Re Walker
[1925] O.J. No. 159
Aussi publié à
56 O.L.R. 517
Cour suprême d’Ontario – Division d’appel
Le juge en chef Latchford et les juges d’appel Magee, Middleton et Orde
Le 23 janvier 1925
Testament — Interprétation — À l’exception de certains biens définis, l’ensemble du patrimoine du testateur a été donné à sa veuve — Une directive est énoncée quant aux biens qui, au décès de sa veuve, demeurent entre ses mains « Undisposed of » ([TRADUCTION] « sans qu’elle en ait disposé ») — Une clause prévoit leur distribution entre des personnes désignées — Incompatibilité — Des règles d’interprétation ont été établies dans différentes catégories de causes — Les décisions publiées aident le juge à trancher.
Lorsqu’un testateur donne des biens à une personne, avec l’intention que celui qui les reçoit détienne tous les attributs du droit de propriété, et qu’à ces volontés il ajoute un legs subséquent de tout bien qui demeura in specie à sa mort ou à la mort de cette personne, le testateur tente d’accomplir l’impossible. Son intention est claire, mais elle ne saurait être effective. Dans une telle situation, le tribunal doit s’efforcer de donner, à la volonté du testateur, autant d’effet qu’il est possible de lui donner en respectant la loi. À cette fin, le tribunal détermine laquelle des volontés testamentaires est prédominante, et il donne effet à cette volonté. Le tribunal rejette ensuite l’intention subordonnée au motif qu’elle est incompatible avec la volonté prédominante. Dans une des catégories des cas qui se présentent, le legs à la première personne nommée prévaut sur le legs subséquent; tandis que, dans une autre catégorie de cas, le legs subséquent prévaut et un domaine uniquement viager est conféré à la première personne nommée. Il n’y a pas de catégorie intermédiaire : si le premier bénéficiaire reçoit un domaine viager seulement, mais que le viager est investi d’un pouvoir de vente qu’il peut exercer à tout moment de la durée de son domaine, l’exception à la règle n’est qu’apparente, puisque, dans un tel cas, on ne constate aucun conflit au vu de la donation.
Décisions suivies : Shaw v. Ford (1877), 7 Ch. D. 669; In re Rosher (1884), 26 Ch. D. 801; et In re O’Hare, [1918] 1 I.R. 160.
Décisions expliquées et distinguées : Shearer v. Forman (1911), Q.R. 40 S.C. 139; Shearer v. Hogg (1912), 46 Can. R.C.S. 492.
En règle générale, pour qui doit interpréter un testament, aucune aide n’est fournie par des décisions publiées qui n’établissent pas de principe mais ne font qu’appliquer un principe préétabli à un document particulier.
Décisions suivies : Aspden v. Seddon (1874), L.R. 10 Ch. 397, note; et Foulger v. Arding, [1902] 1 K.B. 700.
En l’espèce, le testateur a donné et à légué, à son épouse, tous ses biens réels et personnels, à l’exception de certains biens personnels, qui ont fait l’objet de legs particuliers. Il a aussi indiqué que [TRADUCTION] « si une quelconque portion de mes biens demeure entre les mains de ma femme, sans qu’elle en ait disposé, au décès de celle-ci, ce résidu sera divisé » (« should any portion of my estate still remain in the hands of my said wife at the time of her decease undisposed of byher such remainder shal be divided ») entre certaines personnes désignées, suivant des proportions indiquées.
Arrêt : Les termes « undisposed of » ([TRADUCTION] « sans qu’elle en ait disposé ») ne visent pas une disposition que la veuve effectuerait par testament, mais une disposition que la veuve effectuerait de son vivant; on a tenté de décider du sort des biens dont la veuve n’aura pas disposé, et la stipulation prévue est incompatible avec la donation qui a été faite à l’épouse; la donation à l’épouse doit l’emporter, et le legs subséquent qu’on a tenté d’établir doit être déclaré incompatible et nul.
