Walker & Taylor c. Boers (1996), 46 O.R. (3d) 372 (C.A.)

  • Dossier : C31955; C31956
  • Date : 2024

 

 

 

COUR D’APPEL DE L’ONTARIO

 

Les juges d’appel CARTHY, AUSTIN ET MacPHERSON

 

 

Dans l’affaire de Walker & Taylor, procureurs

 

 

ENTRE :

 

WALKER & TAYLOR

 

( Requérants/ 

 Intimés)

 

et

 

GLORIA KATHLEEN BOERS

 

(Cliente/

Appelante)

 

 

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Peter F. Haber

pour la cliente/appelante

 

 

 

 

 

John Pichelli

pour les procureurs/intimés

 

 

Audience : le 21 octobre 1999

 

 

 

Appel des ordonnances du juge Morrison datées du 18 mars 1999.

 

LE JUGE D’APPEL AUSTIN :

 

[1] Dans les présents appels, il s’agit de savoir si, après liquidation, le compte d’un avocat pour un client est susceptible de produire des intérêts et, dans l’affirmative, à quel taux et sous le régime de quelles dispositions.

 

FAITS

 

[2] Les faits sont simples et ils sont typiques des rapports entre les avocats et leurs clients. Les requérants, qui sont procureurs, ont été engagés par la cliente dans une affaire matrimoniale. Les procureurs ont remis deux comptes. Ceux-ci sont datés du 28 mai et du 10 octobre 1990. Chacun des comptes était marqué d’un cachet sur lequel on pouvait lire ce qui suit :

 

[TRADUCTION]

 

En vertu de l’article 35 de la Loi sur les procureurs, des intérêts sont imposés au taux annuel de % sur les honoraires, les dépens ou les débours impayés, et ces intérêts sont calculés à partir de la date marquant l’écoulement d’un mois depuis la remise du présent état de compte.

 

 

 Les taux stipulés étaient de 15 % pour le compte du 28 mai et de 16 % pour celui du 10 octobre.

 

[3] Les comptes n’ont pas été réglés et, à la demande des procureurs, ils ont respectivement été liquidés le 24 juillet et le 20 novembre 1990. Des certificats de liquidation ont été délivrés par le liquidateur des dépens.

 

[4] Le compte du 28 mai 1990 indiquait des honoraires de 10 000 $ et des débours de 1268,50 $. Le liquidateur des dépens y a inscrit un crédit pour paiement de 1100 $, le liquidant à 10 168,50 $ le 24 juillet 1990.

 

[5] Le relevé du 10 octobre 1990 indiquait des honoraires de 6000 $ et des débours de 490,13 $. Il a été liquidé à 6490,13 $ le 20 novembre 1990

 

[6] Aucuns intérêts n’ont été accordés dans l’un ni l’autre des certificats. Cela n’est pas surprenant. Dans chacun des cas, le consentement écrit de la cliente était déposé. Voici un extrait du premier :

 

[TRADUCTION]

 

…Par la présente, je consens à la liquidation du compte provisoire daté du 28 mai 1990 ainsi que du compte numéro 213 remis par Me Taylor (honoraires : 10 000 $; débours : 1268,50 $), et je confirme que j’ai payé la somme de 1100 $ le 26 juin 1990 pour qu’elle soit appliquée à ces comptes.

 

Le deuxième consentement reprenait le modèle ci-dessus.

 

[7] La même forme de certificat était utilisée dans les deux cas. Voici un extrait du certificat qui a été délivré le premier :

 

[TRADUCTION]

 

Que le mémoire de dépens délivré affiche un résultat de 11 268,50 $

 

Qu’après liquidation, j’en ai fixé le montant à 11 268,50 $

 

Qu’au crédit dudit mémoire a été versé un montant de 1100,00 $

 

Que, par conséquent, le montant dû par le client au procureur s’élève à 10 168,50 $

 

Que des intérêts sont accordés à … et qu’ils s’élèvent à ———— $

 

Que les dépens et les débours de la liquidation sont accordés à … et qu’ils s’élèvent à ————- $

 

Que le résultat des opérations ci-dessus est de 10 168,50 $

 

Et que cette somme est due (au) procureur (par) la cliente

 

 

[8] Aucun autre montant n’a été payé par la cliente à la suite des liquidations, et des brefs de saisie-exécution ont été délivrés. Le bref d’exécution du certificat du 24 juillet 1990 a été délivré le 21 juillet 1991 au shérif de la municipalité régionale d’Hamilton-Wentworth. Il ordonne au shérif de saisir et de vendre des biens meubles et immeubles afin de réaliser un montant de 10 168,50 $ plus des intérêts annuels de 15 % commençant à courir le 24 juillet.

