas faire un travail de « comptable ou de vérificateur indépendant ». Je ne partage pas cette conclusion. M.Venn savait effectivement que l’acheteur s’en remettrait aux informations et indications qu’il donnait dans le compte rendu et l’état financier qu’il avait dressés pour la période tampon, et s’en servirait. La mention sur les états de 1993 et 1994 que ceux-ci étaient destinés à l’usage interne, ne change rien au fait qu’il savait effectivement que l’acheteur se fierait à ces états. Le seul emploi de cette formule n’est pas déterminant pour ce qui est de la responsabilité; voir Ordre des comptables agréés du Québec c. Goulet (1981), 126 D.L.R. (3d) 135 (C.S.C.), page 140. Il ressort des faits de la cause que l’acheteur tiers le consultait directement. Il savait parfaitement que celui-ci recevrait copie de l’état financier pour la période tampon, qu’il était en train de préparer, et aussi que le client se fonderait sur le compte rendu et l’état financier pour la période tampon, par lui préparés, pour prendre les dispositions nécessaires en vue de la solidité financière de la compagnie. Il se trouve qu’en l’espèce, l’acheteur savait ce qu’il faisait et n’avait pas besoin de protection. Ce ne sera pas toujours le cas. Il ne s’agit pas de considérer l’opération après coup et de dire que, puisque l’acheteur n’avait pas besoin de protection, il aurait fallu permettre à M. Venn d’établir l’état financier pour la période tampon. La loi n’est pas conçue à l’intention de l’acheteur averti. En conséquence, M. Venn n’a pas droit au bénéfice de l’exemption prévue à l’article 34 de la Loi pour ce qui est de ces tâches.
[19] M. Venn a aussi préparé la déclaration d’impôt sur le revenu de la compagnie pour la période tampon. M. Caldwell, chargé de cas des dossiers importants chez Revenu Canada depuis 27 ans, a témoigné que la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1, requiert que les déclarations d’impôt sur le revenu soient faites sur formule réglementaire. La formule indique que la déclaration comprend des annexes qui sont, essentiellement, des états financiers. Le législateur ne spécifie pas que la compagnie déposant la déclaration d’impôt sur le revenu (annexes y comprises) doit avoir l’expertise spéciale en la matière ou qu’elle emploie à cette fin quelqu’un qui ait cette expertise. La page de certification de la déclaration doit être signée par un dirigeant de la compagnie, et Revenu Canada interprète la certification comme étant l’attestation de l’exactitude des renseignements déclarés par la direction de la compagnie. Revenu Canada n’exige pas que l’attestation de l’exactitude des états financiers joints à la déclaration soit faite par la personne même qui a préparé ces états. La préparation d’une déclaration d’impôt sur le revenu et des états financiers qui y sont joints ne constitue pas, à mon avis, une contravention à l’article premier de la Loi. La personne qui signe la déclaration d’impôt sur le revenu n’est pas M. Venn mais le contribuable ou, quand il s’agit d’une compagnie, la personne qui en a la signature sociale. L’affirmation figurant dans la déclaration et les états financiers qui y sont joints est celle du contribuable. Cette affirmation n’est pas celle de M. Venn. Rien ne porte à croire que vis-à-vis de la tierce partie qu’est le fisc, M. Venn fait un travail indépendamment du contribuable ou qu’il est expert-comptable. En conséquence, la préparation de la déclaration d’impôt sur le revenu et des pièces jointes ne vaut pas exercice de la profession de comptable public, telle qu’elle est définie dans la Loi.
[20] La raison pour laquelle que je conclus que M. Venn n’a pas enfreint la loi en établissant les déclarations d’impôt sur le revenu est dans le droit fil des fins poursuivies par le législateur dans l’adoption de la législation concernant les corporations professionnelles. Comme nous l’avons vu supra, cette législation a pour objet de défendre l’intérêt public. Dans le cas des déclarations d’impôt sur le revenu et des pièces jointes, la question de l’intérêt public ne se pose pas.