[1] Motion déposée par les exécuteurs testamentaires du testament de feu Ellen Fitze Walker, veuve de John Walker, en vue d’obtenir de la Cour la véritable interprétation du testament de John Walker.
[2] Le 24 septembre. La motion a été entendue par le juge RIDDELL, de la Cour des sessions hebdomadaires, à Toronto.
E. F. Raney, pour les requérants.
Evereft Bristol, pour Roland Parkin, un héritier de John Walker.
R. H. Sankey, pour les administrateurs de Women’s Auxiliary of St. Simon’s Church, bénéficiaires aux termes du testament d’Ellen.
F. W. Harcourt, c.r., Tuteur public, pour les mineurs.
[TRADUCTION]
[3] Le 27 septembre 1924. Le juge RIDDELL : — Dans son testament, feu John Walker, après avoir nommé sa femme exécutrice testamentaire, énonce ce qui suit : [TRADUCTION] « Je donne et lègue à ma femme tous mes biens réels et personnels » (sauf quelques exceptions, qui font l’objet de prescriptions particulières) « et, si une quelconque portion de mes biens demeure entre les mains de ma femme, sans qu’elle en ait disposé, au décès de celle-ci, ce résidu sera divisé comme suit […] ». Les modalités applicables à l’éventualité visée se trouvent ensuite décrites. Aucun pouvoir de disposer par testament n’est conféré, et aucune autre prescription ne requiert notre attention.
[4] La veuve, Ellen Fitze Walker, a vécu quelques 19 années de plus et est morte en 1922. Par testament, elle avait donné et légué l’ensemble de ses biens, réels comme personnels, à des exécuteurs désignés, pour que ces biens fassent l’objet de certaines fiducies.
[5] Ayant constaté que la succession apparente incluait une portion des biens dont l’épouse avait hérité en vertu du testament de son mari, les exécuteurs demandent à la Cour d’interpréter le testament précédent et de formuler une opinion à son sujet.
[6] Les requérants ont fait valoir leur point de vue de façon très exhaustive et très soignée. J’ai lu les jugements cités, de même que d’autres décisions.
[7] Dans l’affaire Doe d. Stevenson v. Glover (1845), 1 C.B. 448, dont j’ai fait mention lors des plaidoiries, le tribunal a examiné une clause qui n’était pas dissimilaire à celle en l’espèce : « if he […] shall not have disposed of and parted with his interest in […] » ([TRADUCTION] « s’il […] n’en a pas disposé, ou ne s’est pas départi de son intérêt dans […] »). La clause vise certains biens, et précise que, dans l’éventualité énoncée, il y aura legs subséquent. Serjt. Gaselee, à des fins de discussion, à la p. 458, écrit que : [TRADUCTION] « Si seul le mot « disposed » ([TRADUCTION] « disposé ») avait été employé, il aurait clairement couvert une disposition par voie testamentaire. » La Cour a tranché contre lui, principalement parce que les mots « parted with » ([TRADUCTION] « départi de ») expliquaient le mot « disposed » ([TRADUCTION] « disposé »), mot qui les précédait et qui revêtait un caractère plus général. Cela dit, le juge en chef Tindal s’est saisi du contexte pour ajouter ce qui suit, à la p. 460 : [TRADUCTION] « Même si l’interprétation avait reposé sur le mot « disposed » ([TRADUCTION] « disposé »), j’aurais dû tendre à la conclusion que, en raison du principe qu’un testament est ambulatoire, et qu’il s’applique seulement à partir de la mort du testateur, léguer les biens en cause n’équivalait pas à disposer de ceux-ci (« a disposing of it ») au sens du testament en l’espèce. »
[8] Je ne connais pas de précédent où un testament ait contenu une clause formulée de la même façon que celle qui nous intéresse; par contre, il existe beaucoup d’affaires présentant des clauses non dissimilaires.