 

[9] Le bref d’exécution du certificat du 20 novembre a été délivré le 19 décembre 1990. Il ordonne de réaliser un montant de 6490,13 $ plus des intérêts de 14 % courant à partir du 20 novembre 1990.

 

[10] Pour un motif ou des motifs inexpliqués, il a fallu jusqu’au 18 février 1999 pour que des mesures de procédure soient introduites au nom du client pour contester aux réclamations d’intérêts de 15 % et de 14 %.

 

LÉGISLATION

 

[11] Les dispositions législatives pertinentes figurent dans la Loi sur les procureurs, L.R.O. 1990, chap. S-15 et dans la Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O. 1990, chap. C-43 (LTJ). Les voici :

 

 Loi sur les procureurs

 

2(1) Aucune action en recouvrement des honoraires, frais ou débours d’un procureur à l’égard de services fournis à ce titre ne doit être intentée moins d’un mois après la date à laquelle un mémoire à cet effet a été remis ou envoyé par la poste au débiteur ou laissé à son intention à son bureau ou lieu de résidence. Le mémoire est soit signé par le procureur, son exécuteur testamentaire, l’administrateur successoral, son ayant droit ou, dans le cas d’une société en nom collectif, par un de ses associés en son propre nom ou au nom de la société en nom collectif, s’il y a lieu, soit annexé ou joint à une lettre qui en fait mention et qui porte une des signatures prévues au présent paragraphe. 

 

3 En l’absence de contestation du mandat du procureur et de circonstances exceptionnelles, une ordonnance peut être obtenue par voie de réquisition auprès du greffier local de la Cour de l’Ontario (Division générale),

 

c) par le procureur, pour la liquidation du mémoire déjà remis, un mois après la remise du mémoire si aucune ordonnance de liquidation n’a été rendue antérieurement.

 

13 Les requêtes de renvoi d’un mémoire pour liquidation ou les requêtes de remise d’un mémoire ou de remise d’actes scellés, de documents et d’écrits sont intitulées Dans l’affaire de (le procureur). Le montant du mémoire fixé dans le rapport du liquidateur qui l’a liquidé est définitif à moins que le rapport lui-même ne soit annulé ou modifié. Le paiement du montant ainsi dû et exigible peut être obtenu au moyen des mesures d’exécution du tribunal qui a accordé le renvoi.

 

 

33.(1) Le procureur peut exiger des intérêts sur les honoraires, frais ou débours impayés, calculés à compter de l’expiration d’un mois après la remise du mémoire prévu à l’article 2.

 

 (2) Quand il y a eu liquidation du mémoire des honoraires, frais et débours du procureur, le client qui a versé un montant trop élevé à son procureur a le droit d’exiger des intérêts sur l’excédent à compter de la date à laquelle celui-ci a été versé..

 

(3) Le taux d’intérêt exigible conformément au paragraphe (1) ou (2) ne doit pas dépasser le taux établi pour l’application de l’article 128 de la Loi sur les tribunaux judiciaires à l’égard d’une action intentée le jour de la remise du mémoire ou du paiement excédentaire, selon le cas.

 

(4) Le taux d’intérêt applicable à un mémoire est indiqué sur le mémoire remis.

 

(5) Lors de la liquidation du mémoire d’un procureur, le liquidateur des dépens peut, s’il l’estime juste, et à l’égard de la totalité ou d’une partie du montant liquidé et compte tenu des circonstances,

 

 a) soit refuser d’accorder l’intérêt;

 

 b) soit fixer un taux d’intérêt inférieur au taux maximal autorisé par le présent article.

 

Loi sur les tribunaux judiciaires

 

128(1) Intérêts antérieurs au jugement – La personne qui a droit à une ordonnance de paiement d’une somme d’argent a le droit de demander que l’ordonnance lui accorde des intérêts sur cette somme, calculés au taux d’intérêt antérieur au jugement, depuis la date à laquelle la cause d’action a pris naissance jusqu’à la date de l’ordonnance.