[21] Les états financiers communiqués à la banque forment le groupe restant des documents visés. M. Venn savait qu’ils étaient communiqués à la banque. Lors d’une poursuite précédemment engagée contre lui en septembre 1993 pour exercice illégal de la profession de comptable public, le directeur de la banque témoignait que celle-ci se fondait sur les états financiers de The Coach House pour apprécier les progrès de la compagnie et pour décider s’il y avait lieu de lui consentir des concessions sur les paiements hypothécaires. En l’espèce, il ressort des témoignages produits à l’audience qu’il y avait contact direct entre la banque et M. Venn au sujet des états financiers qu’il avait dressés pour The Coach House. L’appelante en conclut que celui-ci savait effectivement qu’il ne s’agissait plus de services destinés à l’usage interne de la compagnie. Selon l’appelante, la remise de ces états financiers à la banque constituait une assurance donnée par M. Venn au sujet de la situation financière de la compagnie, fondée sur les renseignements qu’elle lui avait données. Il s’ensuit qu’il ne bénéficiait plus de l’exemption prévue à l’article 34 puisqu’il prétendait faire un travail d’expert-comptable. Je suis aussi de cet avis.
[22] En faisant droit à la conclusion de l’appelante, je note que les états financiers en question étaient toujours accompagnés d’un compte rendu de mission avec examen. Ce compte rendu indiquait seulement que les états financiers n’avaient pas été soumis à une vérification. Il n’y a rien dans les comptes rendus de mission avec examen, joints aux états financiers, ou dans les autres documents communiqués à la banque et produits en preuve, qui indique que les renseignements contenus dans ces états financiers représentaient des affirmations de la part des dirigeants de The Coach House. Les documents produits en l’espèce n’indiquent pas non plus que ces dirigeants assumaient la responsabilité pour la justesse, l’exactitude et la plénitude des renseignements financiers communiqués. À la différence des déclarations d’impôt sur le revenu, il n’y a aucune preuve établissant que la personne qui donnait les renseignements financiers à la banque attestait que les assertions contenues dans les états financiers étaient les siennes propres.[3]
[23] En conséquence, je ferai aussi droit à l’appel par ce motif.
(a) Autrefois convict
[24] Il se pose en l’espèce la question auxiliaire de savoir si M. Venn peut prétendre à l’exception d’autrefois convict du fait qu’il avait été jugé coupable lors d’une poursuite précédente.
[25] Le motif par lequel j’ai confirmé le verdict de culpabilité prononcé contre M. Vennn’a aucun rapport avec les actes en raison desquels il avait été antérieurement jugé coupable. Spécifiquement, j’ai confirmé le verdict, rendu à son encontre, de culpabilité d’exercice sans permis de la profession de comptable public, parce qu’il a établi l’état financier pour la période tampon du 30 juin au 31 octobre 1994 dans le cadre de la vente de The Coach House à IPCF. Les renseignements à l’origine de la condamnation précédente de l’intimé se rapportent à des actes commis durant la période de six mois qui prit fin le 25 janvier 1994.
(b) L’imprécision de l’article premier
[26] Il me reste encore à examiner si la Loi et, plus spécifiquement, la définition de « comptable public » en son article premier et l’interdiction prévue à l’alinéa 24(1)b), sont nulles pour cause d’imprécision au regard de l’article 34 de la même loi. Je conviens avec le juge de paix Leclerc et d’autres juges que la Loi n’est pas un texte de loi des plus clairs et qu’une clarification par le législateur serait bienvenue. À supposer que l’article 7 de la Charte des droits et libertés s’applique, j’estime cependant que cette loi est suffisamment précise pour se soustraire à toute contestation fondée sur l’argument d’imprécision; v. R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606, pages 638-640.
[27] L’appel fondé sur l’argument d’imprécision est aussi rejeté.