[9] L’argumentation des exécuteurs testamentaires comporte deux volets :
1. Il y a donation expresse, d’un domaine absolu, à la veuve, et aucun legs subséquent ne peut s’y greffer.
2. Le testament de la veuve constitue une disposition effective au sens du testament.
1. Des précédents comme In re Jones, [1898] 1 Ch. 438, sont cités, et il n’y a aucun doute qu’une fois un intérêt absolu donné, il ne saurait y avoir de legs subséquent.
[10] Mais, en l’espèce, le don à la veuve est fait [TRADUCTION] « à l’exclusion de ce qui suit, savoir » (« savingand excepting thereout as follows namely ») les articles nommés, et il est stipulé que [TRADUCTION] « si une quelconque portion […] demeure entre les mains de ma femme, sans qu’elle en ait disposé, au décès de celle-ci, ce résidu sera divisé comme suit […] » (« and also should any portion […] still remain in the hands of my said wife at the time of her decease undisposed of by her such remainder shall be divided as follows […] »).
[11] La donation n’est pas absolue : elle est sujette à l’exception précitée. La présente affaire n’est pas identique à In reSanford, [1901] 1 Ch. 939, mais elle lui ressemble plus qu’à In re Jones, et j’adopte le raisonnement du juge Joyce dansIn re Sanford.
[12] Une opinion dans le même sens est exprimée dans Roman Catholic Episcopal Corporation of Toronto v. O’Connor (1907), 14 O.L.R. 666, à la page 670.
[13] Il en va de même pour bien d’autres jugements, notamment : Constable v. Bull (1849), 3 DeG. & Sm. 411;Bibbens v. Potter (1879), 10 Ch. D. 733; et In re Pounder (1886), 56 L.J.N.S. Ch. 113.
[14] Je ne nie évidemment pas qu’une donation puisse être faite de manière à empêcher un legs subséquent.
[TRADUCTION]
2. Je crois qu’en employant les termes « undisposed of » ([TRADUCTION] « sans qu’elle en ait disposé » et « such remainder » ([TRADUCTION] « ce résidu »), le testament prévoit clairement que, durant sa vie, la veuve disposera d’au moins une partie des biens ― en d’autres termes, placera ces biens entre d’autres mains que les siennes et assujettira ces biens à un autre pouvoir que le sien ― mais pas nécessairement de leur totalité, et qu’il pourra y avoir un résidu dont elle n’aura pas disposé et qui demeurera entre ses mains. C’est ce résidu, dont elle n’aura pas disposé de son vivant, que vise la clause qui nous intéresse.
[15] Je ne puis concilier cette analyse avec l’intention que la veuve puisse disposer par testament des biens existants qu’elle a en mains.
[16] Parmi les nombreux jugements cités, aucun ne s’oppose à la conclusion qui précède, et je donne effet à cette conclusion.
[17] Le tribunal prononcera un jugement déclaratoire. Et ce jugement portera que la succession de la veuve exclut toute portion de la succession de son mari qui était encore entre les mains de la veuve au moment de son décès.
[18] Les dépens de toutes les parties seront prélevés sur cette portion des biens.
[19] Les exécuteurs testamentaires ont interjeté appel du jugement du juge RIDDELL.
[20] Le 16 décembre 1924. L’appel a été entendu par le juge en chef LATCHFORD et les juges d’appel MAGEE, MIDDLETON et ORDE.