….

 

(4) Exception – Il n’est pas accordé d’intérêts aux termes du paragraphe (1),

 

 g) si le droit aux intérêts a sa source ailleurs que dans le présent article.

 

129(1) Intérêts postérieurs au jugement – La somme d’argent due aux termes d’une ordonnance, y compris les dépens devant être liquidés ou ceux fixés par le tribunal, porte intérêt au taux d’intérêt postérieur au jugement, à compter de la date de l’ordonnance.

 

….

 

(5) Autre source du droit aux intérêts – Il ne doit pas être accordé d’intérêts aux termes du présent article si un droit aux intérêts existe en vertu d’un autre article.

 

 

POSITIONS DES PARTIES

 

[12] La cliente soutient ce qui suit :

 

[TRADUCTION]

 

a) La Loi sur les procureurs, L.R.O. 1990, chap. S.15 présente un système de règles complet pour la détermination des comptes d’avocats, traitant notamment des intérêts payables, avant comme après liquidation, sur les montants dus;

 

b) aux paragraphes 33(1) et (3), il est dit que l’avocat peut réclamer des intérêts relativement à un compte qui est en souffrance depuis au moins un mois;

 

c) le taux de tels intérêts ne doit pas dépasser celui visé par l’art. 128 de LTJ (le taux d’avant jugement);

 

d) lors de la liquidation, le liquidateur peut refuser d’accorder des intérêts ou en abaisser le taux;

 

e) si le liquidateur fixe un taux, le montant découlant de ce taux est celui que le shérif pourra réaliser au moyen des mesures d’exécution;

 

f) sauf pour le paragraphe e), la LTJ ne s’applique pas aux matières en cause; de façon plus particulière, le taux des intérêts postérieurs au jugement établi par l’art. 129 de la LTJ ne s’applique pas à la détermination du taux des intérêts payables sur le compte de l’avocat après la liquidation;

 

g) le liquidateur n’ayant accordé d’intérêts ni sur l’un ni sur l’autre de ces comptes, aucuns intérêts ne peuvent être réclamés à la cliente.

 

 

 

[13] Selon le procureur :

 

[TRADUCTION]

 

a) l’article 33 de la Loi sur les procureurs détermine l’intérêt qui est imputable jusqu’à la date de la liquidation, inclusivement;

 

b) par la suite, le certificat ou le rapport du liquidateur entre en vigueur et a l’effet d’une ordonnance;

 

c) l’art. 129 de la LTJ prévoit le paiement d’intérêts postérieurs au jugement et en fixe les particularités;

 

d) par conséquent, des intérêts sont dus sur les deux comptes, au taux de 15 %, dans un cas, et au taux de 14 %, dans l’autre.

 

 

LA DÉCISION DU TRIBUNAL D’INSTANCE INFÉRIEURE

 

[14] Par motion, la cliente a demandé que soit supprimée toute mention d’accumulation d’intérêts dans le cas de chacun des brefs; subsidiairement, la cliente a sollicité un ordre au shérif de ne pas percevoir d’intérêts. Ces deux motions ont été rejetées avec dépens, les dépens imposés étant fixés à 300.00 $. Les motifs du juge des motions se lisent en partie comme suit :

 

[TRADUCTION] 

 

Le compte du procureur, qui prévoyait des intérêts, a fait l’objet d’une liquidation. Ce compte a été approuvé en partie. Aucune partie des intérêts alors courus n’a été approuvée, et les montants du compte se rapportant aux intérêts n’ont pas été acceptés. Le certificat de liquidation des dépens est alors devenu une ordonnance exécutable par les tribunaux. Ainsi, le montant des intérêts est le montant dû sous le régime de la Loi sur les tribunaux judiciaires. Le montant indiqué au titre des intérêts dans le bref de saisie est fondé sur le taux ayant cours sous le régime de la Loi sur les tribunaux judiciaires.

 

 

ANALYSE

 

[15] Le principal point de discorde des parties peut se réduire à la question suivante : sous le régime du par. 33(5) de la Loi sur les procureurs, la compétence du liquidateur de refuser ou de fixer des intérêts s’étend-elle à la fois aux intérêts antérieurs et aux intérêts postérieurs au jugement, ou se limite-t-elle aux seuls intérêts antérieurs au jugement?