Conclusion
[28] Par ces motifs, je me prononce pour l’accueil de l’appel formé contre l’acquittement de M. Venn, l’infirmation de cet acquittement et le rétablissement du verdict de culpabilité rendu à son encontre.
Rendu public le 11 décembre 2000
Signé : « Karen M. Weiler, J.C.A. »« Je souscris aux motifs ci-dessus, J.M. Labrosse, J.C.A. »« Je souscris aux motifs ci-dessus, Robert J. Sharpe, J.C.A. »
Loi sur la comptabilité publique
Lois refondues de l’Ontario, 1990, chapitre P.37
MODIFIÉE PAR 1998, C. 18, ANNEXE B, ART. 12.
1. Définitions
1. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.
« comptable public » La personne qui, seule ou en société de personnes ou en société professionnelle, rend au public, contre rémunération, des services qui consistent notamment :
a) à faire dresser, signer, remettre ou délivrer des états financiers ou comptables ou des états d’ordre financier ou comptable;
b) à donner par écrit, des avis, rapports ou certificats relatifs à ces états;
lorsque les circonstances, la signature, la papeterie ou la formulation indiquent que la personne ou la société agit ou prétend agir à l’égard de ces états, avis, rapports ou certificats comme un comptable ou un vérificateur indépendant ou comme une personne ou une société qui a ou qui prétend avoir des connaissances spécialisées en comptabilité ou en vérification. Le terme ne s’entend pas cependant de la personne qui limite ses activités à la tenue des livres, à la comptabilité de prix de revient ou à la mise en place de systèmes de tenue des livres, de comptabilité commerciale ou de calcul de prix de revient ni de la personne qui exerce ses fonctions de comptable ou de vérificateur exclusivement à l’égard :
c) d’un corps public ou d’une commission, d’un comité ou autre émanation de ce corps public, y compris une société de la Couronne;
d) d’une banque ou d’une société de prêt ou de fiducie;
e) d’une compagnie de transport constituée par une loi du Parlement du Canada;
f) de tout autre organisme de services publics dont la propriété ou le contrôle est public. (« public accountant »)
« Conseil » Le Conseil des comptables publics de la province de l’Ontario. (« Council »)
« corporation professionnelle » L’Institut des comptables agréés de l’Ontario. (« qualifying body »)
« prescrit » Prescrit par les règlements pris par le Conseil en vertu de la présente loi. (« prescribed »). L.R.O. 1990, chap. P.37, art. 1.
24.(1) Interdiction : emploi du titre
24.(1) Sous réserve du paragraphe (2), nul ne peut faire ce qui suit en Ontario à moins d’être titulaire d’un permis délivré en vertu de la présente loi :
2. Exercer la profession de comptable public
34. Exception
34. La présente loi n’a pas pour effet d’empêcher un membre inscrit de laSociety of Management Accountants of Ontario ou toute autre personne d’exercer la profession de comptable industriel ou de comptable ou consultant en matière de prix de revient, de se présenter sous ce titre, de dresser des états, rapports ou certificats et de donner des avis dans le cadre de l’exercice de cette profession. L.R.O. 1990, chap. P.37, art. 34.
[1]Pour plus de commodité, le texte des dispositions applicables de la Loi sur la comptabilité publique est reproduit à la fin de ce jugement.
[2] Ces titres ne sont pas en jeu en l’espèce.
[3] Je note que dans Bloor Italian Gifts Ltd. v. Douglas M. Dixon (2000), 48 O.R. (3d) 760, le juge MacPherson, J.C.A., était appelé à examiner une lettre de mission et un compte rendu de mission avec examen, soumis par un CA. La lettre de mission stipulait la limitation de responsabilité suivante :
Bien que nous nous chargions d’établir ou de vous aider à établir vos états financiers, ces états représenteront vos propres déclarations, et vous devez assumer la responsabilité quant à leur justesse.(c’est moi qui souligne.)