Raney, pour les appelants
Sankey, pour les bénéficiaires du testament d’Ellen Fitze Walker
Craig McKay, pour les bénéficiaires du testament de John Walker
[21] La jurisprudence et la doctrine suivantes ont été citées par les parties : Halsbury’s Laws of England, vol. 15, par. 837, et vol. 28, par. 1408, 1409, 1455; Parnell v. Boyd, [1896] 2 I.R. 571, pp. 578, 579, 594, 602; Gulliver v. Vaux(1746), 8 DeG.M. & G. 167; In re Walker, Lloyd v. Tweedy, [1898] 1 I.R. 5; In re Dunstan, [1918] 2 Ch. 304; Bowes v.Goslett (1857), 27 L.J. Ch. 249; Parnall v. Parnall (1878), 9 Ch. D. 96; Ferry v. Merritt (1874), L.R. 18 Eq. 152;Farwell on Powers, 3rd ed., p. 75; Shaw v. Ford (1877), 7 Ch. D. 669, p. 673; Watkins v. Williams (1851), 3 Macn. & G. 622; Jarman on Wills, vol. 1, pp. 362-4, 463; Theobald on Wills, 7th ed., p. 514; In re Jones, [1898] 1 Ch. 438, distingué dans Osterhout v. Osterhout (1904), 7 O.L.R. 402; In re Sanford, [1901] 1 Ch. 939; Constable v. Bull, 3 DeG. & Sm. 411; Bibbens v. Potter, 10 Ch. D. 733; Roman Catholic Episcopal Corporation of Toronto v. O’Connor, 14 O.L.R. 666; Be Cutter (1916), 37 O.L.R. 42; Halsbury’s Laws of England, vol. 28, par. 1397; Re Richer (1919), 46 O.L.R. 367; Re Gouinlock (1915), 8 O.W.N. 561; Wilson v. Graham (1886), 12 O.R. 469; In re Ashton, [1920] 2 Ch. 481.
[22] Le 23 janvier 1925. Le juge d’appel MIDDLETON : — Appel d’un jugement du 27 septembre 1924 du jugeRiddel déclarant que la succession de feu Ellen Fitze Walker n’inclut aucune portion de la succession de feu John Walker dont elle n’avait pas disposé au moment où elle est décédée.
[23] John Walker est mort le 27 mars 1903. Il avait fait son testament le 17 novembre 1902, et ce testament fut homologué régulièrement, faisant de sa veuve son unique exécutrice testamentaire. En date du décès de M. Walker, sa succession avait une valeur approximative de 16 000$. Dans son testament, il énonçait ce qui suit :
I give and devise unto my said wife all my real and personal property saving and excepting thereout as follows namely my gold watch and chain I give to my nephew John Noble Walker non of my brother William Walker and all other jewellery I may have at the time of my decease I give to my nephews William Craig Walker and Percy Dugald Walker brothers of the said John Noble Walker share and share alike and also should any portion of my estate still remain in the hands of my said wife at the time of her deceaseundisposed of by her each remainder shall be divided as follows. […]
[TRADUCTION]
Je donne et lègue à ma femme tous mes biens réels et personnels, sauf ma montre avec chaîne en or, que je lègue à mon neveu John Noble Walker, fils de mon frère William Walker, et tout le reste des bijoux que je pourrais avoir au moment de mon décès, que se partageront, à parts égales, mes neveux William Craig Walker et Percy Dugald Walker, frères du précité John Noble Walker, et, si une quelconque portion de ma succession demeure entre les mains de ma femme, sans qu’elle en ait disposé, au décès de celle-ci, ce résidu sera divisé suit […]
[24] La veuve a survécu jusqu’en 1922. Son testament a été dûment homologué. Sa succession, y compris le résidu de la succession de son mari, était évaluée à 38 000$.
[25] Ceux qui fondent leur réclamation sur le testament du mari cherchent à faire désigner une portion de sa succession comme une portion de la succession du mari qui demeure entre les mains de sa femme [TRADUCTION] « sans qu’elle en ait disposé » (« undisposed of »). Pour ceux qui fondent leur réclamation sur le testament de la veuve, la clause du testament du mari fait que la veuve a hérité de façon absolue. Le juge Riddell a donné raison à ceux qui fondent leur réclamation sur le testament du mari. Le présent appel a été interjeté de cette décision.
[26] Depuis la nuit des temps, on a tenté d’accomplir l’impossible, de donner tout en gardant, de conférer un domaine absolu à un donataire et, à la réalisation de certains événements, de récupérer le droit de propriété et le contrôle des biens. Or il est impossible d’établir un tel mécanisme en effectuant un transfert. Lorsqu’il y a droit de propriété absolu, le droit de propriété investit le propriétaire de tous les droits d’un propriétaire. La possibilité d’une aliénation se trouve limitée, et les tentatives de ce genre pour façonner et contourner la loi sont nulles : In re Rosher (1884), 26 Ch. D. 801.