 

[16] Selon la cliente appelante, la compétence du liquidateur comprend à la fois les intérêts antérieurs et les intérêts postérieurs au jugement. À l’appui de sa prétention, elle invoque le par. 33(5) de la Loi sur les procureurs et un bon nombre de décisions judiciaires.

 

[17] Traitons d’abord du par. 33(5). Si son alinéa b) prévoit une limite en ce qui a trait au taux des intérêts qui peuvent être accordés, aucune disposition de ce paragraphe ne limite expressément la période pour laquelle les intérêts peuvent être imputés. Le libellé de l’article se prête à l’interprétation mise de l’avant par l’appelante. Ceci dit, notons que le renvoi prévu au par. 33(3) vise la disposition relative à la périodeantérieure au jugement de la LTJ.

 

[18] Dans Re Kimpe et al and Union Gas Ltd. (1985), 51 O.R. (2d) 112 (C. div.), ils’agissait de savoir si des intérêts étaient payables sous le régime de l’art. 37 de laJudicature Act (L.R.O. 1980, chap. 223, prédécesseur de l’art. 129 de la LTJ) sur des dépens liquidés contre la Union Gas. Dans cette affaire, la Union Gas avait obtenu une ordonnance de la Commission de l’énergie de l’Ontario autorisant l’entreposage de gaz sous le terrain du réclamant sur paiement d’une indemnité et des dépens. LaOntario Energy Board Act autorisait la Commission à accorder les dépens mais elle ne mentionnait pas la question des intérêts sur ceux-ci. Selon la Cour divisionnaire, la Loi était destinée à régir tous les droits substantiels en matière d’indemnisation; et, comme les intérêts constituaient un droit substantiel et qu’ils ne se trouvaient pas mentionnés dans la Loi, le législateur n’avait pas voulu que le droit à des intérêts puisse être accordé à un demandeur. Par conséquent, l’art. 37 de la Judicature Act ne trouvait pas application. 

 

[19] Dans Convert-A-Wall Ltd. v. Brampton Hydro-Electric Commission (1988), 65 O.R. (2d) 385 (C. div.), la question soulevée n’était pas celle des intérêts. Il s’agissait de savoir quelle loi devait régir les circonstances de l’affaire et déterminer le taux applicable. Une poursuite se trouvait intentée en vertu de la Mechanics’ Lien Act. Le contrat visé disait ce qui suit : [TRADUCTION] « Si le Propriétaire omet d’effectuer les paiements requis à l’entrepreneur dans le respect des échéances stipulées au Contrat, ou conformément à une décision arbitrale ou judiciaire, des intérêts au taux annuel de 18 % courront sur le montant impayé et seront exigibles sur celui-ci jusqu’à ce qu’il soit acquitté » (p.395). Le tribunal a conclu à la responsabilité du propriétaire et l’a condamné à payer un certain montant que, selon le tribunal, il avait fautivement gardé en sa possession. L’entrepreneur a aussi eu droit à des intérêts. Ceux-ci comprenaient des intérêts antérieurs au jugement sur les travaux hors devis impayés. Ces intérêts couraient jusqu’à la date du jugement et étaient assortis du taux de 18 % stipulé dans le contrat, conformément à ce qui est maintenant l’al. 128(4)g) de la LTJ. Ces intérêts comprenaient également des intérêts postérieurs au jugement. Leur taux était également fixé à 18 %, conformément à ce qui est maintenant le par. 129(5) de la LTJ.

 

[20] Dans Diefenbacher v. Young (1995), 22 O.R. (3d) 641 (C.A. Ont.), un ancien associé a réclamé en justice, avec succès, une part du fonds commercial de la société. Le juge du procès a appliqué la Loi sur les sociétés en nom collectif et ordonné la répartition des actifs. Ensuite, il a accordé des intérêts antérieurs au jugement sous le régime de la LTJ. Le par. 42(1) de la Loi sur les sociétés en nom collectif prévoit ce qui suit :

 

 

42(1) Si un membre d’une firme décède ou cesse de quelque autre façon d’être un associé, et que les associés survivants ou restants exploitent l’entreprise de la firme avec le capital ou l’actif de celle-ci sans aucune liquidation des comptes entre la firme et l’associé sortant ou sa succession, l’associé sortant ou sa succession a droit, en l’absence d’un contrat à l’effet contraire et au choix de cet associé ou de ses représentants, soit à la quote-part des bénéfices réalisés depuis la dissolution que le tribunal estime découler de l’utilisation de sa part de l’actif de la société, soit à des intérêts, calculés au taux annuel de 5 pour cent sur le montant de sa part de l’actif de la société.