[27] Déjà en 1498 (13 Hen. VII 22, 23, pl. 9), le juge en chef Bryan avait coupé la parole à un avocat plaidant qu’une condition de non aliénation rattachée à un fief simple était valide. Le juge avait interjeté que la Cour ne désirait pas [TRADUCTION] « entendre plaider une telle élucubration, parce qu’elle est, tout simplement, contraire à ce qui est communément appris et est maintenant, pour ainsi dire, un principe […] parce qu’ainsi nous devrions réviser la totalité de nos précédents anciens. Abstenez-vous donc d’en rajouter sur ce point » : Gray’s Restraints on the Alienation of Property, 2e éd., pp. 9-10.
[28] Il arrive souvent que, par le biais d’un legs non réalisé, des testateurs parviennent à obtenir ce qui serait impossible autrement : créer un droit futur qui naîtra de certains événements et mettra fin à un domaine en fief simple préexistant. Cela dit, des limites ont été rattachées à un tel droit. Il s’agit d’exceptions à la règle générale qu’un domaine donné par testament peut être mis en échec par la survenance d’un événement quelconque.
[TRADUCTION]
Une de ces exceptions peut, à mon sens, s’énoncer comme suit : si un legs non réalisé met en échec ou abrège un domaine en fief en modifiant le cours de sa dévolution, qui doit prendre effet au moment de la dévolution et à aucun autre moment, ce legs non réalisé est défectueux. On justifie cette exception par la contradiction ou l’incompatibilité entre, d’une part, le principe juridique qui régit la dévolution du domaine et, d’autre part, le legs non réalisé qui doit prendre effet au seul moment de la dévolution, et en modifier le cours […] Voici une autre exception à la proposition générale que j’ai déjà exposée : si un legs non réalisé doit mettre en échec un domaine, et qu’il doit prendre effet sur l’exercice de l’un ou de l’autre des droits constituant des attributs de ce domaine, ce legs non réalisé est nul. Encore une fois, on justifie cette exception par l’incompatibilité ou la contradiction entre, d’une part, la nature du domaine donné et, d’autre part, la nature du legs non réalisé subséquent. Voici une illustration très courante de ce principe : tout legs non réalisé devant prendre effet sur une aliénation ou une tentative d’aliénation est nul, au motif que le droit d’aliéner est un attribut de tout domaine en fief simple, comme de tout autre type de domaine. Ce même principe est également illustré par ce qui se produit lorsque l’exercice du legs non réalisé subséquent est conçu prendre effet sur une absence d’aliénation : le droit de jouir d’un bien sans l’aliéner est un attribut du domaine donné.
[29] J’ai cité le juge Fry dans Shaw v. Ford (1877), 7 Ch. D. 669, 673, 674, et je complèterais cette citation en référant à la savante analyse qui a été menée au sujet de cette cause par le maître des rôles O’Connor, dans In re O’Hare, [1918] 1 I.R. 160, une décision irlandaise.
[30] Lorsqu’un testateur lègue un bien à quelqu’un, en ayant l’intention de lui conférer tous les attributs du droit de propriété, et qu’à cette prescription il ajoute un legs subséquent de ce qui demeurera in specie au moment de sa mort ou de la mort de cette personne, il tente d’accomplir l’impossible. Son intention est claire, mais on ne peut y donner effet. Le tribunal doit alors examiner les volontés du testateur et s’efforcer de les réaliser autant qu’il est légalement possible de le faire. Pour y arriver, le tribunal détermine quelle partie des volontés testamentaires est prédominante et il y donne effet. Le tribunal rejette l’intention subordonnée au motif qu’elle est incompatible avec la volonté prédominante.