 

 

[21] Aux pages 643 et 644 du recueil, le juge d’appel Carthy, exprimant la position du tribunal, dit ce qui suit :

 

[TRADUCTION]

 

Le présent article a, ici comme en Angleterre, environ 100 ans d’existence. Il a fait l’objet d’assez peu de jurisprudence. Quant à ses origines, elles remontent beaucoup plus loin que les dispositions modernes sur les intérêts antérieurs au jugement. L’article 42 prévoit une formule très différente en ce qui concerne la fixation des indemnités. Par contre, son objet est le même que celui des intérêts antérieurs au jugement : la perte associée au fait d’être privé de ce à quoi on a droit entre la date de l’événement visé et la date du jugement, à l’issue du procès. Avant l’édiction — relativement récente — de la disposition sur l’intérêt antérieur au jugement, aucune indemnité n’aurait été accordée pour le retard mis à recouvrer une créance non liquidée, comme celle qui est ici mise de l’avant, sauf par le recours à la disposition ci-dessus de la Loi sur les sociétés en nom collectif. J’en conclus donc que, malgré son taux anachronique de 5 pour cent, l’art. 42 de la Loi sur les sociétés en nom collectif peut s’appliquer quand les circonstances le justifient, et que, en de tels cas, il peut écarter le droit aux intérêts antérieurs au jugement prévu au par. 128(1) de la Loi sur les tribunaux judiciaires.

 

[22] Par conséquent, la disposition du jugement de première instance sur les intérêts antérieurs au jugement a été modifiée, et un taux de 5 % a été substitué à celui stipulé par la LTJ.

 

[23] On a également fait mention de Re Josephs Estate (1993), 14 O.R. (3d) 628 (Div. gén.). Dans cette affaire, le juge Borins a rejeté une réclamation d’intérêts postérieurs au jugement relativement à une adjudication de dépens. Les dépens accordés s’inscrivaient dans une ordonnance faisant suite à une reddition de compte. Selon le tribunal, lorsque des dépens sont accordés par un tribunal dans une instance portant sur l’administration d’une succession, ces dépens constituent une charge sur la succession et, en tant que tels, ne produisent pas d’intérêts.

 

[24] À mon sens, aucune des décisions ci-dessus ne vient en aide à l’appelante. Dans Kimpe, je ne trouve qu’une conclusion selon laquelle ni la Ontario Energy BoardAct, ni la Expropriations Act, L.R.O. 1980, chap. 148 ne prévoyaient l’accumulation ou le paiement d’intérêts sur les dépens.

 

[25] Si le par. 129(5) s’appliquait dans Convert-A-Wall, c’était que le droit commandant le paiement d’intérêts prenait source ailleurs qu’au par. 129(1). Selon l’appelante, un tel droit pourrait découler de l’exercice, par un liquidateur, du pouvoir que lui confère le par. 33(5) de la Loi sur les procureurs. Or, aucun intérêt n’ayant été accordé dans la présente instance, aucun tel droit n’aurait été créé.

 

[26] Dans Diefenbacher, l’application de l’art. 129 de la LTJ est clairement écartée. Comme y dit le juge Carthy, la disposition prévue au par. 42(1) de la Loi sur les sociétés en nom collectif est un anachronisme; c’est d’un vestige d’avant 1978, l’année où a été établi le droit aux intérêts antérieurs au jugement que nous connaissons aujourd’hui. Le par. 33(3) de la Loi sur les procureurs limite au niveau établi par la LTJ le taux des intérêts antérieurs au jugement imputables par un avocat. Il semblerait logique de rattacher le taux des intérêts postérieurs au jugement à cette même loi.

 

[27] La décision dans Joseph n’aide pas le tribunal. Dans cette affaire, la jurisprudence qui a dicté le résultat remontait sur 150 ans. La position défendue par l’appelante en l’espèce n’a aucun appui de ce type.

 

[28] En fait, la décision dont les faits se rapprochent le plus de ceux de notre espèce appuie la conclusion du juge d’instance inférieure. Cette décision est celle dansRolston, Humphrey & Babij c. Seaton (1982), 39 O.R. (2d) 617 (C. div.). Au moment des faits de cette affaire, la Judicature Act était en vigueur et les art. 36 et 37 comportaient respectivement des dispositions sur les intérêts antérieurs et postérieurs au jugement. Ceci dit, la Solicitors Act, L.R.O. 1980 chap. 478, n’avait pas encore été coordonnée avec ces articles. L’art. 35 de la Solicitors Act, était alors libellé comme suit :

 

[TRADUCTION]

 

35. Un avocat peut réclamer de l’intérêt au taux annuel de 5 % sur ses débours et ses dépens, soit en établissant un barème ou non, après qu’un mois s’est écoulé à partir de la date à laquelle a été faite la réclamation au client et, lorsque ces intérêts doivent être payés par un mineur ou tirés d’un fond présentement disponible, la réclamation peut être faite à un parent, un gardien, un fiduciaire ou toute autre personne responsable.

 

 

[29] Les avocats, Rolston et al, ont fait remettre leur compte à un liquidateur pour qu’il procède à sa liquidation. Celui-ci a déposé un rapport indiquant qu’un montant de 86,54 $ demeurait dû aux avocats. Les avocats ont ensuite demandé la délivrance d’un bref d’exécution relativement à leur réclamation. Ils demandaient également des intérêts au taux prévu à l’art. 36 de la Judicature Act. Le greffier local n’a pas accueilli cette demande. Selon lui, le taux maximum applicable aux intérêts recouvrables était de 5 %, comme le prévoyait l’art. 35 de la Solicitors Act.

 

[30] La Cour divisionnaire a rejeté ce point de vue. Exprimant l’opinion du tribunal (les juges Southey, Saunders et Callaghan), le juge Southey tient les propos suivants, à la page 619 du recueil :

 

[TRADUCTION]

 

Selon nous, l’art. 35 de la Solicitors Act ne régit pas le taux des intérêts qu’un avocat peut recouvrer une fois qu’il a fait liquider son compte et que le rapport du liquidateur des dépens a été confirmé ainsi qu’il l’a été dans la présente affaire.À notre avis, l’article 35 vise des intérêts qui sont analogues aux intérêts antérieurs au jugement dans un cas ordinaire; il ne s’applique pas aux intérêts qui sont recouvrables une fois un jugement obtenu. Après que la confirmation a été prononcée et un jugement obtenu — ce jugement ayant découlé de la confirmation du rapport du liquidateur —, le taux des intérêts désormais recouvrables est celui que prévoit l’art. 36 de la Judicature Act, comme c’est le cas pour tout autre jugement. À notre avis, l’intimé était requis d’inscrire, au bref de fieri facias, une directive portant que les intérêts devaient être recouvrés suivant le taux en question. (nos soulignés)

 

 

[31] Je suis entièrement d’accord avec les observations ci-dessus et avec la conclusion qui a été prise par le tribunal. Il s’agit d’une conclusion logique. Elle découle du fait que le certificat ou le rapport du liquidateur — des expressions parfois utilisées de façon interchangeable — devient un jugement ou une ordonnance sur confirmation. Dans la présente affaire, comme dans Rolston, le rapport a été confirmé par l’écoulement d’une période de 15 jours, sans signification d’une motion en contestation de la confirmation, à la suite de l’avis de dépôt du rapport : voir l’al. 54.09(1)b). Une fois que le certificat ou le rapport est devenu un jugement ou une ordonnance, l’art. 129 s’est appliqué et les intérêts postérieurs au jugement se sont mis à s’accumuler ainsi que le prévoit cet article. 

 

[32] L’appelante invoque aussi le par. 129(5) de la LTJ, qui se lit comme suit :

 

129(5) Il n’est pas accordé d’intérêts aux termes du présent article, si le droit aux intérêts a sa source ailleurs que dans le présent article.

 

[33] On pourrait faire valoir que le droit prévu au par. 33(5) de la Loi sur les procureurs est un « droit qui a sa source ailleurs que dans le présent article ». Ce qui est conféré par le par. 33(5) n’est toutefois pas un droit; il s’agit d’un pouvoir ou d’une discrétion, et la personne qui en est investie par la législation est le liquidateur. DansConvert-A-Wall, on trouve un exemple de « droit qui a sa source ailleurs que dans le présent article ».