[31] Il existe donc deux catégories de cas. La première, où la donation à la première personne nommée prévaut et où le legs subséquent échoue pour des motifs d’incompatibilité. Et la seconde, où la première personne nommée ne reçoit qu’un domaine viager, et où le legs subséquent prévaut. Sauf pour une exception apparente dont on traitera plus loin, il n’y a pas de catégorie intermédiaire; et, dans chacun des cas, l’examen se résume à une démarche pour appliquer cette règle aux mots du testament en cause. La chèvre est alors séparée du mouton. Et si, dans la plupart des cas, la distinction laisse peu de place au doute, dans certaines circonstances, la classification n’est aucunement simple.
[32] De façon générale, nous ne trouvons aucun secours dans les décisions rapportées qui n’établissent pas de principe mais se contentent d’appliquer un principe établi à un document donné. Il n’est rien à ajouter à ce qu’ont énoncé le maître des rôles Jessel dans Aspden v. Seddon (1874), L.R. 10 Ch. 397, note, et le juge en chef Collins dans Foulger v. Arding, [1902] 1 K.B. 700. Puisqu’il s’agit de décisions facilement accessibles, je ne les citerai pas longuement mais me limiterai à présenter un extrait d’Aspden v. Seddon (p.397) :
[TRADUCTION]
À mon sens, le juge a le devoir d’arrêter l’interprétation de l’instrument qu’on lui présente, et de ne pas référer à l’interprétation qu’un autre juge a donnée à un instrument qui, bien que pouvant ressembler à celui en l’espèce, n’est pas le même.
[33] Pour trouver une illustration du danger de s’en remettre à des décisions antérieures et d’ignorer le document à l’étude, le mieux est de consulter la jurisprudence traitant du sujet. Constable v. Bull, 3 DeG. & Sm. 411, qui est constamment citée, est une décision très inadéquate. En effet, bien qu’il y reconnaisse la bonne règle, le tribunal force considérablement le sens des mots du testament. Be Sheldon and Kemble (1885), 53 L.T.R. 537, a suivi. Or dans cette affaire, plutôt que d’appliquer la règle au testament en cause, le tribunal tente de distinguer les mots de ce testament et les mots du testament de la cause antérieure. Une décision australienne, Wright v. Wright, [1913] Vict. L.R. 358, souligne en quoi le résultat ainsi atteint est insatisfaisant.
[34] Pour citer un autre passage de la décision de Sir George Jessel (L.R. 10 Ch., p. 398) à laquelle il a déjà été fait référence : [TRADUCTION] « Et c’est ainsi que, d’interprétation en interprétation, nous faisons face à un document dont les termes diffèrent complètement de ceux du premier, mais qui, au long de ce processus, en est venu à être interprété de la même manière.»
[35] Une note figurant dans 40 L.Q.R., aux pages 393 à 395, discute de ce principe et fait référence à d’autres décisions.
[36] J’ai mentionné une exception apparente à la règle. Cette exception pourrait être considérée comme générant une troisième catégorie de causes, catégorie qui regrouperait certaines affaires. Il s’agit de cas où le premier bénéficiaire ne reçoit qu’un domaine viager, mais où le viager obtient un pouvoir de vente qu’il peut exercer à tout moment de la durée de son domaine. La validité de cette façon de faire ne fait l’objet d’aucun doute. Il y est recouru assez souvent dans le cas de biens détenus en fiducie. Le pouvoir de vente est alors fréquemment dévolu à des fiduciaires, qui sont habilités à vendre et à remettre les fruits des ventes au viager pour assurer sa subsistance. Re Johnson (1912), 27 O.L.R. 472 offre un bon exemple de cette pratique. La donation n’y suscitant pas de conflit à sa face même, ces cas ne constituent qu’une exception apparente à la règle. La décision de classer ou non un cas donné dans cette catégorie repose entièrement sur une interprétation, et le testament en l’espèce n’appartient clairement pas à cette catégorie.