 

[34] Notons également que les art. 2 et 3 de la Loi sur les procureurs autorisent l’avocat à recouvrer un compte de deux façons différentes : une action, en vertu de l’art. 2, ou un renvoi, en vertu de l’art. 3. Si la voie suivie est celle de l’art. 2, et que l’avocat a gain de cause, il en résulte un jugement en faveur de l’avocat, et si l’instance est instruite par un juge, les intérêts antérieurs au jugement sont déterminés sous le régime de l’art.128 de la LTJ. Sauf dans des circonstances exceptionnelles, l’art. 129 de la LTJ est appliqué et des intérêts postérieurs au jugement s’accumulent selon le taux prévu. Si la voie suivie est celle de l’art. 3, les intérêts postérieurs au jugement doivent, selon l’appelante, être déterminés sous le régime du par. 33(5) de la Loi sur les procureurs. Cette anomalie donne à penser que l’art. 129 de la LTJ devrait être appliqué peu importe la voie choisie. Dans l’hypothèse contraire, les avocats seraient portés à intenter une poursuite pour bénéficier du caractère automatique de l’art. 129. Telle n’a pu être l’intention de la législature.

 

[35] Finalement, deux points particuliers méritent d’être soulignés. Le premier : le renvoi prévu au par. 33(3) de la Loi sur les procureurs est un renvoi à l’art. 128 de LTJ, lequel traite du droit à des intérêts antérieurs au jugement. Ce fait donne à penser que l’art. 33 est limité aux intérêts antérieurs à la liquidation, et qu’il ne régit pas à la fois les intérêts antérieurs et les intérêts postérieurs à la liquidation. Le deuxième : aucune justification n’a été avancée pour expliquer pourquoi les intérêts postérieurs au jugement sur un compte d’avocat devraient être régis par le par. 33(5) de la Loi sur les procureurs plutôt que part l’art. 129 de la LTJ. Le par. 33(5) habilite le liquidateur à refuser d’accorder des intérêts ou à limiter leur taux à un niveau inférieur à celui établi par la LTJ. Ce pouvoir est adéquat et nécessaire en ce qui concerne les intérêts antérieurs à la liquidation. Par exemple, lorsqu’un avocat tarde à délivrer un compte, le refus de tous intérêts ou l’allocation d’intérêts à un taux plus bas que celui de l’art. 128 pourrait être approprié (Re Howland (1925), 28 O.W.N. 417 (H.C.)). Par contre, au-delà de la liquidation, il est difficile de voir pourquoi aucuns intérêts ne devraient être accordés ou pourquoi les intérêts accordés devraient être assortis d’un taux réduit. Le but recherché est que, tout en étant assujettie à confirmation, la liquidation ait un caractère définitif (Loi sur les procureurs, art. 13). Après confirmation, rien ne justifie qu’un compte d’avocat soit traité différemment de tout autre compte. D’ailleurs, aucune raison n’a été suggérée qui ait établi que l’art. 129 de la LTJ ne doive pas être appliqué aux deux situations également.

 

[36] L’avocat de l’appelante a raison quant à une question précise : les taux indiqués sur les comptes. Le compte du 28 mai 1990 stipulait 15 %. Si j’interprète l’art. 128 de la LTJ correctement, le taux maximal accordé aurait été de 12,5 %. Le taux stipulé dans le compte du 10 octobre 1990 semble être de 16 %, alors que le taux allouable était de 13,9 %. Comme le liquidateur n’a pas accordé d’intérêts, les réclamations erronées ne sont pas pertinentes. Les taux réclamés dans les brefs de saisie-exécution étaient respectivement de 15 % et 14 % et, comme l’a conclu le juge des requêtes, ces taux correspondaient aux taux postérieurs au jugement allouables sous le régime de l’art. 129.

 

 

CONCLUSION

 

[37] Je conclus que les appels sont sans fondement et que le juge de première instance était entièrement justifié de prendre les conclusions qu’il a prises. En conséquence, je rejetterais les appels et ordonnerais qu’ils fassent l’objet d’un seul mémoire de dépens.

 

 

Le juge d’appel Austin

 

« Je souscris aux motifs du juge Austin. » Le juge d’appel Carthy

 

« Je souscris aux motifs du juge Austin. » Le juge d’appel Macpherson

 

 

Jugement rendu le : 3 décembre 1999