[37] L’arrêt Shearer c. Hogg (1912), 48 R.C.S. Can. 492, qui a confirmé Shearer v. Forman (1911), Q.R. 40 S.C. 139, est parfois présenté comme contredisant les vues qui précèdent. Cette cause est régie par le droit civil, qui reconnait la substitution « de residuo » ou « de eo quod supererit », une entité qui est assez étrangère au droit anglais. La Cour y entreprend de définir l’intention du testateur afin de déterminer s’il existe une substitution valide. Le jugement comporte des remarques sur les similarités entre le droit des deux provinces. Or, interprétés comme il se doit, ces propos visent le devoir qu’a la Cour de définir l’intention du testateur et de lui donner effet lorsqu’il est possible de le faire. La décision de la Cour suprême se comprend plus facilement une fois lue la décision du tribunal d’instance inférieure.
[38] Penchons-nous à présent sur le testament en l’espèce. Comme le jugement en révision, je conclus que les mots « undisposed of » ([TRADUCTION] « sans qu’elle en ait disposé ») ne visent pas une disposition que la veuve ferait par testament, mais une disposition que la veuve ferait de son vivant. Cela dit, je ne peux souscrire à l’interprétation qui a été par ailleurs faite du testament. À mon sens, on a clairement tenté de régler le sort des biens dont la veuve n’aurait pas disposé, et la stipulation visée est incompatible avec la donation faite à la veuve. À mon avis, la donation à la veuve doit l’emporter, et nous devons déclarer que le legs subséquent qu’on a tenté d’établir est entaché d’incompatibilité et est nul.
[39] Par conséquent, je suis d’avis d’accueillir l’appel et d’interpréter le testament en conséquence. Les dépens seront prélevés sur la succession de l’épouse.
[40] Le juge en chef LATCHFORD et le juge d’appel ORDE partagent les motifs du juge MIDDLETON.
[41] Le juge d’appel MAGEE : — Le testament de John Walker a désigné son épouse unique exécutrice testamentaire, et a poursuivi comme suit :
[TRADUCTION]
Je donne et lègue à ma femme tous mes biens réels et personnels, sauf ma montre et ma chaîne en or, que je lègue à mon neveu John Noble Walker […] et tout le reste des bijoux […], que se partageront […] mes neveux […], et, si une quelconque portion de ma succession demeure entre les mains de ma femme, sans qu’elle en ait disposé, au décès de celle-ci, ce résidu sera divisé suit : une demie à mon frère William, deux seizièmes à Abel Fitze, deux seizièmes à John Fitze, trois seizièmes à Annie F. Perkin, frères et sœur de mon épouse, et un seizième à George Warren.
Selon l’interprétation que mon collègue Riddell a donnée au testament, l’épouse se voyait donner l’ensemble des biens du testateur, à l’exception de la montre et de la chaîne et des bijoux, ainsi que des biens dont elle n’aurait pas disposé. Le libellé du testament se prêterait à cette interprétation ― qui, de plus, aurait l’avantage de correspondre aux volontés évidentes du testateur, volontés auxquelles il aurait facilement pu donner effet en recourant à un libellé différent. Il serait souhaitable que l’on donne effet à ses volontés. Cela dit, si le legs subséquent était traité comme une exception à la donation à l’épouse, celle-ci ne se verrait allouer qu’un pouvoir de disposition implicite, et ne recevrait pas d’intérêt viager; alors que, de façon évidente, le testateur voulait également qu’elle reçoive un tel intérêt. La donation de biens réels à l’épouse ne transmettrait pas nécessairement le fief simple.
[42] Tout bien considéré, je partage la conclusion qu’un legs absolu a été fait à l’épouse et que les biens dont elle n’avait pas disposé – en supposant qu’il y en ait – étaient sa propriété et n’étaient pas touchés par le legs subséquent. J’ajouterais que, telle qu’elle est rédigée, l’ordonnance dont appel exprime difficilement l’idée qu’a voulu communiquer le juge.
[43] Appel accueilli.